FRANK
THOMAS
SA VIE
- SON
OEUVRE
CHAPITRE PREMIER
ENFANCE ET ADOLESCENCE.
Frank Thomas (1)
est né le 28 octobre 1862
à la cure du village de Cologny dont son
père, Louis Thomas, était pasteur.
Cologny est une charmante localité
située à trois kilomètres
environ de Genève sur un coteau boisé
qui domine la rive gauche du lac
Léman ; Cologny comprend non seulement
un village compact qui se groupe autour de son
temple et de sa mairie, mais aussi quantité
de villas, simples ou luxueuses,
dispersées au milieu de la
verdure, entourées de beaux parcs ou de
modestes jardins, et jouissant
généralement d'une vue très
étendue, soit sur les Voirons et le massif
du Mont-Blanc, soit sur le lac, le coteau de Pregny
et la ligne si pure du Jura. C'est donc dans une
contrée riante et pleine d'attraits,
possédant à la fois les
agréments de la campagne et ceux que procure
la proximité de la ville, qu'a vu le jour
celui dont nous écrivons l'histoire.
Ce qui nous a frappée en
étudiant son enfance et sa jeunesse, c'est
à quel point le milieu familial dans lequel
il fut placé par la Providence l'avait
préparé à la carrière
qu'il était destiné à
parcourir. De tous les renseignements recueillis
à cet égard, il ressort que ce milieu
possédait des qualités rares bien
propres à façonner un
caractère. Il s'en dégage une
atmosphère de simplicité, de
droiture, de charité, le tout
rehaussé par une forte culture
intellectuelle, une profonde piété et
beaucoup de largeur d'esprit.
Il est aisé de se
représenter, en passant devant la cure de
Cologny, modeste maison carrée datant de
1830 environ, cette vie d'autrefois, cette vie
liée encore aux traditions
de la Genève du passé, qui nous
apparaît revêtue d'un si grand charme,
précisément parce qu'elle appartient
à une époque qui n'est plus. D'autres
habitudes, d'autres pensées ont fait place
à celles de ce temps-là. Toutes les
époques ont leur bon côté, mais
on éprouve parfois la nostalgie de ce qui ne
reviendra jamais, du moins sous la même
forme.
Faisons donc la connaissance de
cette famille excellente. Voici tout d'abord M.
Louis Thomas, cet homme d'une extrême
sensibilité, à l'âme droite et
charitable. Sa prédication, toujours
consciencieusement préparée, se
distinguait par une connaissance approfondie des
saintes Écritures ; sans être
caractérisée par le talent oratoire,
elle ne manquait ni de mouvement, ni de vigueur, ni
d'onction. Ses visites pastorales étaient
faites, chez les riches comme chez les pauvres,
avec beaucoup de sérieux, et d'amour.
Modeste, obligeant, dévoué, il
était compatissant pour les malheureux,
accueillant pour les humbles, encourageant pour les
jeunes, aussi ne tarda-t-il pas à
conquérir le respect et l'affection de tous
les habitants de sa paroisse. Dans sa jeunesse
déjà, il fit
quelques publications
théologiques qui prouvent un attrait
particulier pour cette science.
(2)
Voici sa femme, son bras droit,
née Louise Coulin, la soeur du grand
prédicateur de ce nom. Frank Thomas n'a
cessé de rendre hommage à ses parents
et en particulier à sa mère ;
à l'entendre, il doit tout à
l'éducation qu'il a reçue dans la
maison paternelle. Mme Thomas, en effet,
était une nature d'élite
« mariée relativement
tard », elle avait eu le temps, comme
jeune fille, de développer sa
personnalité par des lectures, des
réflexions, l'étude de la vie. Elle
apporta, dans sa carrière de femme
mariée et de femme de pasteur, une haute
intelligence, un grand bon sens, de la
précision, de la clarté, une
piété large et sereine et le
sentiment de la justice. Elle était
instruite, lisait beaucoup, en particulier la
Revue des Deux Mondes, et elle communiqua
à son fils un intérêt
très vif pour l'humanité. Elle lui
apprit à dédaigner
l'étroitesse et à développer
ses ailes au delà des horizons
immédiats et des questions de clocher. Son
âme était virile et aimante, mais sans
faiblesse
sentimentale ;
elle se faisait obéir de tous, même de
son mari. Dans cette famille on dominait les
contingences par une vue large et haute et on
respirait l'air de l'altitude.
À côté du
père et de la mère de Frank Thomas,
se place une figure bien caractéristique,
celle de sa tante, Mlle Nancy Coulin. À la
suite de circonstances de famille qui avaient
changé la direction de sa vie, Mlle Coulin
vint s'établir chez le jeune ménage
Thomas, alors que Frank avait six ans. Elle y
apporta toute sa vive intelligence, l'ardeur d'une
nature douée d'une profonde charité,
qui avait été orientée vers le
relèvement des épaves de la vie par
le passage à Genève de
Joséphine Butler. Ce qu'il pouvait y avoir
de mystique chez Frank Thomas, il en est plus
particulièrement redevable à sa
tante, car Mlle Coulin était une femme de
prière et sans doute les enfants de sa soeur
comprirent-ils de bonne heure, en partie
grâce à elle, la valeur et la
nécessité de la
prière.
Elle apportait à la maison
l'écho des détresses et parfois du
relèvement des pauvres femmes dont elle
s'occupait. Avec cela, elle
était gaie, enjouée, comprenant les
jeunes, leur besoin de vie, de sympathie, de joie.
Elle les accompagnait à la montagne et au
bord de la mer. Sa conversation était
piquante, émouvante aussi, quand elle
faisait le récit des misères qu'elle
côtoyait chaque jour. En un mot, elle fut une
tante idéale qui exerça une grande
influence sur son entourage.
Dans ce doux nid familial,
apparurent successivement trois enfants :
Auguste, Frank, Laure.
Auguste
(1860) nature
richement douée à tous égards,
brillant, profond, passionné de sciences
naturelles, était l'orgueil de sa famille
qui fondait sur lui de grandes
espérances.
Frank (1862),
enfant
consciencieux, travailleur, d'une
sensibilité excessive, vivant un peu
à l'ombre de son aîné.
Laure (1865),
fillette
charmante, aux yeux noirs, d'une
piété naïve et touchante qui
devint, par la suite, une femme distinguée
(3).
Dans cette vie, d'une extrême
simplicité,imposée
soit par principes, soit par
nécessité, les enfants se
développèrent dans une chaude
ambiance d'affection. Il est aisé de se
rendre compte que toutes les belles et grandes
choses que Frank Thomas a dites et écrites
sur la famille, que tout l'idéal familial
qu'il portait en lui et qu'il n'a cessé de
proposer à ses auditeurs et à ses
lecteurs, c'est son « home »
qui les lui avait inspirées. De même
aussi, s'il a porté très haut la
femme, si son respect pour elle a été
grand, c'est, en première ligne, aux femmes
de son foyer maternel qu'il faut en être
redevable.
Écoutez plutôt ses
propres paroles :
...
Dans une famille, la maison que l'on habite, celle
où l'on est né, ne peut plus
s'effacer de la mémoire, surtout quand on a
eu le privilège de naître à la
campagne et dans un village. C'est toujours avec
émotion que l'on revoit le toit qui abritait
notre enfance, le jardin dans lequel tout jeune, on
se livrait à ses jeux favoris, les arbres au
sommet desquels il était si amusant de
grimper, alors que l'on avait dix ou douze
ans. (4)
et plus loin :
Oh ! que l'on est bien sur les
genoux d'une mère, quand on est tout petit
et qu'on a le coeur gros. la
tête se penche sous le poids de ses chagrins
mais le sein maternel est là, tendre et
moelleux, comme le nid douillet du petit oiseau.
Heureux ceux qui en ont fait
l'expérience !
Pitié ! pour les autres
qui n'ont jamais connu ici-bas ce coin de ciel
aperçu de la terre ! Les caresses d'une
mère... mais c'est presque la caresse de
Dieu. N'est-ce pas le prophète Esaïe
qui dit à son peuple de la part de
l'Éternel : « Vous serez
allaités, vous serez portés par les
bras et caressés sur les genoux. Comme un
enfant que sa mère console, ainsi je vous
consolerai, vous le verrez et votre coeur sera dans
la joie. » (5)
et encore :
... Ce
n'est rien de naître pauvre, quand on a une
bonne mère : une bonne mère vaut
mieux que tous les millions du monde. Ce qui
différencie réellement les hommes,
c'est la présence ou l'absence de la
mère. Pourquoi celle qui m'a donné le
jour a-t-elle une grande valeur morale ?
Pourquoi s'est-elle consacrée à mon
éducation avec tant de
dévouement ? Quand tout près de
moi, je vois des êtres, pas plus mauvais que
moi, que dis-je ? souvent bien meilleurs,
lancés dans le monde par une mère
indigne de ce nom, puis abandonnés par elle,
ou, ce qui est pire, appelés à
contempler tous les jours son déplorable
exemple ! Plus je réfléchis
à cela, plus je me sens pris d'une immense
pitié pour les dévoyés de la
vie, car huit fois sur dix, ils sont tels par la
faute de leur mère ;
bien loin de leur jeter la pierre, je voudrais
descendre auprès d'eux dans l'abîme
pour les en arracher, je voudrais leur crier que je
les aime, que Dieu surtout les aime, je voudrais
leur communiquer quelques-uns de ces trésors
d'amour dont j'ai fait provision sur le sein de ma
mère et dont je n'étais pas digne, je
voudrais partager avec eux ces capitaux, qui m'ont
rendu plus riche que le plus richissisme.
(6)
On peut donc se représenter
la saine atmosphère morale que
respirèrent ces trois enfants dans leur
maison paternelle. Tentons d'en détacher
Frank et de le suivre dans son
développement. À noter tout d'abord
qu'il fut une déception pour ses parents qui
espéraient une petite fille. Sans doute ne
le lui firent-ils pas sentir, mais cela ne
l'empêcha pas de passer durant sa
première année une partie de son
temps à pleurer ; était-ce
déjà un signe précurseur de sa
grande sensibilité, ou tout simplement le
fait que dans le jardin de la cure on construisait
un réservoir pour l'eau d'Arve, et que
l'enfant était incommodé par le bruit
que faisaient les ouvriers en enfonçant des
clous dans la tôle sonore ? Il fut,
comme son frère, placé à
l'école communale de Cologny où il
subit l'influence d'un excellent
régent, M. Kehl, qui ne demeura certainement
pas étranger à l'orientation de sa
vie morale et intellectuelle.
Ce qui frappait chez lui,
déjà à cette époque,
c'était son absolue droiture et la
conscience qu'il apportait à son travail.
Preuve en soit l'anecdote suivante : que nous
a rapportée une amie de la famille
(7)
qui la
tenait de Mme Thomas elle-même:
« Il s'agissait d'un
thème de place qui devait valoir une
distinction à celui qui l'aurait
réussi sans la moindre faute : Frank
l'obtint et il s'avança tout rougissant,
à l'appel de son nom, pour recevoir une
cordiale poignée de main du régent.
Rentré chez lui, il relut sa composition
avec soin et il y découvrit une petite
faute, et comme on ne marchande pas avec une
conscience délicate, il signala son erreur
au maître qui n'en revenait pas de tant de
loyauté. » Dans cet acte d'absolue
franchise se trouve en puissance toute la
carrière future de Frank Thomas ; le
fait d'avoir pris l'habitude de ne pas badiner avec
la vérité lui a permis de devenir un
flambeau sur la route de ses frères, aussi
eut-il le droit de s'écrier plus
l'influence d'un excellent
régent, M. Kehl, qui ne demeura certainement
pas étranger à l'orientation de sa
vie morale et intellectuelle. Ce qui frappait chez
lui, déjà à cette
époque, c'était son absolue droiture
et la conscience qu'il apportait à son
travail. Preuve en soit l'anecdote suivante :
que nous a rapportée une amie de la famille
(8) qui
la
tenait de Mme Thomas elle-même
« Il s'agissait d'un
thème de place qui devait valoir une
distinction à celui qui l'aurait
réussi sans la moindre faute : Frank
l'obtint et il s'avança tout rougissant,
à l'appel de son nom, pour recevoir une
cordiale poignée de main du régent.
Rentré chez lui, il relut sa composition
avec soin et il y découvrit une petite
faute, et comme on ne marchande pas avec une
conscience délicate, il signala son erreur
au maître qui n'en revenait pas de tant de
loyauté. » Dans cet acte d'absolue
franchise se trouve en puissance toute la
carrière future de Frank Thomas ; le
fait d'avoir pris l'habitude de ne pas badiner avec
la vérité lui a permis de devenir un
flambeau sur la route de ses frères, aussi
eut-il le droit de s'écrier plus
tard :
« Que le
jeune homme soit inflexible quand la conscience a
parlé et il ne tardera pas à
reconnaître qu'il a bien
agi ! » (9)
Faisant allusion, sans en parler
d'ailleurs, à l'affaire du thème de
place, il s'exprimait ainsi :
Je me
rappelle, comme l'un de mes plus anciens souvenirs
de jeunesse, les prières que ma mère
bien-aimée venait faire auprès de mon
berceau, le soir, au moment de m'endormir.
Précieux souvenir qui m'a suivi toute ma vie
et qui m'a gardé au moment des
tentations. (10)
Les petites misères de
l'enfance ne lui furent pas
épargnées. Ainsi, au début de
sa vie d'écolier, son visage se trouva
subitement criblé de taches de rousseur,
assez perfides pour le rendre très
malheureux et surtout très
susceptible : on se moquait de lui à
l'école et son frère qui était
d'un tempérament agressif ne lui
épargnait pas les remarques ironiques. Ce
fut pour lui un très mauvais moment qui
passa, heureusement, mais ne contribua pas à
refouler ses larmes qui lui valurent le surnom de
Jérémie. Peut-être aussi a-t-il
souffert de se trouver quelque
peu éclipsé par son frère,
plus brillant, plus doué que lui, et
très admiré de son entourage. Ce fut
sans doute pour lui une épreuve salutaire
qui n'a pas affaibli d'ailleurs sa grande affection
pour son aîné. Heureusement que son
père, pour lequel il éprouvait une
vive tendresse, savait le consoler dans ses heures
de découragement.
Autre misère, non moins
humiliante ; il bégayait, ayant la
langue attachée au palais, mais une petite
opération le débarrassa de cette
infirmité qui eût fort entravé
sa carrière. Ces quelques points noirs ne
l'empêchèrent pas d'avoir une enfance
très heureuse dont il a gardé le plus
lumineux souvenir. Il y avait tant
d'éléments de bonheur dans cette vie
de famille si unie et si pleine d'idéal. En
1872, une fois son temps révolu à
l'école de Cologny, il entra au
collège de Genève.
Genève, qui comptait alors 48
000 habitants environ, n'était pas encore la
cité internationale qu'elle devient de nos
jours. Elle était cependant une capitale et
une ville de haute culture. Ses institutions se
développent. L'Académie trop à
l'étroit à la
Grand'Rue est installée depuis quelques mois
dans les bâtiments des Bastions où se
transporte aussi la Bibliothèque.
Cependant la ville est encore
circonscrite. L'église russe et la synagogue
sont bordées de terrains vagues. Les
quartiers de Champel, Saint-Jean, La Prairie, sont
en pleine campagne. Le Rhône, non loin des
ponts de l'Île, fait tourner les derniers
moulins.
Le Gouvernement est aux mains
des
radicaux, l'Église protestante est
déchirée par les attaques virulentes
du parti libéral, tandis que l'Eglise
catholique prépare, par ses imprudences, la
réaction qui va la frapper.
Frank Thomas se rendait très
probablement au collège à pied ou en
vélocipède, en remontait de
même et déjeunait en ville. Dans ses
études secondaires, il apporta la même
conscience que dans ses études primaires.
Ses bulletins étaient excellents. On le
signalait comme un élève très
assidu, acharné au travail. Il attribuait
lui-même tous ses succès à
l'énergie et à la volonté.
Déjà alors, il était
possédé de cette activité
dévorante qui le caractérisa
jusqu'à son dernier soupir. Sa vie fut une
lutte pour l'obtention d'un rendement toujours
meilleur de son existence, il
était ambitieux dans le meilleur sens de ce
terme.
Qu'on ne se figure pas cependant
que
l'existence fût austère à la
cure de Cologny. Bien que tous les divertissements
mondains en fussent exclus, il régnait parmi
les enfants et même les parents, beaucoup de
gaîté. La vie de famille y jouait un
grand rôle. On se rencontrait souvent avec la
famille du pasteur Auguste Thomas, le frère
de Louis Thomas. Ses deux enfants, Emile et
Madeleine faisaient des jeux sans fin en compagnie
de leurs cousins. La cure de Cologny, avec son
verger, son banc dominant la route et le grand
sapin qui ombrage sa terrasse, demeure le
témoin de leurs plaisirs enfantins et de
leurs escalades périlleuses. Le
« barrot », petite voiture
à deux roues, traîné par les
uns ou les autres, les emporte dans des courses
vertigineuses auxquelles « tante
Nancy » même est conviée. On
fait des parties de croquet et, après les
vendanges, on s'en va grappiller dans les vignes.
Voici un souvenir rapporté par Frank Thomas
lui-même :
Quand
j'étais tout petit, je me souviens d'une
grappe de raisins que je pris avec mon frère
dans une vigne toute proche de la
cure du village dont mon père était
pasteur. Tandis que nous nous régalions de
ce délicieux raisin, qui avait toute la
saveur du fruit défendu, nous fûmes
surpris par la domestique qui nous
dénonça à mon père,
puis il nous fallut aller, avec lui, confesser
notre faute au propriétaire.
Le jeudi, Mine Thomas et sa
soeur
emmenaient souvent les trois enfants dans de
grandes courses au travers du canton ou même
jusqu'au Salève ; on goûtait dans
quelque auberge, on profitait de l'occasion pour
faire une leçon de géographie et l'on
revenait le soir, fatigué mais très
heureux. Au moment de Pâques,
« tante Nancy » organisait
généralement un petit voyage dans le
Jura ou ailleurs, dont le but était de
cueillir quelque fleur rare, ou de visiter une
fabrique intéressante. Pour la participation
à ces escapades, il y avait deux
règles inflexibles :
- 1. obéissance,
- 2. absence complète de
« grogne ».
Puis en été, durant la
période des vacances d'Auguste et de Louis
Thomas, les deux frères et leurs familles
partaient pour la montagne. Ce fut d'abord Gryon et
Lauenen, quand les enfants
étaient encore petits ; ensuite on
s'aventura plus haut, à Saint-Luc,
Riederalp, où l'on se lia avec le peintre
Albert Lugardon. Ce sont sans doute ces
séjours à l'altitude qui ont
commencé à développer chez
Frank Thomas cette passion de la montagne et des
ascensions qui ont été une des
grandes joies de sa vie et qui ont le plus
contribué à le reposer de ses
travaux.
Tous les premiers jeudis du
mois, on
se réunissait aussi avec la famille de Frank
Coulin, qui était pasteur à Genthod,
tantôt chez les uns, tantôt chez les
autres. Les Thomas s'y rendaient en voiture. Cette
longue course au travers de la campagne genevoise
était une fête pour les enfants ;
on soupait tous ensemble et la réunion se
terminait par un culte. Les deux grandes cousines
de Genthod exerçaient beaucoup de prestige
sur leurs jeunes cousins Auguste et Frank et
contribuaient à rendre ces visites
captivantes. Mais il y avait surtout la noble
figure du pasteur Coulin, le parrain de Frank
Thomas, cet homme à la haute stature, au
coeur généreux, à la grande
éloquence, cet homme qu'on aurait pu appeler
le Bossuet de la chaire
protestante et qui, pour
rester
fidèle à la cure de Genthod, avait
refusé de brillantes situations. Il est fort
probable que son exemple et ses conseils ont
influé sur la vocation de son neveu. Il y
avait décidément beaucoup de ligne et
de valeur morale dans cette famille.
En 1874, Louis Thomas fut
nommé professeur de théologie
systématique à la faculté
évangélique de Genève. Ce fut
l'occasion d'un changement de domicile. Il quitta
la cure de Cologny et sa charge de pasteur et alla
s'établir dans une vieille et charmante
demeure familiale située non loin de
là, à Frontenex, où son
frère Auguste était installé
depuis quelques années. Cette maison datant
du XVIIIe siècle avait été
construite par Horace-Bénédict de
Saussure. La propriété qui l'entoure
est plantée de grands arbres et offre,
encore à l'heure qu'il est, l'aspect le plus
poétique. Cette proximité de logement
fut l'occasion d'un redoublement d'intimité,
soit entre les deux frères et les deux
belles-soeurs, soit entre leurs enfants. On se
voyait journellement et l'on apprit de plus en plus
à se connaître et à s'aimer. En
1879, Frank fit son instruction
religieuse avec son, père
par questions et réponses, méthode
bien différente de celles qui sont
employées aujourd'hui et il fut reçu
dans le temple de Cologny ; durant les
vacances d'été de 1880, il
séjourna en Allemagne, à Lutsnau
près Lichtenstein, pour apprendre
l'allemand.
Il écrivait alors à sa
cousine, Renée Coulin :
Chère
Renée,
Tu vois
d'après le haut de la page que je suis
à Lutsnau, à côté de ce
cher Horace (11) qui a
été extrêmement précieux
durant les premier jours d'exil ; et où
je ne sais absolument pas ce que j'aurais fait sans
lui. J'ai eu et j'ai encore un terrible heimweh.
Jamais je crois je n'ai autant souffert que pendant
cette première semaine, loin de ma patrie
bien-aimée, et je ne sais pas du tout
comment ça ira lundi quand mon cher Horace
sera loin. Comme il va être heureux, lui, de
retrouver les siens, sa famille, sa maison, son
Genthod, son église, son lac ! Mais
hélas cette joie sera mêlée de
tristesse à la pensée... de ses
examens. Ne peut-on donc jamais avoir de vraies
joies dans ce monde ? Je t'en supplie, si tu
en as le temps, écris-moi. Oh ! j'ai
besoin, très besoin, si tu savais, de savoir
qu'on pense à moi et surtout qu'on prie pour
moi. Je comprends très bien que cette
absence loin des miens est très
bonne, car ainsi
j'apprécierai bien plus mon
« home » et mes parents. C'est
un privilège qu'on perd complètement
de vue quand on en jouit toujours et
continuellement. Que de résolutions je vais
prendre !
Puissé-je les
tenir !
Durant ce premier séjour en
Allemagne, Frank Thomas concourut pour un prix de
composition française de l'Université
de Genève. Il obtint le 3me prix de 50 fr.
Son travail se compose de six courts récits,
dont les deux premiers sont de petites nouvelles,
(un conte de fées), et les autres, des
impressions et des souvenirs de voyage. Si le style
en est un peu lourd et s'ils ne témoignent
pas d'un grand talent littéraire, en
revanche ils ne manquent pas
d'intérêt. On y trouve de la
délicatesse de coeur, de l'observation, du
pittoresque, et un sentiment très vif des
beautés de la nature. Dédiés
à sa mère, ces récits durent
beaucoup la toucher car ils contiennent
d'indéniables qualités de coeur et
d'esprit.
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