Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Ton Dieu règne



Nous sommes de braves gens

 Joseph vit ses frères... mais faisant comme s'il était un étranger pour eux, il leur parla rudement et leur dit : Vous êtes des espions - Non, mon seigneur, nous sommes de braves gens...
Gen. 42. 7-11.

Alors Joseph ne put plus se contenir... et il dit à ses frères : Je suis Joseph !
Gen. 45. 3.

La vie n'était déjà pas facile pour les onze fils d'Israël. Ces hommes se trouvaient aux prises avec les problèmes économiques les plus durs. Ce n'était pas une crise de surproduction, c'était plus grave encore. La famine s'abattait sur toute la terre. On n'avait plus de quoi manger. La question n'était pas de savoir comment dénaturer notre excédent de blé ? Autrement brûlante elle était : comment se procurer du blé ? Ils avaient eu un ultime recours : l'Égypte, pays de cocagne où, grâce à la sagesse de son gouverneur Joseph, des provisions considérables avaient été accumulées. Réduits à la dernière extrémité, ils s'étaient mis en route, et tout tremblants ils se prosternaient devant le gouverneur pour implorer sa pitié qu'il veuille bien leur céder quelques sacs de grain

En voyant ses frères, Joseph les reconnut ; mais faisant comme s'il était un étranger pour eux, il leur parla rudement et leur dit : « D'où venez-vous ? » Ils répondirent : « Nous venons du pays de Canaan pour acheter des vivres. »

Joseph ne se fait donc pas connaître. Bien mieux, il va les accuser durement : il va les accabler : « Vous êtes des espions ! » Dénégations des visiteurs désespérés : « Non, mon seigneur, nous sommes venus pour acheter des vivres ; nous sommes de braves gens ! » Décidément, la mémoire des hommes est étrangement superficielle. Elle erre à l'extérieur de leur vie et y recueille pas mal de motifs de satisfaction. Aussi loin que porte notre regard d'homme, s'étend la plaine de notre honnêteté, la paisible surface de notre bonne conduite. Nous sommes de braves gens ! Mais oui ; seulement, qu'est-ce qui dort au fond de l'eau ? Qu'est-ce qu'il y a d'enseveli dans le sous-sol de notre existence ? Qu'est-ce qu'il y a là-bas, très loin, hors de la portée des mémoires humaines et des regards humains ? Ruben, Siméon, Juda, Lévi, vous ne vous souvenez pas ? Non. C'est dommage. Il le faudrait pourtant. Cela est indispensable. Sinon, que puis-je faire pour vous ? C'est pourquoi je vais vous mettre en prison. J'aurais bien voulu vous épargner cette épreuve ; mais puisqu'il n'est pas d'autre moyen...

Alors Joseph fait enfermer ses frères, sous le faux prétexte de l'espionnage, et sans leur dire la vraie raison. Car il faut que leur mémoire, d'elle-même, se réveille dans l'épreuve. Il faut que ces braves gens descendent un peu au fond d'eux-mêmes.

Les voilà donc en prison. Ce qu'ils attendaient de pire, à savoir qu'on leur refuse du blé, n'était rien à côté de ce qui leur arrive. Tout tourne au plus mal. On imagine le désarroi de ces braves gens, le même que le nôtre devant la guerre : « Nous n'avions pas besoin de cela encore, comme si la vie n'était pas déjà assez dure. Nous voici privés de la liberté comme des criminels, accusés injustement, exposés à la mort. Ah ! nous n'avions pas mérité cela ! Le seigneur de ce pays est d'une injustice révoltante. Nous ne sommes pas des espions. Nous sommes d'honnêtes gens ! Et ils ont raison. Ils ne sont pas des espions ; et à tout autre point de vue que celui du seigneur de ce pays, ils sont en effet de braves gens. J'imagine que leur première journée en prison s'est passée à ruminer sur l'injustice du gouverneur qui les avait châtiés, et à penser que si Dieu existait, il ne permettrait pas de pareilles choses. La seconde journée, leur indignation étant quelque peu tombée, un cri, peut-être, a retenti tout au fond d'eux-mêmes, une voix infiniment lointaine, complètement oubliée et pourtant si connue - La voix du sang de, ton frère. - Quoi ? - Dites, braves gens, vous n'aviez pas un frère autrefois ? - Ah ! cette vieille histoire, mais ça ne compte plus, qu'est-ce que tu vas chercher là ? C'est oublié depuis longtemps. S'il fallait s'embarrasser toute sa vie de cette affaire !

N'empêche que le coup est porté ; et qu'avec une rapidité fantastique, la vieille affaire du fils bien-aimé de leur père, dont ils s'étaient débarrassés, est remontée du fin fond de l'histoire pour envahir leur conscience et devenir là, dans cette prison (là, dans ce temple), des dizaines d'années plus tard, (des centaines d'années plus tard), la brûlante, la terrible actualité de leur vie. Et alors, quand après trois jours Joseph les fait sortir de prison, ils ne disent plus : Nous sommes de braves gens. Mais, ô miracle ! ils disent tout autre chose : « Vraiment, nous sommes punis à cause de notre frère. Car nous avons vu l'angoisse de son âme quand il nous demandait grâce, et nous ne l'avons point écouté ! Voilà pourquoi ce malheur nous est arrivé ! Voici que son sang nous est redemandé. » Ainsi l'épreuve n'a pas été vaine. Ils se souviennent enfin. Cela a été dur, mais c'est fait, la repentance est déclenchée. Il a suffi de trois jours de prison pour rafraîchir la mémoire de ces hommes. (Et à nous, combien en faudra-t-il, hélas ? Mon Dieu, faudra-t-il trois ans de guerre pour que nous nous rappelions ce que nous avons fait de ton fils bien-aimé, et que tu puisses de nouveau nous montrer le visage de ta miséricorde ?)

En voyant la détresse de ses frères, Joseph « s'éloigna d'eux pour pleurer ». Bien plus qu'à ses frères, Joseph doit se faire violence à lui-même pour se montrer impitoyable et ne pas se faire reconnaître. C'est pour lui-même une épreuve qu'on ne saurait imaginer : être obligé de paraître méchant, de paraître injuste, pour obliger ses frères à se repentir, à reconnaître leur méchanceté et leur injustice. (N'est-ce pas là ce à quoi Dieu est sans cesse obligé à notre égard, n'est-ce pas là tout le mystère de la souffrance qui se prolonge et de Dieu qui nous « cache sa face dans le déchaînement de sa colère » ?) Joseph s'éloigna d'eux pour pleurer. « Ce n'est pas volontiers que le Seigneur afflige les enfants des hommes », dit Jérémie (Lamentations 3. 33).
Oh ! non, ce n'est pas volontiers que Joseph emprisonne ses frères. (Dieu souffre plus encore que nous de l'épreuve qu'il nous envoie.) Il ne voudrait qu'une chose, pouvoir leur pardonner, pouvoir tourner sa face vers eux, la face de sa miséricorde, les embrasser tous et pleurer de joie. Mais il ne le peut pas encore. Non, il ne le peut pas tant que les hommes ne se souviennent pas, tant qu'ils vivent à la surface de leur vie, tant qu'ils dorment du sommeil des braves gens. Si Joseph se révélait trop vite et montrait trop tôt sa miséricorde, ses frères ne la comprendraient pas, et ce serait pis que tout, car la miséricorde, c'est le dernier mot de Dieu. Si elle est gaspillée, si elle n'est pas comprise dans toute son étendue, il n'y a plus d'espoir.
C'est ainsi que, comme la bonté de Dieu à notre égard, la bonté de Joseph est prisonnière de l'inconscience de ses frères et qu'elle ne peut pas se révéler encore, bien qu'au travers de l'épreuve cette révélation s'achemine, et que toute cette dureté de Joseph ne soit là que pour donner toute sa mesure à sa douceur. Rien ne peut nous faire mieux comprendre le rapport entre la colère de Dieu et sa grâce, entre Vendredi-Saint et Pâques. Dieu est tout amour. Dieu ne veut que pardonner. Toute sa grâce nous est promise. Il attend seulement que nous puissions la reconnaître, que nous laissions notre propre justice. « Jusques à quand seront-ils incapables de recevoir leur pardon ? - demande Osée (8. 5). - Jusques à quand diront-ils : nous sommes de braves gens ? Jusques à quand ignoreront-ils la grande révolte que je veux leur pardonner ? » Ainsi la colère de Dieu, comme celle de Joseph, est au service de son amour. Elle ne fait que préparer le chemin de sa grâce. La nuit de Vendredi-Saint ne fait que préparer le jour de Pâques. Toute notre détresse n'est qu'une préparation dure et longue du grand jour de la manifestation de la puissance et de la bonté de Dieu.

Mais la préparation n'est pas terminée. Ce n'est pas encore assez. Les frères de Joseph ne sont pas encore prêts à recevoir toute la miséricorde du Seigneur. Ils se sont souvenus de leur crime. Ils se sont souvenus de cette journée de Vendredi-Saint qui dormait au fond de leur mémoire. Mais il faut que ce souvenir les travaille davantage. Ils ne sont pas descendus au fond de leur détresse. Ils n'ont pas mesuré toute l'étendue de leur envie, de leur amour-propre, de leur inconscience. C'est pourquoi Joseph ne se révèle pas encore à eux. Il ne leur montre pas ses larmes, mais il continue à dissimuler ; il continue à ne pas exister pour ses frères. Il reste encore un peu de temps, ce que ses frères ont voulu faire de lui. Il faut que ces hommes qui ont supprimé leur Seigneur et leur frère aient ce qu'ils ont voulu et qu'ils en goûtent l'amertume. Ainsi Dieu fait le mort. Il fait le mort que nous avons fait de Lui. C'est là tout notre malheur. Et c'est plus amer qu'on ne peut le dire. Il laisse aller les choses comme s'il n'existait pas, comme s'il ne nous aimait pas, puisque nous n'avons pas voulu qu'il existe parmi nous, et pour que nous voyions bien comme il fait bon là où il n'existe pas. « Voici l'homme aux songes qui arrive ! Venez, tuons-le et jetons-le dans une citerne... Crucifie ! ôte-le ! ôte-le ! » La graine a porté son fruit. Nous vivons dans le monde dont le Seigneur a été ôté, et Dieu reste pour quelque temps encore celui que nous avons ôté. C'est là notre châtiment. Qui donc oserait s'en plaindre ? N'est-ce pas ce que nous avons voulu ? Faire nos petites affaires sans lui. Eh bien ! les choses iront encore un certain temps sans lui, du moins sans que nous sachions qui il est.

Les frères de Joseph remontent donc vers Israël en Canaan avec des vivres et la vie reprend son cours. C'est comme une trêve, une nouvelle période de paix pour réfléchir. Mais comme la famine continue, il faut redescendre en Égypte avec Benjamin, cette fois, et affronter à nouveau l'effrayant gouverneur. Cette fois l'épreuve sera plus dure encore, et l'injustice de Joseph plus manifeste, et plus grande la violence qu'il devra se faire. De nouveau, il devra dissimuler ses larmes. (Nous ne savons pas ce qu'il en coûte à Dieu de rester dur avec nous.) Enfin, après avoir fait disparaître les traces de son émotion, Joseph fait cacher sa coupe dans le sac de Benjamin, puis il l'inculpe de vol, et le retient comme esclave. C'est la dernière démarche de sa colère. C'est aussi le dernier pas pour ses frères dans la repentance. Joseph est encore mort pour eux, mais sa mort va porter son fruit, elle va ôter vraiment leur péché, elle va tout réparer dans leur coeur. Car voici que Juda s'approche, celui-là même qui avait proposé de vendre Joseph aux Arabes, et qu'il dit : « Maintenant donc, je te prie, que moi, ton serviteur, je puisse rester l'esclave de mon seigneur à la place du jeune homme, et que ce dernier puisse remonter avec ses frères. Comment, en effet, pourrais-je retourner chez mon père, si l'enfant n'est pas avec moi ? Non, je ne saurais voir la douleur dont mon père serait accablé. »

Que la voie du Seigneur est donc merveilleuse ! Comme sa mort a tout accompli ! Comme elle a porté en nous le dernier fruit d'une vraie repentance ! Cet homme qui avait livré son frère et déchiré le coeur de son père, non seulement voit tout le mal qu'il a fait et toute la douleur qu'il a causée, mais il est prêt à se livrer lui-même à la place de Benjamin. Vous voyez que la dernière étape est franchie. Où sont la jalousie, la convoitise, l'amour-propre qui dévoraient le coeur de ces hommes ? L'épreuve que Joseph leur a imposée a tout balayé. Les enfants d'Israël touchent le fond de la détresse humaine devant ce seigneur qu'ils ne reconnaissent pas encore. Où est le temps où ils disaient : Nous sommes de braves gens ?

Ce temps-là n'est-il pas révolu, enterré dans la citerne où ils ont jeté leur frère autrefois, enseveli dans le tombeau de Joseph d'Arimathée ? Leur honnêteté, leur bonne conscience, comme aussi leur méchanceté, c'est cela qui est devenu de la vieille histoire. Enfin, les voilà prêts à recevoir leur pardon. Leur coeur est brisé. Leur coeur est changé. Ils sont à bout. Tout est accompli. L'heure de la Révélation approche.

Car Joseph lui aussi est à bout. Il ne peut plus se contenir. Dans le même temps où ses frères touchent le fond de la repentance, il touche, lui, le fond de sa dureté. Il est libre, libre enfin de se faire connaître, libre de déployer à jamais sa miséricorde. « Je t'ai caché ma face un moment dans le déchaînement de ma colère, mais dans ma miséricorde éternelle j'ai eu compassion de toi » (Esaïe 54), L'heure de Pâques approche. L'heure incomparable de la reconnaissance, où celui que nous avions livré apparaît comme le Dieu vivant, le Dieu d'amour, le Vainqueur éternel. Elle approche, cette heure, au moment le plus désespéré, le plus noir, dans une situation sans issue, alors qu'il semble bien qu'à tout jamais notre péché est sur nous et que notre Seigneur est bien mort. L'heure approche, que toutes les créatures attendent sans le savoir, et dont toutes les armées célestes se réjouissent, où Dieu tournera sa face vers nous, et se fera reconnaître et remplira tout de sa miséricorde.

« Joseph s'écrie : « Faites sortir tout le monde ! » Il ne resta donc personne avec lui quand il se fit reconnaître à ses frères. » La rencontre avec le Dieu vivant est secrète. Le Ressuscité ne se montre pas en public, mais à ses frères seulement. Il est là, devant ces hommes effondrés. Ce sont les dernières minutes de l'ancien monde, du grand cauchemar, les derniers instants de la mort du Seigneur, du grand silence et de la servitude d'Égypte ; c'est la nuit de la Pâque la dernière heure avant que la pierre soit roulée. Les hommes ne se doutent de rien, ne s'attendent à rien. Comment ses frères devineraient-ils qu'ils sont devant Joseph ? Comment les apôtres songeraient-ils que tout n'est pas fini ? Comment pourrions-nous prévoir qu'il y aura jamais autre chose sur la terre que l'envie, le désespoir et la mort ? Rien ne précède le jour dans cette nuit totale. Mais tout à coup, le jour est là. Tout à coup, l'heure est venue et toutes les cloches de l'éternité retentissent pour annoncer l'éternelle Pâque, la Révélation du Dieu vivant, cette Parole qui vient d'être dite et qui change tout, absolument tout d'un instant à l'autre : « Je suis Joseph ! »

Celui que nous avons mis à mort est le vainqueur de la mort, le Tout-Puissant. Nous avons vu le Seigneur ! Le Seigneur est vraiment ressuscité. Leurs yeux s'ouvrirent et ils le reconnurent. Consternation et joie. Pleurs de joie, parce que c'est Pâques, parce que Dieu nous a montré son vrai visage et que nous l'avons reconnu ; parce qu'il n'est que bonté et amour, et que tout ce qu'Il fait dans sa colère n'est que pour nous permettre de comprendre toute cette bonté et tout cet amour. Amen.

PRIÈRE

Mon Dieu, jusques à quand les hommes diront-ils : Nous sommes de braves gens, nous n'avons fait de mal à personne, nous n'avons pas fait de mal à Jésus-Christ, ni fait souffrir notre Père ? » Seigneur, jusques à quand leur bonne conscience t'empêchera-t-elle de tourner vers eux la face de ta miséricorde ? Jusques à quand serons-nous incapables de recevoir notre pardon et de te reconnaître ? Jusques à quand t'obligerons-nous à faire comme si tu étais un étranger pour nous ?

O Jésus-Christ, notre Frère, Toi qui règnes au-dessus de toute souveraineté et de tout nom qui puisse être nommé, fais qu'en attendant le jour où tu ne pourras plus te contenir et où tu paraîtras dans la gloire, ta mort nous garde dans l'humilité et dans l'espérance de ta grâce, et que l'épreuve du temps présent (la misère, la prison, la guerre et l'exil) serve à mieux ensevelir notre coeur rancunier, notre vie perdue, dans la citerne où nous t'avons jeté. Qu'il n'y ait plus en nous que cette compassion que nous attendons de Toi. Amen.



Le premier et le dernier

Ne crains point ! Je suis le premier et le dernier, le Vivant. J'ai été mort, mais je suis vivant aux siècles des siècles ; et je tiens les clefs de la mort et du séjour des morts.
Apoc. 1. 18.

L'Éternel marche devant vous, et votre arrière-garde, c'est le Dieu d'Israël.
Esaïe 52. 12

Nous entrons, dit-on, dans le printemps le plus sanglant, le plus mortel de l'histoire, où les hommes par milliers vont se précipiter les uns les autres dans l'abîme, où les destructions et les désespoirs et les injustices se poursuivront avec la même infernale monotonie. Et que dire à ce monde livré à la mort ? À ces hommes sans espoirs, ou bien chargés de faux espoirs. Nous sommes tellement muets, tellement las, tellement misérables. L'histoire n'est qu'un perpétuel lendemain du Vendredi-Saint, une suite d'illusions et de désillusions. Et ce que les hommes disent peut être agréable et très encourageant. Ils parlent du printemps, de la nature, de reconstruction et de révolution. Mais tout ce que nous disons est déjà saboté secrètement par l'orgueil et la mort. Nos projets ne sont que des rêves de prisonniers.

Il y a deux mille ans, les hommes aussi faisaient des projets ou se désespéraient. Ils ne savaient pas que l'état du monde était beaucoup plus désespéré qu'ils ne le pensaient et qu'il avait coulé sur la croix plus de sang que sur tous les champs de bataille de l'histoire. Mais surtout, au milieu des projets qu'ils faisaient, ils ne savaient pas que Dieu avait, Lui, de son côté, un projet qu'Il était en train d'exécuter, et que ce matin même il allait se passer quelque chose de meilleur que tout ce que nous avons jamais pu rêver et projeter. Quelque chose grâce à quoi on pourra nous dire : Ne crains point ! Il n'y a plus rien à craindre ! - Personne n'en sait rien. Nul ne soupçonne ce qui s'est passé, jusqu'à ce qu'il rencontre Celui que l'on avait éliminé, jusqu'à ce que se lève et parle Celui que l'on avait descendu dans le silence de la tombe. - « J'étais mort, mais je suis vivant aux siècles des siècles. » Celui qui nous parle, parle de la mort au passé. Il est le seul être au monde qui puisse parler de la mort au passé, parler d'une mort terminée. Il n'a pas de mort devant Lui. La mort ne le précède plus. C'est Lui qui va devant. Il est le premier. Il est devant tout. Mais il est aussi le dernier, et cela parce qu'il a subi la mort, Il s'est mis derrière elle ; Il ne l'a pas laissée être la dernière chose.

Il est le premier et le dernier. C'est la Révélation de Dieu. Il est, disait Esaïe, notre avant-garde et notre arrière-garde. Nous marchons entre Lui et Lui. Voyez bien ce que cela signifie pour notre vie ; voyez quelle bonne nouvelle ; car nous sommes comme des soldats qui s'avancent en colonne dans un pays ennemi. C'est une marche angoissante, car toutes les surprises sont à craindre. Pour ceux qui vont devant surtout, c'est l'inconnu, c'est le risque à chaque instant de tomber dans une embuscade. Les soldats savent bien ce que c'est qu'une marche de reconnaissance, et de cette angoisse d'être en avant, quand il faut avancer et que l'on se dit : « Il n'y a personne devant nous, nous sommes les premiers. Il n'y a rien devant nous pour nous avertir et nous protéger. » Et c'est ainsi pourtant que nous cheminons tous dans notre vie. Nous allons, et qui va devant nous ? Il n'y a devant nous que l'ennemi qui prépare son embuscade, et qui tombera sur nous infailliblement ; c'est-à-dire qu'il n'y a devant nous que la mort. Nous pouvons marcher peut-être longtemps encore avant de la rencontrer. Mais nous sommes devant, et il n'y a personne entre elle et nous.

Alors, voici la grande nouvelle, le Ressuscité déclare : « Je suis le Premier. » Si nous l'entendons vraiment, il faut bien que cela donne à notre coeur cette détente, ce soulagement, cet apaisement, que procure à des soldats la déclaration de leur chef : « Vous savez, vous n'avez rien à craindre, il y a devant nous une avant-garde. Nous ne sommes pas les premiers. L'ennemi ne peut pas tomber sur nous. » Ainsi, Jésus-Christ Ressuscité nous précède toujours, où que nous soyons, où que nous allions. Non seulement Il va le premier, mais Il est le premier. Son essence est d'être le Premier. Il n'est pas un lieu ni un temps où Il ne soit d'abord ; Il est le premier-né de la création ; Il est le premier-né d'entre les morts.

Mais ce n'est pas tout. Il ne suffit pas à une colonne qui avance en pays inconnu d'avoir une avant-garde. Le danger n'est pas seulement devant. Il est aussi derrière. Il est peut-être plus angoissant encore, pour les hommes, d'être les derniers, de se dire : « Il n'y a rien derrière moi, plus personne que ce grand pays inconnu où l'ennemi peut surgir. » Oui, c'est angoissant et c'est dur d'être le dernier d'une colonne en marche, d'être soi-même l'arrière-garde. Surtout si l'on est fatigué ou blessé et que l'on n'arrive plus à suivre, et qu'il faut s'arrêter au bord du chemin. Et qui donc alors ramassera ces hommes, s'ils sont les derniers, et s'ils ne peuvent pas suivre ? Qui les ramassera s'il n'y a plus personne derrière eux ? Les voilà seuls abandonnés à l'ennemi, livrés à la mort. Nous sommes tous ainsi dans la vie. Qui avons-nous derrière nous ? Personne. Rien. Pas d'arrière-garde. Et l'heure vient toujours, plus ou moins tôt, où la fatigue, où la maladie nous empêchent de suivre la colonne ; nous voyons les hommes s'éloigner et nous restons seuls en arrière. Qui nous ramassera ? Que nous arrivera-t-il ? La captivité, la mort ? Il n'y a plus d'autre espoir puisque nous sommes les derniers.

C'est dans cette situation qu'ici encore retentit la nouvelle inespérée : « Je suis le Dernier », Celui qui vient derrière, Celui qui ferme la marche. Jésus-Christ est notre arrière-garde. Si nous l'entendons, il n'est alors plus possible que nous soyons les derniers, nulle part, même si nous sommes assis depuis longtemps sur le bord de la route à ne plus pouvoir avancer. Où que nous nous arrêtions, n'en pouvant plus, Il est encore derrière. Nous ne pouvons aller nulle part sans qu'Il soit derrière nous. Mais comment Lui, qui est le premier dans sa résurrection, peut-Il être aussi le dernier ? Autant demander comment Lui, vivant aux siècles des siècles, peut être mort, sérieusement mort et maudit sur la croix ? Pourtant, c'est la vérité. Le premier, le Prince de la vie, est aussi le dernier. Il l'est sur la Croix, réellement. S'il n'était pas mort, mais s'Il était descendu de la croix, alors nous, en mourant, nous serions derrière Lui. S'il n'était pas mort, il resterait quelque chose derrière Lui. Mais comme Il peut dire : « J'ai été mort », il peut dire aussi : « Je suis le dernier. Quoi qu'il t'arrive, et même si tu es définitivement arrêté dans un cercueil, même si tu es dans l'impossibilité de jamais rejoindre la colonne des vivants, c'est Moi, c'est Moi quand même qui ferme la marche, c'est Moi qui te ramasse, c'est Moi qui suis toujours et quoi qu'il arrive le dernier, absolument le dernier, puisque jamais personne ne pourra être derrière, là où j'ai été sur la croix. » Ainsi, quand Esaïe proclamait aux captifs de Babylone : « L'Éternel, le Dieu d'Israël ouvrira votre marche, et l'Éternel. fermera votre marche, ce n'était pas seulement une image, c'était déjà la réalité de Jésus-Christ. C'était Pâques l'avant-garde et Vendredi-Saint l'arrière-garde.

Mais laissons-nous toucher mieux encore par cette Parole : regardons notre vie. Où commence-t-elle et où finit-elle ? Nous avons beau chercher, nous ne savons pas où nous commençons et où nous finissons. Nous ne savons pas d'où nous venons ni où nous allons. Nous n'avons ni commencement ni fin. C'est notre malheur insondable : ne venir de nulle part et n'aller nulle part ; il n'est rien de pis. C'est ce que la Bible appelle la mort. L'homme pécheur, l'homme séparé de Dieu, c'est justement l'homme sans commencement ni fin, sans origine et sans but. L'homme, gouttelette perdue dans l'Océan des âges, caillou lancé dans le silence éternel des espaces infinis, l'homme qui tombe à jamais dans une histoire sans fond. Dieu seul peut vivre sans commencement et sans fin. L'homme ne peut que mourir. Et ce fut la tromperie effroyable du serpent dans le paradis (et ça l'est tous les jours) de dire à Adam : se sera merveilleux pour toi d'être comme Dieu, de n'avoir comme Dieu ni commencement, ni fin, de n'avoir personne devant toi, ni derrière toi.

Fais un essai ! Goûte à cette liberté ! Goûte à cet infini ! Adam a essayé et nous avons tous essayé. Et cela n'a pas été merveilleux du tout. Pour l'homme, pour la créature, être comme Dieu, n'avoir ni commencement ni fin, ni avant-garde ni arrière-garde, cela n'est point la vie, mais la mort ; cela n'est point le salut, mais la perdition. Cela n'est point la joie, mais l'angoisse. Et si nous sommes tous ici des hommes pécheurs, des hommes morts, ce n'est pas que nous mentions ou convoitions, ou dérobions, ce n'est pas que nous soyons des gens immoraux ou irréligieux, c'est d'abord parce que nous n'avons ni commencement ni fin. Voilà l'état que la Bible appelle la perdition, notre état d'homme sans limite ; d'homme qui plonge indéfiniment ses pensées dans l'univers et dans l'histoire, sans jamais rien trouver qui l'arrête, sans parvenir à aucune frontière. Alors, le message de Pâques, c'est le message inverse de celui du serpent dans la Genèse ; c'est le message qui anéantit l'état dans lequel nous a Plongés la promesse du malin : « vous serez comme Dieu ». À cette lamentable colonne de marche qui va depuis la chute sans avant-garde ni arrière-garde, à ce troupeau d'hommes sans berger, errants sans direction, Jésus-Christ rend la vie en devenant son avant-garde et son arrière-garde. À la lumière de Pâques, nous comprenons tout cela pour la première fois : Dieu, qui est sans commencement ni fin, a pris en Jésus-Christ un commencement et une fin, pour nous rendre ainsi la vie ; car la vie, cela n'est pas, comme le diable veut toujours nous le faire croire, être infini, être soi-même un dieu, c'est au contraire trouver en Dieu son commencement et sa fin.
Rentrer dans le Paradis, avoir la vie éternelle, ça n'est pas je ne sais quel prolongement de notre existence après la mort, c'est retrouver aujourd'hui même en Jésus-Christ le commencement et la fin que nous avons perdus, le vrai cadre, la vraie forme, la vraie limite, de notre existence. Avoir la vie éternelle, c'est écouter la voix de Celui qui nous dit : « Je suis le Premier et le Dernier, le commencement et la fin, le Vivant. Je tiens les extrémités du monde. Je tiens les clefs de la mort. Je tiens les deux bouts de ta vie. » Entendez bien le message de Pâques : cet homme crucifié est au commencement de tout, et il est à la fin de tout. Je ne puis reculer ni avancer sans tomber sur Lui. Rien ne peut commencer sans Lui, et rien ne peut finir sans Lui. Il est le Vivant, et il n'y a de vivant que ce qu'il commence et termine. C'est Lui qui dit le premier mot, et c'est Lui qui dit le dernier mot. Lui qui ouvre la marche et Lui qui ferme la marche. Le savoir, c'est avoir la paix qui surpasse toute intelligence, c'est avoir la joie que nul ne peut nous ravir.

Entre temps, il peut se passer des choses terribles. Entre temps, les puissances de ce monde peuvent mettre la main sur nous et nous étrangler. Entre temps, chacun peut jouer au maître et s'exercer à dire le dernier mot, chacun peut faire et vivre comme si le tombeau de Joseph d'Arimathée était demeuré scellé. Mais c'est un entre-temps. Un tout petit entre-temps, jusqu'à ce que le Seigneur de toutes choses vienne terminer notre histoire interminable. Amen.


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