Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



La SOUFFRANCE


La souffrance
Vient-elle de Dieu ?
 

« Père, si tu voulais éloigner de moi cette coupe ! toutefois, que ma volonté ne se fasse pas, mais la tienne. » Luc, 22, 42.

« C'est ici votre heure et la puissance des ténèbres ». Luc, 22, 53.

Parmi les nombreuses objections que l'on fait à l'Évangile, et qui constituent un obstacle sérieux à la conversion de beaucoup, il faut signaler comme l'une des plus importantes, la souffrance telle qu'elle existe sous tant de formes ici-bas et qu'il semble bien difficile, pour ne pas dire impossible, de concilier avec l'idée d'un Dieu d'amour et de bonté. Par souffrance, je n'entends pas parler du mal moral, du péché, qui évidemment ne peut venir de Dieu. Sur ce point, la conscience est catégorique, et c'est une des preuves les plus authentiques de la vérité du christianisme que la façon dont il décharge le Dieu vivant de tout compromis avec le mal moral.

Nous voulons plutôt parler de toutes les manifestations du mal autres que le mal moral : souffrance physique, souffrance intellectuelle, désordre dans l'homme, dans l'humanité et jusque dans la nature, et surtout souffrance imméritée provenant, par exemple, de la faute des parents, ou de catastrophes survenant tout à coup et entraînant pour des innocents des douleurs dont ils ne peuvent pas être rendus responsables.

La grosse question, qui se pose à tout esprit non prévenu, est de savoir si cette souffrance vient de Dieu, ou s'il faut lui attribuer une autre origine. Dans un livre paru tout récemment et qui a fait beaucoup de bien, Adèle Kamm, on voit deux âmes également pieuses passer l'une et l'autre par des épreuves mystérieuses, à bien des égards révoltantes, et aboutir à des conclusions diamétralement opposées. Tandis que l'une attribue toutes ses épreuves à Dieu, et les considère comme un signe de la miséricorde divine, l'autre, au contraire, est persuadée que Dieu n'est pour rien dans les siennes, et que, par conséquent, il ne faut pas l'en rendre responsable. Pour la première, la souffrance est l'inspiratrice d'un admirable ministère que Dieu lui a préparé lui-même dans son amour ; pour la seconde, la souffrance est une tentation suprême dont il faut à tout prix décharger Dieu, et à laquelle il est de son devoir d'échapper dans la mesure du possible.

Voilà ce qui rend le problème si difficile à résoudre, et pourtant notre coeur et notre conscience, tout aussi bien que notre raison, ne peuvent s'empêcher de soulever le voile du mystère pour tâcher de le comprendre.

Chose curieuse, la parole de Dieu semble, dans beaucoup de ses pages, se contredire sur ce point : tantôt elle attribue à Dieu tout le mal qui nous arrive, tantôt au contraire elle en cherche la cause ailleurs. Elle fait dire à Job, par exemple : « Quoi, nous recevons de Dieu le bien et nous ne recevrions pas le mal ! » (2,10) ; elle met dans la bouche de Jérémie : « Qui dira qu'une chose arrive sans que le Seigneur l'ait ordonnée ? N'est-ce pas de la volonté du Très-Haut que viennent les maux et les biens ? Pourquoi l'homme vivant se plaindrait-il ? Que chacun se plaigne de ses propres péchés. » (Lamentations 3, 38 et 39.) D'autre part, ce même livre de Job nous raconte que les maux de cet homme viennent tous de Satan, et dans la parabole de l'ivraie, le propriétaire du champ s'écrie : « C'est un ennemi qui a fait cela. » (Matthieu 13, 28).

À cet égard, les deux paroles de notre texte sont particulièrement frappantes, puisqu'elles sont l'une et l'autre de Jésus lui-même, et qu'elles ont été prononcées à un très court intervalle. À Gethsémané, Jésus laisse entendre que c'est la volonté de son Père qu'il souffre, et il le supplie de l'épargner si la chose est possible, toutefois il ajoute : « Que ma volonté ne se fasse pas mais la tienne ; » donc c'est bien Dieu qui veut ses souffrances. Peu après, lorsqu'il rencontre les soldats et les huissiers qui viennent l'arrêter, il semble ne plus du tout croire que Dieu soit l'auteur de ses souffrances, puisqu'il s'écrie : « C'est ici votre heure et la puissance des ténèbres, » c'est-à-dire la puissance du diable.

Que faut-il en conclure ? Nous allons essayer de le dire, autant du moins que nous pouvons entrevoir une solution à ce difficile problème. Nous rappellerons d'abord l'idée ancienne, puis nous indiquerons l'idée tout à fait moderne, pour examiner enfin, s'il n'existe pas quelque solution intermédiaire plus satisfaisante.

Voici quel était l'ancien point de vue, soutenu encore aujourd'hui par bien des gens. Tout vient de Dieu, les maux comme les biens, la souffrance comme le bonheur, ainsi que le déclare notre premier texte. Dieu est l'auteur de tout ; évidemment, nous ne comprenons pas toujours ses voies, mais comme il est sage, juste et bon, nous pouvons être absolument certains qu'il ne se trompe pas, et qu'il a pour agir comme il le fait d'excellentes raisons : tôt ou tard nous les connaîtrons, et nous serons obligés de reconnaître la sagesse de ses voies. En attendant, ce que nous avons de mieux à faire c'est de nous soumettre avec confiance, et même avec joie, de croire fermement que les voies de Dieu sont des voies d'amour et que « toutes choses concourent ensemble au bien de ceux qui aiment Dieu. » (Romain 8, 28.)

C'est cette conviction qui a soutenu nos pères dans les heures les plus sombres de leur vie ; c'est elle qui a soutenu la plupart des martyrs de tous les temps, et il faut reconnaître qu'elle renferme une force, un secours extraordinaire : pourquoi nous faire du souci, pourquoi nous tourmenter, nous agiter, si vraiment Dieu a voulu tout ce qui nous arrive ? Ce que nous pouvons faire de mieux, c'est d'accepter même les pires souffrances, en découvrant partout la main et la volonté d'un Dieu de miséricorde. On comprend qu'avec une conviction pareille, les croyants aient été souvent de véritables héros, surtout lorsque l'injustice des hommes elle-même était envisagée comme voulue de Dieu.

Je me rappelle avoir eu à ce sujet, une conversation bien typique avec le pieux Zeller de Männedorf. Il avait vu son oeuvre entravée par la jalousie de certains hommes ; le bien qu'il s'était efforcé de faire avait été compromis par leurs machinations. Comme je lui entendais dire que c'était la volonté de Dieu, je me permis de lui objecter que Dieu n'avait pourtant pas pu vouloir cette jalousie ; il me répondit par la parole de Joseph à ses frères : « Je suis Joseph, votre frère, que vous avez vendu pour être mené en Egypte. Maintenant ne vous affligez pas et ne soyez pas fâchés de m'avoir vendu pour être conduit ici, car c'est pour vous sauver la vie que Dieu m'a envoyé devant vous.... Dieu m'a envoyé devant vous pour vous faire subsister dans le pays et vous faire vivre par une grande délivrance. Ce n'est donc pas vous qui m'avez envoyé ici, mais c'est Dieu. » (Genèse 45, 4-8.) Et Zeller se consolait en répétant sans cesse : « C'est Dieu qui l'a voulu, c'est Dieu qui l'a voulu ! » et il en donnait pour preuve la nouvelle activité qu'il avait pu exercer, après ses déboires, en vue de l'évangélisation de la ville de Zurich.

Eh bien, malgré ce qu'a de touchant une conviction pareille, quelle que soit la force qu'elle ait pu, dans certaines occasions, communiquer aux hommes de Dieu, notre conscience moderne ne nous permet plus de la maintenir. C'est précisément parce que beaucoup ont déclaré qu'elle était la vérité et se sont efforcés d'y amener les autres, que tant de gens se sont détournés d'un Dieu qui leur paraît en contradiction absolue avec les exigences de leur conscience. À ceux qui soutiennent encore ce point de vue, je voudrais faire visiter des malades en détresse, des patients couchés depuis de longues années sur un lit de torture, je voudrais les conduire auprès des parents auxquels la mort a arraché sans pitié un enfant tendrement aimé, ils verraient alors à quel point il est difficile, pour ne pas dire impossible, de dire à ceux qui se trouvent dans de semblables détresses que c'est un Dieu d'amour, un Dieu paternel qui les y a plongés. J'ai l'impression bien nette qu'ils n'oseraient pas dire cela à ces malheureux, car ces paroles leur sembleraient un blasphème.

Au reste, il faut bien qu'ils ne soient pas si sûrs d'être dans la vérité puisque, d'ordinaire, ces mêmes chrétiens font tout pour échapper à la souffrance. Beaucoup d'entre eux savent très bien se soigner ou se faire soigner le mieux possible ; ils ne craignent pas de consulter maints docteurs, de faire de nombreuses cures, et s'ils doivent subir quelque opération, d'employer les plus sûrs des anesthésiques pour endormir la douleur, tant ils sont persuadés qu'elle est un mal et un mal qu'il faut fuir à tout prix. J'avoue ne pas très bien comprendre la logique de leur raisonnement, car si la souffrance vient de Dieu, pourquoi la fuir ? Pourquoi ne pas au contraire aller au-devant d'elle avec courage ? Jésus, lui, pour faire la volonté de Dieu, n'a reculé ni devant la souffrance à Gethsémané, ni devant la croix. Il a même refusé la boisson enivrante qu'on lui offrait avant de le crucifier : pourquoi ne pas suivre résolument ses traces ?

Oh ! soyez tranquille, je ne fais pas un crime à ces chrétiens d'agir ainsi ; je les comprends trop pour cela, car je sais à quel point nous éprouvons le besoin d'échapper à la douleur. Mais j'en conclus qu'il ne faut pas la considérer comme l'expression de la volonté de Dieu, autrement la fuir, se révolter contre elle, serait tout simplement de l'impiété.

Il y a plus et mieux encore : ceux qui soutiennent cette manière de voir sont généralement des croyants très convaincus, ils acceptent sans en rien retrancher les récits évangéliques et l'oeuvre admirable du Sauveur. Or, comment ne voient-ils pas que cette oeuvre a précisément consisté à détruire le mal et la souffrance sous toutes ses faces, en guérissant les innombrables malades qui venaient à lui, en ressuscitant des morts, en nourrissant des multitudes affamées, en apaisant la tempête pour prévenir un naufrage, etc. ? Si tous ces maux étaient l'expression de la volonté de Dieu, comment, lui, le Fils obéissant qui trouvait « sa nourriture à faire la volonté de son Père, » aurait-il passé son temps à la combattre en les faisant disparaître ? Quand Jean nous dit que « Christ a paru pour détruire les oeuvres du diable » (Jean 3, 8), ne résume-t-il pas d'un mot bien fort toute la vie d'obéissance de son divin Maître, et ne nous laisse-t-il pas entendre que détruire le mal sous toutes ses formes c'était précisément obéir à Dieu ? Il me semble impossible de prétendre que Dieu veut la souffrance quand on croit réellement à l'oeuvre de Jésus-Christ telle que les Évangiles nous la décrivent.

Faut-il alors tomber dans l'autre extrême, et adopter le point de vue très moderne de ne jamais voir Dieu dans la souffrance, et par conséquent de ne pas l'en rendre responsable ? Je ne le crois pas non plus. Car s'il en était ainsi, il me semble que le chrétien serait singulièrement désarmé, impuissant en face de la souffrance. Il doit être dur en effet de se dire que, dans tout ce qui nous arrive de fâcheux, Dieu n'est pour rien, soit qu'il l'ignore, soit qu'il n'ait pas assez de puissance pour l'empêcher. S'il l'ignore, comment croire encore à toute sa science ? Est-il encore Dieu ? S'il est impuissant, il me semble qu'il mérite encore moins le nom de Dieu, car alors il y a quelqu'un ou quelque chose de plus puissant que lui, à moins qu'il ne soit un Dieu qui se forme peu à peu, le Dieu qui devient de certains philosophes, et non le Dieu qui existe de toute éternité : mais cela ne fait que reculer le problème et le rendre plus insoluble encore.

Je sais bien qu'aujourd'hui on essaye de résoudre la difficulté en niant la réalité de la souffrance ; comme il fallait choisir entre elle et Dieu, et que l'on ne voulait pas nier Dieu, on a préféré affirmer que la souffrance n'est qu'une illusion à laquelle nous donnons une réalité quand nous croyons en elle, mais qui disparaît dans la mesure où nous nions sa réalité ; théorie spécieuse qui peut sembler satisfaisante à quelques-uns, mais qui révolte et révoltera toujours ceux qui souffrent, surtout lorsqu'il s'agit des souffrances des autres.

Je reconnais sans peine qu'à bien des égards cette manière d'envisager la souffrance satisfait, jusqu'à un certain point, la conscience et surtout le coeur, car elle décharge le Dieu d'amour de la responsabilité qui pesait sur lui ; or, beaucoup prétendent que c'est dans la mesure où ils ont pu décharger Dieu qu'ils ont commencé à croire en lui. Je reconnais, d'autre part, qu'il y a dans cette idée une certaine force, puisque je devrais combattre d'autant plus la souffrance que je la croirais moins voulue de Dieu. Je trouverais donc, dans cette conviction, un stimulant et de fortes raisons pour m'opposer énergiquement à la souffrance, et pour la faire disparaître partout où je la rencontrerais.

Mais, d'autre part, est-ce que je ne risque pas d'être écrasé, tout au moins paralysé par cette souffrance que Dieu n'a pas la force ou pas la volonté de faire disparaître ? Puis-je encore invoquer Dieu, compter sur son secours, chercher en lui mon refuge, ma forteresse ? Puis-je espérer un soulagement à mes maux ? J'ai peur que non. Ne voir dans la souffrance que l'effet du hasard, des circonstances, de la volonté du prince de ce monde, ou de l'impuissance de Dieu, cela ne peut, en fin de compte, satisfaire une conscience exigeante. Qu'il y ait momentanément une certaine satisfaction dans cette absence de l'intervention de Dieu, c'est possible, mais ce n'est pas sûr ; et en tout cas, je crains fort qu'après le soulagement éprouvé, il n'y ait des troubles et des détresses risquant d'amener le désespoir. Quand Jésus a dit à ses ennemis : « C'est ici votre heure et la puissance des ténèbres », il n'a pas pu faire abstraction de Dieu ; il devait penser qu'à cette heure suprême si ce n'était pas Dieu qui le torturait, ce Dieu n'était cependant pas absent, et qu'en souffrant c'était bien la volonté du Père qu'il s'efforçait d'accomplir.

Ceci nous amène à une troisième conception de la souffrance qui serait une sorte de synthèse ou de conciliation entre les deux autres. Sur ce point, comme sur tant d'autres, les contradictions de la Bible trouvent leur solution dans une notion plus profonde, et souvent aussi plus pratique, de la vérité. Quelle est-elle cette solution intermédiaire ? Dieu ne vent pas la souffrance, mais il la permet, et il la permet pour de bonnes raisons que nous aurons l'occasion d'examiner plus loin. Ce n'est pas lui qui est responsable, c'est nous, plus ou moins directement, et d'autres avec nous. Dieu n'a fait que nous laisser suivre notre volonté, parce qu'il voulait que nous fussions des êtres libres.

On objecte, il est vrai, que permettre c'est vouloir, et que dire : Dieu permet c'est exactement comme si l'on disait Dieu veut. Je ne le crois pas. Il me semble au contraire qu'il y a une grande différence entre permettre et vouloir ; je puis permettre à mon enfant de me désobéir et de s'attirer des souffrances qui seront la suite logique de sa désobéissance sans que je le veuille. Dans ce cas, c'est sa volonté qui se substitue à la mienne, et j'y consens, précisément parce que je respecte cette volonté et que, la respectant, je lui laisse la liberté de se manifester ; mais les conséquences qui en résulteront seront, en quelque sorte, permises sans être voulues par moi.

Ce qui est certain, ce qui ressort clairement de la Bible, et de la Bible tout entière, c'est que Dieu ne lâche pas l'enfant qui, par sa faute, s'est attiré des maux ; au contraire, il est là, d'autant plus près de son enfant que celui-ci souffre davantage, car il en a pitié, et cette pitié lui inspire encore plus d'amour et de tendresse que si l'enfant était parfaitement heureux. J'en appelle à l'expérience de toutes les mères : quand un de leurs enfants est malade ou chétif, ou en état de chute, n'est-ce pas lui qui attire toutes les forces vives de leur coeur et de leur intelligence ? Ne sont-elles pas prêtes à laisser tous les autres pour s'occuper avant tout de celui qui souffre ? Non qu'elles négligent ou oublient les autres, ni surtout qu'ils leur soient indifférents, mais elles s'occupent avant tout de celui qui a le plus besoin de leurs soins et de leur amour.

N'en est-il pas ainsi de Dieu, de ce Dieu qui s'est révélé à nous comme un Père, qui a créé le coeur du père et de la mère, et l'a rempli, sans aucun doute, de ce qui remplit son coeur à lui ? « Une mère oublie-t-elle l'enfant qu'elle allaite ? Quand elle l'oublierait, moi je ne t'oublierai pas. » (Esaïe 49, 15.) Si vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison votre Père céleste donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent. » (Matthieu 7, 11.)

Notre coeur nous crie qu'il en est, qu'il en doit être ainsi ; il y a là une évidence morale qui se montre plus qu'elle ne se démontre, et si nous en doutions, nous n'aurions qu'à nous rappeler ce qui s'est passé dans l'histoire de la révélation, avec quelle compassion Dieu a suivi son peuple, et chacun de ses serviteurs en particulier, aux heures les plus sombres, surtout à ces heures-là. Et quand le révélateur parfait de Dieu fut venu sur la terre, quand Jésus-Christ fut descendu au milieu des hommes, près de qui le trouvons-nous de préférence, sinon près de ceux qui souffrent, qui pleurent ou sont dans la détresse ? Pendant la fête si joyeuse des Pourim, au cours de laquelle on se faisait des cadeaux, où le trouvons-nous si ce n'est à la piscine de Béthesda, c'est-à-dire là où l'on souffre, et sur qui se penche-t-il avec le plus d'amour si ce n'est sur celui qui souffre le plus, le paralytique couché depuis 38 ans et « qui n'avait personne ? » (Jean 5, 7.) Tant il est vrai que le Dieu de l'Évangile se trouve de préférence là où l'on souffre ; c'est le lieu qu'il habite, j'allais dire le lieu très saint qu'il remplit de sa bienfaisante présence, et plus on souffre, plus il est là, non pas encore une fois parce qu'il se plaît à voir ou à faire souffrir, mais au contraire parce qu'il a pitié de ceux qui souffrent, et qu'il veut les soutenir dans la souffrance, en attendant de les en délivrer.

Je connais peu de pensées plus saisissantes, plus consolantes et qui poussent davantage à l'action que celle-ci : Dieu est de préférence là où l'on souffre, et il est d'autant plus présent, il manifeste d'autant plus sa présence que l'on souffre davantage.

« Ainsi parle le Très-Haut dont la demeure est éternelle et dont le nom est saint. J'habite dans les lieux élevés et dans la sainteté, mais je suis avec l'homme contrit et humilié, afin de ramener les esprits humiliés, afin de ranimer les coeurs contrits. J'ai vu ses voies et je le guérirai, je lui servirai de guide, et je le consolerai, lui et ceux qui pleurent avec lui. (Esaïe 57, 15-18.) Consolez mon peuple, dit votre Dieu. Parlez au coeur de Jérusalem et criez-lui que sa servitude est finie, que son iniquité, est expiée. Une voix crie : Préparez au désert le chemin de l'Éternel, aplanissez dans les lieux arides une route pour notre Dieu. Alors la gloire de l'Éternel sera révélée, et au même instant toute chair saura que la bouche de l'Éternel a parlé. » (40, 1-5.)

Lorsque Jésus, descendu sur la terre, voulut accomplir cette parole de l'ancienne alliance, il s'efforça de manifester partout la présence de Dieu, mais très spécialement auprès de ceux qui souffraient, et tout son ministère put se résumer dans ces admirables paroles : « Voyant la foule, il fut ému de compassion pour elle, parce qu'elle était languissante et abattue, comme des brebis qui n'ont point de berger. (Matthieu 9, 36.) Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. » (11, 28.)

Il est une heure, l'heure dont il dit à ses ennemis : « C'est votre heure, » où nous constatons la vérité profonde de la thèse que nous venons de soutenir, c'est l'heure de Golgotha. Qui est le véritable auteur de ce drame ? Qui a dressé la croix, tressé la couronne d'épines, mis aux mains de Jésus le sceptre de roseau, qui a abreuvé d'amertume, après l'avoir couvert de crachats, le Fils de l'homme devenu l'homme de douleur ? On répondait autrefois sans hésiter : Dieu et Dieu seul, preuve en soit cette parole de l'Évangile : « Cela arriva afin que s'accomplît cette parole de l'Écriture : Ils se sont partagé mes vêtements, et ils ont tiré au sort ma tunique. Après cela, Jésus qui savait que tout était consommé, dit, afin que l'Écriture fut accomplie : J'ai soif (Jean 19, 24 et 28). Père, si tu voulais éloigner de moi cette coupe ! Toutefois, que ma volonté ne se fasse pas, mais la tienne. » Nous répondons hardiment avec Jésus lui-même : la puissance des ténèbres, c'est-à-dire le diable. La croix est le chef-d'oeuvre du diable, l'heure où il a paru triompher sur toute la ligne. Mais nous ajoutons immédiatement, et c'est là le mystère insondable de la croix, qui est un mystère d'amour : Dieu a transformé l'oeuvre du diable, qui est un chef-d'oeuvre de haine, et il en a fait son oeuvre, un chef-d'oeuvre d'amour ; il a pris son adversaire dans ses propres filets, et il s'est servi de sa victoire pour le vaincre à toujours. Ce n'est donc pas Dieu qui a voulu la mort du Saint et du Juste, il l'a seulement permise, se réservant, une fois que le mal aurait produit tous ses fruits amers, d'intervenir à son tour, et de faire du bois maudit un instrument de salut et de bénédiction pour tous les hommes. « Quand j'aurai été élevé de la terre sur la croix, j'attirerai tous les hommes à moi. » (Jean 12, 32.)

C'est au pied de la croix, qu'il faut chercher la solution du problème que nous venons d'examiner, de cette croix dont Vinet a dit si justement qu' « elle est le plus insondable des mystères, et en même temps celui qui jette de la lumière sur tous nos mystères. » C'est là, et pas ailleurs, que nous apprendrons à souffrir sans révolte et sans amertume, parce que, si c'est là que nous découvrons le mieux l'abîme du péché et de ses conséquences, c'est aussi là que nous pouvons contempler la cime éblouissante de l'amour du Dieu Rédempteur. Au pied de la croix nous apprenons à souffrir, parce que nous apprenons a nous taire dans l'adoration et la contemplation du Dieu qui est lui-même engagé dans nos souffrances, comme nous, plus que nous, et qui veut nous en guérir. « Dieu était en Christ réconciliant le monde avec lui-même. » (2 Corinthiens 5, 19.)

Toi, dont l'âme est tourmentée
Aux approches de la mort,
Toi, dont la nef ballottée
Ne sait où trouver le port.
Regarde à travers tes larmes
Ce phare qui tant de fois
A brillé dans tes alarmes
C'est la croix !
 
Sur la croix où Christ expire,
La mort succombe avec lui
C'en est fait de son empire,
Le jour de la vie a lui !
Péchés, doutes et souffrances
Demeurent cloués au bois
0 sublime délivrance
De la croix !


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