FRANK
THOMAS
SA VIE
- SON
OEUVRE
PRÉFACE
FRANK THOMAS
1862-1928
Ils sont innombrables ceux qui doivent
à Frank Thomas l'éveil de leur vie
religieuse ou l'affermissement de leur foi et qui,
à cause de cela, bénissent sa
mémoire.
Ce livre qui
est le
récit tout simple et sans prétention
de son admirable vie n'a pas besoin de leur
être recommandé. Je sais qu'ils en
tourneront les pages avec émotion et sauront
gré à son auteur d'avoir tracé
pour eux le portrait fidèle de cet homme de
Dieu qu'ils ont beaucoup
aimé.
Dans un
passage que Frank
Thomas citait souvent, saint Paul dit que le Christ
a « emmené des captifs et qu'il a
fait des dons aux hommes... qu'il a donné
les uns comme apôtres, les autres comme
évangélistes, d'autres comme pasteurs
et docteurs...
(Éphésiens
4 : 8
et
11) Frank Thomas tut un de ces
« captifs » et en le donnant
à son Église, le Christ l'a
dotée non pas certes d'un
« docteur » (L'oeuvre de Frank
Thomas n'est pas de l'ordre de la
pensée) mais d'un merveilleux
évangéliste et d'un remarquable
pasteur.
Pour qui ne
connaît que
son oeuvre écrite, l'influence si
étendue et si profonde qu'il a
exercée à Genève et dans tout
le protestantisme de langue française,
demeure, il faut le dire, une énigme. Elle
ne l'est pas pour qui l'a entendu, pour qui surtout
est entré en relation personnelle avec lui
et se souvient de ce qu'était le rayonnement
de son âme, la
générosité de son coeur, le
charme extraordinaire de sa
personnalité.
Cette
personnalité fut
l'oeuvre tout à la fois de la
« nature » et de la
« grâce ».
Il était
homme et un
homme très pleinement et très
intensément humain. Tout ce qui fait vibrer,
souffrir et pleurer notre race, tout ce qui
l'enchante et qui l'enflamme, trouvait un
écho en lui. Et les espoirs et les
détresses de sa génération,
nul peut-être ne les a mieux compris et
partagés. Il était en plein dans la
vie et quand se posait une grande question humaine,
il en était empoigné aussitôt
et en Jugeait simplement, comme juge le peuple,
avec son sens instinctif de la justice et son
ignorance des distinctions subtiles et des
prudences calculées.
Il avait reçu
de la
nature un grand coeur aimant, sensible et capable
de beaucoup souffrir par les hommes et pour les
hommes ; il avait reçu d'elle surtout
une puissance vitale à la fois psychique et
physique exceptionnelle qui fit de lui un
animateur-né.
Tel était
l'homme que
Jésus-Christ a subjugué dès le
temps de son ardente jeunesse et dont sa
grâce a tiré un si merveilleux
parti.
La joie
rayonnante, la foi
robuste et l'optimisme communicatif qui ont
été les traits distinctifs de ce
chrétien, ne lui étaient pas
naturels, comme tant de gens l'ont cru. Son
tempérament l'inclinait au contraire au
pessimisme, au découragement, à la
tristesse et au doute. Oui, si étrange que
cela puisse paraître, ce croyant qui en a
aidé tant d'autres à croire, avait
une âme de douteur et sa loi était, en
un sens, une perpétuelle
conquête.
Le secret de
cette vie, sa
seule explication suffisante est dans le nom de
Jésus-Christ. La source de sa joie, la
raison de sa loi, le grand amour de son coeur
passionné fut Jésus-Christ. Lequel de
ses auditeurs ne se souvient des prières par
lesquelles s'achevaient ses prédications et
qui presque toujours débutaient par ces
mots, jaillissant du plus profond de son
âme :
« O
Sauveur
bien-aimé » C'est cet amour de
Jésus-Christ et le désir ardent de le
faire connaître et aimer à d'autres
qui ont fait de Frank Thomas le grand
évangéliste qu'il a
été.
En plus de
tous les autres
dons, déjà
énumérés, il avait encore
reçu de Dieu, pour atteindre les âmes
des hommes, une admirable voix chaleureuse,
prenante et richement nuancée. Dire qu'il
sut se servir de sa voix serait insinuer qu'il y
eut chez lui, comme chez tant d'orateurs, de l'art
et de l'apprêt. Tout au
contraire, personne ne fut
plus
naturel, plus simple, plus candidement
spontané : il avait devant lui la foule
qu'il aimait, qu'il comprenait et qu'il voulait
aider à vivre et à ramener à
Dieu ; alors de l'abondance de son grand coeur
sa bouche parlait, un contact immédiat et
mystérieux s'établissait, produisant
ce qui fut le secret de ce ministère, une
contagion de vie. Cette âme et cette voix
furent entre les mains divines un magnifique
instrument, semblable dans les heures de puissance
et d'inspiration à un violon
merveilleusement sonore sur lequel aurait
joué l'archet de Dieu. Il avait toutes les
notes : tour à tour d'une infinie
tendresse ou d'une âpre violence, suivant
qu'il parlait de l'amour du Christ aux coeurs
blessés ou qu'il faisait entendre aux
consciences endormies les jugements de Dieu dont on
ne se moque pas.
Mais ceux qui
n'ont connu en
Frank Thomas que le prédicateur ne l'ont pas
connu tout entier ; il fallait le voir encore
au milieu de ses catéchumènes, dans
le cercle intime des « groupes
bibliques » ; il fallait savoir
surtout ce qu'était dans le secret de la
visite cet ami des découragés, des
inquiets et des coupables, ce vrai pasteur, prenant
les fardeaux de ses frères et les portant
à Dieu.
Il fut enfin
un
étonnant assembleur d'hommes. Dire que cet
indépendant, qui a accompli son
ministère en dehors des cadres de l'Eglise
historique de son pays et lui a parfois
donné de l'ombrage, eut à un haut
degré le sens de l'Eglise, pourra sembler
paradoxal. Et c'est vrai
cependant. Il ne lui suffisait pas
d'éveiller à la vie chrétienne
des individus isolés, il sentait
l'impérieuse nécessité de les
grouper en famille spirituelle autour de leur
vivant et invisible Sauveur, de les unir en une
fraternelle communion et de les mettre pratiquement
chacun selon ses dons, au service les uns des
autres.
Il a ainsi
ouvert une voie et
donné un exemple et si aujourd'hui l'Eglise,
lentement, s'engage sur cette voie et cherche plus
que jadis à offrir aux âmes un milieu,
n'est-il pas juste de reconnaître que
l'action de Frank Thomas n'est pas tout à
fait étrangère à ce
progrès ?
J'ai
peut-être
dépassé les limites d'une
préface en laissant trop parler les
souvenirs que la lecture de ce volume a
ravivés en moi, en cédant au plaisir
de rendre un reconnaissant et pieux hommage
à la mémoire de celui qui fut mon
maître en Jésus-Christ. Mon voeu est
que ce récit de sa noble vie puisse en
prolonger l'influence et éveiller
peut-être au coeur de quelques jeunes
l'ambition sainte de devenir à leur tour, au
sein de notre génération
inquiète et désemparée, les
témoins courageux de l'Évangile du
salut.
HENRI
D'ESPINE.
Genève, Juin 1932.
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