Voix Chrétiennes dans la
Tourmente
« ON M'A ENLEVÉ MON
SEIGNEUR »
Pasteur A. -N. BERTRAND
Pâques - 5 Avril 1942
LECTURES BIBLIQUES
... Marie était
restée près dit tombeau, à
l'entrée, et pleurait. Tout en pleurant,
elle se pencha et regarda dans le sépulcre.
Elle y vit deux anges en vêtements blancs,
assis à la place où était le
corps de Jésus, l'un à la tête,
l'autre du côté des pieds. Ils lui
dirent : « Femme, pourquoi
pleures-tu ? » Et elle leur
répondit : « Parce qu'on a
enlevé mon Sauveur, et je ne sais où
on l'a mis. » Ayant dit cela, elle se
retourna et, derrière elle, elle vit
Jésus qui était là, debout.
Elle ne savait pas que c'était Jésus.
Jésus lui dit : « Femme,
pourquoi pleures-tu ? Qui
cherches-tu ? » Elle, le prenant
pour le jardinier, lui répondit :
« Seigneur, si c'est toi qui l'as
emporté, dis-moi où tu l'as mis et
j'irai le prendre. » Jésus lui
dit : « Marie ! »
Elle se retourna et lui dit en hébreu :
« Rabbouni ! » Ce qui
signifie : mon Maître !
ÉVANGILE SELON SAINT JEAN, CH.
XX, V. 11 A 16.
Dans l'épisode des Pèlerins
d'Emmaüs, nous lisons :
Les chefs des prêtres et
nos magistrats l'ont livré pour le faire
condamner à mort et l'ont crucifié.
Nous, nous espérions qu'il était
celui qui devait délivrer Israël ;
mais avec tout cela, voici le troisième jour
que ces choses sont arrivées. Il est vrai
que certaines femmes, qui sont des nôtres,
nous ont fort surpris. Elles sont allées de
grand matin au sépulcre et n'y ont point
trouvé son corps ; elles sont venues
nous dire qu'elles avaient même eu des
apparitions d'anges, lesquels. leur ont dit qu'il
était vivant. Alors quelqu'uns des
nôtres sont allés au tombeau ;
ils ont trouvé toutes choses comme les
femmes avaient dit, mais lui, ils ne l'ont pas
vu...
Ils approchaient du village où ils se
rendaient et lui paraissait vouloir aller plus
loin ; alors ils le retinrent, disant :
« Reste avec nous, car il se fait tard et
le jour a déjà
baissé ». Et il resta avec eux.
Comme ils étaient ensemble à table,
il prit le pain, prononça la
bénédiction, le rompit et le leur
donna. Alors leurs yeux s'ouvrirent et ils le
reconnurent...
Ils se levèrent à l'heure
même, retournèrent à
Jérusalem et trouvèrent réunis
les Onze et ceux qui étaient avec eux ;
ceux-ci leur dirent : Le Seigneur est
réellement vivant !...
ÉVANGILE SELON SAINT LUC, CH.
XXIV.
-
-
On
a
enlevé mon Seigneur, et je ne sais
où on l'a mis,
-
JEAN
XX, 13.
Ainsi cette journée de Pâques, qui
devait être pour l'Église naissante
une journée triomphale d'affirmation et de
joie, commence dans le doute et dans les
larmes : Marie-Magdeleine pleure. Au petit
jour, dans l'ombre indécise où l'on
prend peur, où l'on n'a pas le temps ni le
désir de vérifier la
matérialité des choses, tant on
semble vivre dans un monde de rêve, elle est
partie vers les disciples, criant : Mon
Seigneur ! Mon Seigneur ! on, a
enlevé mon Seigneur et nous ne savons pas
où on l'a mis ! Et maintenant que
les disciples sont venus, qu'ils ont tout vu, tout
vérifié, maintenant que le soleil du
printemps inonde le jardin de Joseph
d'Arimathée, maintenant que Jésus
lui-même est là, derrière elle,
prêt à lui parler, elle pleure
encore : Mon Seigneur ! mon
Seigneur ! où a-t-on mis mon
Seigneur ?
Étrange et cependant naturelle
illusion du coeur aimant, qui voudrait retrouver
celui qu'il a aimé sous la forme même
où il l'a connu, qui ne comprend pas que
l'être corruptible ne puisse pas
reconnaître l'incorruptible et que seuls les
yeux de l'âme puissent apercevoir
l'esprit ! Nos deux derniers Évangiles
illustrent cette vérité essentielle
par deux récits, l'un et l'autre
revêtus d'une poésie grandiose et qui,
bien différents dans leur forme, sont
exactement parallèles dans leur intention.
Les pèlerins d'Emmaüs possèdent
toutes les certitudes que la chair peut
apporter : le tombeau vide, le
témoignage des femmes, la confirmation des
Apôtres ; et pourtant ils
répètent mélancoliquement,
alors que le Ressuscité mystérieux
chemine à
côté d'eux : Oui ! Mais Lui,
Lui, ils ne l'ont pas vu. Il faudra qu'ils
s'assoient à la Table où ils croient
avoir invité l'Inconnu, et où en fait
c'est Lui qui les invite
éternellement ; il faudra qu'Il rompe
le pain avec eux, pour que leur coeur
embrasé témoigne de la surnaturelle
présence du Sauveur.
Et Marie-Magdeleine, plus favorisée
encore, est agenouillée sur la porte du
tombeau vide ; le Christ est là,
présent, et plus tragique dans son
désespoir que les Pèlerins, elle se
tord les mains en pleurant : Mon
Seigneur ! mon Seigneur ! on a
enlevé mon Seigneur ! Et il faudra
que Jésus, évoquant l'intimité
du cercle amical, l'appelle par son nom :
Marie ! alors elle le reconnaîtra et
répondra : Mon
Maître ! Deux expériences
d'âme identiques, rapportées sous des
formes différentes : la vue ne sert ici
de rien ; son pouvoir s'arrête aux
mêmes limites qui bornent la vie
terrestre ; mais devant les
révélations faites à la foi
s'ouvre l'empire indéfini de
l'Éternité.
Et je songe à toutes les foules qui,
se pressent dans les églises, en ce matin de
Pâques, à toutes les âmes qui
attendent quelque chose du Christ, de sa
résurrection, de sa présence
triomphale dans le monde, qui viennent et cependant
hésitent, qui croient et sont pourtant
troublées, qui pleurent et cependant
espèrent, en se demandant où est leur
Sauveur, où on l'a mis, dans ce monde
où il n'y a plus de place pour tout ce qu'Il
aimait, pour le charme de l'enfance, pour la
fraîcheur de l'amour, pour la candeur de la
prière ; mais où règne
tout ce qu'Il condamne, tout ce qui a
contribué à le meurtrir et à
le crucifier. Je songe à ce monde où
tant de désespoirs sanglotent : Mon
Seigneur ! où est mon Seigneur ?
où se manifeste une telle soif de Lui,
et où cependant les âmes n'osent pas
se livrer, s'abandonner à la foi...
Et je me dis que les hommes et les femmes
qui sont venus dans notre Temple ne sont sans doute
pas très différents des autres, que
beaucoup, qui n'y viennent que de loin en loin,
sont entrés, cherchant quelque chose, et ne
sachant cependant pas ce qu'ils cherchent. Alors,
je ne voudrais pas être pour vous,
aujourd'hui, le pasteur qui parle d'un peu loin et
d'un peu haut, qui argumente, qui affirme -
à son aise, puisque personne ne peut le
contredire ; - je voudrais être comme un
ami qui viendrait s'asseoir
à côté de chacun, pour lui
parler doucement le langage qui lui convient,
à lui, personnellement, et lui dire :
« Tu cherches ton Sauveur ? tu
demandes où Il est ?
Écoute : n'est-ce pas Lui qui te
parle ? Regarde : n'est-ce pas Lui qui
est là ? »
Oh ! si Dieu voulait prendre la parole
qui est dite pour tous et en faire une parole dite
pour chacun : quelle action de grâces
monterait de nos coeurs à tous !
Je voudrais d'abord que nous apprenions à
voir en Lui, comme Marie-Magdeleine ou les
pèlerins d'Emmaüs, le compagnon discret
de notre vie intérieure, Celui que l'on
reconnaît à l'heure du silence ou de
l'intimité ; et que nous sachions lui
confier la direction de notre vie personnelle. Quel
que soit autour de nous le tumulte du monde, et si
mystérieux que nous paraisse le visage du
Christ, il y a toujours une chose qui dépend
de nous et de nous seuls, c'est l'accueil que nous
allons Lui faire, c'est l'acquiescement que nous
Lui donnerons ou Lui refuserons, c'est l'attitude
que nous prendrons devant Lui ; et c'est cela
qui est l'essentiel pour nous et aussi pour
Lui.
Tu demandes où est ton Sauveur, mon
Frère, ma Soeur ; Il est là
près de toi, et sa voix, monte dans le
silence : « Vas-tu te laisser
entraîner, toi aussi, par la tentation de la
violence ? vas-tu subir le glissement facile
qui conduit de la justice à la vengeance, de
l'indignation à la haine ? vas-tu
entrer dans le cycle maudit du oeil pour oeil et
dent pour dent ? Ne crains pas, je suis
là, mes paroles restent les mêmes que
tu connais bien : Si tu n'aimes que ceux
qui sont aimables, que fais-tu
d'extraordinaire ? Ne sais-tu pas que j'ai
versé mon sang pour tous, et que je les
attends tous, eux et toi, pour le jour du
salut ; tous, ceux qui sont morts à
côté de moi, et qui n'étaient
pas des saints, et ceux qui les ont cloués
sur leurs croix, et Moi sur la mienne, et toi sur
la tienne, peut-être ?... Je suis
là pour que ton amour ne défaille
pas. »
C'est Lui qui te parle, mon enfant, à
l'heure où tu hésites devant la
demi-vérité, qui sera un mensonge
complet ; car il n'y a
pas
de demi-mensonge ; il y a OUI et il y a NON.
« Vas-tu te laisser gagner toi aussi par
l'hypocrisie ? appeler le mal
« bien », appeler
« ordre » le plus effroyable
désordre que le monde ait connu, et
« reconstruction » le plus
grand amas de ruines de l'histoire ? Vas-tu
perdre ta foi dans le caractère sacré
de la vérité ; prêter des
serments que tu ne tiendras pas et recevoir avec
componction des promesses dont tu sais qu'elles ne
seront pas tenues davantage ? Tu entends
encore ma voix ? Alors c'est bon signe :
tu n'as pas rompu avec la
vérité ; car tu sais ce que j'ai
dit à Pilate : Quiconque est de la
vérité entend ma voix. Ne te
laisse pas détourner de la voie
droite ; je suis là pour que ta foi ne
défaille pas ; j'ai versé mon
sang pour rendre témoignage à la
vérité. »
Quand tu regardes les affiches prometteuses,
c'est Lui qui te frappe sur l'épaule et qui
te dit : « Tu es un homme, n'est-ce
pas, et un chrétien ; vas-tu te laisser
mener par les propagandes ou vas-tu agir comme un
être de réflexion et de
conscience ? Les hauts salaires, c'est
très bien ; mais n'y a-t-il pas autre
chose : ta famille, ton sol natal ? Le
pain est noir ici et il est rare ; tu sais
pourquoi ; mais du moins on peut le manger
avec les siens. Ne sais-tu pas qu'il y a entre
l'homme et sa terre, comme entre l'homme et sa
femme, un lien qui est noué pour la bonne et
pour la mauvaise fortune ? Eh bien ! la
mauvaise fortune est venue, il faut la porter
ensemble. Ne perds pas l'espérance que tu as
mise dans ta Patrie. Te rappelles-tu comme j'ai
pleuré sur la ville qui tue les
prophètes ? Et puis je suis descendu
vers la ville et j'y suis entré, et j'y suis
resté, et j'ai voulu y mourir ; parce
que c'était ma ville, la ville de mes
Pères, où leur âme avait
été forgée... »
Ainsi à travers toute notre vie, ses
difficultés, ses problèmes, les
pièges qu'elle nous tend, le fidèle
Ami de l'âme chrétienne, invisible
mais toujours présent, est là pour
guider, conseiller. Comme Il le faisait au temps de
sa chair, Il nous détourne des voies larges
et faciles, vers les sentiers abrupts, dangereux,
difficiles, de l'amour, de la foi et de
l'espérance. Prête l'oreille à
la voix intérieure ; douce ou
sévère, tu l'entendras, aussi nette
qu'ont pu l'entendre jadis Simon Pierre ou Judas ou
Marie-Magdeleine.
Oui, je sais : tu voudrais rencontrer
ton Seigneur ailleurs que dans la vie
intérieure ; tu le cherches en vain
dans le monde qui t'entoure. Dans cet univers
voué à la vengeance et à la
haine, tu demandes, toi aussi :
« Où a-t-on mis mon Seigneur et
pourquoi me l'a-t-on
enlevé ? » Ne serait-ce pas
Chrétien, parce que tu le cherches là
où Il n'est pas, là où Il ne
peut pas être, là où sont les
grandeurs de chair ? Petit être,
cependant, le rencontres-tu chaque jour sans Le
reconnaître.
Tu voudrais le voir parmi les grands de ce
monde, au-dessus de ces grands, régnant sur
eux comme ils règnent sur le monde ;
cependant Jésus nous a prévenus qu'Il
n'était pas venu pour être servi mais
pour servir. Jésus a parlé des grands
de ce monde ; Il nous a dit : Ceux qui
règnent sur les nations exercent sur elles
un pouvoir impérieux ; ils se font
appeler Maîtres et Bienfaiteurs ;
mais il n'a pas ajouté : quand vous
entendez leur voix, obéissez, car celui qui
commande par leur bouche, c'est Moi ; Il a
dit : Ne soyez pas comme eux : mais
que celui qui veut être le premier parmi vous
soit le dernier, et que celui qui veut être
le Maître se fasse le serviteur de
tous.
Il a dit aussi : J'ai eu faim et
vous m'avez donné à manger, j'ai
été nu et vous m'avez donné
des vêtements, j'étais en prison et
vous êtes venus me voir. Et comme les
chrétiens, toujours dominés par
l'amour païen des grandeurs humaines,
répondaient : Seigneur, nous ne
t'avons jamais vu avoir faim, être sans
vêtements ou en prison, Il a
répondu : le frère que vous
assistez, l'affamé, le loqueteux, le
prisonnier, c'est Moi".
Le reconnais-tu, maintenant, ton Sauveur,
sous le visage innombrable de la souffrance ?
Tu demandes où Il est ? où on
l'a mis ? On l'a mis là où il
faut souffrir, où il faut mourir, avoir
faim, être nu, et où tu n'as
même pas le droit de lui porter le morceau de
pain ou le vêtement dont Il te parle. Et ce
qu'Il attend de toi, c'est ton coeur, avec ce qu'il
a pour apaiser la souffrance de l'homme, le pain et
les vêtements s'il se peut, mais surtout,
surtout ton coeur, un coeur qui ne
s'habitue pas à voir
souffrir, qui ne perde pas le sens de la
pitié et de l'indignation, mais qui les
fasse monter vers Dieu, pitié et
indignation, comme deux flammes ardentes, nourries
de la substance même de l'amour. Voilà
le service qu'Il demande.
Et je sais bien qu'Il n'est pas venu pour
être servi mais pour servir ; seulement
Il a tant servi, tant donné de
Lui-même, tant usé son coeur dans les
souffrances d'autrui, tant de fois partagé
son manteau sous le visage de saint Martin, et si
souvent distribué ses vêtements sous
l'aspect de François d'Assise, que le
voilà maintenant usé, pauvre et nu,
et il faut servir à son tour Celui qui
était venu pour être servi. Et dire
qu'il y a des naïfs qui s'imaginent que
Jésus est mort sur la Croix et
qu'après c'est fini, et qu'on peut dire de
lui selon le dicton vulgaire : Maintenant Il
ne souffre plus, c'est fini ! Mais
Jésus est en agonie jusqu'à la fin du
monde ; il faut l'avoir toujours sous les yeux
pendant ce temps-là.
Ici, je sens monter vers moi comme une sorte de
déception et presque de protestation de bien
des esprits : Vraiment, est-ce tout ce que
vous avez à nous offrir comme
espérance de Pâques : la
contemplation éternelle d'une
éternelle agonie ? Alors, pour vous, la
résurrection du Christ, c'est le
recommencement : indéfini de sa
Passion ; c'est en quelque sorte la reprise de
sa vie terrestre, avec toujours l'humilité,
toujours la souffrance, toujours la Croix ?
Pas de victoire ? pas de Christ
glorifié ? pas de Christ-Roi ? Et
vous vous étonnez qu'avec un Évangile
ainsi dépouillé de sa couronne
royale, on traite le Christianisme de
« religion d'esclaves », bonne
pour les peuples et les hommes qui tiennent
à être battus ? Une religion dont
vous ne voudriez, au fond, pas plus que
nous ?
Mes Frères, il ne s'agit ici ni de
vous ni de moi ; il s'agit de
l'Évangile. Une chose est certaine, c'est
que la première chose - la seule - que nous
offre l'Évangile, c'est un service, l'humble
service des hommes, revêtu, il est vrai,
d'une souveraine noblesse, puisque derrière
lui on nous fait
reconnaître le service du
Maître et le service de Dieu. Il est bien
vrai que Notre Seigneur n'est pas venu pour
être servi, que nous ne rêvons pas d'un
Christ qui régnerait à la
manière des princes de ce monde, et
porterait l'épée, afin de faire
périr par l'épée ceux qui
auraient tiré l'épée.
Mais nous ne nous croyons pas, pour cela,
voués à l'esclavage, au
contraire ; nous croyons que la royauté
du monde est promise non à
l'épée mais à l'amour et
à l'esprit de service. Le monde est à
la croisée des chemins ; il doit
choisir ; que dis-je ? il a choisi, ou
plutôt ses chefs ont choisi pour lui. Depuis
deux siècles en particulier, le monde
moderne s'applique à éliminer
l'influence chrétienne, sinon de la vie
individuelle de chacun, du moins du gouvernement
des États et de leurs relations
réciproques ; et comme on pouvait s'y
attendre, à mesure que cette
déchristianisation se poursuit, les conflits
se multiplient, s'étendent et surtout
s'aggravent, s'exaspèrent et finalement
deviennent insolubles, dans une
société qui ne reconnaît rien
au-dessus des verdicts essentiellement instables de
la force.
Le monde est en train de faire la preuve -
la preuve par l'absurde et par l'odieux - de
l'impossibilité radicale pour la violence,
de construire quelque chose de solide et
d'harmonieux. La parole de l'Apôtre :
Si vous vous déchirez les uns les autres,
vous périrez les uns par les autres, est
en train de se réaliser pour
l'humanité tout entière : Sur le
monstrueux bûcher qu'elle entretient de sa
propre chair, peu importe à chaque nation de
jeter ses propres trésors, pourvu qu'elle y
consume aussi ceux des autres ; dans un monde
où tant d'hommes ont faim, on jette chaque
jour au fond de la mer la nourriture d'un peuple.
L'heure est venue de reprendre la parole du
prophète : Malheur à ceux qui se
confient à l'homme, en ses chars, en ses
cavaliers ; c'est-à-dire : malheur
à ceux qui croient qu'il s'agit seulement du
choc de deux empires et que le tout est de savoir
lequel sera victorieux. Il s'agit de la fin d'un
monde. Le monde dans lequel les plus
âgés d'entre nous vivent depuis un
demi-siècle, est frappé à
mort ; il ne se relèvera jamais. Et
celui que l'on reconstruira sur ses ruines, sera le
monde de Jésus-Christ, ou il sera le
monde de Satan ;
il sera le
monde de l'amour et de l'entr'aide, ou il sera le
monde de la famine et de la mort. Voilà le
choix qui nous est laissé.
Et c'est devant ce dilemme redoutable que
l'Eglise reprend sans hésiter son cantique
de Pâques : je sais que mon
Rédempteur est vivant ; Il
n'élève pas la voix, Il ne crie pas
sur les places publiques ; mais pour les
peuples qui marchaient dans les
ténèbres, une grande lumière
resplendit ; devant Lui les rois connaissent
ce qu'ils n'avaient pas compris, et on Le salue
comme l'Admirable, le Prince de la Paix ; en
Lui est notre espérance, car Notre Seigneur
est réellement vivant !
Mes Frères, arrêtons-nous sur cette
parole ; Notre Seigneur est réellement
vivant. L'Eglise la laisse à chacun de vous
comme une promesse pour les jours difficiles que
nous avons à vivre.
Il y a dans cette Église nombre de
fidèles qui sont venus, cherchant toute la
richesse de l'Évangile de Pâques et
désireux de la recevoir ; qu'ils
l'emportent dans leur coeur comme une clarté
fidèle : Le Seigneur est
réellement vivant !
Mais il y a aussi, je m'assure, surtout
parmi nos jeunes frères et nos jeunes
soeurs, bien des amis qui sont entrés ici
avec une grande espérance, ou plus
exactement avec une grande soif de l'âme,
cherchant ils ne savaient trop quoi, mais quelque
chose de beau et de grand qui puisse combler le
vide de leur coeur, dominer la détresse du
monde et leur permettre enfin de vivre. Eh bien,
qu'ils le reçoivent eux aussi, cet
Évangile de l'espérance :
Notre Seigneur est réellement
vivant !
On vous a dit que c'en était fini des
naïvetés du Christianisme, qu'il n'y
avait plus que la force et la violence qui
comptent ; plus que la ruse et le mensonge qui
réussissent :
Ce n'est pas vrai !
On vous a dit que l'amour et le
désintéressement étaient une
vanité, le service des autres une duperie,
l'humilité une sottise ; que seuls
l'orgueil et la haine étaient maîtres
du monde : Ce n'est pas vrai !
On vous a dit que d'ailleurs Celui qui
était venu autrefois pour témoigner
de l'amour de Dieu aux hommes, et que les hommes
avaient été assez sots pour suivre -
de loin, heureusement, - ses contemporains, plus
avisés, l'avaient tué, et qu'Il
était mort sur la Croix, bien mort, et que
c'était fini de Son règne : Ce
n'est pas vrai !
Ce qui est vrai, c'est que Notre Seigneur
est réellement vivant.
Ainsi soit-il.
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