Voix Chrétiennes dans la
Tourmente
SERVICE DE RENTRÉE
I - Pasteur A. -N. BERTRAND
II - Pasteur G. VIDAL
Ill - Pasteur P. VERGARA
24 Octobre 1944
LECTURES BIBLIQUES
Mes frères, vous avez
été appelés à la
liberté ; seulement que votre
liberté ne serve pas d'excitation à
la chair ; mais, par la charité,
mettez-vous au service les uns des autres, car
toute la loi se résume dans une seule
parole : Tu aimeras ton prochain comme
toi-même. Si vous vous mordez et vous
déchirez les uns les autres, prenez garde
que vous ne vous détruisiez les uns les
autres,
Je vous le dis, marchez par l'esprit,
n'accomplissez pas les désirs de la chair.
La chair en effet a des désirs contraires
à ceux de l'esprit, et l'esprit en a de
contraires à ceux de la chair. Il y a
opposition entre eux, en sorte que l'on ne fait pas
ce que l'on voudrait... Ceux qui appartiennent
à Christ ont crucifié la chair avec
ses passions et ses désirs ; si donc
nous vivons par l'esprit, marchons aussi selon
l'esprit.
GALATES, CH. V, V. 13 A 17 ET
24-25.
N'attristez pas le Saint-Esprit
de Dieu du sceau duquel vous avez été
marqués pour le jour de la
rédemption. Que toute aigreur, toute
violence, toute colère, toute criaillerie,
toute injure soient bannies du milieu de vous,
ainsi que toute méchanceté. Soyez
bons, pleins de tendresse les uns pour les autres,
vous pardonnant réciproquement, comme Dieu
vous a pardonné en Christ.
Soyez donc les imitateurs de Dieu, comme ses
enfants bien aimés, et marchez dans la
charité à l'exemple du Christ qui
vous a aimés et qui s'est donné
lui-même à Dieu pour vous.
ÉPHÉSIENS, CH, IV, V.
30 ET
CH. V, V. 2.
ALLOCUTION DE M. LE PASTEUR A. -N.
BERTRAND
Ne vous relâchez
point, dans votre zèle.
ROMAINS,
XII, Il.
Ayez du zèle, pas de nonchalance !
L'heure n'est pas, en effet, aux tièdes et
aux nonchalants ; pas plus aujourd'hui
qu'à l'époque où saint Paul
adressait son énergique mot d'ordre aux
petites communautés chrétiennes,
humbles graines jetées aux sillons de
l'histoire et dont la germination devait soulever
le monde. Aujourd'hui aussi, il y a un monde
à soulever, un monde de ruines sanglantes
sous lequel toute une humanité souffre,
agonise et meurt. Aussi avons-nous besoin
d'entendre à notre tour le même
appel : ce n'est pas le moment de vivre sur un
rythme de mollesse et de laisser-aller : Ayez
du zèle !
Avoir du zèle, ce n'est pas
rechercher sans cesse des tâches nouvelles,
ce n'est pas lancer chaque jour une oeuvre de
plus ; c'est faire tout ce qui vous incombe
dans un esprit d'entrain et de joie, avec une
ardeur qui engendre spontanément un total
désintéressement, parce qu'on ne
travaille plus en vue d'un salaire ou d'une
récompense, mais par amour pour une cause
que l'on veut faire triompher. Le zèle est
fils de la foi, dans le sens humain de ce
mot ; il ne se déploie qu'en faveur
d'un travail auquel on croit ; il ne se mesure
pas à la quantité du travail fourni
mais à sa qualité, à l'esprit
dans lequel il est accompli,
à la joie que l'on y apporte comme à
la joie que l'on y trouve.
Et c'est pour cela qu'il doit être
une des grandes caractéristiques du travail
à notre époque. Dieu veut mettre au
coeur du monde qui va naître un zèle
appelé à transformer toutes les
relations humaines. Par les inspirations de
l'Écriture, par la voix de son
Église, et aussi par la voix tonnante de
l'histoire, Dieu nous crie : Ayez du
zèle ! - Ayez du zèle,
Français ; n'acceptez pas d'accomplir
votre travail comme une tâche servile ou
comme une corvée. Vous avez un monde
à créer ; vous avez à
arracher le corps de la France au chaos et son
âme à la haine ; vous ne ferez
pas cela dans la torpeur, dans la
médiocrité, mais seulement dans
l'enthousiasme et dans la joie. - Ayez du
zèle, chrétiens ; car cette
création d'un monde, que vous avez en vue
comme tous vos compatriotes, vous savez, vous,
qu'elle ne peut être l'oeuvre que de Dieu
seul ; vous avez donc à rendre Dieu
sensible au coeur de la France. Croyez-vous que
vous accomplirez cela avec une religion morne, sans
jeunesse et sans ferveur ? Qui donc voudra
d'une piété qui ne sait même
pas mettre au coeur de ses fidèles le
zèle et la joie au travail ?
Et vous, fidèles de l'Oratoire,
n'avez-vous pas, n'avons nous pas tous besoin
d'entendre aussi cet appel au zèle et au
travail dans la joie ? La reprise d'une vie
peu à peu normale va-t-elle se faire dans
une terne résignation, OU l'Église
sera-t-elle débordante de joie et d'ardeur
à conserver et à élargir pour
ses enfants le noble héritage que le
Seigneur lui a confié ? Voilà la
question que Dieu pose devant nous :
Aurons-nous du zèle ?
Aujourd'hui, « nous
rentrons », non plus comme à
l'ordinaire pour une année nouvelle, mais
pour toute une période dans l'histoire de
notre Église. Malgré de terribles
angoisses, malgré des deuils que chaque jour
multiplie, malgré l'absence de ceux qui ne
sont pas encore rentrés au foyer paroissial
et de ceux qui sont entrés
déjà sous les Voûtes
éternelles -, nous voulons marquer là
reprise du travail dans une France rendue à
elle-même ; et l'Eglise médite
dans un recueillement silencieux le simple et noble
symbole de ses
représentants, pasteurs,
anciens, diacres, descendant lentement ensemble
vers la Table du Seigneur, centre du sanctuaire.
Nous rentrons !
Mais nous ne rentrons pas comme une
communauté qui aurait déserté
son foyer et viendrait y reprendre sa place.
Grâce à Dieu, l'Eglise de l'Oratoire a
toujours été là,
fidèle ; jamais elle n'a cessé
d'annoncer la Parole de son Dieu ; et
moralement aussi, l'Eglise de l'Oratoire a toujours
été « chez elle »
- ou plutôt elle n'a jamais oublié
qu'elle était chez Dieu ; elle n'a
jamais souffert qu'à son foyer
retentît une parole ou s'établît
un silence qui portât la marque d'une
influence étrangère à
l'Évangile de Jésus-Christ. Ce n'est
pas une fierté pour nous, alors que se
déployait autour de nous tant
d'héroïsme, d'avoir eu ce petit, ce
tout petit courage de ne pas mentir, ou, comme dit
saint Paul, « de ne pas falsifier la
Parole de Dieu », pour en tirer des
pensées anodines et des mots sans
danger ; c'est seulement ce qui fut, comme
pour les Églises soeurs, une des douceurs de
notre foyer.
Rentrez donc, mes Frères, avec le
même esprit que naguère, dans le
même travail autour de vos Pasteurs enfin
réunis ; apportons-y les uns et les
autres plus de foi, plus de ferveur, plus de
fidélité, plus de courage qu'avant
l'épreuve, et comme dit l'Apôtre dans
la suite de notre texte, apportons-y le feu de
l'Esprit et la volonté de service.
Apportons-y surtout le zèle auquel Dieu nous
invite, offrons à notre Église un
travail sans lassitude et sans défaillance,
fruit de la joie, de la gratitude et de l'amour. Et
Dieu guidera notre communauté dans le
fidèle service de son Chef.
ALLOCUTION DE M. LE PASTEUR G.
VIDAL
« Soyez
fervents
d'esprit. »
ROMAINS,
XII, 12.
Chers Jeunes,
Nous avons voulu vous faire une place
à part, en ce culte de rentrée,
à l'heure où vos groupes retrouvent
leurs cadres, leurs méthodes, leur loi et
leurs couleurs qu'ils avaient dû, par force,
abandonner. D'ailleurs, que vous apparteniez ou non
à l'un de ces groupes, tous vous faites
partie de ce tout qu'est l'Oratoire et c'est
à la jeunesse de l'Eglise, dans son
ensemble, que nous nous adressons.
On répète souvent que la
jeunesse est l'avenir de l'Eglise ; c'est une
vérité banale. Mais on est trop
tenté d'oublier qu'elle est aussi son
présent, qu'elle est associée
à ses ministères et à sa vie
plus intimement que la plupart des fidèles,
qu'elle vit à l'ombre du sanctuaire, qu'elle
y sert, qu'elle y chante et qu'elle y prie. Nous le
savons, nous vos pasteurs, et c'est une raison
suffisante pour que nous nous adressions
spécialement à vous. Il en est une
autre, et c'est que, dans ce foyer de nos
âmes, vous représentez, par
excellence, la force en mouvement et en croissance,
celle qui a le plus d'élan, le plus de
dynamisme, comme on dit aujourd'hui. Il y a en vous
un coeur prêt à s'enflammer, une
ardeur intérieure capable d'ébranler
et d'entraîner les masses inertes, quand
jaillit une étincelle du choc de quelque
vision. Il est donc bien naturel que nous vous
adressions plus particulièrement ce mot
d'ordre d'un message qui est pour tous :
« Soyez animés du feu de
l'Esprit. »
Cette ardeur vous est naturelle ;
elle est le fait de votre âge, de la chaleur
de votre sang. À vrai dire, elle est moins
un feu qu'une température physique et morale
plus élevée qui vous rend plus aptes
à prendre feu, et - comme en ces
forêts brûlantes, sous le soleil
d'été, où s'allument parfois
de terribles incendies - il suffit d'une
étincelle ou de quelque brandon jeté
par une main imprudente, ou criminelle, pour
embraser votre jeunesse et pour préparer,
trop souvent, de monstrueux holocaustes où
elle est consumée. C'est une force qu'une
pareille ardeur, car ce ne sont pas les
tièdes qui pourront jamais ébranler
le monde et le changer. Tous les meneurs d'hommes
le savent bien, et les conquérants
hantés par quelque rêve brutal, qui
cherchent à la capter et à la mettre
à leur service. Mais c'est une force
dangereuse. S'il faut donc nourrir votre ardeur, il
faut aussi la contenir, la contrôler, la
diriger, sinon elle pourrait enflammer votre chair
et votre coeur pour des objets indignes de leur
attachement, dans un feu où vous seriez
engloutis entièrement.
C'est bien pourquoi, vos familles et
votre Église ont voulu vous faire vivre,
dès votre, enfance, dans le royaume des
saintes influences de l'Esprit, afin que s'allume
en vous la flamme vivifiante qui ne détruit
pas, elle, mais régénère,
sauve et, comme un contre-feu protecteur,
défend les coeurs du redoutable incendie des
passions terrestres. Car l'Esprit est feu lui
aussi : un feu qui n'égare pas la
tête et ne trouble pas les sens et le coeur,
comme celui des passions. Il est, dans la nuit du
monde, la lumière qui éclaire la vie
et permet, à travers les difficultés,
les, obscurités, les conflits de devoirs, de
retrouver le seul chemin. Il est la vivante chaleur
qui, aux heures cruelles où le coeur transi
frissonne, dans l'incertitude et le doute ou sous
les morsures de la souffrance ranime sa force et le
sauve des vertiges du désespoir. Il
brûle aussi, mais pour purifier, comme un
cautère sur les plaies, toujours mal
fermées et purulentes, de nos
péchés. Il tient en respect, par sa
seule présence, les fauves tentations,
toujours aux aguets, prêtes à mettre
à profit notre solitude ou notre
engourdissement pour bondir
sur
nous, dans un monde toujours soumis à la loi
de la jungle. Il est la flamme, enfin, qui embrase
les coeurs pour tout ce qui est vrai, juste, saint,
et les jette dans un irrésistible
élan aux sacrifices salutaires.
Celui qui peut allumer en vous cette
flamme, vous le connaissez. C'est celui dont
l'apôtre disait : « Le
Seigneur, c'est l'Esprit. » C'est celui
qui affirmait : « C'est du feu que
je suis venu jeter sur la terre » et qui,
n'ignorant rien des souffrances que son geste
devait déchaîner ici-bas et de la
Passion dans laquelle il l'engageait
lui-même, s'écriait :
« Qu'ai-je à désirer sinon
qu'il s'allume ! », sachant bien
que, de toute cette douleur acceptée, devait
surgir pour le monde la possibilité d'une
régénération. Le glorieux et
divin incendiaire est devenu lui-même feu.
« Le Seigneur c'est
l'Esprit ! » Il l'allume, ce feu,
par son seul contact. Il le donne à ceux qui
se donnent à lui. Il le donne en se donnant
lui-même. Ouvrez-lui votre coeur afin que
brûle en vous « la flamme ardente
qui ne s'éteindra point ». Vous
connaîtrez alors le véritable
enthousiasme qui n'est pas un simple état
d'exaltation ou la chaude griserie de quelque
rêve généreux, mais la
présence de Dieu en vous, la flamme de son
Esprit dans vos coeurs avec sa lumière, sa
chaleur et sa brûlure.
Et voici ce qu'exige de vous cette
Présence : L'Esprit est feu ; il
n'est pas à lui seul flambeau. Ceux qu'il
anime ne sauraient se contenter d'être les
porteurs de sa flamme et comme les chandeliers
chargés de la mettre en évidence,
sans avoir eux-mêmes à participer
à sa vie. Ils deviennent flambeaux ;
c'est dire qu'ils se consument, car le feu de
l'Esprit se nourrit toujours de notre substance
vivante. Mais il vaut la peine de se consumer pour
éclairer le monde, le purifier et le
régénérer, et, d'une vie ainsi
sacrifiée, rien n'est perdu puisque, par sa
combustion même, elle est transformée
tout entière en lumière, en chaleur,
en Esprit.
Jadis vous avez été
baptisés d'eau, mais il est un baptême
plus grand : le baptême de feu. Beaucoup
d'entre vous déjà l'ont reçu,
peut-être au jour de leur confirmation, ou
dans le combat de la prière, peut-être
dans la joie sainte de la communion, autour de la
Table où le Seigneur se donne.
Demandez à Dieu le
renouvellement de ce baptême et, si sa flamme
n'est pas encore descendue sur vous, priez-le de
vous la donner, afin que le feu de l'Esprit vous
anime, pour vivre et pour servir. Pour vivre de la
vie divine, qui est éternelle, dans un monde
où la mort a mis en oeuvre toutes ses
puissances ; pour vivre d'une vie
purifiée,
régénérée où
cette ardeur qui est en vous et dont vous savez
qu'elle est seulement chaleur du sang et du coeur,
sera changée en ferveur, en cette ferveur
qui est la chaleur même de l'Esprit. Pour
servir aussi, car, être animé du feu
de l'Esprit, c'est recevoir de lui non seulement la
vie, mais encore le mouvement, le pouvoir d'agir.
Il ne suffit pas aux disciples du Christ
d'être flambeaux, leur Maître les
appelle à jeter, comme lui, du feu sur la
terre : le feu de son Esprit.
Votre jeunesse vit dans le drame atroce
et grandiose d'une époque décisive,
où il est beaucoup demandé à
ceux qui ont beaucoup reçu.
Déjà plusieurs d'entre vous sont
partis, engagés dans une lutte qu'ils
n'aiment pas et ne peuvent pas aimer, mais à
laquelle ils ont voulu participer pour
défendre des valeurs plus précieuses
que la vie, parce qu'elles sont les valeurs de
l'Esprit. Et, déjà, dans cette lutte,
quelques-uns sont tombés « qui
n'ont pas aimé leur vie jusqu'à
craindre la mort » ! Ici, avec
d'autres armes, vous êtes engagés dans
un combat, différent, semble-t-il, mais qui
reste pourtant le même combat. Vous le
poursuivrez, dans les mêmes sentiments, dans
le même esprit qui anime vos
aînés, en communion avec vos absents
et avec vos invisibles, au sein d'une Église
dont la mission est d'apporter le Seul Sauveur
à un monde qui meurt de ne pas le
connaître.
Que le feu de l'Esprit descende sur vous
afin que se lèvent pour notre patrie et pour
le monde les temps d'une nouvelle
Pentecôte !
ALLOCUTION DE M. LE PASTEUR P.
VERGARA
« Servez
le
Seigneur. »
ROMAINS,
XII, 12.
Mes frères, le troisième volet du
triptyque est contenu dans ces mots :
« SERVEZ LE SEIGNEUR. »
On vient de vous présenter un
magnifique idéal d'adoration et de
ferveur ; on vous a élevés vers
les cimes, et il le faut, car là où
il n'y a plus de vision, le peuple
périt ; mais souvenons-nous que la
nourriture de tout idéal, c'est la pratique
qu'on en tente. La vision idéale ne sera pas
moins belle, au contraire, elle se
révélera plus magnifique encore
d'avoir prouvé sa capacité
d'adaptation à la vie réelle.
Servons donc pratiquement le Seigneur.
« Servir » est le mot d'ordre
préféré de notre
génération fervente. Ce doit
être, en particulier, celui de tout
chrétien, car il y aurait une sorte
d'inconscience, et même d'hypocrisie,
à faire de la foi la plus passionnée
de l'histoire un nid douillet d'où nous
refuserions de sortir pour lever les yeux vers les
larges avenues de la responsabilité sociale
et nationale.
Mais comment servirons-nous le
Seigneur ? D'abord, tout simplement, par
l'esprit et la manière dont nous
accomplirons notre tâche professionnelle,
quelle qu'elle soit,
On a trop l'habitude de réserver
à des spécialistes le service du
Christ ou de Dieu. L'arbitraire division du
sacré et du profane est fausse. Aucun
travail, s'il est fait dans l'esprit du Christ, ne
saurait être profane. La Parabole des Talents
n'encourage nullement à
l'abandon du travail dans le monde. Le
véritable enseignement de Jésus est
que tout travail honorable a été
confié par Dieu aux hommes et doit, par
conséquent, être accompli avec joie,
avec conscience et foi. La vraie manière de
servir le Seigneur n'est donc pas de
déserter le champ de notre labeur
accoutumé pour nous réfugier dans je
ne sais quelle mystique contemplation, mais de
l'accomplir parfaitement, avec la foi absolue que
c'est Dieu lui-même qui nous l'a
confié, afin que, par le moyen de ce
travail, quelque chose de Son caractère soit
révélé aux hommes.
Dieu travaille par nous, par nos
intelligences et par nos mains, au bien de tous ses
enfants. C'est là une idée
très protestante, et des meilleures,
à laquelle nous devons nous attacher
fermement, parce qu'elle est en parfaite harmonie
avec l'esprit de l'Évangile ; ce que
l'Évangile appelle « le
monde », ce n'est pas le travail en
lui-même, c'est le travail, et la
société en général,
organisés hors de Dieu, comme si Dieu
n'existait pas et n'avait rien à y voir.
Toutes les misères, toutes les injustices,
tous les enrichissements exagérés et
malpropres, résultent de cela. Mais quand
nous considérons notre travail comme une
forme du service de Dieu, quand nous y mettons
quelque chose de l'amour que nous avons pour Lui et
la ferveur de nos plus beaux rêves de
jeunesse, alors nous sommes préservés
de l'avarice, de l'esprit de domination, alors il
nous devient impossible d'en faire l'occasion de
tractations injustes, de tromperies et de toute
manoeuvre pour faire accomplir par d'autres, des
actes que nous ne voudrions pas accomplir
nous-mêmes, alors nous sommes
préservés de la lassitude et de
l'endurcissement, alors nous transportons partout
avec nous le secret d'une grâce qui
éclaire la vie, et au sein même de
l'agitation et du bruit, nous sentons la chaleur
d'une divine communion, nous entendons une voix
nous dire : « Que votre coeur ne se
trouble pas », alors il y a un Hôte
Glorieux dans notre âme qui devient notre
Allié dans tout ce que nous entreprenons et
qui ne nous abandonne pas dans les revers et dans
la ruine.
Quand notre travail est vraiment un
service du Seigneur, quand nous y apportons cette
piété, ce zèle, cette ferveur
de coeur, qui
caractérisent le disciple de Celui qu'un
constant enthousiasme transfigurait et
transportait, alors notre puissance d'action dans
le monde se trouve multipliée, alors les
portes s'ouvrent, de nouvelles perspectives
apparaissent et nous avons la
révélation de ce qu'il faudrait faire
pour mieux servir l'humanité, pour
rénover, dans une certaine mesure, notre
société malade, alors, en un mot, la
« question sociale » ne tarde
pas à s'imposer à notre conscience
comme un impérieux devoir qui exige notre
participation. La « question
sociale » n'existe pas pour les
chrétiens (méritent-ils ce
titre ?) qui compartimentent la vie, qui
mettent Dieu d'un côté et les affaires
de l'autre. Ils s'imaginent, les malheureux, que
s'intéresser à la
« question sociale » c'est
faire quelque chose d'étranger à la
vie religieuse ou spirituelle, ils pensent qu'il
s'agit là, tout au plus, d'un extra, d'une
matière facultative du programme, comme la
peinture ou la danse, dans les institutions de
demoiselles. Aucune erreur n'a été
plus funeste à l'autorité morale de
l'Eglise aujourd'hui. C'est parce qu'ils
soupçonnent beaucoup trop de
chrétiens de professer cette
hérésie que ceux du dehors, et qui
ont à coeur ces questions, se soucient si
peu de ce que nous disons et faisons. Ils nous
écoutent avec étonnement prier,
parler, chanter à la louange de la justice
et de la fraternité, à la gloire d'un
« royaume », d'une
« victoire », et ils cherchent
nos réalisations pratiques, et ils sont
déçus.
Mais c'est ici qu'interviennent, pour
sauver notre honneur, ceux qui ont fait de leur
travail dans le monde un service du
Seigneur.
Nous les saluons avec respect, au nom du
Christ nous les bénissons, et nous demandons
à Dieu de grossir leurs rangs trop
clairsemés, parce qu'ils sont notre
réelle aristocratie, la fleur de notre
Chevalerie, l'ordre monastique des temps modernes,
liés par des voeux secrets ; leur
couvent c'est le monde, leur cloître c'est
l'atelier, le bureau, le magasin, c'est tout ce
qu'un homme ou femme peut faire.
Oh ! Laïques chrétiens,
à cette époque terrible de la vie de
notre peuple et du monde, demandez-vous chaque jour
comment vous pourrez le mieux servir Dieu en
servant vos frères, quel
est le nouveau devoir qui s'impose à
vous ? Il est impensable que Dieu n'ait pas un
message et un secours particuliers pour cette
génération si malheureuse, dont la
patience et la soumission sont
épuisées - elles le seraient à
moins - et qui se retourne violemment sur sa couche
comme un malade dans le délire et tend ses
mains vers la santé, la lumière, la
bonté et la paix. Soyez les ouvriers de ce
secours.
Lamennais disait que tout ce que le
Christ avait demandé au monde,
c'était une croix pour y mourir. Nous ne
paraderons pas avec des mots trop grands pour
nous ; nul ne recherche la croix, et ceux sur
les épaules desquels elle a
été chargée, n'ont pas envie
d'en parler avec
légèreté ; nous nous
contenterons de demander, humblement mais
sérieusement, à Dieu de nous montrer
comment et en quel lieu nous pouvons le mieux
servir nos frères en servant Celui qui a dit
de tout acte compatissant : « Vous
me l'avez fait à
moi-même. »
Souvent ces bons travailleurs du
Seigneur, ceux pour qui la question sociale existe,
se demandent avec anxiété :
« Que ferons-nous ? »
Poser la question, ce n'est pas la résoudre,
certes, mais c'est déjà beaucoup de
la poser, c'est même l'essentiel, car c'est
le point de départ de tout ; il y en a
tant qui ne partent jamais faute de l'avoir
posée.
Laïques chrétiens, vous tous
qui êtes engagés dans le travail du
monde, si cette question : « Que
ferons-nous ? » vous harcèle
et vous brûle, si elle est sans cesse dans
votre pensée, dans votre prière, je
suis certain que Dieu vous montrera clairement ce
qu'il attend de vous, pour hâter le moment,
serait-ce d'un jour, d'une heure, où le
Christ aura mis ses ennemis sous ses pieds.
Si votre travail est un service du
Seigneur, vous n'y gagnerez certainement pas ce que
gagnent les trafiquants sans patrie, ni
céleste, ni terrestre, vous ne
connaîtrez pas le cercle de courtisans
gantés que la fortune assemble autour
d'elle. Mais après tout, en quoi consiste la
vie de l'homme ? Est-elle dans son argent,
dans les distinctions honorifiques, les flatteries
du monde ? non, elle est dans nos
qualités invisibles, dans l'amour de Dieu et
des hommes que nous servons fidèlement, dans
la joie et la paix qui habitent notre coeur,
sereines et pures, dans le divin
compagnonnage de l'Hôte Invisible qui nous
attend au bout de la route, quand le flambeau
s'échappera de nos mains fidèles,
pour nous recevoir dans sa maison. en nous disant,
comme le voyant de Patmos l'entendait :
« Monte ici, et je te ferai voir
maintenant les choses qui doivent arriver dans la
suite, je te ferai voir la signification
éternelle de tes humbles
efforts. »
Là est la vie et tout le reste
n'est qu'apparence et fumée.
« À Celui qui peut, par
la puissance qui se déploie en nous, faire
infiniment au delà de tout ce que nous
demandons et pensons, à Lui soit la gloire
dans l'Eglise et en
Jésus-Christ. »
Amen !
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