Ton Dieu
règne
La jalousie de Dieu
Le Seigneur ton Dieu est un feu
consumant, un Dieu jaloux.
Deut. 4. 24
Un Dieu jaloux ! Quand nous entendons cette
parole, nous la classons vite parmi les notions
périmées que les Juifs avaient de
Dieu. Nous n'en sommes plus là heureusement
depuis Jésus-Christ ! Nous sommes
maintenant délivrés de ce Dieu
barbare de l'Ancien Testament. Quel chrétien
aujourd'hui songe à la jalousie de Dieu pour
la craindre ? C'est peut-être
déjà le raisonnement que tenaient les
croyants auxquels écrivait l'auteur de
l'épître aux Hébreux, puisqu'il
est obligé de leur rappeler :
« Notre Dieu est aussi un feu
consumant. » Notre Dieu est aussi jaloux
que celui de Moïse. Le Père de notre
Seigneur Jésus-Christ n'est pas un autre
Dieu que celui du Sinaï. Jésus-Christ
n'est pas plus disposé à nous
partager avec un autre que Yaveh de donner sa
gloire à une idole et de collaborer avec
Baal. Non seulement la jalousie de Dieu n'est pas
une notion juive abolie par la nouvelle alliance,
mais c'est au contraire en Jésus-Christ que
nous comprenons la réalité, le sens
et le bienfait de cette jalousie. Le vrai Dieu
jaloux, c'est celui-là même qui a tant
aimé le monde qu'il a donné son Fils
unique.
Une remarque encore. Dans le langage
courant, nous confondons souvent les mots de
jalousie et d'envie. Nous disons d'une personne
qu'elle est jalouse de sa voisine parce que cette
voisine possède plus d'argent qu'elle. Or,
c'est là un sentiment d'envie et nullement
de jalousie. Et il va sans dire que la jalousie
dont parle notre texte n'a jamais le sens d'envie,
mais doit être comprise dans son sens le plus
strict ; c'est le sentiment d'un homme pour la
femme qu'il aime, quand cette femme appartient
à un autre, ou partage son amour avec un
autre.
Écoutons maintenant ce que signifie
pour nous, dans notre vie, la jalousie de Dieu. Il
n'y a guère dans la Bible d'expression plus
littéralement saisissante et qui exprime
mieux à elle seule toute l'attitude de Dieu
à notre égard.
« Je t'ai aimée d'un amour
éternel - Dieu a fait éclater son
amour envers nous - Il nous a aimé le
premier. » Ainsi, page après page,
revient dans la Bible, la grande déclaration
qui est le premier et le dernier mot de la
Révélation, le fond de toutes choses,
la raison dernière de notre existence et de
notre salut : Dieu est amour. Il faut
comprendre que cette déclaration est
vraiment le premier et le dernier mot de la Bible.
Quoi qu'elle nous dise, la Bible ne nous dit jamais
rien d'autre que : Dieu est amour ; et
elle n'a rien à nous annoncer de plus que
l'amour de Dieu, c'est-à-dire de plus que
Jésus-Christ. Seulement si la Bible ne nous
dit que l'amour de Dieu, elle nous dit tout l'amour
de Dieu, tous les aspects, toute la portée
de cet amour. Et nous sommes si loin d'en savoir la
gravité. Nous en avons fait, dans l'Eglise
en particulier, je ne sais quelle
réalité sirupeuse et adoucissante et
quel refrain inopérant. Il est grand temps
que nous prenions garde à
ce que Moïse aujourd'hui nous déclare
de cet amour.
« L'Éternel ton Dieu est un
feu consumant, un Dieu jaloux. » Est-ce
donc une autre parole que celle que le Seigneur
adresse à Jérusalem. « Je
t'ai aimée d'un amour
éternel ? » Non pas. Ce ne
sont pas là deux paroles, c'est la
même parole. C'est l'autre aspect de la
même Parole, l'envers du même
message.
Qu'est-ce en effet que la jalousie ? Je
ne puis la définir plus simplement que par
l'exigence même de l'amour. Sans cette
exigence, l'amour n'existe pas, l'amour n'est
qu'indifférence. Un homme qui consent
à ce que sa femme appartienne à un
autre n'aime pas sa femme. S'il l'abandonne
à un autre, s'il la partage, l'amour qu'il
prétendait avoir pour elle n'était en
réalité que de l'indifférence.
C'est ainsi qu'une femme infidèle devra
craindre son mari dans la mesure où elle se
saura aimée par lui, alors qu'elle n'aura
rien à craindre si elle se sait
indifférente à son époux.
C'est là ce que Moïse veut,
aujourd'hui, nous rappeler :
« Prenez garde, l'amour de Dieu est
dangereux, parce qu'il est un véritable
amour et non pas une indifférence, il est un
amour éternel, insondable, absolu, et non
pas une inclination passagère.
Le Seigneur ton Dieu est un Dieu jaloux,
parce qu'il t'aime vraiment, parce qu'il est
vraiment amour. » Ainsi la jalousie de
Dieu (ou sa colère) n'est pas une
restriction, une diminution de son amour, elle en
est la réalité même. Parce
qu'Il t'aime absolument, Dieu te veut absolument,
Dieu t'exige exclusivement. Et c'est au contraire
toute diminution de son exigence, tout apaisement
de sa jalousie qui signifierait une diminution de
son amour, toute restriction de la Loi qui serait
une restriction de l'Évangile. Ici nous
sommes vraiment au coeur de la Parole de Dieu, et
nous comprenons pourquoi elle est
toujours Loi en même temps
qu'Évangile, volonté en même
temps que don. Car, encore une fois (et je reviens
toujours à cette image parce qu'elle est
courante dans la Bible, et que personne ne peut
dire qu'il ne la comprend pas), comment un homme
peut-il aimer une femme et se donner à elle,
sans vouloir cette femme, et sans la vouloir tout
entière. Un véritable amour est celui
qui donne tout, mais aussi demande tout, qui dit
aussi bien : « Tu es à
moi », que : « Je suis
à toi » ! C'est ainsi que
Dieu en nous donnant tout, en se donnant
Lui-même (et c'est là
Jésus-Christ, c'est là son amour,
c'est là l'Évangile), Dieu nous
demande tout, il nous veut nous-mêmes (et
c'est là sa jalousie, c'est là sa
Loi).
La Loi n'est donc pas autre chose que
l'Évangile, pas plus que la jalousie n'est
autre chose que l'amour. La Loi et
l'Évangile sont liée comme la
jalousie et l'amour. Cette Loi « Tu
n'auras pas d'autres dieux » n'est que
l'exigence de l'Évangile, la
véritable signification de
l'Évangile. Sans la Loi, l'Évangile
n'est plus l'Évangile, de même que
sans jalousie, sans exclusivisme, l'amour n'est
plus l'amour. Parce que l'Évangile est
absolu, la Loi est absolue. Parce qu'il n'y a dans
l'amour de Dieu aucune réserve, aucun atome
d'indifférence, parce qu'en
Jésus-Christ, Dieu s'est donné
Lui-même, comment supporterait-il de notre
part la moindre réserve, comment ne nous
demanderait-il pas nous-mêmes avec tout notre
coeur, toute notre force et toute notre
pensée ? À quoi d'ailleurs
pouvons-nous reconnaître l'amour de Dieu,
dans notre vie quotidienne, sinon à sa
jalousie, sinon à ce qu'Il exige de nous
à chaque instant ? « Le
Saint-Esprit que Dieu a fait habiter en nous, nous
réclame avec jalousie », dit
l'apôtre Jacques. La mesure présente
de son amour à chaque pas
de ma journée, ce ne sont pas les belles
idées que j'en puis avoir, c'est l'absolu de
sa volonté, c'est cette réclamation
jalouse du Saint-Esprit : « Soyez
miséricordieux, comme je suis
miséricordieux »,
« Aimez-vous comme je vous ai
aimés ». La marque de la
présence du Saint-Esprit dans notre vie,
c'est notre soumission totale à la
volonté de notre Sauveur, de sorte que son
amour signifie pour nous actuellement la
nécessité d'être coûte
que coûte au rendez-vous qu'il nous assigne,
la nécessité de le suivre quelles que
soient nos autres occupations importantes, un boeuf
à vendre, un voyage de noces à faire,
un père à enterrer, un regard
à jeter en arrière en tenant la
charrue (vous connaissez la liste des excuses que
donnent les invités au festin des noces).
L'amour de Dieu ne tolère pas d'excuses, ne
peut pas en tolérer ; car il ne serait
plus alors qu'un demi-amour, il cesserait
d'être l'amour éternel, l'amour
absolu. C'est dans cette connaissance que
Josué déclare au peuple
d'Israël : « Vous n'aurez pas
la force de servir le Seigneur, car c'est un Dieu
jaloux », et que Paul demande aux
Corinthiens :
« Voulons-nous provoquer la
jalousie du Seigneur ? »
Si la jalousie est l'exigence de l'amour, il
faut bien voir aussi qu'elle est le danger de
l'amour, le risque de l'amour. L'amour ne serait
plus l'amour, mais bien une contrainte automatique,
s'il ne comportait pas ce risque, cette
possibilité de perdre au lieu de sauver.
Nous ne servirions pas par amour le Dieu d'amour si
nous ne courions pas le risque à tout moment
« d'enflammer sa jalousie », si
nous n'en connaissions pas la menace. Les pierres
et les plantes qui obéissent
aux lois de la nature ne
connaissent pas le risque de l'amour : ce sont
des pierres et des plantes, mais le croyant, le
nouvel homme créé en
Jésus-Christ à l'image de Dieu, cet
homme-là court en chacun de ses gestes le
risque de l'amour, le risque définitif de la
jalousie du Seigneur. Il n'y aurait pas de risque,
si Dieu n'était pas amour ; il n'y
aurait qu'à suivre le train de ce monde. Il
n'y aurait jamais de décision à
prendre, de choix qui nous engagerait. Tous les
arrangements, toutes les excuses, tous les partages
seraient possibles. Mais notre existence ne serait
pas différente de celle d'une locomotive, ou
d'une ardoise pour qui il n'y a évidemment
pas de risque, pas de choix, pas d'enfer et pas de
paradis.
L'amour de Dieu est un véritable
risque. Cela veut dire qu'on ne plaisante pas avec
lui, cela veut dire que cet amour si nous ne lui
répondons pas, nous perd au lieu de nous
sauver. II est inutile ici de chercher à se
rassurer en se répétant que Dieu est
amour, puisque justement là est le danger,
le sérieux de notre situation.
L'Écriture est formelle. L'Apocalypse parle
de la colère de l'Agneau, de l'Agneau de
Dieu qui ôte le péché du monde,
de l'Agneau qui est l'expression unique et parfaite
de l'amour éternel de Dieu ;
colère qui n'est donc pas autre chose que
l'amour, mais qui est cet amour même pour
celui qui s'y soustrait et demeure dans
l'incrédulité. Il ne fait pas bon se
tenir en dehors de l'amour de celui qui nous aime,
car si l'amour de Dieu est à
l'intérieur douceur et tendresse infinies,
à l'extérieur il est une flamme
dévorante ; s'il est pour le croyant,
pour celui qui se tient dans cet amour, vie
éternelle, il est pour l'incroyant, pour
celui qui se tient hors de cet amour, mort
éternelle. La colère de l'Agneau
n'est pas un jeu.
La jalousie de Dieu est
aussi réelle, aussi éternelle que son
amour. Il n'y a de salut possible par l'amour de
Dieu que s'il y a une perdition possible par la
jalousie de Dieu. Autrement tout sombre dans
l'indifférence, dans la neutralité,
dans l'athéisme. Notre vie perd toute
espèce de sérieux. Il revient au
même de croire ou de ne pas croire,
d'être un homme ou un caillou. C'est pourquoi
plusieurs Pères de l'Eglise et Luther ont eu
raison de noter que l'enfer était aussi
plein de l'amour de Dieu que le paradis. Tout ce
qui existe, dans le temps et dans
l'éternité, est à jamais
soutenu et rempli par l'amour de Dieu. Satan
lui-même en est enveloppé, et c'est
là, oui, c'est là justement son
supplice, d'être consumé par l'amour
qu'il refuse et de n'en connaître ainsi que
la jalousie, le feu dévorant. L'amour ne
peut que perdre ce qui n'est pas amour. Il ne
règne pas en enfer une autre loi que dans le
paradis. Rien jamais n'échappe à
Celui qui est amour. Mais l'amour éternel
est la perdition éternelle de ceux qui le
refusent. Si nous répétons
souvent : « Dieu qui est amour ne
peut tout de même pas perdre
éternellement des hommes », nous
ne savons pas de quoi nous parlons, puisque la
souffrance des damnés, c'est justement que
Dieu soit amour, puisque l'indifférence de
Dieu pourrait seule les mettre à l'aise,
puisque leur malheur, c'est d'être
consumés par la jalousie de
l'Éternel. Quand par sentimentalisme, nous
nous plaignons de la jalousie de Dieu, quand nous
refusons de courir le risque de son amour et
d'admettre la possibilité de la perdition,
ne sommes-nous pas nous-mêmes
déjà comme les démons qui
demandent à Dieu de les laisser tranquilles,
de ne pas être amour, mais
indifférence, et qui crient à
Jésus : « Tu es venu poux
nous perdre ! » N'est-ce pas alors
que la bonne nouvelle de l'amour de Dieu n'est
déjà plus pour
nous que la mauvaise nouvelle de sa jalousie,
tandis que la « mauvaise
nouvelle » de sa jalousie ne devrait
être pour nous que la bonne nouvelle de son
amour ?
Comprenons-nous la gravité, le
singulier risque qu'il y a à être
aimé de Dieu ? Comprenons-nous
pourquoi, à tant de reprise, Moïse et
les prophètes et les apôtres nous
répètent que notre Seigneur est un
Dieu jaloux ? C'est dire que nul ici
présent, que pas un d'entre nous ne peut
échapper à celui qui nous
déclare : « Je t'ai
aimé d'un amour éternel »,
et que jamais rien au monde ne pourra effacer cette
déclaration qui nous est faite en
Jésus-Christ. Pour l'effacer, il faudrait
que Dieu soit le Dieu des philosophes et des
savants, et non le Dieu d'Abraham, le Dieu de
Moïse et le Dieu de Jérémie.
Nous sommes ici tombés dans les mains de
celui qui est. amour, nous sommes tous devant
l'Agneau de Dieu, tous devant Jésus-Christ.
Il n'y a que Lui, partout.
Toute-puissance lui a été
remise au ciel et sur la terre. Mais alors Lui,
l'Agneau de Dieu, Lui, l'amour de Dieu, sera-t-il
notre salut ou notre perte, notre béatitude
ou notre supplice, telle est en cet instant la
question de notre foi ou de notre
incrédulité. Heureux ceux qui savent
que c'est une chose terrible de tomber dans les
mains de celui qui pardonne. Heureux ceux qui se
laissent dire aujourd'hui : le Seigneur est
jaloux de toi, le Seigneur te veut tout entier.
Ceux-là connaîtront pour
l'éternité et déjà
connaissent la puissance et la douceur de son
amour. Mais malheur à nous si le message de
l'amour éternel de Dieu nous laisse
indifférents, partagés, ou même
nous rassure dans notre égoïsme.
Malheur à nous si ce message n'est pas notre
nouvelle naissance. Car nous
n'empêcherons pas Dieu
d'être amour, et cet amour d'être
l'éternel tourment de notre
égoïsme, le feu qui consumera notre
alliance avec le Prince de ce monde.
Que maintenant donc notre seule consolation,
notre seul espoir, notre seule joie dans la vie et
dans la mort, soit d'appartenir au seul vrai Dieu,
Père, Fils et Saint-Esprit, qui nous aime
éternellement et qui est
éternellement jaloux de nous.
La Prospérité des
méchants
- Oui, Dieu est bon pour Israël,
- Pour ceux qui ont le coeur pur.
- Toutefois mon pied allait
fléchir,
- Mes pas étaient sur le point de
glisser ;
- Car je portais envie aux orgueilleux
- En voyant le bonheur des
méchants.
- Rien ne les tourmente jusqu'à leur
mort,
- Et leur corps est chargé
d'embonpoint ;
- Ils n'ont aucune part aux souffrances
humaines,
- Ils ne sont point frappés comme le
reste des hommes.
- Aussi l'orgueil leur sert de collier,
- La violence est le vêtement qui les
enveloppe ;
- L'iniquité sort de leurs
entrailles,
- Les pensées de leur coeur se font
jour.
- Ils raillent, et parlent
méchamment d'opprimer ;
- Ils profèrent des discours
hautains,
- Ils élèvent leur bouche
jusqu'aux cieux,
- Et leur langue se promène sur la
terre.
- Voilà pourquoi son peuple se
tourne de leur côté,
- Il avale l'eau abondamment,
- Et il dit : « Comment
saurait-il,
- Comment le Très-Haut
connaîtrait-il ? »
- Ainsi sont les méchants :
- Toujours heureux ils accroissent leurs
richesses.
- C'est donc en vain que j'ai
purifié mon coeur,
- Et que j'ai lavé mes mains dans
l'innocence :
- Chaque jour je suis frappé.
- Tous les matins mon châtiment est
là.
- Si je disais : « je veux
parler comme eux,
- Voici, je trahirais la race de tes
enfants.
- J'ai donc cherché a comprendre ces
mystères
- Mais la tâche a été
trop pénible pour moi,
- Jusqu'à ce que j'aie
pénétré dans les
sanctuaires de Dieu,
- Et que j'eusse pris garde au sort final
des méchants.
- Oui tu les places sur des voies
glissantes,
- Tu les fais tomber et les mets en
ruines.
- Eh quoi ! En un instant les
voilà détruits !
- Ils sont enlevés, anéantis
par une fin soudaine !
- Tel un songe quand on
s'éveille,
- Ainsi, Seigneur, quand tu le
lèves,
- Tu les dissipes comme de vains
fantômes.
Ps. 73/ 1-20
Les questions les plus graves, les plus
dangereuses, disons même les plus
« subversives » que l'homme
puisse se poser, la Bible les pose avec une
franchise et une violence qui dépassent de
beaucoup les nôtres. On l'oublie trop
facilement. Il nous semble volontiers que les
chrétiens sont de braves gens qui se
bouchent les yeux et de la tête desquels
aucun démenti ne pourra enlever
l'idée qu'ils s'y sont mise. En tout cas,
les chrétiens donnent souvent aux
incrédules l'impression de
préférer leurs illusions à une
vérité trop brutale qu'ils ne veulent
pas voir en face. Et le malheur est qu'il en est
souvent ainsi, que le Dieu des chrétiens est
une pieuse illusion que l'on s'efforce tout au fond
de son coeur de tenir à l'abri des coups
durs de la réalité et des questions
sommaires du bon sens : « Que fait
ton Dieu pendant que les hommes se battent ?
Pendant que l'injustice, le mensonge et la violence
triomphent ? Si Dieu existait, il ne
permettrait pas ces choses. » Et beaucoup
de croyants sont là qui tremblent et qui
pensent : « Ne me dites pas cela,
car mon Dieu n'y résisterait pas. Vous avez
raison, mais je ne veux pas le savoir. »
Cette espèce de fuite devant les vrais
problèmes, qui caractérise bien
souvent l'attitude chrétienne, confirme les
incrédules dans leur
idée que nous sommes des gens peu
sérieux, des gens qui ne sont pas
allés jusqu'au fond des choses, qui n'ont
pas vraiment souffert, et ne se sont jamais
posé les grandes questions du mal et de la
douleur, des gens qui vivent dans un décor
religieux, et non dans la
réalité.
Si cela est, hélas, vrai pour
beaucoup de soi-disant chrétiens, c'est
assurément faux pour les hommes de la Bible.
Car personne autant qu'eux n'a regardé les
choses en face. Personne autant qu'eux n'a
posé directement les questions que
l'incrédulité croit être seule
à poser. À cet égard, le
Psaume 73 est merveilleusement et
infiniment utile. Il nous montre bien que la foi
chrétienne ne repose pas sur une ignorance
des vraies questions, mais sur une connaissance qui
les a traversées, qui les a
surmontées et vidées de tout leur
venin.
En effet, il n'est guère pour nous de
venin plus dangereux que celui des questions que
l'on n'ose pas poser, et rien n'oppresse autant les
gens du dehors que cette impression de nous fermer
à la réalité et de vivre
obstinément dans un univers fictif. Rien ne
peut nuire davantage à notre
témoignage. Étant sous les armes,
parmi les soldats, qui malgré leur couche de
christianisme n'ont pour la plupart aucune
idée de l'Évangile, on constatera
qu'il y a pour beaucoup un véritable
soulagement, non pas même à voir les
chrétiens répondre à certaines
questions, mais déjà simplement
à les entendre les poser.
« Tiens, se disent les hommes, il
y a donc des chrétiens qui sont avec nous,
qui sont aux prises avec les mêmes
problèmes ! Il y a donc des
chrétiens pour qui la foi est un combat et
une victoire sur le doute et non un simple voile
jeté sur lui. La foi pourrait donc
être quelque chose d'authentique. Elle
pourrait venir à bout des
objections brutales que nous fait chaque jour la
souffrance sous toutes ses formes. »
C'est à ce combat et à cette victoire
de la foi que nous assistons dans le Psaume 73. Un
combat où la force de l'ennemi n'est pas
masquée mais est au contraire mise en
évidence. Écoutez
plutôt :
Le Psaume commence par ce cri de
victoire : Oui, Dieu est bon pour Israël,
pour ceux qui ont le coeur pur. Oui, la
bonté de Dieu est le dernier mot de tout.
Mais cette profession de foi, cette victoire est
l'issue d'un combat terrible, d'un vrai corps
à corps avec l'angoisse, c'est le port
où le psalmiste n'est parvenu
qu'après avoir traversé une
effroyable tempête. « Dieu est bon
pour l'Eglise ! » Cette certitude a
coûté cher à Asaph. Elle n'a
rien d'une évidence. C'est une connaissance
qu'il a dû conquérir de haute lutte
contre les doutes les plus graves. Elle n'est pas
une de ces pacotilles religieuses que l'on se
procure à peu de frais dans les magasins du
bon Dieu. Pour tout dire, la bonté du Dieu
d'Israël n'a rien à faire avec le bon
Dieu. Voici des mois que, je l'espère bien,
la grande épreuve a balayé de votre
coeur toute « bondieuserie »
possible. Et c'est seulement quand tous les bons
dieux de la terre ont fait naufrage dans notre
souffrance, quand l'épreuve nous a
libérés de toute certitude non
authentique, que nous pouvons, par delà le
feu qui consume notre iniquité, par
derrière le creuset de la colère
divine, entrevoir la bonté du Dieu
d'Israël. Oui, Dieu est bon pour
Israël ! Maintenant qu'il a
retrouvé cette assurance, Asaph peut nous
dire par où il a passé :
Cependant mes pieds ont failli broncher. Il
s'en est fallu de peu que j'aie glissé.
Glisser ? Qu'entend par là le
Psalmiste ?
Quelque tentation charnelle :
colère, mensonge ou
vol ? Non pas, il s'agit d'une glissade bien
autrement grave, autrement profonde que les
péchés que nous voyons, il s'agit de
la tentation du désespoir, de la glissade
définitive dans l'incrédulité.
Il s'en est fallu de peu que l'homme de Dieu,
Asaph, ne glisse hors de la foi en la bonté
de Dieu et en sa justice. Lequel d'entre nous n'a
pas connu ces derniers temps la tentation du
désespoir, la pensée
démoniaque que Dieu pourrait ne pas
être bon et le monde être un enfer
définitif, à jamais le royaume du
Malin. Cette pensée avait effleuré
Asaph quand il avait regardé le monde bien
en face, et qu'il avait vu la
prospérité des méchants, le
triomphe de l'orgueil et de la violence, la
santé et la paix des incrédules. En
effet, j'ai porté envie aux orgueilleux,
quand j'ai vu la prospérité des
méchants ! Il peut arriver qu'au
travers d'un excès de souffrances on se
dise : après tout, pourquoi ne pas
être comme ces hommes à qui tout est
permis et à qui tout réussit ?
Ou vit tout aussi bien sans Dieu. On vit même
beaucoup mieux. On se tire décidément
mieux d'affaire avec de l'orgueil, de la confiance
en soi et de la violence, qu'avec de
l'humilité, de la confiance en Dieu et de la
douceur. Car la vie sans Dieu est une vie facile,
plaisante, agréable. « Les impies,
constate Asaph, sont exempts de souffrance. Ils ont
la santé qui est assurément un des
plus grands biens. Ils n'ont aucune part aux peines
de la mort ; ils ne sont point frappés
avec les autres humains. » C'est encore
plus singulier, cela, car on entend souvent
répéter que la mort n'est pas une
peine pour le croyant (c'est même un des
lieux communs des réunions religieuses),
tandis qu'elle serait terrible pour
l'incrédule. Cela n'est pas exact. Asaph en
tout cas constate le contraire, et nous
pouvons tous aussi le constater.
Le païen meurt souvent avec une
facilité déconcertante,
l'incrédule ne ressent pas du tout comme les
chrétiens l'horreur de la mort. Son
mépris de la vie humaine lui rend la mort
aisée. Il est parvenu à glorifier la
mort, à en faire une sorte de déesse,
d'amie, de compagne poétique. Mais pour le
croyant, la mort est salaire du
péché, le royaume du Diable. C'est
une peine effroyable qu'il ressent chaque jour,
dont il souffre sans cesse, jusqu'à ce que
Dieu l'anéantisse.
Non seulement l'impie vit en bonne
santé et en sécurité, mais
encore il parle bien. Il se vante de ses violences,
il sème la calomnie sur la terre, il ricane.
« Aussi attire-t-il à sa cause une
foule de gens qui boivent avidement ses
paroles. » Il est inutile que j'insiste
sur ce tableau. Il est plus que jamais la
photographie de notre temps. Nous ne connaissons
que trop la puissance inouïe de la propagande
et comment elle parvient à submerger le
monde et à s'infiltrer dans les derniers
recoins de l'opinion publique.
Et Asaph conclut : « Tels
sont les méchants : toujours heureux,
ils amassent des richesses... C'est donc en vain
que j'ai gardé mon coeur pur et que j'ai
lavé mes mains dans l'innocence ; car
je suis frappé tous les
jours... »
Évidemment, tout cela est encore
facile à dire. Mais quand on le constate
dans la réalité, quand on touche du
doigt la tranquillité, le succès de
ceux qui se moquent de la volonté de Dieu,
quand on voit des hommes et des femmes dont toute
la vie est un service de Dieu et du prochain et sur
lesquels le malheur, la maladie, l'injustice s'abat
systématiquement, quand on imagine le sort
d'une population bombardée et ces petits
peuples protestants submergés par la vague
infernale du nihilisme, la
question devient déchirante, insupportable
même : Où est la justice de
Dieu ? Où est la Providence ? Quel
est donc le sens de la foi et du service de Dieu
dans tout cela ? Il peut arriver
qu'écrasés par la souffrance, nous
disions comme le psalmiste : C'est donc en
vain que j'ai gardé mon coeur pur et mes
mains dans l'innocence, car je suis frappé
tous les jours. La foi serait-elle vaine,
serait-elle vide de sens, serait-elle
illusoire ? Est-ce que Dieu se moquerait de
nous ? Est-ce que nous serions des
dupes ? Il faudrait tout de même savoir
à quoi s'en tenir, savoir si oui ou non
notre foi est vaine, et si c'est en vain que l'on
met sa confiance en Jésus-Christ. Il vaut la
peine de le savoir pour ne pas se laisser duper
plus longtemps. C'est ici le moment de ne pas
reculer, de ne pas fermer les yeux, de ne pas se
laisser glisser, de ne pas se réfugier dans
la phrase des lâches : « Il ne
faut pas chercher à comprendre. »
Car il faut justement, il faut maintenant ou jamais
chercher à comprendre, et c'est ce que fait
Asaph : « J'ai donc cherché
à comprendre. » Mais la
tâche a été trop pénible
pour moi, ajoute-t-il.
Comment pourrions-nous expliquer toute
l'injustice du monde et l'atrocité
d'innombrables existences ? Quand le malheur
est vraiment là, quand l'injustice
s'accomplit sous nos yeux, que peuvent les
arguments ? C'est un mur contre lequel on ne
peut que se casser la tête. On cherche
à comprendre, et l'on ne comprend pas. On a
beau sonder son coeur et son intelligence,
interroger toute la sagesse humaine, il n'existe
nulle part au monde une explication, un apaisement.
Nous restons dans la nuit et dans l'angoisse :
le monde partout nous démontre l'absence de
Dieu, et nous sommes livrés à cette
absence jusqu'au moment (et c'est le grand moment,
c'est l'heure de Jésus-Christ), jusqu'au
moment où, avec Asaph,
nous entrons dans les sanctuaires du Dieu fort et
où nous prenons garde à la fin de
ces gens-là.
C'est ici les paroles décisives, le
tournant de ce psaume. Prenons garde à la
fin des incroyants. Cette fin ne peut signifier ici
la mort des méchants sur la terre, puisque
nous venons de voir qu'ils n'ont pas part aux
peines de la mort, qu'ils meurent plus facilement
que les croyants. C'est une autre fin à
laquelle nous devons prendre garde, c'est au but
final de toute existence humaine. Cela, nous ne le
pouvons pas sans entrer dans le sanctuaire de Dieu,
sans être introduits par Dieu en sa
présence et cela veut dire sans qu'Il nous
donne son Fils bien-aimé. Pour nous, nous ne
voyons que le monde présent et l'injustice
présente, et la misère sans fin et la
mort sans fin. Mais en Jésus-Christ, qui est
le vivant sanctuaire de Dieu, nous voyons tout d'un
coup apparaître la fin, le but éternel
de toutes choses : le jugement dernier, le
grand règlement de comptes. C'est
Jésus qui apporte avec Lui la fin,
c'est-à-dire le juste jugement de toute vie.
Hors de lui rien n'a de fin, rien n'a de but. Et ce
psaume est vraiment comme le commentaire du
chapitre 15 de l'épître aux
Corinthiens : Si les morts ne ressuscitent
pas, si le Christ n'est pas ressuscité,
c'est-à-dire si vous ne trouvez pas en lui
votre destinée éternelle, s'il n'y a
pas en lui le dernier mot sur tout ce qui se passe,
alors votre foi est vaine. C'est en vain que vous
avez gardé votre coeur pur et lavé
vos mains dans son innocence, en vain que vous
cherchez à comprendre, car il n'y aura
jamais rien à comprendre. Vous faites bien
d'envier les orgueilleux. Ils ont raison et ce sont
eux qui triompheront en dernier ressort. Si Christ
n'est pas ressuscité, si Christ ne revient
pas pour juger les vivants et
les morts, alors oui, nous qui avons
espéré en lui, nous sommes les plus
misérables des hommes, nous sommes de
lamentables dupes.
C'est donc l'accès au sanctuaire de
Dieu, la connaissance de Christ ressuscité
qui seule retient le psalmiste de la glissade et
qui seule peut empêcher chacun de nous de
verser dans l'abîme du désespoir, ou
de se ruer dans la course à la domination
universelle. Dans le sanctuaire de Dieu, dans
l'attente de Celui qui vient, nous pouvons
comprendre enfin : Pour l'instant, Dieu
patiente encore et laisse le monde aller son train
et les méchants prospérer, voulant,
non pas la mort du méchant, mais sa
conversion et sa vie. C'est là justement une
manifestation de sa bonté, ce temps
où Dieu suspend les arrêts de sa
justice pour appeler tout homme à la
repentance et à la foi en
Jésus-Christ. C'est le temps dans lequel il
nous est demandé « d'aimer nos
ennemis... »
(Matthieu 5. 44-45). C'est
forcément le temps où ceux qui
obéissent souffriront des impies comme Dieu
en a souffert, et porteront la croix de leur
Seigneur. Pourquoi voudriez-vous que les
méchants se conduisent mieux envers les
chrétiens qu'envers le Christ
lui-même. Pourquoi la guerre, pourquoi la
persécution nous étonnent-elles plus
que la croix ?
Pour l'instant, Dieu supporte encore
l'iniquité du monde et notre
iniquité. Cela ne lui est pas facile, il la
supporte dans sa propre chair. « Christ
est en agonie jusqu'à la fin du
monde. » Mais le jour approche où
Il ne la supportera plus, où le
Crucifié apparaîtra dans la gloire
éternelle et prononcera le dernier mot, le
mot sans appel, la juste sentence qui
révélera à tout homme son
véritable état. Et pour les
méchants, pour nous-mêmes aussi, si
nous n'appartenons pas à
Jésus-Christ, ce mot
sera : ruine soudaine, écroulement.
Tout ce qui s'élève sera
abaissé.
« Oui, tu les mets sur un terrain
glissant ; tu les fais tomber et ils
s'écroulent... Enlevés et
consumés par une destruction soudaine !
Ainsi, Seigneur, quand tu te lèves, tu les
dissipes comme de vains fantômes. »
La gloire du Seigneur, quand elle se lèvera
au dernier jour, dissipera comme un fantôme
tout ce que nous appelons la réalité,
toute la vie de ceux qui n'ont pas
été ensevelis avec Christ. Comme un
fantôme ! Est-ce possible ?
Voilà notre question du début toute
retournée : Ce n'est pas le croyant,
c'est l'incrédule qui vit dans l'illusion,
un monde illusoire. Ce n'est pas l'existence le
Dieu et de son Royaume qui n'est qu'un rêve,
mais bien notre existence sans Lui et celle de tous
les royaumes de ce monde. Ce qui nous
apparaît comme atrocement réel, ce
déchaînement démoniaque, cette
montagne de souffrance, ce triomphe du
péché et de la mort, il
apparaîtra à la lumière du
jugement dernier que ce n'est qu'un cauchemar, que
le démon loin de faire quelque chose de
réel, de substantiel, ne peut que
prêter un masque de réalité
à des fantasmagories. Déjà la
Bible est toute pleine des signes de ce
jugement : les murailles de Jéricho
s'écroulent, la tempête est
apaisée, les démons s'enfuient, la
justice des pharisiens s'effondre, les paralytiques
se lèvent, la lèpre
s'évanouit, les muets crient de joie, la
pierre du tombeau est roulée. En
présence de Jésus-Christ, la
réalité de ce monde devient
fantomatique. Les peuples hypnotisés par le
serpent se réveillent de leur
léthargie. Toute l'histoire de
l'humanité se dissipe comme un songe. Quand
le matin de l'éternité se
lèvera sur le monde, rien ne subsistera,
sinon le temps que Dieu en Jésus-Christ est
venu passer sur la terre et ce
que les hommes auront accompli dans la foi en cette
venue, dans l'attente du Seigneur et de sa
justice.
Pour l'instant, nous voici placés
devant cette alternative : être un
fantôme, ou bien être un croyant. Un
fantôme bien portant, sans doute, sûr
et certain d'exister, ou bien un enfant de Dieu
brisé et misérable peut-être,
mais comblé d'espérance. L'incroyant
peut prospérer, être heureux et
vaincre, ce n'est jamais que la
prospérité, le bonheur et la victoire
d'un fantôme. Le croyant peut être
accablé de douleur et d'angoisse, c'est au
moins la douleur et l'angoisse d'un homme
réel.
Il n'y a pas d'autre choix dans la
perspective du jugement dernier : notre vie
est un songe, ou bien notre vie c'est
Jésus-Christ.
|