Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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(Jean 17.17)
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Voix Chrétiennes dans la Tourmente



LES LARMES DU CHRIST

Pasteur G. VIDAL
2 Novembre 1941

LECTURES BIBLIQUES

Jésus, à son arrivée, trouva qu'il y avait déjà quatre jours que Lazare était dans le tombeau. Or, Béthanie n'était éloignée de Jérusalem que d'environ quinze stades. Plusieurs des Juifs s'étaient rendus auprès de Marthe et de Marie pour les consoler de la mort de leur frère. Quand Marthe apprit que Jésus arrivait, elle alla au-devant de lui ; mais Marie était restée assise à la maison. Marthe dit à Jésus : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ; et maintenant même, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l'accordera. » Jésus lui dit : « Je suis la résurrection et la vie ; celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort. Et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? Elle lui répondit : « Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, celui qui devait venir dans le monde. »

Quand il eut dit ces paroles, elle s'en alla, appela en secret Marie, sa soeur, et lui dit : « Le Maître est là, et il t'appelle. » Dès que Marie eut entendu cette parole, elle se leva promptement et alla vers lui. Or Jésus n'était pas encore entré dans le village, mais il était resté à l'endroit où Marthe était allée à sa rencontre. Quand les Juifs, qui étaient avec Marie dans la maison et qui la consolaient, la virent se lever et sortir si promptement, ils la suivirent, croyant qu'elle allait au tombeau pour y pleurer. Mais Marie, étant arrivée à l'endroit où se trouvait Jésus, se jeta à ses pieds dès qu'elle l'aperçut et elle lui dit : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ! »

Lorsque Jésus vit qu'elle pleurait et que les Juifs qui étaient venus avec elle pleuraient aussi, il frémit en son esprit et il fut tout troublé. Puis il demanda : « Où l'avez-vous mis ? » Ils lui répondirent : « Seigneur, viens et vois. »
Jésus pleura.


ÉVANGILE SELON SAINT JEAN, CH. XI, V. 17 A 36.

Quand il fut près de la ville, en la voyant, Jésus pleura sur elle, et il dit : « Si tu avais reconnu, toi aussi, au moins en ce jour, ce qui pouvait te donner la paix ! Mais maintenant tout cela est caché à tes yeux... Car des jours viendront sur toi où tes ennemis t'environneront de tranchées, t'investiront et te serreront de toutes parts. Ils te détruiront entièrement, toi et tes enfants au milieu de toi ; et ils ne te laisseront pas une pierre sur une autre pierre, parce que tu n'as point reconnu le temps où tu as été visitée. »

ÉVANGILE SELON SAINT LUC, CH. XIX, V. 41 A 44.


 Jésus pleura.
JEAN, XI, 35.

Quand il fut près de la ville, en la voyant, Jésus pleura sur elle.
Luc, XIX, 41.

Un jour, Anna Magdelena Bach entra dans la chambre où travaillait son mari, dans le moment même où il composait le pathétique « Ah ! Golgotha » de la Passion selon saint Matthieu, et, sur le seuil, la visiteuse s'arrêta bouleversée. « Quel saisissement », écrivait-elle plus tard, « lorsque j'aperçus son visage, à l'ordinaire si coloré et calme, de la couleur des cendres et tout ruisselant de larmes. Il ne me vit heureusement pas, je me glissai tout doucement dehors, m'assis devant sa porte et pleurai. Il n'a jamais su que je l'avais vu dans la douleur de la création, et je m'en réjouis encore aujourd'hui, car c'est une minute dont Dieu seul devait être témoin. »

Il est des spectacles qui ne sont pas faits pour des regards humains, et, entre tous, celui des, larmes versées par les forts, les vaillants, dans la solitude de la douleur. Mais, quand c'est le Christ lui-même qui pleure, n'est-ce pas un sacrilège d'arrêter sur son visage un regard curieux ? La pudeur, la piété, le respect ne nous invitent-ils pas à, passer en baissant les yeux, à refermer silencieusement la porte, entr'ouverte par l'évangéliste sur cette vision, pour ne répondre que par nos larmes aux larmes du Christ ?

Si les disciples ont surpris leur Maître dans la solitude des larmes, les évangélistes n'en ont rien dit, peut-être n'en ont-ils rien su. En revanche, par deux fois, ils nous montrent le Christ pleurant : un jour sur le tombeau de Lazare, et plus tard sur Jérusalem. Mais ici, Jésus ne cherche pas la solitude ; ses disciples, la foule, l'entourent ; il n'essaie pas de leur cacher ses larmes. Simplement, humblement, devant la mort et le péché : les deux grandes puissances qui menacent et frappent l'humanité dans sa chair et dans son âme, Il laisse voir son trouble et sa douleur. Or, si le secret des larmes humaines, répandues dans le mystère d'une visitation divine, n'appartient qu'à Celui devant qui elles furent versées et qui les inspira, les larmes divines, les larmes du Christ appartiennent à tous les hommes avec qui ou sur qui Il a pleuré. Et puis les larmes du Christ ont quelque chose à nous dire, que les mots infirmes ne pouvaient exprimer. Elles nous apportent un message d'En-Haut, une réponse ou un appel divin qu'il nous faut essayer de comprendre. Mais, aucun langage ne nous traduira ce message si, d'abord, aux larmes du Christ nous ne savons pas ouvrir notre coeur pour les y recueillir.

Il y a des larmes forcées ou faciles ; il y a des larmes de dépit et de colère, d'amour-propre ou d'orgueil froissés ; il y a des larmes futiles et puériles ; à ces larmes Jésus n'a pas mêlé les siennes. Sans doute Il avait vu, parfois, des yeux clairs d'un enfant, rouler de ces larmes trop lourdes, expression de chagrins démesurés, et Lui, l'ami des petits, n'a pas méprisé cette douleur, mais Il n'a pas pleuré avec elle ; Il a trouvé dans son coeur le secret du geste, de la caresse qui apaisent et rassurent, et du sourire qui ramène la joie. Il avait écouté les sanglots de la pécheresse au parfum de nard pur et senti la brûlure de ses larmes, mais sur elle Il n'a pas pleuré, car la joie chantait dans son coeur devant cette âme ressuscitée. Mais, à Béthanie, aux approches de la maison hospitalière que la mort vient de visiter, Il rencontre la plus profonde, la plus poignante des douleurs humaines. Les larmes enfantines s'évaporent, comme une rosée printanière au lever du soleil ; les larmes du repentir, comme la source jaillit dans le désert forme autour d'elle une oasis, préparent une vie transformée. Mais la mort, sur les coeurs qui aiment, même soutenus par l'espérance et par la foi, laisse toujours sa marque. De sa griffe ils peuvent sortir purifiés, grandis, mais ils restent blessés. Déjà, sans doute, Jésus avait rencontré la mort sur sa route, pourtant ni devant le fils de la veuve de Naïn, ni devant la fille de Jaïrus il n'a pleuré. Il a dit, au contraire, aux affligés : « Ne pleurez pas. »

Mais, à Béthanie, le Christ a connu toute la douceur des tendresses humaines. Et puis, ici, la douleur éclate dans l'espérance et dans la foi. Aveugles et naïfs ceux qui voient dans la foi un remède contre la douleur ou un anesthésique ! Ne vient-elle pas aux coeurs les plus sensibles, et, sur cette terre, celui qui souffre le plus n'est-il pas toujours celui qui aime le plus ? L'active et vaillante Marthe, elle-même, ne cherche pas un dérivatif dans les soins du foyer ; la première, elle accourt au-devant de Jésus. Ce n'est plus la femme positive absorbée dans les détails de la vie pratique, mais une âme transformée par la douleur. Quelle assurance, quelle fermeté dans sa foi ! « Seigneur » - s'écrie-t-elle - « si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. Mais, maintenant même, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l'accordera. » Et la tendre et rêveuse Marie, si souvent absente, et comme évadée de ce foyer où s'écoule sa vie, qu'elle est proche de ses bien-aimés, dans le drame qui bouleverse la maison ! Accourue à son tour, elle la fervente, la mystique qui déjà semblait avoir échappé à la terre, ne peut que s'écrouler aux pieds de Jésus, toute secouée de sanglots.

Quel enseignement pour les âmes dont la foi impassible semble planer au-dessus des détresses humaines, et que scandalisent peut-être les éclats d'une douleur profonde et vraie ! Car Jésus - qui savait bien, Lui, que la foi tend toutes les fibres du coeur aux rafales de la souffrance comme aux souffles de l'Esprit - devant cette âme, entre toutes pieuse et confiante, assurée que pour Dieu il n'y a pas de mort et pourtant écrasée de chagrin, Jésus frémit en lui-même, pénétré d'une émotion qui le bouleverse. Il mesure, mieux que jamais peut-être, la force et le prix des liens charnels par quoi les âmes se lient et communiquent ici-bas et, à l'heure où se brisent ces entrelacements de la chair, devant la demeure dont tous les aîtres évoquent le visage et le sourire de l'ami disparu et où sa voix parle encore, la houle des larmes, tout à coup, monte et soulève son coeur : « Jésus pleura ! »

En ce jour que la piété des hommes consacre au souvenir des morts, et où nous songeons particulièrement à ces jeunes vies données pour nous défendre, regardons à travers les visages bien-aimés de nos disparus, au visage de Celui qui est venu mêler à nos larmes ses larmes, et cherchons le message qu'elles apportent à nos coeurs douloureux.

Peut-être quelques-uns ont-ils peine à reconnaître, sous cet aspect nouveau, exceptionnel, la figure du Christ. Le vrai Christ, pour eux, c'est le lutteur viril, le consolateur qui, dans la souffrance, apporte aux âmes les radieuses certitudes de la foi. Mais ce Christ qui s'abandonne - ils diraient presque : qui se laisse aller -, ce Christ qui rejoint les hommes dans leur infirmité, les étonne et les déçoit. Peut-être regrettent-ils que les disciples et la foule aient surpris le Maître dans un instant d'humaine défaillance !

Ah, les aveugles ! qui ne sentent pas que les larmes, même les leurs, sont un des signes de la grandeur de l'homme, et d'abord parce qu'elles ont l'éloquence de la vérité, de cette vérité pure, nue, qui se passe des mots incapables de l'exprimer, et trop capables, hélas ! de la déformer et de la travestir. Ah, ces hommes graves figés dans leur raideur stoïque, ces hommes aux yeux secs, qui ne savent pas qu'ils étouffent ce qu'il y a en eux de plus spontané, de plus naturel, de plus vrai ! Ces hommes sincères qui ne savent pas, qu'ils ne sont plus vrais ! Ces hommes forts qui ne savent pas qu'ils sont faibles, parce qu'ils tarissent en eux, avec les larmes, la source des élans et des enthousiasmes créateurs !

C'est au coeur qu'est la source des larmes. Elles jaillissent spontanément quand il frémit, quand il s'émeut et quand il s'ouvre, déchiré, aux heures où la tête ne peut plus comprendre et traduire ses peines, ses transports et ses messages ineffables. Car les larmes sont encore le langage de l'amour, le plus émouvant des langages de l'amour et le signe de sa profondeur. L'amour pleure, quand les mots sont trop petits pour lui, et ils le sont toujours quand il souffre. Faiblesse ! Mais l'amour est la plus grande des choses qui demeurent ; aussi, les heures où nous avons pleuré sont-elles, souvent, les plus grandes de notre vie et celles qui demeurent, échappent à l'effritement du temps, insérées dans l'éternité. Et nous savons bien qu'il y a dans ces larmes d'amour une vertu purificatrice, car, dans la douleur aussi bien que dans le repentir, après avoir pleuré, nous nous sommes sentis meilleurs.

Mais il y a plus encore, et le divin Maître ne l'ignorait pas qui disait à Marie de Magdala, penchée sur le sépulcre : « Femme pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? », associant ainsi aux larmes l'idée d'une recherche. Oui, il y a dans nos larmes une recherche, un appel, une espérance déjà, puisqu'elles brisent l'encerclement du désespoir. Marie répondait à Jésus : « Ils ont enlevé mon Seigneur et je ne sais où ils l'ont mis... Si c'est toi qui l'a emporté, dis-moi où tu l'as mis, et j'irai le prendre. » Recherche d'un bonheur perdu, d'un visage aimé disparu, appel au secours lancé dans l'espace par une âme en détresse, quête éperdue d'une certitude qui permettra de reprendre la vie, nos larmes sont des prières, la prière de notre amour ; et chaque prière n'est-elle pas aussi une espérance tendue vers Dieu ?

C'est à cette prière de nos larmes que viennent répondre les larmes du Christ. « Jésus pleura ! » Sentez-vous bien toute la signification de ces simples mots ? Nous sommes bien trop indigents pour faire fi d'une sympathie humaine, quelque maladroite et infirme qu'elle soit. Mais celle qui nous émeut, nous réconforte profondément, nous vient des forts de ceux surtout qui ont traversé victorieusement la même épreuve que nous et qui ont plié sous le même fardeau. Or, ici, frères douloureux, c'est le Fort entre les forts qui vient pleurer avec vous ! C'est l'homme de douleur, celui qui a porté toute la souffrance des hommes ! Seriez-vous abandonnés de tous, lui n'abandonne jamais ; seriez-vous incompris de ceux qui vous aiment le mieux, lui comprend toujours. Le Christ, en pleurant avec nous, non seulement légitime nos larmes dans la douleur, mais il nous affirme qu'il y a pour tous ceux qui pleurent de vraies larmes, une sympathie toujours prête à se manifester, une sympathie surhumaine, divine, et dans cette sympathie le plus merveilleux des réconforts. Voilà la première réponse apportée à la prière de nos larmes par les larmes du Christ.

Il y en a une autre. Ce n'est pas l'homme de douleur seulement qui vient pleurer avec nous, c'est l'homme qui a vaincu la douleur et qui a vaincu la mort. Tout à l'heure, en s'adressant à Marthe, Il a prononcé cette parole qui reste comme une lumière sur la nuit du tombeau : « Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra quand même il serait mort ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. » Et les larmes du Christ coulent dans cette lumière qui les éclaire, comme tombent, parfois, les gouttes d'une averse dans l'oblique clarté des rayons du soleil. Et de même aussi que la pluie enfonce dans le sol les semences, les gonfle et les fait germer, les larmes du Christ, pénétrant les coeurs douloureux de la certitude que Dieu les aime et souffre avec eux, implantent et font germer en eux la promesse de la vie éternelle. Car le Dieu qui nous aime ne nous appelle pas à la vie pour nous condamner à la mort ; Il ne veut pas enfermer nos âmes dans le désespoir et ne fait pas naître l'amour, dans nos coeurs, pour les briser ensuite. Si, à l'heure des départs déchirants, à nos coeurs anxieux qui voudraient une réponse à tous leurs pourquoi, le Christ ne donne pas de précisions, ses larmes leur apportent la certitude que Dieu aime et que, dès lors, tout sera bien.

Alors pourquoi les larmes devant la mort ? Ces larmes, dans l'affirmation de la vie éternelle, ne sont-elles pas le signe d'un doute qui subsiste, d'une secrète angoisse devant le grand mystère ? Ne sentez-vous pas, au contraire, qu'elles apportent à notre foi le témoignage dont elle a besoin, qu'elles confèrent un pouvoir de persuasion bouleversant à la solennelle promesse du Christ ? Qu'apporterait à notre coeur, devant un tombeau, le raisonnement d'un philosophe aux yeux secs, démontrant la probabilité de la vie future, ou même la froide assurance d'une âme qui n'aurait pas connu l'étreinte de la mort ? Ici la vérité ne nous devient sensible et certaine que lorsqu'elle est cherchée, reçue et donnée, dans les larmes ; alors elle jaillit du coeur comme un cri de victoire. Jésus pleure devant la mort, sachant qu'il l'a vaincue. Il ne pleurerait pas s'il la croyait victorieuse, car les douleurs désespérées n'ont pas de larmes. À travers les larmes humaines déjà murmure le doux chant de l'espérance, mais, à travers les larmes du Christ, il éclate comme un hymne de triomphe. Au Maître qui affirme : « Je suis la résurrection et la vie » et 'nous interroge : « Crois-tu cela ? », nous pouvons répondre avec Marthe : « Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu. »

Peu de jours après la résurrection de Lazare, Jésus s'avance vers Jérusalem, entouré déjà de quelques amis venus à sa rencontre, et « comme Il approchait de la ville, en la voyant, Il pleura sur elle ».

Mais ici, ce n'est plus le même message que nous apportent les larmes du Christ. Ici, Jésus ne vient pas se pencher sur la douleur des hommes et pleurer avec eux ; au contraire, c'est à travers les transports d'allégresse d'un peuple qui l'accueille en triomphateur, que ses yeux s'emplissent de larmes. Ici Il est seul à pleurer, parce qu'Il est seul à se rendre compte de la situation tragique de son peuple et des menaces qui pèsent sur Jérusalem. Et la foule, les disciples eux-mêmes, s'étonnent, sans doute, qu'à l'heure où ils l'acclament, au moment même où apparaît la blanche cité promise à son règne, le Messie, pour la saluer, ne puisse trouver que des larmes.

Certes une émotion profonde où s'exalte leur amour et leur fierté étreint aussi le coeur des disciples devant la capitale, témoin superbe et meurtri des jours héroïques, devant la cité sainte, la ville des prophètes, visionnaires des jours glorieux, la ville du temple dont ils feront admirer bientôt les assises puissantes à leur Maître. Sans doute aussi souffrent-ils, dans leur patriotisme et leur orgueil national, à la vue de la cité humiliée. Devant eux, symbole de l'occupation ennemie, se dresse la citadelle dominant la ville et le temple : cette tour Antonia où veille la garde romaine. Au loin, les bâtiments du prétoire attestent la présence du représentant de la loi de Rome, exécuteur indifférent et impitoyable de ses hautes oeuvres, aux jours où l'excès de la souffrance fait exploser la révolte. Récemment encore, Pilate n'a-t-il pas mêlé au sang de leurs sacrifices celui de quelques-uns de leurs compatriotes galiléens, dont Jésus disait qu'ils n'avaient pas été plus coupables que « tous les autres habitants de la Galilée ! Mais cette souffrance est de celles qu'on garde les dents serrées ; elle ne s'exprime guère dans des larmes, surtout dans des larmes versées publiquement.

Jésus a peut-être éprouvé quelque chose de cette souffrance, mais Il voit plus loin que les épreuves physiques d'un peuple opprimé. C'est à son âme qu'Il songe, et, vraisemblablement, c'est moins la souffrance de ce peuple que son absence de souffrance qui le bouleverse en ce moment. C'est sa veulerie, sa soumission devant la puissance du mal, son inertie spirituelle, sa déchéance morale qui le désolent. Il songe à ces Sadducéens qui subordonnent tout, même les valeurs religieuses, à leurs ambitions politiques, toujours prêts aux concessions et aux compromis qui laisseront entre leurs mains quelques parcelles d'un pouvoir éphémère, et d'ailleurs illusoire. Il songe à ces Pharisiens. dont le patriotisme ne sait s'exprimer qu'en haine contre l'étranger et qui, enfermés dans les pratiques de dévotion d'une religion formaliste, ne veulent pas reconnaître que le salut de leur peuple exigerait une transformation de son âme, une révolution spirituelle et morale et non pas un conformisme de gestes et d'attitudes. Il songe à ce peuple de Jérusalem, asservi, avili, mené, à cette masse changeante, esclave de ses appétits et de ses passions, criminelle et inconsciente, et cependant plus saine, dans son âme profonde, que ceux qui la dirigent, car c'est auprès d'elle qu'Il a trouvé le plus de compréhension, la foi la plus vivante et cette faim de l'âme, cet appétit spirituel depuis longtemps émoussé chez les conviés de haut rang, pourvus et satisfaits.

Et Jésus pleura sur la ville ! Mais ici ses larmes prennent un sens nouveau, elles ne sont plus une réponse à la prière des hommes, comme sur le tombeau de Lazare ; elles sont elles-mêmes une prière, un appel. Celui qui est venu s'associer à la souffrance des hommes les invite, ici, à s'associer à sa propre souffrance, qui est aussi souffrance de Dieu. Celui qui est venu pleurer, avec nous, des larmes humaines, nous appelle maintenant à pleurer, avec Lui, des larmes divines. Larmes divines, celles qu'Il verse sur le péché des hommes, sur toute cette boue dissimulée, parfois, sous l'orgueilleux décor des cités opulentes, mais remuée par le piétinement quotidien des fils prodigues et des fils aînés et des troupeaux humains en marche ! Larmes actuelles du Christ versées sur notre humanité coupable et douloureuse, sur notre Jérusalem si étrangement semblable, aujourd'hui, à celle d'autrefois ! Laisserons-nous encore le Christ pleurer tout seul, nous ses disciples, devant l'incompréhension et le mensonge, les reniements et les trahisons, l'oppression écrasante et l'acceptation veule, devant l'opportunisme sadducéen et ce pharisaïsme qui s'abrite dans les églises et se réfugie dans l'éternel quand les exigences de l'actualité lui font peur ?

Nous trouvons naturel que le Christ vienne pleurer avec nous et notre foi, peut-être, se scandaliserait qu'il en fût autrement. Mais nous ne savons pas, nous, pleurer avec Lui. Nous gémissons et nous nous lamentons sur les malheurs du temps présent, mais ils ne nous arrachent guère de larmes, et, d'ailleurs, n'est-ce pas du malheur que nous souffrons plutôt que du mal, sa source ? Devant les audaces et les éclats de la puissance du mal, nous avons des sursauts de révolte, d'indignation ou de peur, nous ne pleurons guère de douleur. Les cauchemars qui, parfois, troublent notre sommeil ne durent pas et nous nous familiarisons même avec l'horrible, quand il ne nous touche pas directement. Quel pouvoir a donc sur nous l'habitude, que nous puissions, à la longue, nous faire à l'horreur et à la honte, et mener une existence ordinaire, dans l'extraordinaire abomination !

Mais à quoi bon les larmes ! Pleurer ne sert de rien - nous dira-t-on -, il faut agir. Agir ! Mais ne sentez-vous pas que les larmes auxquelles Jésus nous demande de nous associer sont encore, ici et toujours, les larmes de l'amour ; or l'amour est la grande force créatrice. Sans lui toute action reste sans élan et demeure stérile, comme une semence éborgnée jetée dans le sillon. L'amour qui pleure ! mais, entre tous - le Christ est venu nous le prouver - c'est celui qui agit, car c'est celui qui se donne, celui qui s'immole pour sauver. En sorte que, par ses larmes, c'est à l'amour même que le Christ nous appelle, à cette souffrance d'amour, créatrice et vivifiante qui transforme les croix en instruments de salut.

Devant la Jérusalem moderne qui menace ruine, sourde aux appels de Celui qui voudrait rassembler ses enfants et incapable de comprendre ce qui est nécessaire à sa paix, ne résistons pas à la muette imploration de l'amour du Christ ! Alors à travers nos larmes, mêlées aux siennes qui les sanctifieront, nous pourrons voir encore resplendir dans nos ténèbres cette immense clarté d'espérance qui, il y a vingt siècles, annonçait aux hommes la naissance d'un monde nouveau.

Car ici, comme sur le tombeau de Lazare, les larmes du Christ nous apportent encore une promesse : la promesse d'une victoire. Jésus pleure sur le monde, mais déjà Il l'a vaincu. Il pleure sur l'incompréhension et l'endurcissement du coeur humain qui font peser sur ce monde une menace de mort ; mais son amour est plus fort que la mort. À travers les larmes, Il nous rappelle le message qui permet de ne jamais désespérer : « Vous avez des tribulations dans le monde, mais prenez courage, j'ai vaincu le monde. » La prophétie se réalisera : « Les ténèbres ne régneront pas toujours sur la terre où il y a maintenant des angoisses. » À travers les larmes du Christ apparaît la vision de la cité sainte : la Jérusalem céleste où il n'y aura « plus de mer » pour séparer les hommes, « plus de nuit » pour les égarer et où « la mort ne sera plus » !

Ainsi, devant le monde et devant le tombeau, les larmes de Jésus deviennent les messagères de l'espérance. Mais la promesse de victoire reste conditionnée par notre amour. Le Christ ne s'associe pas à toutes les douleurs. Il faut que nos larmes soient dignes de ses larmes. Si, en ce jour, dans nos coeurs c'est bien l'amour qui pleure et qui saigne devant quelque tombeau, n'en doutons pas, le Christ est avec nous et, à travers les larmes, notre foi peut s'emparer de la merveilleuse promesse : « Je suis la résurrection et la vie. »

Et, devant notre monde misérable et déchu, nos larmes resteront stériles si nous ne pouvons pleurer que de dégoût, de colère, ou même de douleur et de pitié ! Apprenons à pleurer avec Christ ! Efforçons-nous d'élever nos larmes à la hauteur de ses larmes et quand elles monteront de nos coeurs pour jaillir toutes brûlantes d'amour, de cet amour chrétien qui pleure non seulement sur les victimes, mais sur les coupables et sur les ennemis, alors, à travers nos larmes, nous trouverons le secret de la vraie victoire, celle « par laquelle le monde est vaincu ».


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