Voix Chrétiennes dans la
Tourmente
LA TRADITION SPIRITUELLE DE LA
FRANCE
Pasteur P. VERGARA
17 Novembre 1940
LECTURES BIBLIQUES
Après ces
événements, voici ce qui est
arrivé. Naboth, de Jizréel, y
possédait une vigne voisine du palais
d'Achab, roi de Samarie. Achab parla à
Naboth et lui dit :
« Cède-moi ta vigne, pour que j'en
fasse un jardin potager ; car elle est tout
près de ma maison. Je te donnerai en
échange une vigne meilleure ; ou, si tu
le préfères, je t'en paierai la
valeur en argent. » Mais Naboth
répondit à Achab :
« Que l'Éternel me garde de te
céder l'héritage de mes
pères ! »
Jézabel, sa femme, vint le trouver et
lui dit : « Pourquoi as-tu l'esprit
chagrin et refuses-tu de manger ? »
Il répondit : « J'ai
parlé à Naboth, de Jizréel. Je
lui ai dit : Cède-moi ta vigne pour de
l'argent, ou, si tu le préfères, je
te donnerai une autre vigne en
échange ; et il m'a
répondu : Je ne te céderai pas
ma vigne ! »
Alors Jézabel, sa femme, lui
dit : « Est-ce bien toi qui exerces
sur Israël l'autorité royale ?
Lève-toi, mange, sois sans inquiétude
Je te la donnerai, moi, la vigne de Naboth, de
Jizréel. »
Elle écrivit des lettres au nom
d'Achab, les scella du sceau royal, et elle les
envoya aux anciens et aux notables qui habitaient
avec Naboth, dans la même ville. Voici ce
qu'elle disait dans ces lettres :
« Publiez un jeûne et faites
asseoir Naboth à une place d'honneur ;
puis mettez en face de lui deux
scélérats qui témoigneront
contre lui et qui lui diront : Tu as
prononcé des malédictions contre Dieu
et le roi ! Ensuite, menez-le hors de la
ville, lapidez-le et qu'il
meure ! »
Lorsque Jézabel apprit que Naboth
avait été lapidé et qu'il
était mort, elle dit à Achab :
« Lève-toi, prends possession de
la vigne que Naboth, de Jizréel, a
refusé de te céder pour de
l'argent ; car Naboth n'est plus en vie :
il est mort. » À la nouvelle de la
mort de Naboth, Achab se leva et se rendit à
la vigne de Naboth, de Jizréel, afin d'en
prendre possession.
Alors la parole de l'Éternel fut
adressée à Elie, de Thisbé, en
ces mots : « Lève-toi,
descends à la rencontre d'Achab, le roi
d'Israël, qui réside à Samarie.
Le voilà dans la vigne de Naboth, où
il est descendu pour en prendre possession. Tu lui
diras : Ainsi parle l'Éternel
Quoi ! tu as assassiné et maintenant tu
prends possession ! Tu ajouteras : Ainsi
parle l'Éternel : A cette même
place où les chiens ont léché
le sang de Naboth, les chiens lécheront
aussi ton propre sang. »
Achab s'écria : « Tu
m'as donc retrouvé, toi, mon
ennemi ? » Elie
répondit : « Oui, je t'ai
retrouvé, Parce que tu t'es vendu pour faire
ce qui est mal aux yeux de
l'Éternel. »
I. Rois, CH. XXI, V. 1 A 20.
-
- Naboth,
de
Jizréel, possédant une vigne
voisine du palais d'Achab, roi de Samarie, Achab
parla à Naboth et lui dit :
-
« Cède-moi
ta
vigne pour que j'en fasse un jardin
potager ; car elle est tout près de
ma maison.
-
Je
te
donnerai en échange une vigne
meilleure ; ou, si tu le
préfères, je t'en paierai la
valeur en argent. »
-
Mais
Naboth
répondit à Achab :
-
« Que
l'Éternel
me garde de te céder l'héritage de
mes
pères ! »
I
ROIS, CH. XXI, V. 1 A 4.
Nous voudrions ce matin, mes frères,
donner une suite et un complément aux
réflexions que nous vous avons
présentées récemment. Dans
l'incertitude où nous sommes actuellement
sur le choix du chemin à suivre, nous vous
avons conviés à un retour vers les
sources premières de la vie
chrétienne, telles qu'elles nous
apparaissent dans l'Eglise apostolique ; nous
vous avons dit qu'un tel retour en arrière
était l'une des conditions essentielles
d'une marche en avant et d'un relèvement
véritable de notre Patrie. Des
trésors de nos traditions, celui qui nous
vient de l'Évangile est le plus grand, le
plus précieux, mais il n'est pas le seul, il
en est d'autres qui nous viennent du grand
passé de notre peuple ; là aussi
nous pouvons compter des valeurs d'un prix
inestimable qui nous ont été
léguées et que nous devons
transmettre et sur lesquelles nous avons, plus
particulièrement en ces jours
d'extrême péril, le devoir de veiller
jalousement, de crainte que le vent de la
défaite ne les disperse à tout jamais
comme des feuilles mortes.
Tandis que nous sommes sollicités
à choisir une route nouvelle et à
faire table rase de tout ce qui fut, je
désire, pour ma part,
plaider en faveur de nos traditions nationales les
plus belles et les plus nobles, parce que j'ai la
certitude que dans ce domaine également
c'est par un retour vers notre passé le
meilleur que nous assurerons le mieux notre marche
en avant et notre relèvement.
Le grand patriote italien Mazzini, un de ces
hommes qui n'appartiennent pas à un pays
déterminé, mais à
l'humanité tout entière, disait que
« ceux-là seuls ont le droit de
prononcer le mot sacré de progrès,
dont l'âme contient assez d'intelligence et
de foi pour comprendre le passé et en
révérer la grandeur ». S'il
est un passé qui mérite d'être
compris et respecté, c'est bien le
passé millénaire de notre
Patrie.
Nous, partirons, pour vous présenter
quelques réflexions sur ce sujet, du beau
récit de nos Saints Livres que nous venons
de lire et de la ferme réponse que fit
l'Israélite Naboth à la convoitise de
son souverain. Le roi Achab désirait la
vigne de Naboth pour compléter l'ensemble
des jardins qu'il était en train de
créer autour de son palais. Mais Naboth lui
opposa un refus résolu et courageux :
« Que l'Éternel me garde de te
donner l'héritage de mes
pères ! » On ne
résiste pas sans danger aux puissants.
Naboth y perdit la vie.
Avant d'entrer plus profondément dans
l'analyse de cette matière, nous pouvons, en
termes généraux, affirmer qu'un
semblable refus doit parfois trouver une place,
quelque part dans notre vie, et qu'un homme qui
n'en voit pas l'inéluctable
nécessité, dans certaines occasions,
a une vue bien superficielle des choses. On dira
sans doute, et non sans raison, qu'une telle
attitude est périlleuse pour le
progrès, qu'elle a été
invoquée dans des cas innombrables pour
justifier tous les obscurantismes, toutes les
institutions périmées, toutes les
Bastilles de l'Histoire ; on dira que toutes
les oppressions politiques, sociales, religieuses
se sont tour à tour réclamées
du caractère sacré de la Tradition
pour s'opposer à tout changement
libérateur. Les descendants des Huguenots
savent ce qu'il en a coûté à
leurs pères, pour se libérer de
croyances et de pratiques, dites religieuses, que
Jésus aurait rejetées comme il avait
rejeté, de son temps, la
« Tradition des Anciens ».
C'est au nom de la sacro-sainte tradition que les
savants ont été
persécutés, la vérité
étouffée, les injustices sociales les
plus inhumaines maintenues, jusqu'à la
catastrophe inclusivement. « C'est
l'héritage de nos pères, Dieu nous
garde d'en abandonner la moindre
parcelle », disaient les
privilégiés de tous ordres. La
tradition a un tel passif d'absurdités,
d'injustices et de crimes qu'elle est, par
définition, devenue suspecte aux hommes
libres et généreux.
Mes frères, les prédicateurs
qui se sont succédé dans la chaire de
cette Église depuis cinquante ans ont assez
donné de gages de leur indépendance
vis-à-vis de la pesante mainmorte des
traditions révolues pour que,
exceptionnellement, l'un d'eux attire votre
attention sur l'aspect positif de la tradition et
sur le respect qui lui est dû, lorsqu'il
s'agit de grandes choses qui sont vraies
toujours.
Mais revenons au récit. Le roi Achab,
et la reine Jézabel son épouse,
trouvent, dressé sur leur chemin
d'accapareurs sans scrupules, un homme courageux
qui leur tient tête et leur oppose, au nom de
la tradition la plus respectable, un refus
obstiné. Il est des moments et des
circonstances dans la vie des individus et des
peuples où l'attitude de Naboth est la seule
possible, parce que, seule, elle est noble,
courageuse et juste. Nous ne prétendons pas
soutenir que cette attitude doive être la
nôtre aujourd'hui dans tous les domaines,
bien loin de là. Nous aurons à mettre
le vin nouveau dans dés outres neuves, nous
aurons, dans l'ordre civique et social, à
créer ce qui n'a encore jamais
existé ; dans les vingt-cinq
années qui vont venir, la pensée
philosophique et religieuse devra aborder des
problèmes qui n'ont encore jamais
été vraiment abordés, dont on
soupçonne à peine qu'ils existent, et
dont la solution est urgente si l'on veut faire
entrer un peu d'ordre dans le monde et
échapper à la fatalité de la
guerre. Il y a, par exemple, une morale des
rapports des grandes collectivités entre
elles qui est à construire de toutes
pièces ; nous aurons à accepter
bien des changements, nous le savons, et nous y
sommes courageusement disposés parce qu'il
est devenu évident que l'humanité est
dans une impasse où elle périra tout
entière si elle ne s'en dégage
pas.
À la vérité, je ne
redoute guère d'avoir à m'adresser
ici à des hommes et
à des femmes tellement attachés aux
formules du passé qu'aucune réforme
vitale ne soit possible avec leur
collaboration ; j'aurais plutôt la
crainte inverse, la crainte que beaucoup d'esprits
ne tiennent pour assuré que tout ce qui est
nouveau est nécessairement vrai, et que tout
ce qui est ancien est nécessairement
périmé ; la crainte, en d'autres
termes et pour utiliser les symboliques personnages
du récit biblique, que certains ne soient
tentés d'abandonner au premier Achab qui se
présente, les convictions anciennes les plus
nobles, les principes et les idéaux les plus
éprouvés et les plus justes par
lesquels ils ont vécu moralement et
spirituellement dans leur patrie jusqu'à ce
jour. Il y a là un immense danger, aux
conséquences incalculables ; c'est
ainsi qu'un vieux peuple abandonne son droit
d'aînesse pour un plat de lentilles et risque
de le regretter amèrement par la
suite ; car cette triste aventure arrive aux
peuples comme aux individus. Et c'est pourquoi il
me semble que c'est d'abord, pour chacun de nous,
en ce moment, l'heure du repliement, l'heure de
l'examen attentif et respectueux de notre
héritage national, et ensuite, le choix fait
sérieusement, ce doit être aussi
l'heure de l'inflexible Naboth qui refuse, quelles
que puissent être les conséquences de
ce refus, de vendre sa meilleure vigne, celle qui
donnait le raisin le plus doux et le vin le plus
généreux, parce qu'il ne se sent pas
le droit de léguer à ses enfants un
patrimoine dévalorisé.
Dans notre récit, Naboth paya de sa
vie son refus. Sur l'ordre d'Achab, il fut
lapidé jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Mais la fin de cette histoire est aussi grande que
son début. Le supplicié devait
trouver un vengeur en la personne du
prophète Elie. Écoutez ces lignes
épiques :
« Alors la parole de
l'Éternel fut adressée à Elie,
le Thischbite, en ces mots : Lève-toi,
descends au-devant d'Achab, roi d'Israël
à Samarie ; le voilà dans la
vigne de Naboth, où il est descendu pour en
prendre possession. Tu lui diras : Ainsi parle
l'Éternel : Au lieu même
où les chiens ont léché le
sang de Naboth, les chiens lécheront aussi
ton propre sang. Achab dit à Elie :
M'as-tu trouvé, mon ennemi ? - Et il
répondit :
Je t'ai trouvé, parce que tu t'es
vendu pour faire ce qui est mal aux yeux de
l'Éternel. » -
(I. Rois, ch XXI, v. 17 à
20).
Ainsi Elie justifie le respect fidèle
et héroïque de Naboth pour une grande
tradition.
On a accoutumé de se
représenter les prophètes
d'Israël comme d'audacieux novateurs, comme
des révolutionnaires avant la lettre. Rien
n'est moins exact. Les grands prophètes de
l'ancien Israël furent, avant tout, les
gardiens vigilants d'une haute tradition morale et
religieuse. Placés en sentinelles sur la
tour et fermes comme des rochers, ils refusaient de
céder au courant, aux entraînements
d'un jour, à l'opportunisme, et ils
sauvèrent ainsi un des
éléments les plus précieux du
patrimoine de l'humanité. Il était
donc naturel que le prophète Elie
approuvât le refus de Naboth.
Lorsqu'il s'agit des valeurs permanentes il
y a un conservatisme qui est la seule condition du
progrès, parce qu'il n'y a que le permanent
qui soit capable de changer, de s'adapter et de
faire jaillir du nouveau ; tout ce qui se
bâtit, se bâtit sur de
l'impérissable.
Il n'y a jamais de progrès
réel et durable quand les liens avec le
passé ont été rompus. Si une
génération dans un peuple, à
une heure d'affolement ou d'aveuglement, se met
à tourner le dos à tout son
passé, cette génération ne
marque pas, dans l'histoire de ce peuple, une
période d'avance, mais de
régression.
Du domaine qui nous a été
légué par nos pères nous
pouvons aliéner ou échanger bien des
parcelles, mais il y a quelque part une vigne qui
ne doit pas être vendue parce qu'elle fait le
fond solide de tout, parce qu'elle valorise tout,
parce qu'elle assure la continuité vivante
et féconde de tout. C'est pourquoi, aux
heures de crise et d'incertitude, il faut des
Naboth qui se lèvent et disent avec
résolution : l'Éternel me garde
de donner l'héritage de mes
pères.
La France représente, par son
passé une certaine tradition idéale
vers laquelle elle a marché, en la
trahissant parfois, mais en y revenant sans cesse
avec une continuité de dessein et
d'aspiration si émouvante, qu'on se prend
à penser qu'il s'agit d'une mise à
part, d'une vocation marquée par Dieu.
L'idéal national de la France
moderne, et, à bien des égards, de la
France ancienne, représente le plus
grandiose effort qu'aucun peuple ait jamais fait
vers un idéal humain et universel, vers la
justice aimante, vers la liberté sous toutes
ses formes et pour tous, même pour ceux qui
voulaient lui arracher la sienne, vers le droit,
vers la fraternité.
Ce fut une constante préoccupation de
la France à travers les âges, par
exemple, de créer en Europe une
société juste entre les nations. Elle
a persévéré dans cette
recherche depuis Henri IV et son
« magnifique dessein »,
jusqu'aux combattants de 1914, en passant par les
réfugiés protestants de Hollande, par
Pierre Nicole, l'Abbé de Saint-Pierre,
Rabaud Saint-Etienne, Saint-Simon, Lamennais, Edgar
Quinet et vingt autres qu'il faudrait nommer et
où se retrouvent mêlés
catholiques, protestants, libres penseurs. Sur tout
cela il y a des textes admirables qu'on ignore ou
qu'on a oubliés. Il faut les lire. En tous
temps des penseurs, des prophètes, des
artistes, des hommes d'État, des juristes,
sont sortis de notre sol qui voulaient faire cesser
l'atroce anthropophagie des guerres de domination
et de conquête. La permanence d'une telle
foi, à travers les vicissitudes les plus
terribles, les sacrifices, le sang versé
à flot, représente quelque chose de
plus qu'une simple opinion, elle représente
une mission historique et divine - le mot n'est pas
trop fort - qui plonge ses racines dans le coeur
même de la Nation tout entière.
Ce rêve de fraternité est
peut-être une folie, mais c'est l'une de ces
folies que Dieu a choisies pour confondre la
prétendue sagesse du monde.
Aucun pays s'est moins enfermé dans
l'égoïsme national que la France, aucun
n'a ressenti autant qu'elle comme un coup en pleine
figure, les violences faites aux autres, aucun n'a
été plus prompt à leur porter
secours, aucun n'a versé autant de sang pour
sa propre liberté et pour la liberté
des autres. Ce n'est pas par romantisme mais par
souci de la vérité historique que
Michelet fait dire à la France, parlant aux
peuples de la terre : « Prenez,
buvez, ceci est mon sang. »
C'est parce qu'il connaissait cette
épopée de l'esprit et de la foi qu'un
grand philosophe étranger
écrivait : « Dieu
veuille que jamais la France
ne
vienne à manquer au monde, le monde
retomberait dans les
ténèbres. »
(1).
Je sais bien que certains
désapprouvent cette vocation trop
idéale de leur patrie ; ils voudraient
la voir se mettre, enfin, un peu à
l'école du cynisme et du pur
intérêt, comme tant d'autres ;
ils disent que les faits brutaux viennent
s'inscrire contre l'idée et la
démentir.
Sans doute, il y avait un risque à
courir pour Naboth quand il refusait de renier la
tradition de ses pères ; sans doute,
dans toutes les grandes missions, il y a la Croix
à faire entrer dans les prévisions,
et il faut l'avoir réellement portée
pour savoir comme elle peut être
lourde ; mais si le crucifié ne maudit
pas sa croix, s'il ne renie pas l'idéal pour
lequel il y fut cloué, il y a aussi la
résurrection, il y a l'idée qui ne
meurt pas et qui se retourne, un jour, plus forte
que jamais contre les faits pour les
anéantir ; il y a Elie, le vengeur, qui
vient, au nom du Dieu vivant, interdire la
prescription.
D'ailleurs, lorsqu'on invoque les faits, il
faut les voir tous, dans leur implacable
succession. Or, l'examen des faits, de tous les
faits, nous permet de dire que la France n'a pas
été vaincue pour avoir trop
rêvé de chimères, pour avoir
trop aimé les grandes choses, mais pour les
avoir trahies, en coupant certains fils qui
assuraient la continuité avec le
passé, en ne sachant plus se discipliner, en
laissant libre carrière aux appétits
individuels, aux égoïsmes de
partis ; la France a été vaincue
parce qu'elle a oublié les conditions
morales et spirituelles indispensables à la
pratique de la liberté, qui est un don
magnifique mais infiniment dangereux, si l'on se
contente « de l'aimer comme un droit et
un plaisir et non comme un devoir et un ordre
divin ». Quand une nation
s'écroule, ce n'est pas, en
général, par manque de règles
légales extérieures, ou à
cause des défauts de sa constitution, mais
par la disparition de l'autonomie morale des
citoyens, sans laquelle les meilleures lois ne
jouent plus, c'est par l'absence dans les
âmes de ces motifs, de ces convictions, de
cet idéal, de cette foi, qui permettent
à l'homme de se gouverner du dedans. La
qualité du patriotisme
s'abaisse à mesure que s'abaisse le sens des
traditions spirituelles. Un sol n'est
victorieusement défendu que si l'on sait ce
qu'il représente dans l'ordre de
l'invisible.
Mais un égarement passager
n'amoindrit pas la valeur d'un idéal
séculaire.
Les grandes traditions nationales que nous
vous avons invités aujourd'hui à
repenser, ne sont pas de celles dont on puisse
rougir, et des chrétiens comme nous doivent
savoir quelle étroite parenté relie
ces traditions à l'Évangile fraternel
et libérateur. Ne nous laissons donc
décourager ni par les épreuves du
dehors, ni par les erreurs du dedans ; restons
fidèles au trésor dont nous sommes
les dépositaires, comme l'homme du vieil
Israël qui ne voulait pas vendre sa vigne
à Achab.
Si le meilleur idéal de notre peuple,
comme l'idéal chrétien d'ailleurs,
rencontre aujourd'hui une brutale opposition dans
le monde et marque un temps d'arrêt, c'est
une raison de plus pour refuser de l'abandonner ou
de le solder à vil prix, c'est une raison de
plus pour nous accrocher au moindre arpent de terre
que nous pouvons encore tenir.
TENIR. À certaines heures tout le
devoir se ramène à cela et suffit
à sauver l'honneur. « Tenez ferme,
écrit saint Paul enchaîné, aux
Éphésiens, ayant ceint vos reins de
vérité, revêtu le casque de la
Justice et le bouclier de la foi. »
« Tenez ferme, nous dit
l'invisible nuée de témoins de ceux
qui firent avant nous la Patrie.
« Tenez ferme, au nom de vos
souffrances et de vos espérances, qui ont
été les
nôtres. »
Tenir ferme c'est quelque chose de plus
qu'attendre passivement ; c'est un acte viril
de l'être intérieur tout entier.
Si tenir ferme est parfois la seule chose
qui reste à faire, c'est aussi, dans
certaines circonstances, la plus difficile. Il est
souvent plus aisé d'agir, de se battre, que
d'endurer sans fléchir. Mais quelle
récompense vient couronner la
fidélité ! Les calamités
perdent la moitié de leur terreur, et
l'adversaire brise la pointe de son
épée contre cette ferme cuirasse. Au
XVIe siècle Luther a réellement
triomphé, non point quand il
affichait ses 95 thèses,
ou qu'il faisait retentir l'Europe du bruit de ses
attaques contre Rome ; il a triomphé
à Worms, quand devant l'Empereur et les Rois
et les Évêques, il a tenu ferme en
disant simplement, avec la même
sobriété que Naboth :
« Me voici, je ne puis autrement ;
que Dieu me soit en aide. »
Dans les grandes choses, il y a toujours un
Dieu qui aide, et le plus faible devient fort quand
il saisit sa main.
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