Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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Voix Chrétiennes dans la Tourmente



L'ÉPREUVE

Pasteur A. -N. BERTRAND
16 Juin 1940

LECTURES BIBLIQUES

Je suis l'homme qui a vu la misère
Sous la verge de sa fureur.
Il m'a conduit, mené dans les ténèbres,
Et non dans la lumière.
Il m'a entouré d'un mur pour que je ne m'échappe pas.
Il m'a donné de pesantes chaînes ;
J'ai beau crier et implorer du secours,
Il ne laisse pas accès à ma prière...
Et j'ai dit : « Ma force est perdue,
Je n'ai plus d'espérance en, l'Éternel ! »
 
Voici cependant ce que je veux repasser en mon coeur,
Ce qui me donnera de l'espérance :
Les bontés de l'Éternel ne sont pas épuisées,
Ses compassions ne sont pas à leur terme ;
Elles se renouvellent chaque matin.
Oh ! que ta fidélité est grande !
L'Éternel a de la bonté pour qui espère en Lui,
Pour l'âme qui le cherche.
Il est boit d'attendre en silence
Le secours de l'Éternel,
Car le Seigneur ne rejette pas à toujours,
Mais lorsqu'il afflige, il a compassion selon sa miséricorde,
Car ce n'est pas volontiers qu'il humilie
Et qu'il afflige les enfants des hommes.

LIVRE DES LAMENTATIONS, CH. III.


Béni soit Dieu, le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui, dans sa grande miséricorde, nous a régénérés pour que nous ayons une espérance vivifiante par la résurrection de Jésus-Christ ; ... sa puissance vous garde, par la foi, pour le salut qui paraîtra au moment final. Cette pensée vous remplit de joie, quoique maintenant, puisqu'il le faut, vous soyez attristés pour un peu de temps par diverses épreuves, afin que la solidité éprouvée de votre foi, plus précieuse que l'or périssable qu'on éprouve cependant par le feu, tourne à votre louange, votre honneur et votre gloire, quand Jésus-Christ paraîtra.

I. PIERRE, CH. I, V. 3 A 8.


Heureux l'homme qui supporte l'épreuve avec patience.
JACQUES, I, 12.

L'épreuve. Maintenant nous savons ce que c'est. Elle nous étreint, elle nous enserre ; mais elle ne nous vaincra pas.

Nous croyions savoir ce que c'était que souffrir ; insensés que nous étions ! Nos malheurs personnels, certes, nous avaient cruellement atteints, parfois en plein coeur ; mais ils étaient comme baignés dans un grand courant de joie et de bonheur qui les faisait apparaître comme une chose qui n'était que de nous, et qui peu à peu s'apaisait au contact de la paix des autres. Aujourd'hui c'est l'inverse. Nos bonheurs personnels, s'il pouvait encore y en avoir, seraient aussitôt roulés, emportés dans un tel torrent d'amertume et de désespoir que nous serions hors d'état d'en jouir. Ce n'est pas un malheur collectif qui a fondu sur nous ; c'est pour chacun de nous un malheur privé dont nous retrouvons l'image dans tous les yeux que nous regardons. Oui, nous savons maintenant ce que c'est que l'épreuve.

Cependant ce mot d'épreuve, qui est le mot central de la pensée que nous méditons, ne désigne pas seulement un événement douloureux ; il désigne un événement qui permet de se rendre compte de ce que nous valons. Dans le langage courant, on emploie le mot « épreuve » pour désigner toute espèce de souffrance ; mais le sens primitif, authentique, est celui d'une mesure de notre valeur, de notre solidité. Dans les usines, il y a un « banc d'épreuve » où l'on fait passer toutes les pièces, pour voir si elles ont la résistance voulue. C'est de ce point de vue que je voudrais envisager brièvement aujourd'hui les heures lourdes que nous vivons : elles ne sont pas seulement une souffrance, elles sont une occasion de révéler devant Dieu, devant les hommes et devant nous-mêmes ce que nous sommes, ce que nous valons.

Ce que nous sommes se révèle déjà dans la part plus ou moins grande que nous prenons à la souffrance commune. On dit qu'il y a dans Paris des hommes et des femmes - j'entends : des Français et des Françaises - qui peuvent encore rire, penser à eux-mêmes, à leurs profits, à leurs plaisirs. Si cela est vrai, il faut les plaindre ; c'est un grand malheur d'être à ce point étranger dans sa propre maison que l'on ne ressent même plus les deuils de famille. La façon dont une âme résonne sous le choc de la souffrance, décèle déjà sa qualité. Il y a des métaux qui vibrent comme l'acier, comme l'or, comme l'argent, il y en a qui rendent un son mat comme le plomb. On a beau les frapper, on n'en tirera jamais un son clair.
« Heureux ceux qui pleurent ! » Cette parole resterait vraie, quand même elle serait privée de la phrase complémentaire : « ils seront consolés ». Tout vaut mieux que l'apathie, l'indifférence, le repliement sur soi-même. Porter en soi une âme ardente et souffrir avec passion, c'est déjà un privilège, un don magnifique et terrible de notre Dieu.

Telle est la première épreuve : au choc de la douleur, nos âmes font connaître si elles sont d'airain ou de plomb.

Mais le tout n'est pas de souffrir, encore faut-il savoir si l'on est capable de porter sa douleur. La porter, c'est être plus fort qu'elle, c'est ne pas se laisser écraser par elle ; l'épreuve est la mesure de notre force : un fardeau est posé sur les épaules d'un homme ; qui est le plus fort ? Si c'est l'homme, il porte le fardeau ; si c'est le fardeau, il écrase l'homme. Il en est de même du malheur ; il met notre force à l'épreuve : il faut nous révéler capables de le porter.

Il y a des hommes qui se sentent si faibles devant la souffrance, qu'ils prennent la fuite devant elle, ils se réfugient dans l'oubli, dans l'indifférence, dans mille dérivatifs, et, généralement, ce qu'on appelle « consolations » dans le monde, est un ensemble de considérations qui tendent à vous détourner de regarder votre malheur en face, à vous persuader qu'à vrai dire vous n'êtes pas aussi malheureux que vous en avez l'air et que vous le croyez vous-même. Misérables platitudes, médiocrités qui n'inspirent que le dégoût aux âmes hautes, pauvres évasions dictées par la faiblesse devant un adversaire que l'on n'ose pas affronter en face, abdication devant une épreuve que l'on sait ne pas pouvoir subir.

D'autres au contraire se croient forts, si forts qu'ils veulent se passer des hommes et se passer de Dieu ; et quand ils se trouvent ainsi sans défense, avec leur âme toute nue sous la souffrance, ils s'effondrent, ils ne sont pas capables de la porter ; ils ont méconnu sa puissance ; ils n'ont ni préparé ni entraîné leur âme ; l'épreuve tourne à leur confusion.
Mais celui qui a connu sa faiblesse et qui s'est préparé, celui qui affronte l'épreuve avec l'humble dessein de la porter par les forces de Dieu plutôt que par les siennes propres, celui-là aborde l'épreuve avec toutes les chances de succès ; il la porte.

Telle est la deuxième épreuve : la révélation de notre capacité de résistance.

L'écrivain sacré nous avertit enfin qu'il faut porter l'épreuve avec patience ; on pourrait traduire, avec plus de précision peut-être : avec persévérance. Car l'épreuve peut être longue, et nul ne sait si elle n'usera pas peu à peu les forces qu'on lui oppose. Combien ont porté leur fardeau pour un temps et ont succombé ensuite ! Pour durer ainsi, il faut garder toutes nos forces, et il faut les garder souples et disponibles, il ne faut pas se raidir : c'est l'acier le plus souple qui se révèle en définitive le plus résistant. Il y a quelques jours, un ami qui avait passé un certain temps à l'arrière et qui demandait à rejoindre son corps en raison de la gravité des circonstances, disait à sa femme en la quittant : « Fais-toi un coeur de pierre, et ne pense à rien. » Il faut comprendre la grandeur, la beauté de cette résolution farouche ; mais je ne crois pas que ce conseil fût le bon ; il faut garder son coeur aimant et sa pensée claire, dût-on pour cela souffrir mille fois plus. Car la tension use, et un jour vient où la corde trop tendue casse brusquement. Il faut rester détendu, garder la paix dans son coeur ; il ne faut pas confondre l'indignation avec la haine, la force avec la colère. Le croyant, parce qu'il remet toutes choses entre les mains de Dieu, garde son équilibre intérieur et sa clairvoyance.

C'est là le magnifique privilège de la foi : « Les jeunes hommes se fatiguent et les héros chancellent, dit le Psalmiste, mais celui qui se confie en l'Éternel renouvelle ses forces. » La foi, comme la prière qui en est la plus haute expression, est à la fois une action et un repos, une marche en avant, une victoire, et en même temps une détente, un abandon entre les mains de Dieu ; et c'est Pourquoi elle renferme des possibilités infinies. Si longue que soit l'épreuve, notre foi sera plus longue encore. Que dis-je ? Elle grandira par l'épreuve même ; « l'or qui n'est qu'un métal périssable est mis à l'épreuve du feu ; ainsi notre foi, bien plus précieuse, subira victorieusement l'épreuve et nous assurera honneur et gloire ».

Telle est la troisième épreuve, celle de la constance. Saint Pierre promet honneur et gloire, et saint Jean la couronne de vie à ceux qui l'auront subie sans fléchir.

Une couronne ! Ce mot évoque des visions de victoire, d'athlète couronné pour avoir triomphé dans la lutte, et les événements n'arrivent pas à éteindre ces visions à l'horizon qui est devant nous. Laissons là cependant les prévisions et les espérances qui ne sont que de l'ordre historique ; nous n'avons pas compétence pour en parler ; c'est une autre couronne qui nous hante, c'est la parole de Jésus : « le disciple n'est pas plus que son Maître ; il suffit au disciple d'être comme son Maître ». Notre Seigneur n'a jamais porté qu'une couronne, la couronne d'épines, la sanglante couronne des douleurs. Si cette couronne-là doit être la nôtre, nous regarderons à Celui de qui nous vient la lumière et la vie, nous la porterons, comme Lui, dans la charité, dans la foi, mais aussi dans l'espérance, nous reposant sur la promesse qui nous a été faite : « Si nous sommes humiliés avec Lui, nous serons aussi glorifiés avec Lui ; si nous mourons avec Lui, nous aurons aussi la vie avec Lui. »

Avec Lui ! Si nous sommes fidèles à ce mot d'ordre, l'épreuve ne tournera pas à notre confusion, mais à notre salut. C'est aujourd'hui l'heure de la Croix ; mais un jour viendra l'heure de la Résurrection !
Ainsi soit-il.


Voix Chrétiennes dans la Tourmente


CHIENS VIVANTS ET LIONS MORTS

Pasteur G. VIDAL
3 Novembre 1940

LECTURES BIBLIQUES

Telle est la destinée des enfants des hommes, telle est la destinée des animaux ; leur sort est exactement le même. La mort des uns est comme la mort des autres. Un même souffle les anime tous et l'homme n'a aucune supériorité sur l'animal ; car tout est vanité. Tout va au même lieu. Tout est sorti de la poussière et tout retournera à la poussière. Qui sait si l'esprit de l'homme s'élève vers les hauteurs, et si l'esprit de l'animal descend dans les profondeurs de la terre ?

L'ECCLÉSIASTE, CH. III, V. 19 A 22.


J'ai tout vu au, cours de ma vaine existence. Tel juste se perd par sa justice même ; et tel méchant prolonge ses jours par sa méchanceté. Ne sois pas juste à l'excès, et ne sois point sage outre mesure. Pourquoi travailler à ta propre ruine ? Ne sois pas non plus méchant à l'excès, et ne te comporte pas comme un insensé. Pourquoi mourrais-tu avant toit heure ?

L'ECCLÉSIASTE, CH. VII, V. 15-17.


Aussi longtemps qu'un homme reste dans la société des vivants, il y a pour lui de l'espoir ; car même un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort. Les vivants savent du moins qu'ils mourront, mais les morts ne savent rien. Pour eux, plus de récompense : leur mémoire même est oubliée. Leur amour, leur haine, leurs ambitions, tout s'est évanoui ; Ils n'auront désormais plus aucune part à ce qui se fait sous le soleil.

L'ECCLÉSIASTE, CH. IX, V. 4 A 6.


Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive. Car celui qui voudra sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l'Évangile, la sauvera. Et que servirait-il à un homme de gagner le monde entier, s'il perdait son âme ? Ou bien, que donnerait l'homme en échange de soit âme ?

ÉVANGILE SELON SAINT MARC, CH. VIII, V. 34-37.


Un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort.
ECCLÉSIASTE, IX, 4.

Celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui perdra sa vie à cause de moi la retrouvera.
MARC, VIII, 34.

Si le lion a toujours représenté, aux yeux des hommes, le courage sous son aspect le plus noble, le chien qui, pour nous, symbolise la fidélité, a toujours été regardé, en Orient, comme un animal vil et méprisable. Mépris explicable, s'il faut en croire les voyageurs qui reviennent des contrées du Levant ! Leurs récits nous montrent ces animaux faméliques, rôdant par les rues, en hordes à demi sauvages qui se partagent les quartiers des villes et gardent jalousement leur fief, où l'arrivée d'un intrus donne lieu à de furieuses batailles. Vivant de larcins, se repaissant d'immondices et de cadavres, ces meutes errantes peuplent les nuits de leurs lugubres hurlements. Toujours fourbe et défiant à l'égard de l'homme, sournois et effronté dans l'attaque et la rapine, couard et veule devant la menace et le danger, le chien reste pour l'Oriental une bête impure et immonde, et son nom, jeté à la face d'un homme, constitue la plus mortelle injure.

Quel prix attachait à la vie terrestre le sceptique écrivain biblique pour la préférer, même dans la honte et l'ignominie, à la mort glorieuse et féconde ! Pour ceux qui vivent - songeait-il y a encore de l'espérance, fussent-ils des chiens, mais, pour les morts, tout est fini, eussent-ils été, durant leur vie, des lions. « Les morts ne savent rien et il n'y a plus pour eux de salaire, puisque leur mémoire est oubliée. » Un chien vivant peut encore manger, boire, dormir, jouir, montrer les crocs, attaquer sa proie, et la défendre ; un lion mort « n'a plus aucune part à ce qui se fait sous le soleil » ; les pleutres eux-mêmes peuvent venir narguer sa dépouille et les enfants la frapper de leur bâton ; « mieux vaut un chien vivant qu'un lion mort ».

À cette affirmation de la sagesse désabusée, la folie du Christ a répondu : « Celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui perdra sa vie, à cause de moi, la retrouvera. » Confrontons la sagesse humaine et la folie du Christ et plaçons-nous sous l'inspiration du Crucifié pour méditer la parole du penseur avisé et prudent !

S'il y a, dans l'histoire, des temps héroïques où les hommes savent lutter en lions, il y a aussi des siècles de veulerie où il semble qu'ils ne sachent plus vivre qu'en chiens. L'Ecclésiaste semble appartenir à l'un de ces époques. Écoutez les litanies de ce désenchanté : « J'ai vu le juste périr dans sa justice et le méchant prolonger ses jours dans son indignité... J'ai vu que tout travail, et toute habileté dans le travail, n'est que jalousie de l'homme à l'égard de son prochain... J'ai encore vu sous le soleil que la course n'est point aux agiles, ni la guerre aux vaillants, ni le pain aux sages, ni la faveur aux savants... Le juste et le méchant périssent également... À quoi sert à l'homme tout son travail, la recherche de la sagesse ou de la justice ?... Tout est vanité et poursuite du vent... J'ai reconnu qu'il n'y a de bonheur pour l'homme qu'à se réjouir et à se donner du bien-être pendant sa vie, car pour tous ceux qui vivent il y a de l'espérance et même un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort. »

Nous aussi nous avons vu tout cela, et pis encore. Nous avons vu la brutalité et l'injustice triompher, nous avons vu l'échelle des valeurs renversée : la vérité, l'amour, la paix bafoués et le mensonge, la haine, la violence exaltés ; nous avons vu le sage, l'homme de bien, le savant mourir dans l'indigence et dans l'oubli, la faveur aller aux histrions et les chiens vivants se disputer les dépouilles des lions morts. Nous avons vu le courage succomber sous la ruée de meutes affamées ; mais nous l'avons vu aussi, ce courage, s'écouler du coeur de notre peuple épuisé par de tragiques saignées et fissuré surtout par l'atmosphère desséchante de ces années où un vent de folie emportait les hommes et les égarait dans une fureur de jouissance sans frein. « L'égoïsme ça ne paye pas !... », pensait-on, « à moins qu'il ne s'agisse de celui des autres. » Chacun n'avait plus qu'un souci : se faire une place au soleil, s'assurer une existence confortable à l'abri du danger. C'était la sagesse ! En fait de sagesse, il paraît que le peuple de la logique et du bon sens n'a jamais mieux déraisonné. Aujourd'hui, l'humanité tout entière - semble-t-il - s'est fait une âme cynique. Elle se moque et du bien et du mal. Elle a pour le vice le sourire de l'indulgence ou de la complaisance, et pour la vertu celui de la pitié. Veule ou sauvage, elle ne cherche que la satisfaction de ses appétits : la niche et la pâtée, âprement défendues contre tous les intrus dépourvus et faméliques, et conquises par tous les moyens : ici par la ruse, la rapine et la force brutale, là par l'acceptation du collier et de la laisse.

L'Eglise des héros et des martyrs semble, elle-même, avoir subi la contagion de cette veulerie. Certes elle a su, ici ou là, en certaines circonstances, opposer la loi de l'Évangile à la pression du monde et aux exigences des Césars qui la voulaient courber. Mais elle ne s'est pas dressée tout entière contre les ennemis du Christ. Il s'est créé un christianisme plat, servile et complaisant qui a subordonné les ordres de son Chef aux règles de l'intérêt, et qui a cherché à sauver sa vie, sans redouter de perdre son âme ; un christianisme peureux et timide, attentif à ne pas compromettre sa situation par ses incartades ou son intransigeance. Le souci de paraître large, tolérant - et intelligent ! - a même contribué à créer un certain protestantisme qui se flatte de tout comprendre, tire gloire de ses célébrités - fussent-elles détachées de lui - plus que de ses héros, raille lui-même son passé, l'austérité de ses moeurs et la rigidité des vieilles consciences huguenotes réputées ennuyeuses, ridicules, voire même hypocrites, parce qu'elles gênent et jugent. On a fait ainsi un christianisme sans grandeur et sans vertu qui, pour garder ses privilèges et se faire valoir aux yeux des hommes, se discrédite aux yeux de Dieu. Or, quand l'Eglise se laisse gagner par le monde, au lieu de pénétrer le monde de l'esprit du Christ, quand elle se tait, à l'heure où son Chef est attaqué, et s'incline devant ses adversaires, quand, au lieu d'inspirer et de diriger les grands mouvements de pensée et d'action qui tendent à libérer l'humanité de ses servitudes, elle se contente de les suivre de loin, lorsqu'elle ne les freine pas, de cette Église qui chante encore la gloire de ses martyrs, mais ne se sent plus le goût de les suivre, on peut bien dire - et c'est le moins qu'on puisse dire - que dans la lutte pour la paix, la justice, la vérité et dans la défense des valeurs chrétiennes, aujourd'hui si dangereusement Menacées, elle ne fait pas figure de lion.

Tout l'Évangile du Christ donne un démenti à la parole du sage dont notre temps a fait sa philosophie. Les chiens vivants meurent un jour, quand même ; mais ils meurent dans la peur et l'abjection et, de ce qu'ils furent, il ne reste que des cadavres. Les chiens, même vivants, sont déjà des morts. Les lions, même morts, sont encore vivants. « Celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui perdra sa vie à cause de moi la retrouvera. »

Un peuple ne vit vraiment que par ses héros, humbles ou glorieux, vivants ou morts, par ceux de ses fils en qui, dans les temps de déchéance et d'abjection, refleurissent les vertus héroïques qui firent jadis sa grandeur. Ceux-là forment l'élite qui sauve les nations aux heures désespérées. Ils sont, dans notre monde, le sel qui le préserve encore de la totale corruption. Or, le trépas lui-même n'éteint pas leur action. Nous vivons tous, aujourd'hui, de forces et de richesses que de grands morts nous ont laissées, et leur esprit vivant nous parle et nous anime. Les héros tombés le long du chemin, penseurs et savants, inspirés et prophètes, nourrissent et protègent nos âmes. Le bénéfice de leur labeur et de leurs sacrifice s'étend même à notre vie physique, préservée ou délivrée de terribles calamités par les travaux où se sont épuisés des chercheurs disparus. En sorte qu'aujourd'hui, de cyniques jouisseurs et de veules honnêtes gens peuvent se donner du bon temps et se féliciter d'être encore « chiens vivants », parce que des lions sont morts.

Ce n'est pas, en effet, dans l'au-delà seulement que vivent et agissent ces héros tombés, mais sur la terre, dans le visible. Leurs oeuvres les suivent ; leur esprit, dans la mesure où il sut s'attacher à ce qui reste incorruptible, trouve toujours à s'incarner et à revivre. Des ruines d'Israël et de Juda ne subsiste aujourd'hui que l'esprit des prophètes, seul vivant et vivifiant, et les personnages les plus puissants et les plus glorieux de leur époque n'échappent à l'oubli que par le reflet dont cet esprit les éclaira.

Si le Protestantisme a tenu ferme dans la tourmente, s'il reste encore debout, c'est que nos Réformateurs et nos martyrs, « en vrais lions », surent lutter, souffrir et mourir. Et combien d'entre nous, en des jours de défaitisme et de lâche abandon, se trouvent ranimés et ramenés au combat par l'esprit d'un aïeul, d'un ami, d'une mère, de cette invisible armée de fidèles témoins, que l'élan de leur mort a portés devant nous pour être, désormais, nos guides et nos entraîneurs !

Si l'Évangile est sorti vainqueur de toutes les tempêtes, c'est que des disciples, des apôtres, en chaque génération, se sont levés, ont combattu et sont tombés afin que le Christ règne. Et depuis vingt siècles bientôt, au-dessus des ruines mortes de civilisations englouties, de trônes et de régimes écroulés, de doctrines et de philosophies en poussière qui avaient cru pouvoir le mépriser ou l'écraser, le Crucifié, méconnu et bafoué, règne toujours et « demeure le même hier, aujourd'hui, éternellement ».

Ces lions morts restent les grands vivants, les vivants éternels. Leur pouvoir n'est pas éteint et leur voix fait encore trembler les méchants. S'ils ne savaient pas qu'ils sont vivants et, pour eux, redoutables, les méchants ne s'efforceraient pas d'étouffer leurs voix. Ils ne chercheraient pas à museler ou à domestiquer des lions qui ne seraient, à leurs yeux, que lions morts.

Hélas ! ce n'est pas toujours dans l'âme et par le labeur de leurs descendants que se poursuit l'oeuvre de grands ancêtres. Les lions morts ne se réincarnent pas en des chiens vivants. Ils cherchent d'autres héritiers. Il y a des peuples dont le nom n'évoque qu'un grand passé, et dont le passé seul est vivant aujourd'hui et, seul, digne de vivre. Voudrions-nous, en tant que peuple, en tant qu'Eglise, être de ceux qui ne sont encore vivants que par leurs morts ?

La Vérité, la justice, l'Amour se feront jour nécessairement, fatalement, avec nous ou malgré nous, ou contre nous parce qu'ils sont éternels, parce qu'ils sont de Dieu. Mais ils pourraient, pendant longtemps, subir une éclipse qui laisserait notre terre plongée dans d'affreuses ténèbres. Si nous voulons, pour notre génération et pour celles qui montent dans notre peuple et dans le monde, sauver la justice aujourd'hui foulée aux pieds, la Vérité étouffée, la Liberté menacée par l'anarchie ou écrasée par l'oppression, l'Amour bafoué par les doctrines de violence et de haine qu'on veut nous imposer, si nous voulons retrouver ces saintes réalités qui font les âmes fortes et vivantes et, par leur vertu, arracher notre peuple à cette veulerie de chien couchant où on s'efforce de le conduire et de le maintenir pour le mieux asservir, il nous faut, dès maintenant, chercher en Christ - « le seul nom qui ait été donné aux hommes, par lequel ils puissent être sauvés » - la source de l'héroïsme. Pour s'approprier le courage du lion, il y a des peuplades sauvages qui mangent son coeur. Le temps est venu pour nous de « manger du lion ». Celui que l'Écriture appelle « le lion de Juda » n'a pas dédaigné de se servir de ce symbole. Il nous invite toujours à nous nourrir de son Esprit qui régénère les coeurs, comme par la transfusion d'un sang nouveau, et leur communique l'héroïsme de la foi, avec ses saintes audaces, et celui de l'amour qui supporte tout, mais ne capitule jamais.

L'héroïsme chrétien ne s'impose guère à l'admiration des hommes par des prouesses et des actions d'éclat qui frappent les regards. Il se manifeste dans une ardeur résolue et constante, hardie sans témérité, audacieuse sans provocation. Il a horreur des bravades et de la forfanterie. Il répugne à toute ostentation et se revêt toujours d'humilité. Il s'exprime dans une attitude de fidélité inébranlable à l'égard de Christ. Il consiste à être simplement nous-mêmes, en tant que ses disciples, devant Dieu et devant les hommes, quoiqu'il arrive et quoiqu'il puisse nous en coûter. Encore faut-il agir en conséquence et, dans ce but, dénoncer le mal partout où il se trouve, travailler à l'extirper de toutes nos forces. Cela ne nous est pas toujours possible dans les circonstances actuelles, du moins pouvons-nous dresser contre lui cette résistance de l'esprit qui crie sa protestation indignée devant les crimes de la violence, oppose aux menées de l'ennemi et à ses tentatives de corruption son refus obstiné et têtu, et constitue une réprobation pour lui et pour ceux qu'il entraîne. Il se peut bien que cet héroïsme attire sur nous la colère des hommes et que nous ayons à souffrir, mais c'est le propre de l'héroïsme chrétien de se manifester dans la douleur, dans la défaite, à travers les humiliations, sous les insultes et sous les coups, et c'est alors qu'il est vainqueur, comme il le fut devant le Sanhédrin et le Prétoire où le condamné apparaît comme le juge, et sur le Calvaire où le Crucifié demeure l'éternel Vivant.

Cet héroïsme n'a pas pour le soutenir la puissance des armes, celle de la ruse ou de l'habileté ; il prend force dans la faiblesse, dans la simplicité. Il n'explose pas en éclats soudains et isolés, suivis bientôt de tristes et humiliantes retombées. Il ne doit rien aux circonstances, aux événements dont le choc produit une exaltation éphémère, qui jette un homme hors de lui-même. Au contraire, il exige la possession, la maîtrise de soi. Pourtant, c'est dans le renoncement à soi-même qu'il trouve sa forme la plus austère, mais la plus haute et la plus pure. Il n'y a pas là de contradiction, car on ne renonce qu'à ce qu'on possède. Apprenons donc, pour renoncer à nous-mêmes, à nous posséder, pour nous donner, à nous recueillir, complètement, sans rien oublier ni dissimuler, sans mettre à part quelque richesse en vue d'une utilisation égoïste ou d'un bénéfice personnel. Si, à l'heure du « don de nous-mêmes nous retenons encore quelque chose, notre coeur s'attachera à ce capital en réserve sur lequel nous fonderons et nous organiserons notre vie. L'héroïsme chrétien, c'est de tout donner et de se donner tout entier. Il nous fait peur cet héroïsme obscur et dépouillé. Nous ne voulons pas comprendre que ce dépouillement nous comble, que ce don de nous-mêmes nous permet de nous retrouver dans une plénitude de forces et de richesses insoupçonnées. Nous préférons attendre des autres les renoncements nécessaires, escomptant qu'ils nous sauveront par surcroît. Peut-être, en effet, les sacrifices des autres suffisent-ils à nous sauver quand seule notre existence matérielle est en péril, mais quand notre vie morale et spirituelle est en danger, quand il s'agit du salut de notre âme ou de l'âme de notre peuple, il faut payer de notre personne. Il faut accepter de perdre pour gagner, de perdre ses biens afin de devenir riche pour Dieu, de perdre sa liberté pour la sauvegarder, de perdre sa vie pour la sauver.

L'héroïsme ne s'élève à cette hauteur qu'à la condition de tirer sa force de la foi et de l'amour. Notre foi, c'est la certitude que la vérité, la justice, la paix, la fraternité sont l'ordre, le régime normal d'une humanité normale - encore qu'elle n'ait jamais connu ce régime - et qu'en dépit de toutes les perturbations actuelles et malgré les abominations qui contredisent notre foi, cet ordre s'établira parce qu'il est voulu de Dieu. Notre foi, c'est la certitude qu'au-dessus de cet océan d'iniquités, de mensonges, de haines qui submergent le monde, Dieu est là quand même, qu'Il règne quand même et que son heure viendra. Notre foi, c'est la certitude, fondée sur des faits, que tout ce qui s'édifie, ici-bas, sans Dieu ou contre Dieu s'écroulera un jour, tandis que tout ce qui s'édifie avec lui, par lui et pour lui subsistera toujours. Si nous n'avons pas cette foi, alors nos Églises ne seront jamais que des instituts de morale utilitaire où se formeront des sages à la manière de l'Ecclésiaste, qui sauront tenir le milieu entre le vice et la vertu et tirer le meilleur parti possible des circonstances et des événements pour se donner du bon temps, dans le respect des convenances et de la légalité. Mais ces Églises ne seront plus chrétiennes ; elles ne pourront rien apporter aux hommes qu'ils ne connaissent et ne pratiquent déjà, pour leur malheur ; elles ne sauront qu'enfoncer davantage, dans une veulerie dont il meurt, un monde qu'elles n'auront pas su transformer et qui les aura perverties. Mais Dieu est là ! C'est notre foi, et dans cette foi nous retrouvons la source des vertus héroïques. La présence du Héros qui, dans le combat « pour nous lutte sans cesse », nous communique une assurance et une audace tranquilles, qui nous permettent d'affronter tous les périls. À travers les privations, les dépouillements, dans les chaînes, le fidèle, soutenu par cette présence, chante :

Ta grâce est la plus forte,
Et ton royaume est pour les tiens.

Pourtant, si l'héroïsme naît de la foi, la foi exige un acte de courage préliminaire. Beaucoup se plaignent de ne pas l'avoir reçue, comme si elle n'était qu'un privilège réservé à quelques élus, alors qu'ils ont toujours reculé devant le renoncement qu'elle exige pour naître. Et demandent à Dieu : « Donne-nous la foi, alors nous trouverons le courage de vivre héroïquement. » Dieu leur répond : « Trouvez, d'abord, le courage d'accepter les exigences de l'Esprit, ayez l'audace du pas décisif, de l'élan qui brise les liens des esclavages terrestres, et la foi vous sera donnée. » Mais ils ne veulent pas entendre cette réponse de Dieu. Que de chrétiens - de nom - restent ainsi aux frontières de la foi et se complaisent dans l'imprécision de demi-certitudes qui leur permettent de faire figure de croyants, sans engager pleinement leur coeur et leur vie ! Nos Églises meurent de cette veulerie qui laisse le champ libre à la puissance du mal.

Retrouvons le courage de la foi, l'audace de croire ! Il le faut ! Alors, à ce courage, la foi donnera cette sérénité tranquille et cette grandeur qui font sa noblesse, cette résistance ferme et constante qui s'appuie sur des certitudes, cet héroïsme qui permet d'affronter les périls et les épreuves et de rester inébranlable dans la persécution, dans l'abandon, la solitude et jusque dans la défaite. Les chiens peuvent parfois trouver une sorte de courage dans le nombre ou dans la présence et l'appui de leur maître, mais l'héroïsme qui permet à un homme de faire face, seul, contre des meutes humaines déchaînées, c'est celui de la foi.

Et voici que l'amour fait cet héroïsme victorieux et conquérant. Celui qui triomphe par la force brutale ne peut qu'humilier et porter des blessures qui empoisonnent de rancune le coeur de l'adversaire. Mais celui qui lutte en esprit d'amour, à travers les doctrines détestables de l'ennemi et ses gestes barbares, cherche son âme, peut-être abusée ou avilie qui, dans sa déchéance, reste pourtant fille de Dieu. Il souffre lui-même des coups qu'il doit porter ; il frappe, mais pour libérer ; il « blesse et meurtrit, mais pour vivifier. Vainqueur, il n'écrase pas mais relève, et la chaleur de son amour, à travers les rigueurs de sa justice, apporte à l'adversaire humilié un espoir de régénération. Vaincu, il l'oblige à se juger lui-même, le conduit à douter de la justice de sa cause et parfois à reconnaître dans sa victoire apparente une défaite réelle. Seul l'amour désarme les mains et gagne les coeurs.

Cherchons en Christ la foi source de l'héroïsme et l'amour qui le rend vainqueur ! Il les donne en surabondance à tous ceux qui font de son Esprit leur nourriture, lui le Vainqueur du Calvaire qui a dressé, avec le bois de sa Croix, l'inébranlable barrière contre laquelle se brisent les plus formidables ruées de la puissance du mal. Là, sur la Croix, se manifeste glorieusement le pouvoir de la foi et de l'amour. Là éclate la sublime grandeur de l'héroïsme chrétien. Là, derrière la Croix, nous n'avons rien à redouter, ni la ruine, ni la persécution, ni la mort. Le Vainqueur est avec nous, Sa voix rassurante nous répète : « Ne crains point, crois seulement... je suis avec toi. » Non seulement nous n'aurons rien à craindre, mais nous pourrons tout oser avec lui, pourvu qu'il soit là. Alors les semeurs de haine et d'iniquité, les corrupteurs, les lâches, les chiens trouveront des lions vivants sur leur chemin et reconnaîtront en eux l'esprit du Chasseur de démons. Et si nous devons succomber dans la lutte, Dieu sera là pour relever ceux qui tombent et les emporter dans son ciel, où ils se joindront aux phalanges invisibles qui inspirent, animent et vivifient ceux qui poursuivent sur la terre le bon combat. Ainsi les hommes, les chiens eux-mêmes, connaîtront que les lions ne meurent pas.


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