Du
Thabor à Golgotha
II
BÉTHANIE
I. LA PIEUSE FAMILLE
Certains sites nous attirent par un charme
particulier et produisent sur nous une impression
paisible et agréable ; d'autres, au
contraire, nous déplaisent à
première vue. Cependant l'homme ne
prête que rarement une oreille attentive et
un coeur recueilli aux voix de la nature. Plus d'un
ruisseau murmure en vain sa douce
mélodie ; plus d'une fleur
s'épanouit inaperçue au bord du
chemin ; plus d'un oiseau fait retentir son
chant joyeux sans rencontrer d'écho. L'homme
est un roi déchu ; il passe à
côté des magnificences de la
création, avec un regard froid et
indifférent, préoccupé de sa
douleur ou plongé dans de folles joies.
Parfois ce sont les hommes ou les
événements de la vie qui donnent leur
prix à nos lieux de
prédilection. C'est
peut-être le toit qui abritait notre berceau,
la demeure où l'amour d'une mère a
éclairé nos premières
années, alors que les soucis et les combats
de la vie nous étaient encore inconnus.
Le Seigneur avait aussi sa retraite
favorite. Mais ce n'était ni
Bethléhem, le lieu de sa naissance, ni
Nazareth où s'était passée son
enfance, ni les bords ravissants du lac de
Galilée. C'est à Béthanie
qu'il avait trouvé une patrie, pour autant
que la terre pouvait la lui offrir. La famille,
dont parle le récit
évangélique, se composait de deux
soeurs et de leur frère : Marthe,
Marie, Lazare. Saint Jean fait d'eux le plus bel
éloge que l'on puisse ambitionner, quand il
dit : « Or Jésus aimait
Marthe et sa soeur, et Lazare. »
(Jean XI, 5.) Ils reconnaissaient
ouvertement la divinité du Sauveur, auquel
les liait un profond amour et ils voyaient en lui
l'accomplissement des promesses faites à
leur peuple. Ils étaient tellement
assurés de l'affectueuse bienveillance du
Seigneur à leur égard que, lorsque
Lazare tombe malade, ses soeurs lui font simplement
dire : « Seigneur, celui que tu
aimes est malade. »
(Jean XI, 3.)
Jésus allait souvent à
Béthanie. Il ne passait pas devant la maison
de ses amis sans s'y arrêter. C'est là
qu'il accomplit son plus grand miracle et qu'il
manifesta avec puissance la gloire de Dieu.
Il. LA FAMILLE
DANS LA JOIE
Le récit évangélique nous
présente tour à tour dans la joie et
dans l'épreuve, les trois amis, dont le
souvenir a donné sa
célébrité au hameau de
Béthanie.
Le Seigneur est arrivé. On le
reçoit comme un hôte bien-aimé.
À sa vue, les coeurs s'épanouissent.
Marthe met en oeuvre tout ce que le zèle le
plus pur peut inventer, pour honorer celui dont
elle a reconnu la gloire divine sous sa forme de
serviteur. Mais seule elle ne parvient pas à
exécuter tous ses désirs. Il faut
absolument que Marie lui vienne en aide. Si
Jésus a dû le plus souvent se
contenter, au milieu de sa fatigante
activité, d'un peu de pain et de petits
poissons, il faut qu'aujourd'hui, à la table
de ses amis, un repas abondant vienne restaurer ses
forces. Marie ne partage nullement les
préoccupations de sa soeur ; elle ne
voit point ses signes, elle ne remarque pas ses
nombreuses allées et venues. Assise aux
pieds du Sauveur, attentive aux paroles divines qui
sortent de sa bouche, elle oublie tout ce qui est
de la terre. Marthe, se sentant
délaissée, s'adresse à l'Ami
dont la parole a tout autorité sur la
famille et elle le prie d'envoyer Marie à
son aide. Le Seigneur, loin d'accéder
à sa demande, loue Marie et
adresse un sérieux
reproche à sa soeur :
« Marthe, Marthe, tu te mets en peine et
tu t'agites pour beaucoup de choses ; mais une
seule est nécessaire ; et Marie a
choisi la bonne part qui ne lui sera point
ôtée. »
(Luc X, 41, 42.)
Marthe était une servante du
Seigneur, pleine de dévouement et
d'enthousiasme ; elle aimait son Maître
d'un amour profond et tendre ; son
activité n'avait que lui seul pour but. Elle
est la première femme qui ait rendu à
Jésus ce glorieux témoignage :
« Je crois que tu es le Christ, le Fils
de Dieu, qui devait venir dans le
monde. »
(Jean XI, 27.) Si le Seigneur la
blâme, lui qui connaissait son coeur, ce
n'est point qu'il dédaigne ses services et
son hommage, - les femmes chrétiennes feront
bien de ressembler à Marthe sous ce rapport,
- mais il veut lui rappeler que « le Fils
de l'homme est venu, non pour être servi,
mais pour servir »
(Marc X, 45), et qu'elle s'expose,
avec sa fiévreuse activité, à
négliger la parole du Maître et
à ne laisser à celui-ci que la
dernière place.
Les enfants de Dieu de notre époque
méritent souvent ce même reproche.
Celui qui a cru au Sauveur et dont le coeur
agité a trouvé la paix,
éprouve naturellement le besoin de lui
témoigner son amour par une active
consécration à son service. Mais
l'activité peut
dégénérer en agitation,
et l'on en vient aisément
à négliger la seule chose
nécessaire : c'est-à-dire de
s'asseoir tous les jours aux pieds de Jésus
et d'implorer son divin secours. Qui n'en a fait
mainte fois l'expérience ? Alors on
perd son joyeux enthousiasme ; l'oeuvre,
entreprise avec élan, devient un fardeau
pénible ; on s'indigne contre les
personnes qui nous laissent agir seuls, les
accusant de ne pas apporter d'intérêt
au règne de Dieu ; et l'on ne
s'aperçoit pas que le mal vient de ce qu'on
a négligé les rapports personnels et
intimes avec Jésus et par conséquent
perdu la force et la paix.
Le chrétien mérite aussi le
blâme, lorsqu'il croit que sa manière
de servir le Seigneur est la seule bonne et digne
de louange. On rencontre des enfants de Dieu qui
ont le don d'être toujours et partout
occupés au service de leur
Maître ; ils répandent des
traités, adressent à chacun de
bonnes, paroles, engagent une conversation
sérieuse à table d'hôte, etc.,
mais tous n'ont pas ce talent. Il est des
chrétiens tout aussi fidèles qui
redoutent de se mettre en évidence. je
connais un homme qui, lorsqu'il se trouve en wagon
ou à table d'hôte, se sent
pressé d'intercéder en silence pour
ses compagnons de voyage. Ce besoin est même
si intense qu'il est importuné lorsque
quelqu'un lui adresse la parole. Les nouveaux
convertis se laissent aisément
entraîner par une activité
extérieure et
agitée qui peut nuire à leur
développement spirituel. « Une
seule chose est nécessaire, » dit
le Seigneur ; seule elle donne leur vraie
valeur et leur consécration à toutes
les manifestations de l'amour et de l'enthousiasme.
C'est ce que recherchait Marie : recueillir
les paroles de Jésus, s'en nourrir chaque
jour, être sanctifiée par elles, vivre
en communion avec le Seigneur.
Heureuse maison de Béthanie !
Quoique tu sois tombée en ruines depuis
longtemps, tu prêches encore à toutes
les familles de la terre joie et paix, salut et
bénédiction. Puisse-t-il s'en
élever un grand nombre parmi nous, de ces
familles où Christ est le meilleur ami,
où tous les coeurs le servent, l'honorent et
l'aiment ! Alors la peine et la fatigue pour
l'oeuvre du Seigneur deviendront un plaisir, la
maladie et la mort même contribueront
à la gloire et à la louange de Dieu.
III. LA FAMILLE
DANS LE DEUIL
C'est dans l'épreuve que l'on apprend
à bien connaître la famille amie du
Sauveur. Marthe alors se montre non seulement
l'égale de sa soeur, mais elle la surpasse
par sa foi et sa confiance en Dieu.
Nous savons peu de chose de Lazare. Ce West
qu'à sa résurrection qu'il
paraît au premier plan, et
cela d'une manière si
saisissante que les autres personnes du
récit évangélique rentrent
dans l'ombre. Il est dit de Lazare que
« Jésus l'aimait »
Jésus l'appelait « son
ami. »
(Jean XI, 5, 11.) Ami ! ce mot a
une signification si grande et si intime qu'il se
passe de tout commentaire.
Il faut que le Seigneur ait trouvé
chez Lazare et chez ses soeurs quelque chose de
particulièrement aimable pour leur avoir
accordé son amitié. Il aime tous les
hommes ; dans ses compassions infinies, il
désire le salut de tous. Toutefois ce n'est
pas de cet amour pour les pécheurs qu'il
s'agit ici, mais bien d'une affection d'ami. Plus
tard, lors de ses dernières souffrances, il
dira à ses disciples : « Vous
serez mes amis ; » mais en ajoutant
une condition : « Si vous faites
tout ce que je vous commande. »
(Jean XV, 14.) Cette condition
était remplie depuis longtemps à
Béthanie. -
Nous parlons volontiers de notre amour pour
Jésus. Nous sommes heureux quand nous
pouvons dire avec Pierre :
« Seigneur, tu connais toutes choses, tu
sais que je t'aime. »
(Jean XXI, 17.) Il est utile
toutefois de nous demander si le Seigneur peut nous
aimer comme des amis. Il faut pour cela que nous
vivions dans une obéissance complète
à sa sainte volonté, dans une
recherche habituelle de sa présence, et que
notre amour pour lui passe avant toute chose.
Heureux celui qui possède
cette précieuse assurance :
« Mon Sauveur m'aime. »
Heureuse la famille. où, père et
mère, frères et soeurs, prient les
uns pour les autres en disant :
« Seigneur, celui que tu
aimes » Sans doute l'épreuve
pourra les atteindre, mais la gloire de Dieu se
manifestera au milieu d'eux.
C'est ce qui est arrivé à la
pieuse famille de Béthanie. L'amour du
Seigneur ne la préserve pas de la
douleur ; Lazare tombe gravement malade. Peu
de jours suffisent pour transformer l'heureuse
maison en une demeure désolée,
où les soupirs et les larmes remplacent le
chant des Psaumes.
Pauvre et misérable
humanité ! combien ton existence est
éphémère et
ballottée ! et tu peux vivre ! et
tu as le courage de te construire des palais sur la
terre et de rêver la
félicité ! Comment le
néant de tes espérances ne t'a-t-il
pas dès longtemps conduit au
désespoir, ou plutôt à
Dieu ? « L'homme né de femme
a la vie courte, et est rassasié de
trouble. »
Job XIV, 1.) « Toute chair
est comme l'herbe et toute la gloire de l'homme
comme la fleur de l'herbe. »
(I Pier. I, 24.) Depuis que le
péché est entré dans le monde,
suivi de la mort, qui en est le salaire et de son
long cortège de souffrances, la terre est
devenue une vallée de larmes, un
désert où l'homme ne se sent pas
à l'aise. L'humanité est
inexprimablement malheureuse et son plus grand
malheur est de ne pas le sentir.
Dans leur angoisse, les deux soeurs de
Béthanie ont recours au Seigneur. La haine
des juifs l'avait obligé de
s'éloigner, mais, de loin comme de
près, il demeure leur espérance.
Elles envoient un message à Jésus.
« Seigneur, celui que tu aimes est
malade. »
(Jean XI, 3.) Elles ne le pressent
pas de venir ; mais elles le connaissent. Il
lui suffira de savoir son ami malade pour accourir
sur-le-champ. Pourrait-il tarder ? laisser
dans la détresse ceux qu'il aime ? Si
des étrangers ont osé s'adresser
à lui avec confiance.
« Seigneur ! aie pitié de mon
fils »
(Matth. XVII, 15),
« Seigneur, si tu le veux, tu peux me
nettoyer »
(Luc V, 12), ses amis peuvent se
servir d'un « Votre Père sait de
quoi vous avez besoin, avant que vous le lui
demandiez. »
(Matth. VI, 8.)
Le Seigneur a appris la maladie de
Lazare ; il sait ses chers amis dans
l'épreuve, mais il sait aussi qu'il
manifestera sa gloire à leur égard.
Il ne peut le leur expliquer d'avance. Mais il veut
faire briller une étoile dans leur sombre
nuit, au moment même où les ombres de
la mort s'étendent sur la demeure
bien-aimée. Il leur envoie un message qui
n'a pas son égal en beauté et en
compassion « Cette maladie n'est point
à la mort, mais elle est pour la gloire de
Dieu, afin que le Fils de Dieu en soit
glorifié »
(Jean XI, 4), parole
qui a consolé et
séché les larmes de milliers de
croyants. C'était dire aux deux soeurs que
la mort ne les séparerait pas de leur
frère et que cette épreuve
contribuerait à la gloire de Dieu. Que
pouvaient-elles espérer de plus ? Le
Seigneur vient au-devant du désir de ses
enfants, dans la joie comme dans la souffrance. Si
leur prière est en harmonie avec sa
volonté, ils en verront l'exaucement
au-delà de toute attente. « Non
à la mort ! »
Chrétien, ta maladie, ta pauvreté,
tes soucis, tes difficultés, ta croix, quel
qu'en soit le nom, ne sont point à la mort,
mais pour la gloire de Dieu. Remets ta cause au
Seigneur, attends avec patience et tu verras la
délivrance.
Soulagées par cette réponse,
les deux soeurs espèrent d'heure en heure la
guérison de leur bien-aimé
frère. Cependant l'état du malade
s'aggrave de plus en plus ; bientôt tout
espoir s'évanouit ..... Lazare rend le
dernier soupir. « Et Jésus demeura
deux jours dans le lieu où il
était. »
(Jean XI, 6.)
Nous trouvons dans les saintes
Écritures des exemples de la foi de
plusieurs hommes de Dieu. Mais, excepté
Abraham, le père des croyants, nul n'a
été soumis à une plus grande
épreuve que Marthe et Marie. Quand l'ordre
fut donné à Abraham :
« Prends ton fils, ton unique, celui que
tu aimes et offre-le en holocauste »
(Gen. XXII, 2), le
patriarche possédait déjà la
promesse : « C'est en Isaac que ta
postérité sera appelée de ton
nom »
(Gen. XXI, 12), et il connaissait
assez son Dieu pour croire « qu'il
pouvait même le ressusciter des
morts. »
(Hébr. XI, 19.) S'il y avait
contradiction entre la promesse et l'ordre, la foi
devait les concilier. Il en est de même pour
les deux soeurs entre la parole de
Jésus : « Cette maladie n'est
point à la mort »
(Jean XI, 4), et le fait :
« Seigneur, il sent déjà
mauvais, car il est là depuis quatre
jours. »
(Jean XI, 39.) La foi de Marthe se
manifeste dans cette déclaration -
« Je sais que, maintenant même,
tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te
l'accordera. )
(Jean XI, 22.) La foi d'Abraham
était plus calme et plus
assurée ; celle des deux femmes est
hésitante et douloureuse. Sans doute, si
elles avaient connu l'issue de leur épreuve,
elles n'auraient ni pleuré ni douté,
mais au contraire béni le Seigneur. Elles ne
possédaient pas encore cette foi
complète et sans condition qui
« espère contre tout sujet
d'espérer. »
(Rom. IV, 18.) « La foi est
une ferme attente des choses qu'on espère,
une démonstration de celles qu'on ne voit
point. »
(Hébr. XI, 1) Quoiqu'il en
soit, le Seigneur soumet ses amies à une
grande épreuve et elles en sortent
triomphantes.
Ce n'est point seulement par des paroles, ou
par une grande activité, que le
chrétien honore son
Maître ;
l'épreuve supportée, acceptée,
surmontée par la foi, contribue aussi
à la gloire de Dieu. « Il est vrai
que tout châtiment ne paraît pas sur le
moment un sujet de joie, mais de tristesse ;
mais ensuite il produit un fruit paisible de
justice pour ceux qui ont été ainsi
exercés. »
(Hébr. XII, 11.)
« Vous êtes maintenant dans la
tristesse, mais je vous verrai de nouveau, et votre
coeur se réjouira, et personne ne vous
ravira votre joie. »
(Jean XVI, 22.) Que de tristesses le
Seigneur a déjà changées en
joie !
Après sa résurrection, Lazare
eut à passer une seconde fois par la mort.
À ses derniers adieux, ses soeurs auront
sans doute versé des larmes moins
amères. Après avoir assisté
à la résurrection et à
l'ascension de leur Maître, après lui
avoir entendu dire : « Je vais vous
préparer une place »
(Jean XIV, 2), « Je monte
vers mon Père et votre Père, vers mon
Dieu et votre Dieu »
(Jean XX, 17), elles devaient peu
tenir à la vie ; elles devaient
soupirer après le délogement
« pour être toujours avec le
Seigneur. »
(I Thess. IV, 17.) Et si, à la
mort de Lazare, la douleur de la séparation
s'est encore fait sentir, cependant la note
dominante de leur coeur aura été la
louange, l'action de grâce, la
reconnaissance. Que l'Évangile, avec ses
trésors de vie, de paix et de
félicité, vienne éclairer nos
maisons de deuil et nous amener à contempler
la vie et la mort au point de vue
de l'éternité. Alors la vie deviendra
plus facile et la mort plus joyeuse.
IV.
L'ONCTION
Nous ne pouvons nous faire aucune idée du
retentissement qu'avait eu dans la Judée et
particulièrement à Jérusalem,
la résurrection de Lazare. « Et la
troupe qui était avec Jésus, quand il
avait appelé Lazare du sépulcre, et
qu'il l'avait ressuscité des morts, lui
rendait témoignage. Et c'est aussi parce que
le peuple avait appris qu'il avait fait ce miracle,
qu'il était allé au-devant de
lui. »
(Jean XII, 17, 18.) Béthanie
était devenu un lieu de pèlerinage
pour les juifs.
Après la résurrection de
Lazare, Jésus s'était
éloigné pour ne revenir qu'à
la fête de Pâques. Le soleil de justice
avait paru dans sa gloire aux yeux des hommes.
Dès ce moment il baisse à l'horizon.
Lazare sort du tombeau pour faire place au Prince
de la vie. Il est une prophétie vivante de
la résurrection du Seigneur et une promesse
pleine de consolation et d'espérance pour
tous ceux qui pleurent leurs bien-aimés.
« La mort est engloutie en
victoire. » (
I Cor. XV, 54.) Le sépulcre
ne retient plus sa proie ; le Prince de la vie
la lui a ravie.
L'enthousiasme des juifs
s'élève au plus haut point et
éclate, à l'entrée du Seigneur
à Jérusalem, par ce cri de
triomphe : « Hosanna !
béni soit le roi d'Israël, qui vient au
nom du Seigneur. »
(Jean XII, 13.) Le miracle de la
résurrection de Lazare en convertit
plusieurs qui, jusqu'alors, étaient
restés indécis. « Une
grande multitude de juifs, ayant su que
Jésus était là, y vinrent, non
seulement à cause de Jésus, mais
aussi pour voir Lazare, qu'il avait
ressuscité des morts. »
(Jean XII, 9.)
Le prince des ténèbres profite
de cette occasion pour amener à
maturité ses pensées de haine contre
le Seigneur. « Alors les principaux
sacrificateurs et les pharisiens assemblent le
sanhédrin. » Ils décident
la mort du Christ « Il nous importe qu'un
seul homme meure pour le peuple et que toute la
nation ne périsse pas, » leur dit
Caïphe.
(Jean XI, 47-50.)
L'Agneau de Dieu se met volontairement en
marche pour l'autel du sacrifice. Sur sa route, une
dernière joie lui a été
préparée.
La pieuse famille de Béthanie
était loin de se douter du plan diabolique
formé contre son Maître.
« Six jours avant la Pâque,
Jésus vint à Béthanie. On lui
fit là un souper. »
(Jean XII, 1, 2.) Cette fois c'est
« Simon »
(Matth. XXVI, 6), miraculeusement
guéri de la lèpre par le Seigneur,
qui réclame l'honneur de le recevoir
à sa table. Les deux
familles se réunissent dans un amour
reconnaissant et exempt de jalousie.
« Lazare était un de ceux qui
étaient à table avec lui. »
(Jean XII, 2.) Marthe, toujours
active et dévouée, ne se laisse pas
ravir le privilège de servir son
Maître. Jamais hôte ne fut mieux
accueilli. Cet amour sans hypocrisie, ces
témoignages d'une joie intime et franche,
auront été un vrai
rafraîchissement pour le Seigneur à la
veille de s'exposer seul aux foudres de la
colère divine.
Cependant la réception qui est faite
à Jésus ne satisfait point Marie.
Cette fois elle ne reste pas assise à ses
pieds pour écouter sa parole.
« Judas qui, ayant la bourse, portait ce
qu'on y mettait » (Jean XII, 6), a sans
doute reçu des dons
considérables ; il en attend encore
d'autres. L'offrande est préparée en
effet, mais non en argent ou en or. Quand un coeur
animé d'un saint amour, désire faire
quelque chose pour le Seigneur, l'Esprit de Dieu
lui en inspire le moyen. « Elle vint
à lui avec un vase d'albâtre plein
d'un parfum de nard pur et de grand prix, qu'elle
lui répandit sur la tête, ayant rompu
le vase. »
(Marc 14, 3.) « Et la
maison fut remplie de l'odeur du
parfum. »
(Jean XII, 3.) Le coeur de Marie
était semblable à un sanctuaire pur
et embaumé, à une fleur qui referme
ses pétales durant la nuit pour ne les
rouvrir qu'aux rayons du soleil matinal. Le
Seigneur est son soleil. Les
rayons de son amour, la rosée de ses paroles
divines ont pénétré le coeur
de Marie et y ont éveillé un profond
et reconnaissant amour. Pour le témoigner au
Sauveur, elle veut lui rendre les honneurs
royaux ; elle veut répandre sur lui
l'huile sainte, pareille à celle dont Samuel
oignit le grand roi David.
(I Sam. XVI, 13.) Il faut qu'elle
obtienne, à n'importe quel prix, le parfum
le plus pur, le plus précieux qui se puisse
cacher dans les trésors de
Jérusalem.
Sois bénie dans tous les âges,
Marie ! Tu as oint notre souverain Roi, celui
que ton pauvre peuple aveuglé n'a pas voulu
reconnaître. Ce que des milliers d'enfants de
Dieu n'ont pu faire pour leur Sauveur, tu l'as
accompli en leur nom. « Tu as fait ce qui
était en ton pouvoir. »
Rencontre-t-on souvent de nos jours ce
joyeux enthousiasme ? ce parfum d'un amour
reconnaissant ? Sans méconnaître
ce que les chrétiens font pour l'avancement
du règne de Dieu et pour le bien de
l'humanité, on ne peut dire qu'il y ait
parmi eux beaucoup de dévouement et
d'élan. Ils aiment cependant leur Sauveur et
ils désirent l'avènement de son
règne. Mais la plupart ont si fort à
faire pour ce qui les concerne, qu'ils n'ont pas le
temps de s'occuper de l'oeuvre du Seigneur. Et
cependant que de motifs n'avons-nous pas pour
une joyeuse reconnaissance ?
Dans ses compassions infinies, Dieu nous a
réveillés et
« appelés des
ténèbres à sa merveilleuse
lumière. » (Pier. II, 9.) Quand
nous nous sommes assis à ses pieds, tristes
et découragés, il nous a
relevés et consolés, et il a rempli
nos coeurs d'une bienheureuse
espérance.
L'hommage de Marie à son Maître
ne rencontre que la désapprobation des
disciples. D'après saint Jean, il
paraît que Judas est le premier à la
blâmer. (Jean XII, 4.) Cependant saint
Matthieu dit que les disciples, voyant cela, en
furent indignés et dirent :
« À quoi bon cette perte ?
car on pouvait vendre bien cher ce parfum et en
donner l'argent aux pauvres. »
(Matth. XXVI, 8, 9.) Non seulement
Marie a dû s'avancer seule au milieu d'une
nombreuse assemblée, mais elle se voit
blâmée et désapprouvée.
Au lieu de se joindre à elle pour louer et
honorer son Roi, les disciples se détournent
avec mécontentement, l'accusant de
dilapidation et lui rappelant les pauvres auxquels
son argent serait plus utile.
Pauvre Marie ! Ne te laisse pas
décourager par la critique de ces hommes
soi-disant charitables. Regarde ton Maître.
Ne lis-tu pas dans son regard qu'il a compris et
accepté ton hommage ? Il
reconnaît en toi l'humble messagère,
envoyée par son Père pour lui
dispenser cette douce joie sur le
chemin de l'obéissance.
Les esprits étroits et bornés qui te
blâment ne tarderont pas à t'envier et
à rougir de leur conduite. « Dans
tous les endroits du monde où cet
évangile sera prêché, ce que tu
as fait sera aussi raconté en mémoire
de toi . »
(Marc XIV, 5), et servira
d'avertissement à ceux qui croient gagner le
ciel par leurs aumônes, tout en restant
avares et en négligeant l'essentiel,
c'est-à-dire l'amour.
Ils sont rares de nos jours les imitateurs
de Marie. Le but le plus élevé de la
généralité des hommes -
quelques hardis rêveurs exceptés - est
une piété commode qui ne heurte
personne. Le don complet et sans condition de
soi-même au Seigneur n'est ni compris ni
apprécié. On le regarde comme une
chose extraordinaire qui vient rompre les usages
établis.
En général on ne blâme
pas les dépenses faites dans un but de
plaisir. Le monde encense ses dieux et leur jette
l'argent avec profusion sans que nul songe à
dire : « On aurait dû donner
cet argent aux pauvres. » En comparaison
de celui des mondains, que le zèle des
chrétiens est faible et tiède !
Si nous savions mieux honorer le Seigneur par notre
conduite. et par nos sacrifices, peut-être
notre exemple entraînerait-il quelque enfant
du monde à nous suivre et à se
joindre au peuple de Dieu.
Le Seigneur prend Marie sous sa protection.
« Laissez-là. Pourquoi lui
faites-vous de la peine ? Elle a fait une
bonne action à mon égard. Elle a fait
ce qui était en son pouvoir ; elle a
embaumé par avance mon corps pour ma
sépulture. »
(Marc XIV, 6-8.)
Marie est justifiée au-delà de
toute attente. Le Seigneur nomme même son
action une bonne oeuvre, parce qu'elle l'a
conçue et accomplie dans un esprit d'amour.
Cette parole doit être la règle de
l'activité de l'Eglise. Ce n'est point le
succès, ce n'est point l'approbation des
hommes qui mettent leur prix à une oeuvre,
c'est le sentiment qui l'a dictée ; et
ce sentiment doit être l'amour.
« Soit que vous mangiez, soit que vous
buviez, ou que vous fassiez quelque autre chose,
faites tout pour la gloire de Dieu. »
(I Cor. X, 31.)
« Vous aurez toujours des pauvres
avec vous ; et toutes les fois que vous
voudrez, vous pourrez leur faire du
bien. »
(Marc XIV, 7.) Oui si vous le voulez.
Le pauvre auquel pense Judas, c'est lui-même.
Les besoins des pauvres qui les entourent sont,
pour beaucoup de personnes, une excuse commode,
lorsqu'on vient réclamer leur
intérêt pour les missions ou pour
quelque oeuvre concernant le règne de
Dieu ; mais souvent, hélas ! les
pauvres heurtent en vain à leur porte.
L'aumône, quand elle est pratiquée
selon Dieu, est sans doute une
bonne oeuvre ; mais elle peut devenir
dangereuse, si ce n'est mauvaise, lorsqu'on s'en
fait un mérite. Quel était, dans la
salle du festin, à Béthanie, le coeur
le plus rempli d'amour pour les pauvres, celui de
Marie, ou celui de Judas ?
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