Voix Chrétiennes dans la
Tourmente
GARDE TON ÂME
Pasteur G. VIDAL
4 Mai 1941
LECTURES BIBLIQUES
- Veillez donc bien sur vos âmes,
Pour aimer l'Éternel votre Dieu.
- « En effet, si vous vous
détournez et si vous vous attachez
à ce qui reste parmi vous de ces
nations ; si vous vous unissez avec elles
par des mariages, et si vous vous mêlez
à elles, et elles avec vous, sachez bien
que l'Éternel votre Dieu ne continuera
plus à chasser ces nations devant
vous ; mais elles seront pour vous un filet
et un piège, un fouet dans vos
côtes et des épines dans vos yeux,
jusqu'à ce que vous disparaissiez de ce
boit pays que vous a donné
l'Éternel votre Dieu. »
-
JOSUÉ, CH. XXIII, V. 11 A 13.
- « Voici, je vous envoie comme
des brebis au milieu des loups : soyez donc
prudents comme les serpents et purs comme les
colombes. Tenez-vous sur vos gardes
vis-à-vis des hommes ; car ils vous
livreront aux tribunaux et vous battront de
verges dans leurs synagogues. Vous serez
menés devant les gouverneurs et devant
les rois, à cause de moi, pour rendre
témoignage devant eux et devant les
nations. Mais, quand on vous livrera, ne soyez
en peine ni de la manière dont vous
parlerez, ni de ce que vous direz ; car ce
que vous aurez à dire vous sera
inspiré à l'heure même. Ce
n'est pas vous qui parlerez, mais c'est l'Esprit
de votre Père qui parlera en
vous !...
- « Ne craignez pas ceux qui
tuent le corps, mais qui tic peuvent tuer
l'âme. Craignez plutôt Celui qui
peut faire périr l'âme et le corps
dans la géhenne. Deux passereaux ne se
vendent-ils pas un soit ? Et il n'en tombe
pas un seul à terre à l'insu de
notre Père ! Les cheveux même
de votre tête sont tous
comptés.
- « Ne craignez donc
rien ;
vous valez mieux que beaucoup de
passereaux.. »
ÉVANGILE SELON SAINT MATTHIEU,
CH. X, V. 16 A 21 ET
28 À 31.
Veillez
attentivement sur vos âmes.
JOSUÉ,
XXIII, 11.
Aux profondeurs mystérieuses de
l'être, l'âme est la source vive qui le
crée et le renouvelle. Là où
elle jaillit, le désert lui-même
fleurit, mais vient-elle à tarir, et le plus
beau jardin se transforme en désert.
Ou bien, comme une lumière
intérieure, elle éclaire l'être
du dedans et montre sa valeur cachée.
Projetée sur le monde et sur les hommes elle
révèle leur grandeur secrète
et le mystère de leur vie. L'éclat
d'une âme est parfois si intense que son
enveloppe charnelle elle-même,
spiritualisée, devient transparente et, bien
loin d'étouffer ou de limiter sa
clarté, la rend sensible et la diffuse.
Alors le regard, la parole, le geste ou les
silences provoquent ces chocs lumineux,
établissent ces contacts d'où
naissent les amitiés saintes et les pures
tendresses, produisent ces communions et ces
échanges par quoi les âmes s'ouvrent,
mutuellement, un monde merveilleux, dont elles ne
peuvent ni sonder la profondeur, ni fixer les
limites et qui leur laisse pressentir, tout proche,
plus riche, plus merveilleux encore, le monde de
l'Esprit, royaume de la lumière
éternelle où leur clarté a
pris naissance.
L'âme, c'est toute la beauté de
la vie, toute sa grandeur, toute sa
réalité. Sans âme les choses et
les êtres nous donnent une impression
d'irréalité ; la nature n'est
plus qu'un froid décor et l'art une
pâle copie ; la pensée n'est
qu'un jeu ou un instrument de profit, la morale un
code de règles d'intérêt, la
religion un cadre vide ; l'humanité
apparaît comme une agglomération
inquiétante de termitières monstres,
régies par les lois obscures et
précises de l'instinct, où la
pensée, l'amour, la foi ne
sont plus que les manifestations d'un
fonctionnement, anormal ou régulier, de
viscères.
C'est à ce niveau que descendent les
hommes et les peuples qui viennent à perdre
leur âme. Or, si nous éprouvons
aujourd'hui, devant le spectacle de notre monde,
une impression de désolation, n'est-ce pas
parce que tarissent les sources sans lesquelles il
se transforme en désert ? Si
l'humanité, ramenée au temps de son
enfance terrifiée, marche courbée
sous le poids de ce morne abattement, de cette
tristesse animale qui semblent être le climat
des sociétés primitives et des
êtres instinctifs, n'est-ce pas parce que
l'âme - l'âme source de toute
beauté, de toute grandeur, de toute vie -
s'écoule des vases d'argile qui la portent,
fissurés par le péché et les
cataclysmes effroyables qu'il multiplie sur notre
terre.
L'âme est en péril ! Les
valeurs d'âme sont méprisées,
bafouées. Les hommes semblent n'avoir plus
qu'une pensée : gagner le monde,
serait-ce au prix du sacrifice de leur
âme.
Nous, pour qui la vie n'a de sens et de
valeur que par l'âme, veillons à ne
pas laisser tarir ou polluer cette source, à
ne pas laisser éteindre cette clarté,
sans lesquelles le monde ne serait plus que
désert et ténèbres !
L'Ancien Testament, déjà, nous
apprend à apprécier la valeur d'une
âme ; mais pour que nous soient
révélés tout son prix et toute
sa beauté, il faut que le Christ nous montre
la vanité de tous les trésors
terrestres réunis, comparés à
la richesse d'une seule âme ; il faut
que, devant le pharisien scandalisé, Il
s'écrie : « L'homme est le
maître du sabbat », situant ainsi
l'âme humaine au-dessus des institutions
religieuses les plus respectables et les plus
sacrées ; il faut que son regard
s'émerveille devant l'âme candide du
Centenier, et que son coeur frémisse devant
les trésors de foi et d'amour
révélés par le geste d'une
pauvresse de Jérusalem, ou le mot d'une
humble Cananéenne. Et quand Il nous montre
cette beauté d'âme, cachée sous
des haillons sordides ou de répugnantes
infirmités ; quand Il la
découvre même sous
les turpitudes les plus honteuses
et les flétrissures les plus ignominieuses,
et nous prouve que telle âme flétrie
est encore capable de refleurir en nouveauté
de vie ; quand Il nous montre le berger
abandonnant tout son troupeau pour rechercher une
seule brebis perdue, et le père ouvrant les
bras à son fils prodigue ; quand,
enfin, Il monte sur la Croix parce que cette
âme soulevée de haine, en
révolte contre Lui, vile, souillée,
à ses yeux vaut la peine qu'Il meure pour la
sauver, comment ne serions-nous pas à la
fois éblouis, bouleversés, et
humiliés aussi, à la pensée
que nous portons en nous ce trésor :
une âme !
Car cette richesse est à nous, et
c'est notre seule et notre vraie richesse. Des voix
tentatrices murmurent dans nos coeurs :
« Tes biens sont à toi, par eux la
liberté, la joie de vivre, le pouvoir
t'appartiennent. » Nous sentons
aujourd'hui l'ironie de ces mots, en ce temps
d'assujettissement, de restrictions et de
dépossession. Et si la fortune reste encore
un privilège qui permet à
quelques-uns d'atténuer les rigueurs de
l'état présent, nous savons bien
qu'elle est à la merci des
événements, qu'elle ne nous procurera
pas ce que la folie des hommes a détruit, et
qu'aux portes de la mort on ne passe que les mains
vides.
On nous a dit : « Ton corps
est à toi. » Comme s'il
n'était pas l'éternel esclave de ces
maîtres, plus puissants que nous : la
maladie, l'infirmité, la douleur, la
nécessité, ce pauvre corps
chétif, toujours dépendant, chose des
hommes, de la vie et de la mort, qui font de lui,
tour à tour, chair à travail, chair
à plaisir ou chair à canon ! Et
quand bien même nous pourrions faire de lui
l'instrument docile et fidèle de notre
volonté, il ne nous appartiendrait pas. Il
n'est qu'un héritage que nous avons le
devoir de transmettre, et nos descendants,
déjà, ont des droits sur lui, qui
porteront dans leur propre chair la vertu de sa
santé ou les tares de sa
déchéance.
Mais notre âme est à
nous. Chaque âme est une âme
originale, unique et autonome. Que nous le voulions
ou non, on peut nous arracher ce que nous appelons
nos biens. Que nous le voulions ou non, on peut
disposer de notre corps. Il suffit pour cela
d'être le plus fort. Le beau
mérite ! Mais personne ne peut mettre
la main sur notre âme sans son consentement.
Aucun homme n'a le droit d'en revendiquer la
propriété et de la marquer de son
sceau. Aucun n'en a le pouvoir sans son
acceptation. La souffrance, qui la meurtrit en la
sculptant, n'est pas capable de l'écraser,
ni de la dominer, aussi longtemps qu'elle refuse de
capituler ; et, dans ce cas, bien loin d'
être son maître, la douleur devient sa
servante, sa collaboratrice. La mort
elle-même qui semble l'engloutir, la
libère.
Notre âme, mais c'est le seul bien qui
nous appartienne en propre, incessible,
insaisissable, inaliénable parce qu'elle est
nous-mêmes, notre moi le plus pur et le
meilleur, notre moi originel, source vive qui nous
crée, nous alimente, nous purifie, nous
vivifie jour après jour, et dont le
jaillissement ne peut être
complètement et définitivement
arrêté ni par les pollutions et les
souillures, ni par l'ensablement des habitudes et
de tout ce qui enfonce l'existence dans la
médiocrité et la veulerie. En effet,
même à travers notre pauvreté
quotidienne, nos défaillances, nos
péchés, l'infirmité de nos
pauvres réalisations, subsistent toujours
cet élan intérieur, ces aspirations
et ces désirs qui sourdent du fond de
l'être et qui nous font infiniment plus
grands que notre misérable existence
pourrait le laisser croire ; et c'est ce que
nous sommes à cette profondeur, qui
révèle notre vraie
personnalité plus et mieux que tout ce que
nous pouvons dire ou faire.
C'est là notre être vrai dont
notre corps n'est que la forme visible. Car, on
peut bien le meurtrir ce corps, le priver d'un ou
de plusieurs de ses membres, notre vraie personne
n'est pas entamée ; l'être n'est
pas là. Nous pouvons même céder
aux tentations, nous laisser entraîner aux
reniements on aux trahisons ; si nous portons
la honte et la douleur de ces défaillances
momentanées, bien que notre vie en soit
salie, elles n'ont pas le pouvoir de tuer notre
âme et la source intérieure, par son
jaillissement continu, pourra nous purifier et nous
vivifier. Ce qui tue l'âme, c'est sa
démission, c'est son abdication. Si l'Eglise
venait, par opportunisme, par peur ou
intérêt, à rejeter le Christ
pour s'organiser autour d'un autre esprit que le
sien ou - crime plus odieux - à vivre, sous
le couvert de son nom, d'un autre évangile
que le sien, ce jour-là cette Église
aurait perdu son âme. Et si, pour les
mêmes motifs, nous venions
à faire du bien le mal et du mal le bien,
à soutenir que le vrai n'est plus le vrai,
que le juste n'est plus le juste, à
proclamer que la haine est sainte et l'amour impie,
stérile et dérisoire, ce
jour-là nous ne serions plus
nous-mêmes, parce que nous aurions, nous
aussi, perdu notre âme.
Mais, il n'y a pas de victoire
décisive du mal, aussi longtemps qu'il n'a
pas gagné l'âme. Nous ne sommes pas
vaincus tant que notre âme n'est pas prise.
On peut nous dépouiller de nos biens ;
on peut meurtrir notre corps, l'emprisonner, le
mutiler, le torturer, on ne nous possède pas
nous-mêmes. Or, sans cette prise de
possession, tous les triomphes restent
éphémères et secondaires. Les
pouvoirs le plus fermement établis sont
tombés pour avoir méconnu cette
vérité et cru que la possession des
choses suffisait à leur donner l'empire du
monde. Les démons le savent bien qui
s'attaquent à l'âme, cherchent
à l'investir et à la prendre par la
force ou la ruse, l'intérêt ou la
peur !
Si une âme peut se vendre ou capituler
- et elle en meurt - personne, ni les démons
ni les hommes alliés - avec toute leur
puissance, leurs artifices, leurs promesses ou
leurs menaces - personne ne peut prendre une
âme qui ne veut pas se rendre. Refus
héroïque et douloureux qu'il faut payer
de sacrifices déchirants ! Pourtant,
même dans les prisons, et quand la chair
saigne, et quand elle agonise dans les flammes des
bûchers, il n'est pas de pouvoir terrestre,
ni de conciles, ni de bourreaux, capables de forcer
la porte d'une âme qui veut garder son
mystère et sa résolution. La meute de
Worms déchaînée s'arrête
devant le : « je ne puis
autrement » de Luther ; et toutes
les forces démoniaques du monde,
portées à leur paroxysme, sur cette
colline de Judée où agonise le
Crucifié, restent impuissantes dans leur
acharnement. Impuissantes ! car, à
l'heure où elles croient triompher, le
Christ garde son âme et accomplit sa
promesse : « J'ai vaincu le
monde. »
Disciples du Christ gardons notre âme,
à cette heure où tout nous
échappe, où, jour après jour,
nous nous sentons dépouillés de
richesses auxquelles notre coeur restait trop
attaché ! Il dépend de nous que
notre bien le plus précieux
soit sauvegardé. Gardons
notre âme contre toutes les tentatives du
mensonge, de la haine ou de l'injustice, et rendons
grâces à Dieu !
N'est-ce pas un magnifique privilège,
en effet, que cette richesse, entre toutes
précieuse, soit précisément
celle que nous pouvons garder ? N'est-ce pas
merveille que la ruée de la force, la
coalition de toutes les puissances terrestres
puissent être brisées par un seul
homme, frêle, chétif,
dépouillé, parfois chargé de
liens, blessé, mourant, mais capable de
tenir en échec le monde entier par un
« non » héroïque et
têtu ? Devant ce
« non » s'arrête le
pouvoir de la brutalité, de la ruse et du
mensonge, car ici s'ouvre un autre empire :
celui où Dieu seul règne.
C'est ici, mes Frères, le secret de la
valeur de l'âme, plus précieuse que
toutes les richesses terrestres, et de cette
résistance, de cette puissance qui lui
permettent de maîtriser le monde entier
dressé pour l'écraser : Dieu est
là près d'elle, en elle. C'est Lui,
c'est son Esprit qui alimente cette source
intérieure toujours jaillissante. Notre
âme, qui est à nous, qui est
nous-mêmes, pourtant lui appartient.
« Toutes les âmes sont à
Moi, dit l'Éternel. » Ces deux
affirmations ne sont pas contradictoires, ni
inconciliables, car c'est dans la mesure où
elle est à Dieu que notre âme nous
appartient. Il n'y a pas d'autonomie, de
maîtrise et de possession de soi, sans
dépendance et discipline. L'arbre qui n'est
pas enraciné solidement dans le sol devient
le jouet de la tempête. Il faut être
fixé, attaché, pour rester libre et
fort, pour pouvoir résister aux orages de la
vie, à la fureur des hommes et des
événements. Alors seulement - quand
elle reste implantée dans son terrain
d'origine, quand elle respire la libre
atmosphère de l'Esprit, enracinée en
Dieu - notre âme peut défier toutes
les menaces, résister à tous les
assauts. C'est là seulement qu'elle
reçoit les forces, les inspirations, la vie
même qui l'enrichissent, la renouvellent sans
cesse et la ressuscitent ; et ses ennemis qui,
à la voir chétive et faible,
croyaient avoir raison aisément de sa
résistance,
s'étonnent et s'effrayent de rencontrer
à travers une pauvre âme d'homme, une
puissance surnaturelle contre quoi se brise leur
force. C'est que Dieu est là derrière
cette âme, en elle, vivant et agissant, qui
la préserve des mainmises et des esclavages.
Et pourtant, à cette âme qui ne vit
que de Lui et par Lui, qui n'est forte que de sa
force, à cette âme qui lui appartient,
Dieu laisse la libre disposition d'elle-même.
Il la laisse libre de se détacher, de se
donner à d'autres, de se vendre et de se
perdre ; car c'est seulement dans une libre
dépendance à l'égard de Dieu
que l'âme peut rester à la fois
« sienne » et
« nôtre ». Mais
détachée de Lui, elle ne nous
appartient plus. Désormais sans
défense, privée de la nourriture qui
la vivifie, déracinée, elle flotte
à tout vent de passion et devient la proie
des trafiquants et des corrupteurs, qui pour leur
profit ou la réalisation de leurs
rêves coupables, achètent et vendent
les âmes, s'efforcent de les gagner ou de les
pervertir.
Il ne suffit pas de dire que notre
âme, détachée de Dieu, ne nous
appartient plus. En fait elle n'est plus, elle est
perdue, elle est morte, et Dieu seul a le pouvoir
de la ressusciter. Il ne saurait être
question de posséder ce qui n'existe plus.
Oui, l'âme meurt séparée de
Dieu, comme le sarment détaché du
cep, comme la fleur coupée de la
plante ; peut-être, comme eux,
épuise-t-elle encore, pendant quelque temps,
les réserves de sève qu'elle porte,
mais bientôt elle se flétrit et se
dessèche ; ou encore, comme une source
qui cesse d'être alimentée, elle
stagne, mare croupissante qui lentement
s'évapore, répandant autour d'elle la
pestilence de ses eaux corrompues.
Ils savent bien, ceux qui veulent gagner le
monde, que leurs conquêtes restent
stériles s'ils ne gagnent pas encore les
âmes ; ils savent aussi - et ils le
montrent bien - qu'on ne peut gagner les âmes
qu'à la condition de les détacher de
Dieu ; mais ce qu'ils ne savent pas, c'est
qu'ayant mené à bien cette triste
besogne, ils ne sont plus les maîtres que
d'âmes mortes. Ils ont pu conquérir
des intelligences, des volontés, des corps,
même des consciences aveuglées ;
l'âme leur échappe encore. En
l'arrachant à Dieu, ils l'ont tuée.
Et, de fait, si on voit sous leur empire
l'intelligence, la volonté réaliser
parfois des prodiges, on ne voit
guère se manifester ces gestes de
pitié, ces grands élans d'amour,
cette poésie sublime, ou même ces
oeuvres de l'esprit qui sont les fruits de
l'âme. Les fleurs coupées ne peuvent
plus nouer de tels fruits.
Nous ne possédons réellement,
éternellement, que ce que nous
possédons en Dieu ; nous ne sommes
réellement qu'en Dieu seul. Aussi bien les
appels et les tentatives de ceux qui nous engagent
à leur vendre notre âme, sous
prétexte qu'elle nous appartient et que nous
en pouvons disposer librement, ne sont, en fait,
que des invitations au suicide.
Pour garder notre âme libre et vivante,
vivante afin qu'elle puisse rester libre, libre
afin qu'elle puisse rester vivante, sachons la
maintenir en contact avec Celui en qui elle a sa
source ! Dans le trouble de notre monde,
où toutes les valeurs sont
bouleversées, l'âme elle-même,
l'âme surtout est en péril. Elle a vu
s'écrouler toutes les pauvres
défenses sur quoi elle comptait pour se
protéger. Mauvaises défenses qui
l'endormaient dans une fausse
sécurité ! Elle demeure pauvre,
faible et nue comme une forteresse
démantelée à la merci de
l'adversaire, menacée du dehors et du
dedans : du dehors, par les séductions
et les artifices du mensonge, par le prestige de la
force, les contagions de la haine et de
l'injustice ; et du dedans, par la peur,
l'intérêt, les subtilités d'une
sagesse opportuniste qui l'invite aux concessions,
aux capitulations. Qu'il est insinuant et sournois
cet investissement ! Le mal n'a-t-il pas
toujours cette tactique du serpent qui, d'abord,
jette le trouble dans les âmes qu'il veut
saisir (« Dieu a-t-il réellement
dit Vous ne mangerez pas de tous les fruits du
jardin d'Eden ? »). qui cherche
à les fasciner pour les vaincre, patient,
inlassable, multipliant les insinuations qui
déconcertent ? Et, peu à peu, la
résistance fléchit, tandis que
s'endort la vigilance. Les âmes mal
attachées, peu solides, sont
ébranlées, les convictions deviennent
hésitantes ; voici le doute avec son
désarroi : « Qui sait ?
- Où est la vérité ? -
Où est la justice ? »
Mais ces insinuations, menaces et promesses,
ne peuvent rien sur les âmes lorsque,
inébranlablement, elles restent
fixées en Dieu. Leur
faiblesse même devient leur force.
Dépouillées des avantages et des
privilèges terrestres, dans
l'humilité, elles connaissent enfin, ces
âmes, que leur véritable richesse et
leur véritable puissance sont en Dieu et
viennent de Lui. Et ces forteresses
démantelées restent pourtant
imprenables, protégées, soutenues par
Celui à qui toutes les ruses et toutes les
violences du monde ne sauraient ravir son
empire.
Cela est vrai pour l'âme des peuples
comme pour l'âme des individus ; aussi
notre tâche de Chrétiens, citoyens
d'une patrie terrestre, est-elle de maintenir entre
Dieu et notre peuple le contact, le trait d'union
qui assurent la circulation de la vie divine dans
l'âme de notre pays. Entre tous, nous
disciples du Christ, gardons notre âme si
nous voulons que l'âme de la France vive et
reste libre et que dans l'âme humaine aussi
subsiste ce jaillissement de l'Esprit qui lui
permettra de rejeter les souillures, la boue et le
sang qui la couvrent aujourd'hui, sous la
poussée d'une vie
régénérée !
Gardons notre âme en l'attachant plus
étroitement que jamais à Celui en qui
elle prend source ! Gardons-là, par la
foi, contre le coeur de Dieu. Alors jamais nous ne
serons abandonnés, ni dans la disette, ni
dans la persécution, ni dans la mort ;
et quand bien même nous serions reniés
et repoussés par tous les hommes, Dieu sera
là, en nous, vivant, et sa présence
sera notre sauvegarde, notre force et notre
joie.
Alors nous ne serons jamais vaincus, nous ne
pourrons pas être vaincus, même dans
les chaînes, même par la mort ; et
notre âme, jusque dans ses silences, criera
sa protestation et sa révolte et
créera, par son attitude, le climat de
résistance où s'usent et se lassent
toutes les oppressions. Et nous trouverons aussi le
courage d'accepter tous les sacrifices qui
garderont notre âme sauve.
Quand une âme est en Dieu, elle n'a
rien à redouter des tentatives de ceux qui
voudraient l'asservir, car, alors, c'est Dieu
Lui-même, attaqué dans son royaume,
qui se dresse pour opposer à leur menace un
« non » décisif et
libérateur.
- En vain avec la mort Satan conspire
- Pour briser son empire
- Il suffit d'un mot du Dieu fort.
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