La
SOUFFRANCE
- La souffrance
- Vient-elle de Dieu ?
-
« Père, si tu
voulais éloigner de moi cette
coupe ! toutefois, que ma volonté ne
se fasse pas, mais la
tienne. »
Luc, 22, 42.
« C'est ici votre
heure et la puissance des
ténèbres ».
Luc, 22, 53.
Parmi les nombreuses objections que l'on fait
à l'Évangile, et qui constituent un
obstacle sérieux à la conversion de
beaucoup, il faut signaler comme l'une des plus
importantes, la souffrance telle qu'elle
existe sous tant de formes
ici-bas et qu'il semble bien difficile, pour ne pas
dire impossible, de concilier avec l'idée
d'un Dieu d'amour et de bonté. Par
souffrance, je n'entends pas parler du mal moral,
du péché, qui évidemment ne
peut venir de Dieu. Sur ce point, la conscience est
catégorique, et c'est une des preuves les
plus authentiques de la vérité du
christianisme que la façon dont il
décharge le Dieu vivant de tout compromis
avec le mal moral.
Nous voulons plutôt parler de toutes
les manifestations du mal autres que le mal
moral : souffrance physique, souffrance
intellectuelle, désordre dans l'homme, dans
l'humanité et jusque dans la nature, et
surtout souffrance imméritée
provenant, par exemple, de la faute des parents, ou
de catastrophes survenant tout
à coup et entraînant pour des
innocents des douleurs dont ils ne peuvent pas
être rendus responsables.
La grosse question, qui se pose à
tout esprit non prévenu, est de savoir si
cette souffrance vient de Dieu, ou s'il faut lui
attribuer une autre origine. Dans un livre paru
tout récemment et qui a fait beaucoup de
bien, Adèle Kamm, on voit deux
âmes également pieuses passer l'une et
l'autre par des épreuves
mystérieuses, à bien des
égards révoltantes, et aboutir
à des conclusions diamétralement
opposées. Tandis que l'une attribue toutes
ses épreuves à Dieu, et les
considère comme un signe de la
miséricorde divine, l'autre, au contraire,
est persuadée que Dieu n'est pour rien
dans les siennes, et que, par
conséquent, il ne faut pas l'en rendre
responsable. Pour la première, la souffrance
est l'inspiratrice d'un admirable ministère
que Dieu lui a préparé lui-même
dans son amour ; pour la seconde, la
souffrance est une tentation suprême dont
il faut à tout prix
décharger Dieu, et à laquelle il est
de son devoir d'échapper dans la mesure du
possible.
Voilà ce qui
rend le problème si difficile à
résoudre, et pourtant notre coeur et notre
conscience, tout aussi bien que notre raison, ne
peuvent s'empêcher de soulever le voile du
mystère pour tâcher de le
comprendre.
Chose curieuse, la
parole de Dieu semble, dans beaucoup de ses pages,
se contredire sur ce point : tantôt elle
attribue à Dieu tout le
mal qui nous arrive, tantôt au contraire elle
en cherche la cause ailleurs. Elle fait dire
à Job, par exemple : « Quoi,
nous recevons de Dieu le bien et nous ne recevrions
pas le mal ! » (2,10) ; elle met dans la bouche de
Jérémie : « Qui dira
qu'une chose arrive sans que le Seigneur l'ait
ordonnée ? N'est-ce pas de la
volonté du Très-Haut que viennent les
maux et les biens ? Pourquoi l'homme vivant se
plaindrait-il ? Que chacun se plaigne de ses
propres péchés. »
(Lamentations 3, 38 et 39.) D'autre part, ce même
livre de Job nous raconte que les maux de cet homme
viennent tous de Satan, et dans la parabole de
l'ivraie, le propriétaire du champ
s'écrie : « C'est un ennemi
qui a fait cela. » (Matthieu
13, 28).
À cet
égard, les deux paroles de notre texte sont
particulièrement frappantes, puisqu'elles
sont l'une et l'autre de Jésus
lui-même, et qu'elles ont été
prononcées à un très court
intervalle. À Gethsémané,
Jésus laisse entendre que c'est la
volonté de son Père qu'il souffre, et
il le supplie de l'épargner si la chose est
possible, toutefois il ajoute :
« Que ma volonté ne se fasse pas
mais la tienne ; » donc c'est bien
Dieu qui veut ses souffrances. Peu après,
lorsqu'il rencontre les soldats et les huissiers
qui viennent l'arrêter, il semble ne plus du
tout croire que Dieu soit l'auteur de ses
souffrances, puisqu'il s'écrie :
« C'est ici votre heure et la puissance
des ténèbres, »
c'est-à-dire la puissance du
diable.
Que faut-il en
conclure ? Nous allons
essayer de le dire, autant
du moins que nous pouvons entrevoir une solution
à ce difficile problème. Nous
rappellerons d'abord l'idée ancienne, puis
nous indiquerons l'idée tout à fait
moderne, pour examiner enfin, s'il n'existe pas
quelque solution intermédiaire plus
satisfaisante.
Voici quel était l'ancien point de
vue, soutenu encore aujourd'hui par bien des gens.
Tout vient de Dieu, les maux comme les biens, la
souffrance comme le bonheur, ainsi que le
déclare notre premier texte. Dieu est
l'auteur de tout ; évidemment, nous ne
comprenons pas toujours ses voies, mais comme il
est sage, juste et bon, nous pouvons être
absolument certains qu'il ne se trompe pas, et
qu'il a pour agir comme il le fait d'excellentes
raisons : tôt ou tard
nous les connaîtrons, et
nous serons obligés de reconnaître la
sagesse de ses voies. En attendant, ce que nous
avons de mieux à faire c'est de nous
soumettre avec confiance, et même avec joie,
de croire fermement que les voies de Dieu sont des
voies d'amour et que « toutes choses
concourent ensemble au bien de ceux qui aiment
Dieu. »
(Romain 8, 28.)
C'est cette conviction qui a soutenu nos
pères dans les heures les plus sombres de
leur vie ; c'est elle qui a soutenu la plupart
des martyrs de tous les temps, et il faut
reconnaître qu'elle renferme une force, un
secours extraordinaire : pourquoi nous faire
du souci, pourquoi nous tourmenter, nous agiter, si
vraiment Dieu a voulu tout ce qui nous
arrive ? Ce que nous pouvons
faire de mieux, c'est d'accepter
même les pires souffrances, en
découvrant partout la main et la
volonté d'un Dieu de miséricorde. On
comprend qu'avec une conviction pareille, les
croyants aient été souvent de
véritables héros, surtout lorsque
l'injustice des hommes elle-même était
envisagée comme voulue de Dieu.
Je me rappelle avoir eu à ce sujet,
une conversation bien typique avec le pieux Zeller
de Männedorf. Il avait vu son oeuvre
entravée par la jalousie de certains
hommes ; le bien qu'il s'était
efforcé de faire avait été
compromis par leurs machinations. Comme je lui
entendais dire que c'était la volonté
de Dieu, je me permis de lui objecter que Dieu
n'avait pourtant pas pu vouloir cette
jalousie ; il me répondit par la parole
de Joseph à ses
frères : « Je suis Joseph,
votre frère, que vous avez vendu pour
être mené en Egypte. Maintenant ne
vous affligez pas et ne soyez pas
fâchés de m'avoir vendu pour
être conduit ici, car c'est pour vous sauver
la vie que Dieu m'a envoyé devant vous....
Dieu m'a envoyé devant vous pour vous faire
subsister dans le pays et vous faire vivre par une
grande délivrance. Ce n'est donc pas vous
qui m'avez envoyé ici, mais c'est
Dieu. »
(Genèse 45, 4-8.) Et Zeller se
consolait en répétant sans
cesse : « C'est Dieu qui l'a voulu,
c'est Dieu qui l'a voulu ! » et il
en donnait pour preuve la nouvelle activité
qu'il avait pu exercer, après ses
déboires, en vue de
l'évangélisation de la ville de
Zurich.
Eh bien, malgré ce qu'a de touchant
une conviction pareille, quelle
que soit la force qu'elle ait pu, dans certaines
occasions, communiquer aux hommes de Dieu, notre
conscience moderne ne nous permet plus de la
maintenir. C'est précisément parce
que beaucoup ont déclaré qu'elle
était la vérité et se sont
efforcés d'y amener les autres, que tant de
gens se sont détournés d'un Dieu qui
leur paraît en contradiction absolue avec les
exigences de leur conscience. À ceux qui
soutiennent encore ce point de vue, je voudrais
faire visiter des malades en détresse, des
patients couchés depuis de longues
années sur un lit de torture, je voudrais
les conduire auprès des parents auxquels la
mort a arraché sans pitié un enfant
tendrement aimé, ils verraient alors
à quel point il est difficile, pour
ne pas dire impossible, de dire
à ceux qui se trouvent dans de semblables
détresses que c'est un Dieu d'amour, un Dieu
paternel qui les y a plongés. J'ai
l'impression bien nette qu'ils n'oseraient pas dire
cela à ces malheureux, car ces paroles leur
sembleraient un blasphème.
Au reste, il faut bien qu'ils ne soient pas
si sûrs d'être dans la
vérité puisque, d'ordinaire, ces
mêmes chrétiens font tout pour
échapper à la souffrance. Beaucoup
d'entre eux savent très bien se soigner ou
se faire soigner le mieux possible ; ils ne
craignent pas de consulter maints docteurs, de
faire de nombreuses cures, et s'ils doivent subir
quelque opération, d'employer les plus
sûrs des anesthésiques pour endormir
la douleur, tant ils sont
persuadés qu'elle est un
mal et un mal qu'il faut fuir à tout prix.
J'avoue ne pas très bien comprendre la
logique de leur raisonnement, car si la souffrance
vient de Dieu, pourquoi la fuir ? Pourquoi ne
pas au contraire aller au-devant d'elle avec
courage ? Jésus, lui, pour faire la
volonté de Dieu, n'a reculé ni devant
la souffrance à Gethsémané, ni
devant la croix. Il a même refusé la
boisson enivrante qu'on lui offrait avant de le
crucifier : pourquoi ne pas suivre
résolument ses traces ?
Oh ! soyez tranquille, je ne fais pas
un crime à ces chrétiens d'agir
ainsi ; je les comprends trop pour cela, car
je sais à quel point nous éprouvons
le besoin d'échapper à la douleur.
Mais j'en conclus qu'il ne faut pas la
considérer comme
l'expression de la volonté
de Dieu, autrement la fuir, se révolter
contre elle, serait tout simplement de
l'impiété.
Il y a plus et mieux encore : ceux qui
soutiennent cette manière de voir sont
généralement des croyants très
convaincus, ils acceptent sans en rien retrancher
les récits évangéliques et
l'oeuvre admirable du Sauveur. Or, comment ne
voient-ils pas que cette oeuvre a
précisément consisté à
détruire le mal et la souffrance sous toutes
ses faces, en guérissant les innombrables
malades qui venaient à lui, en ressuscitant
des morts, en nourrissant des multitudes
affamées, en apaisant la tempête pour
prévenir un naufrage, etc. ? Si tous
ces maux étaient l'expression de la
volonté de Dieu, comment, lui, le Fils
obéissant qui trouvait
« sa nourriture
à faire la volonté de son
Père, » aurait-il passé son
temps à la combattre en les faisant
disparaître ? Quand Jean nous dit que
« Christ a paru pour détruire les
oeuvres du diable » (Jean 3, 8), ne
résume-t-il pas d'un mot bien fort toute la
vie d'obéissance de son divin Maître,
et ne nous laisse-t-il pas entendre que
détruire le mal sous toutes ses formes
c'était précisément
obéir à Dieu ? Il me semble
impossible de prétendre que Dieu veut la
souffrance quand on croit réellement
à l'oeuvre de Jésus-Christ telle que
les Évangiles nous la décrivent.
Faut-il alors tomber dans l'autre
extrême, et adopter le point de vue
très moderne de ne jamais voir Dieu dans la
souffrance, et par conséquent de ne pas l'en
rendre responsable ? Je ne le crois pas non
plus. Car s'il en était
ainsi, il me semble que le chrétien serait
singulièrement désarmé,
impuissant en face de la souffrance. Il doit
être dur en effet de se dire que, dans tout
ce qui nous arrive de fâcheux, Dieu n'est
pour rien, soit qu'il l'ignore, soit qu'il n'ait
pas assez de puissance pour l'empêcher. S'il
l'ignore, comment croire encore à toute sa
science ? Est-il encore Dieu ? S'il est
impuissant, il me semble qu'il mérite encore
moins le nom de Dieu, car alors il y a quelqu'un ou
quelque chose de plus puissant que lui, à
moins qu'il ne soit un Dieu qui se forme peu
à peu, le Dieu qui devient de
certains philosophes, et non le Dieu qui existe de
toute éternité : mais cela ne
fait que reculer le problème et le rendre
plus insoluble encore.
Je sais bien qu'aujourd'hui on essaye de
résoudre la difficulté en niant la
réalité de la souffrance ; comme
il fallait choisir entre elle et Dieu, et que l'on
ne voulait pas nier Dieu, on a
préféré affirmer que la
souffrance n'est qu'une illusion à laquelle
nous donnons une réalité quand nous
croyons en elle, mais qui disparaît dans la
mesure où nous nions sa
réalité ; théorie
spécieuse qui peut sembler satisfaisante
à quelques-uns, mais qui révolte et
révoltera toujours ceux qui souffrent,
surtout lorsqu'il s'agit des souffrances des
autres.
Je reconnais sans peine qu'à bien des
égards cette manière d'envisager la
souffrance satisfait, jusqu'à un certain
point, la conscience et surtout le coeur, car elle
décharge le Dieu d'amour de la
responsabilité qui pesait
sur lui ; or, beaucoup prétendent que
c'est dans la mesure où ils ont pu
décharger Dieu qu'ils ont commencé
à croire en lui. Je reconnais, d'autre part,
qu'il y a dans cette idée une certaine
force, puisque je devrais combattre d'autant plus
la souffrance que je la croirais moins voulue de
Dieu. Je trouverais donc, dans cette conviction, un
stimulant et de fortes raisons pour m'opposer
énergiquement à la souffrance, et
pour la faire disparaître partout où
je la rencontrerais.
Mais, d'autre part, est-ce que je ne risque
pas d'être écrasé, tout au
moins paralysé par cette souffrance que Dieu
n'a pas la force ou pas la volonté de faire
disparaître ? Puis-je encore invoquer
Dieu, compter sur son secours, chercher en lui mon
refuge, ma forteresse ?
Puis-je espérer un soulagement à mes
maux ? J'ai peur que non. Ne voir dans la
souffrance que l'effet du hasard, des
circonstances, de la volonté du prince de ce
monde, ou de l'impuissance de Dieu, cela ne peut,
en fin de compte, satisfaire une conscience
exigeante. Qu'il y ait momentanément une
certaine satisfaction dans cette absence de
l'intervention de Dieu, c'est possible, mais ce
n'est pas sûr ; et en tout cas, je
crains fort qu'après le soulagement
éprouvé, il n'y ait des troubles et
des détresses risquant d'amener le
désespoir. Quand Jésus a dit à
ses ennemis : « C'est ici votre
heure et la puissance des
ténèbres », il n'a pas pu
faire abstraction de Dieu ; il devait penser
qu'à cette heure suprême si ce
n'était pas Dieu qui le
torturait, ce Dieu n'était
cependant pas absent, et qu'en souffrant
c'était bien la volonté du
Père qu'il s'efforçait
d'accomplir.
Ceci nous amène à une
troisième conception de la souffrance qui
serait une sorte de synthèse ou de
conciliation entre les deux autres. Sur ce point,
comme sur tant d'autres, les contradictions de la
Bible trouvent leur solution dans une notion plus
profonde, et souvent aussi plus pratique, de la
vérité. Quelle est-elle cette
solution intermédiaire ? Dieu ne vent
pas la souffrance, mais il la permet, et il la
permet pour de bonnes raisons que nous aurons
l'occasion d'examiner plus loin. Ce n'est pas lui
qui est responsable, c'est nous, plus ou moins
directement, et d'autres avec nous. Dieu n'a fait
que nous laisser suivre notre
volonté, parce qu'il
voulait que nous fussions des êtres
libres.
On objecte, il est vrai, que permettre c'est
vouloir, et que dire : Dieu permet c'est
exactement comme si l'on disait Dieu veut. Je ne le
crois pas. Il me semble au contraire qu'il y a une
grande différence entre permettre et
vouloir ; je puis permettre à mon
enfant de me désobéir et de s'attirer
des souffrances qui seront la suite logique de sa
désobéissance sans que je le veuille.
Dans ce cas, c'est sa volonté qui se
substitue à la mienne, et j'y consens,
précisément parce que je respecte
cette volonté et que, la respectant, je lui
laisse la liberté de se manifester ;
mais les conséquences qui en
résulteront seront, en quelque sorte,
permises sans être voulues par moi.
Ce qui est certain, ce qui ressort
clairement de la Bible, et de la Bible tout
entière, c'est que Dieu ne lâche pas
l'enfant qui, par sa faute, s'est attiré des
maux ; au contraire, il est là,
d'autant plus près de son enfant que
celui-ci souffre davantage, car il en a
pitié, et cette pitié lui inspire
encore plus d'amour et de tendresse que si l'enfant
était parfaitement heureux. J'en appelle
à l'expérience de toutes les
mères : quand un de leurs enfants est
malade ou chétif, ou en état de
chute, n'est-ce pas lui qui attire toutes les
forces vives de leur coeur et de leur
intelligence ? Ne sont-elles pas prêtes
à laisser tous les autres pour s'occuper
avant tout de celui qui souffre ? Non qu'elles
négligent ou oublient les autres, ni surtout
qu'ils leur soient indifférents, mais
elles s'occupent avant tout de
celui qui a le plus besoin de leurs soins et de
leur amour.
N'en est-il pas ainsi de Dieu, de ce Dieu
qui s'est révélé à nous
comme un Père, qui a créé le
coeur du père et de la mère, et l'a
rempli, sans aucun doute, de ce qui remplit son
coeur à lui ? « Une
mère oublie-t-elle l'enfant qu'elle
allaite ? Quand elle l'oublierait, moi je ne
t'oublierai pas. »
(Esaïe 49, 15.) Si vous, qui
êtes mauvais, vous savez donner de bonnes
choses à vos enfants, à combien plus
forte raison votre Père céleste
donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les
lui demandent. »
(Matthieu 7, 11.)
Notre coeur nous crie qu'il en est, qu'il en
doit être ainsi ; il y a là une
évidence morale qui se montre plus qu'elle
ne se démontre, et si nous
en doutions, nous n'aurions qu'à nous
rappeler ce qui s'est passé dans l'histoire
de la révélation, avec quelle
compassion Dieu a suivi son peuple, et chacun de
ses serviteurs en particulier, aux heures les plus
sombres, surtout à ces heures-là. Et
quand le révélateur parfait de Dieu
fut venu sur la terre, quand Jésus-Christ
fut descendu au milieu des hommes, près de
qui le trouvons-nous de préférence,
sinon près de ceux qui souffrent, qui
pleurent ou sont dans la détresse ?
Pendant la fête si joyeuse des Pourim,
au cours de laquelle on se faisait des cadeaux,
où le trouvons-nous si ce n'est à la
piscine de Béthesda, c'est-à-dire
là où l'on souffre, et sur qui se
penche-t-il avec le plus d'amour si ce n'est sur
celui qui souffre le plus, le
paralytique couché depuis
38 ans et « qui n'avait
personne ? »
(Jean 5, 7.) Tant il est vrai que le
Dieu de l'Évangile se trouve de
préférence là où l'on
souffre ; c'est le lieu qu'il habite, j'allais
dire le lieu très saint qu'il remplit de sa
bienfaisante présence, et plus on souffre,
plus il est là, non pas encore une fois
parce qu'il se plaît à voir ou
à faire souffrir, mais au contraire parce
qu'il a pitié de ceux qui souffrent, et
qu'il veut les soutenir dans la souffrance, en
attendant de les en délivrer.
Je connais peu de pensées plus
saisissantes, plus consolantes et qui poussent
davantage à l'action que celle-ci :
Dieu est de préférence là
où l'on souffre, et il est d'autant plus
présent, il manifeste d'autant plus sa
présence que l'on souffre davantage.
« Ainsi parle le Très-Haut
dont la demeure est éternelle et dont le nom
est saint. J'habite dans les lieux
élevés et dans la sainteté,
mais je suis avec l'homme contrit et
humilié, afin de ramener les esprits
humiliés, afin de ranimer les coeurs
contrits. J'ai vu ses voies et je le
guérirai, je lui servirai de guide, et je le
consolerai, lui et ceux qui pleurent avec lui.
(Esaïe 57, 15-18.) Consolez mon
peuple, dit votre Dieu. Parlez au coeur de
Jérusalem et criez-lui que sa servitude est
finie, que son iniquité, est expiée.
Une voix crie : Préparez au
désert le chemin de l'Éternel,
aplanissez dans les lieux arides une route pour
notre Dieu. Alors la gloire de l'Éternel
sera révélée, et au même
instant toute chair saura que la bouche de
l'Éternel a parlé. »
(40, 1-5.)
Lorsque Jésus, descendu sur la terre,
voulut accomplir cette parole de l'ancienne
alliance, il s'efforça de manifester partout
la présence de Dieu, mais très
spécialement auprès de ceux qui
souffraient, et tout son ministère put se
résumer dans ces admirables paroles :
« Voyant la foule, il fut ému de
compassion pour elle, parce qu'elle était
languissante et abattue, comme des brebis qui n'ont
point de berger.
(Matthieu 9, 36.) Venez à moi,
vous tous qui êtes fatigués et
chargés, et je vous donnerai du
repos. »
(11, 28.)
Il est une heure, l'heure dont il dit
à ses ennemis : « C'est votre
heure, » où nous constatons la
vérité profonde de la thèse
que nous venons de soutenir, c'est l'heure de
Golgotha. Qui est le véritable auteur de
ce drame ? Qui a
dressé la croix, tressé la couronne
d'épines, mis aux mains de Jésus le
sceptre de roseau, qui a abreuvé d'amertume,
après l'avoir couvert de crachats, le Fils
de l'homme devenu l'homme de douleur ? On
répondait autrefois sans
hésiter : Dieu et Dieu seul, preuve en
soit cette parole de l'Évangile :
« Cela arriva afin que s'accomplît
cette parole de l'Écriture : Ils se
sont partagé mes vêtements, et ils ont
tiré au sort ma tunique. Après cela,
Jésus qui savait que tout était
consommé, dit, afin que l'Écriture
fut accomplie : J'ai soif
(Jean 19, 24 et
28). Père, si tu voulais
éloigner de moi cette coupe !
Toutefois, que ma volonté ne se fasse pas,
mais la tienne. » Nous répondons
hardiment avec Jésus lui-même :
la puissance des
ténèbres, c'est-à-dire le
diable. La croix est le chef-d'oeuvre du diable,
l'heure où il a paru triompher sur toute la
ligne. Mais nous ajoutons immédiatement, et
c'est là le mystère insondable de la
croix, qui est un mystère d'amour :
Dieu a transformé l'oeuvre du diable, qui
est un chef-d'oeuvre de haine, et il en a fait son
oeuvre, un chef-d'oeuvre d'amour ; il a pris
son adversaire dans ses propres filets, et il s'est
servi de sa victoire pour le vaincre à
toujours. Ce n'est donc pas Dieu qui a voulu la
mort du Saint et du Juste, il l'a seulement
permise, se réservant, une fois que le mal
aurait produit tous ses fruits amers, d'intervenir
à son tour, et de faire du bois maudit un
instrument de salut et de bénédiction
pour tous les hommes. « Quand j'aurai
été élevé
de la terre sur la croix,
j'attirerai tous les hommes à
moi. »
(Jean 12, 32.)
C'est au pied de la croix, qu'il faut
chercher la solution du problème que nous
venons d'examiner, de cette croix dont Vinet a dit
si justement qu' « elle est le plus
insondable des mystères, et en même
temps celui qui jette de la lumière sur tous
nos mystères. » C'est là,
et pas ailleurs, que nous apprendrons à
souffrir sans révolte et sans amertume,
parce que, si c'est là que nous
découvrons le mieux l'abîme du
péché et de ses conséquences,
c'est aussi là que nous pouvons contempler
la cime éblouissante de l'amour du Dieu
Rédempteur. Au pied de la croix nous
apprenons à souffrir, parce que nous
apprenons a nous taire dans
l'adoration et la contemplation du Dieu qui est
lui-même engagé dans nos souffrances,
comme nous, plus que nous, et qui veut nous en
guérir. « Dieu était en
Christ réconciliant le monde avec
lui-même. »
(2 Corinthiens 5, 19.)
- Toi, dont l'âme
est tourmentée
- Aux approches de la
mort,
- Toi, dont la nef
ballottée
- Ne sait où
trouver le port.
- Regarde à travers
tes larmes
- Ce phare qui tant de
fois
- A brillé dans tes
alarmes
- C'est la
croix !
-
- Sur la croix où
Christ expire,
- La mort succombe avec
lui
- C'en est fait de son
empire,
- Le jour de la vie a
lui !
- Péchés,
doutes et souffrances
- Demeurent cloués
au bois
- 0 sublime
délivrance
- De la croix !
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