Voix Chrétiennes dans la
Tourmente
REDRESSEMENT
Pasteur G. VIDAL
13 Août 1944
DE L'ÉTERNEL SEUL PROCÈDE LA
DÉLIVRANCE.
- Louez l'Éternel !
- Mon âme, loue
l'Éternel !
- Je louerai l'Éternel tant que je
vivrai ;
- Je célébrerai mon Dieu tant
que j'existerai.
- Ne mettez pas votre confiance dans les
grands de la terre,
- Ni dans l'homme mortel qui ne saurait
délivrer.
- Son souffle s'en va : il retourne
à la poussière ;
- Et ce jour-là ses desseins sont
anéantis.
- Heureux l'homme qui a le Dieu de Jacob
pour appui
- Et qui met son espoir en
l'Éternel, son Dieu.
- C'est le Dieu qui a fait les cieux et la
terre,
- La mer et tout ce qui s'y
trouve ;
- Qui demeure fidèle
éternellement ;
- Qui fait droit aux opprimés,
- Qui donne de la nourriture à ceux
qui ont faim.
- L'Éternel rend la liberté
aux captifs ;
- L'Éternel ouvre les yeux des
aveugles ;
- L'Éternel redresse ceux qui sont
courbés ;
- L'Éternel aime les justes,
- L'Éternel protège les
étrangers ;
- Il soutient l'orphelin et la
veuve ;
- Mais il rend tortueuse la voie suivie par
les méchants.
- L'Éternel régnera
éternellement.
- O Sion, ton Dieu subsiste d'âge en
âge
- Louez l'Éternel !
PSAUME
CXLVI.
-
-
L'Éternel
redresse ceux
qui sont courbés.
-
PSAUME
CXLVI, 8.
Mes Frères,
Courbés ! Nous avons appris
à connaître le sens de ce mot et tout
ce qu'il contient d'humiliations, de hontes, de
souffrances. Mais nous n'avons pas le droit, ici,
de l'appliquer seulement à une situation qui
demeure momentanée. Courbée,
l'humanité tout entière l'est par la
pesanteur de son animalité, par l'attraction
de toutes les forces obscures qui
l'infléchissent vers le sol, par le poids du
péché et le fardeau de la douleur. Et
l'habitude, lentement, fixe cette courbure. On voit
l'homme incliner sa tête lourde vers la
terre, qui absorbe sa pensée et son
activité, et s'il lève parfois les
yeux, le plus souvent il arrête son regard
à hauteur d'homme, sachant bien que, de
toutes les connaissances, c'est encore celle de
l'être humain qui lui assurera le mieux,
selon ses voeux, la possession du monde.
Mais ce n'est pas là la vraie nature
de l'homme. Ce n'est pas là sa vocation.
S'il se distingue de tous les êtres vivants,
ce n'est pas par le rire seulement ou par les
larmes. Seul, entre tous, il est la créature
à la fois mobile et verticale. L'arbre
jaillit de terre, droit vers le ciel, mais il
demeure enraciné dans son lieu de naissance
et prisonnier de son milieu. L'animal, lui, peut
errer dans l'espace et bondir sur sa proie, mais il
retombe, pattes et mufle en avant, sur le sol qui
borne ses appétits et ses recherches.
L'oiseau lui-même, dans ses envols les plus
vertigineux, reste, en plein ciel, tourné
face à cette terre qui
contient toutes ses espérances. Seul l'homme
est construit pour vivre droit, le corps
dressé, la tête haute ; seul
aussi il peut et sait lever les yeux vers le ciel
pour chercher, derrière le nuage qui passe,
ou à travers le scintillement des
étoiles, les appels d'un monde
inconnu ; et ses mains, ses mains
ouvrières, ses mains rudes, alourdies par le
labeur quotidien, ses mains impures,
souillées de boue et de sang, il peut et il
sait, dans la paix du soir, les lever vers le ciel
et les joindre.
Tout ce qui courbe l'homme, individu ou
peuple, est contraire à sa nature et
à sa vocation. Or, - il nous faut bien le
constater - puisqu'il est infidèle à
cette vocation, puisque, même dans la
fidélité, les
événements, le poids de la force
viennent parfois le plier, de telle manière
qu'on peut se demander s'il ne gardera pas,
toujours, la courbure imposée par de trop
lourds fardeaux, alors même qu'il en sera
déchargé, il importe, et cette
tâche est urgente dans les circonstances
actuelles, que nous cherchions le principe et la
condition de son redressement.
Il y a une courbure qui est imposée par
la violence, celle du joug sous lequel la Rome
antique contraignait ses adversaires vaincus
à passer, en pliant le col et
l'échine, celle des règles et des
gabarits où la loi du vainqueur force les
têtes fières à s'incliner.
C'est, peut-être, la plus brutale, ce n'est
pas la plus redoutable. Elle n'atteint que
l'être extérieur. La force n'impose
qu'un conformisme de gestes et d'attitudes. Ah,
nous savons bien le poids de cette servitude et son
prix : ce qu'elle exige de nos mains, de nos
lèvres parfois, et aussi de nos
coeurs ; nous savons le prix de ce qu'elle
n'exige pas : ce que coûtent les
abstentions et les silences. Toutefois la force ne
plie pas la pensée profonde, et, si
l'âme n'est pas absolument hors de ses
prises, elle peut résister à sa
pression. Le plus souvent, même, la rigueur
de la contrainte extérieure entretient et
fortifie la résistance intérieure.
Devant la violence, l'âme
révoltée se cabre et lui
échappe d'autant plus qu'elle resserre sur
elle son étreinte étouffante.
Pourtant cette contrainte n'est pas sans
danger pour nos âmes et le moment est venu
où il nous faut mesurer la gravité de
ce danger. Ce sursaut, ce redressement de
l'âme, quand le corps se courbe par force,
nous l'avons sans doute éprouvé, mais
l'avons-nous toujours
éprouvé ? Est-il bien sûr
que cette soumission extérieure n'ait jamais
été la conséquence d'une
soumission intérieure, d'une capitulation
imposée par la veulerie ou la peur ?
Est-il bien certain que le corps, en s'inclinant,
n'ait jamais entraîné l'âme avec
lui ? Ne nous sommes-nous pas abrités,
parfois, derrière le prétexte de la
stérilité d'un geste ou d'une
attitude isolés, pour nous enfermer dans une
abstention ou un silence coupables ? Et,
même si notre âme est restée
pure, ferme et droite, n'y a-t-il pas un grave
danger, pour demain, dans cette contradiction entre
notre attitude intérieure et notre attitude
extérieure, dans ce divorce ou cette
séparation entre l'
« être », d'une part, et
le « faire » et le
« dire », d'autre part, entre
la pensée et le comportement,
séparation qui risque de nous conduire
à la duplicité et qui menace
d'étouffer en nous toute
spontanéité, d'altérer la
fraîcheur de nos sentiments et de briser
l'unité nécessaire entre la
pensée et la vie ?
Et voici qu'ici, apparaît une courbure
plus grave, non plus imposée mais
acceptée : celle du
péché. Sans nous attarder à
examiner les formes multiples qu'il revêt
pour séduire nos âmes et les plier
à ses esclavages, nous voudrions pourtant
signaler quelques-uns de ses aspects actuels et des
menaces qu'il fait peser sur nous, dans le temps
où nous vivons : Depuis des
années, nous nous sommes habitués au
mensonge et à la fraude. Parce qu'ils
pouvaient se légitimer, nous ne leur avons
plus accordé la même importance, la
même gravité que jadis. Nous nous
sommes accoutumés, dans cette tourmente
où tant d'existences humaines se trouvent
broyées, à ne plus accorder la
même valeur à la vie d'une
créature de Dieu, à ne plus
l'entourer du même respect, à ne plus
la regarder comme sacrée. Nous nous sommes
faits à vivre dans l'horreur, et si,
parfois, le récit de certaines abominations
nous fait encore bondir d'indignation parce qu'il
révèle une cruauté et une
brutalité qu'il serait injuste pour
l'animalité de qualifier
de bestiales et dont nous ne pouvons pas prendre
notre parti qu'elles soient tristement humaines,
déjà, endurcis par l'habitude, nous
n'éprouvons plus ce sursaut et cette
répulsion horrifiés, à
l'ouïe de tels massacres individuels ou
collectifs, lorsqu'on les entoure d'une apparence
de légalité et qu'on les
perpètre dans les formes et avec les armes
en usage normal, en temps de guerre, parmi les
civilisés ! Surtout, nous nous sommes
acclimatés à une atmosphère
dont nous pensions, naguère, qu'elle
était irrespirable pour nos âmes et
dont nous savons bien qu'elle les empoisonne. Nous
nous laissons gagner par l'esprit même que
nous voulions combattre : la violence ne nous
inspire plus la même répugnance ;
si la haine s'insinue dans nos coeurs ce n'est pas
toujours malgré nous, et, peut-être,
quelques-uns, gagnés inconsciemment par une
idéologie sommaire et brutale, se
sentent-ils déjà portés
à envisager froidement, à leur tour,
la suppression totale de races qu'ils regardent
comme maudites.
Sentez-vous la courbure, et comme elle nous
incline loin de Celui qui reste le modèle de
l'homme vrai ?
Et puis, il y a la souffrance qui
pèse depuis si longtemps sur notre
peuple ! Sans doute il en est une dont nous
nous dégagerons en nous redressant, comme on
se décharge d'un fardeau importun, et dont
il ne subsistera que le souvenir ; mais il en
est d'autres qui nous auront profondément
marqués. Ils resteront courbés nos
enfants anémiés par les privations,
nos jeunes gens acculés à la
tuberculose ! Ils resteront courbés les
pères et les mères blessés et
dépouillés, et il est d'atroces
visions qui ne s'effaceront jamais de l'esprit de
leurs témoins, et qui reviendront peupler
leurs nuits de cauchemars ! Il y a des plis
qui ne disparaîtront jamais
complètement. Car lorsqu'on marche
courbé depuis si longtemps, à la
longue on s'ankylose, la courbure se fixe et le
contre-nature nous devient naturel. C'est à
la chaleur du four qu'on imprime aux bois les plus
durs les torsions et les courbures qui les
destinent à tel où tel usage, et qui
se fixent quand le bois se refroidit. Ainsi
à la chaleur de l'épreuve nous avons
été pliés. N'attendons pas que
notre être tout entier se durcisse dans cette
déformation ! Ne renvoyons pas à
des temps meilleurs, aux jours
des délivrances et de la paix notre effort
de relèvement, dans l'espoir que nous
pourrons alors l'accomplir à froid ! Il
sera trop tard, et il faudra la brûlure d'une
nouvelle épreuve pour permettre notre
redressement !
Redressement ! Quand il s'agit de peuples
vaincus et courbés, ce mot, pour la plupart
des hommes, n'évoque guère qu'un
retour à ce qu'ils appellent la vie
normale : la reprise des activités et
des affaires en marasme, le mouvement du trafic, le
bourdonnement du travail, le halètement des
usines, la reconstruction des cités
dévastées, la
prospérité revenue, la reconstitution
d'une puissance après l'écroulement
et la ruine. Et, sans doute, tout cela est-il, en
un certain sens, nécessaire et
légitime. Il y a, pourtant, dans la
perspective de cette reprise et d'un pareil
redressement quelque chose qui nous effraye. Nous
avons vu trop de ces constructions formidables
s'écrouler misérablement. Nous
redoutons la ruine de ces édifices
magnifiques, mais monstrueux, véritables
pyramides renversées dont la pointe fragile
repose sur une base inconsistante. On monte la
construction, on l'élargit sans cesse dans
un vertige d'orgueil et de puissance, dans une
griserie de vitesse qui aveuglent et
étourdissent, tandis que le danger, chaque
jour, devient plus pressant et se multiplie avec
les progrès de l'accroissement ! Dans
la nature, si les arbres peuvent se permettre de
pareils déploiements, c'est que chaque
nouvelle poussée, dans l'espace, est
assurée et garantie par une poussée
correspondante des racines, dans les profondeurs du
sol.
Les fondements d'une civilisation, ceux de
la vie d'un peuple, ce sont les grands principes,
ce sont les valeurs morales et spirituelles sur
lesquels elles s'appuient et d'où elles
tirent leur force. Mais ces principes ne valent
pour eux qu'à la condition d'être
vivants, insérés, incarnés
dans des êtres vivants, sinon il y a toujours
une séparation, une solution de
continuité entre les principes, les
fondements et l'édifice qui,
détaché de sa base, reste à la
merci des tempêtes. Une civilisation,
d'ailleurs, n'est pas un édifice de pierre,
c'est une construction vivante,
une construction humaine, un édifice moral.
Ce qu'il nous faut, donc, ce sont des principes,
mais aussi et surtout des hommes enracinés
dans ces principes qui leur communiquent la vie et
assurent la solidité et la stabilité
à tout ce qui s'édifiera en eux et
par eux.
Il n'y a pas de redressement de peuples, de
sociétés, là où il n'y
a pas tout d'abord redressement de l'homme. Notre
pays ne sera pas relevé parce que ses
habitants pourront manger à leur faim,
voyager pour leurs affaires ou leur plaisir, ou
parce que nos usines fonctionneront à plein
rendement, mais bien parce que de l'épreuve
sortiront des caractères retrempés,
solides et droits. Tout cela a été
compris de ceux pour qui la leçon des
événements n'est pas inutile, et ils
sont peut-être plus nombreux que nous ne
croyons. On a vu même ceux qui
prétendent assurer le redressement du pays,
se tourner vers les groupements qui
représentent sa force morale et spirituelle,
pour leur dire : « Aidez-nous
à former des hommes, des caractères
solides qui seront la force de la
nation. » Mais ici, hélas !
apparaît la tentation, pour les uns,
d'utiliser ces forces morales dans le sens de
doctrines partisanes discutables et
précaires, et aux fins d'ambitions
personnelles ; et, pour les autres, la
tentation de céder aux séductions du
prestige et des avantages matériels qu'offre
la consécration officielle, en formant les
hommes d'après un canon qui n'est pas celui
de l'Évangile. Et cela, nous sommes bien
fondés à le redouter, en un temps
où on nous engage à faire des hommes
vaillants, durs, prêts au sacrifice, selon
des méthodes et des tendances, et pour un
but où nous reconnaissons un
« à la manière
de... » dont le moins que l'on puisse
dire c'est qu'il n'est que trop suggestif.
Donc, redressement de l'homme,
d'abord ! Tous les autres dépendent de
celui-là, et en définitive, c'est le
seul qui compte. Mais ce redressement ne saurait
s'opérer sur des normes elles-mêmes
faussées et courbées, et il ne
servirait de rien de corriger une déviation,
une courbure, pour en imposer une autre
peut-être plus dangereuse. Notre norme c'est
Jésus-Christ, et non seulement, ici, nous ne
pouvons pas en avoir d'autre et nous n'avons pas le
droit de nous en laisser imposer
une autre, mais nous avons
la
conviction qu'elle est la seule à laquelle
il faut se référer pour
préparer et assurer les véritables
redressements des hommes et des peuples, ceux qui
ne résident pas dans les retours de
prospérité et de puissance, ni dans
un réveil des énergies brutales de
l'être sauvage, mais dans la formation de
caractères qui ne plieront pas devant
l'injustice ou sous les pressions de
l'intérêt, du mensonge ou de la
haine.
Or, ce redressement comporte, d'abord, un
effort, qui entraîne lui-même une
souffrance. On l'attend d'un miracle - et, sans
doute, en faudra-t-il un - mais il ne supprimera
pas cet effort douloureux. On l'envisage comme un
élan joyeux - et sans doute pourra-t-il
l'être. Mais on imagine que cet élan
sera aisé, qu'il n'exigera aucune peine,
parce qu'il jaillira, naturellement, du changement
des conditions de notre vie et de la suppression du
trop lourd fardeau sous lequel nous plions. Eh bien
non ! À ce moment-là, nous
resterons encore voûtés et tout
meurtris. L'homme qui a longtemps cheminé,
cassé sous le poids d'une charge accablante,
ne peut pas, à l'heure où il la
dépose, se relever d'un seul
élan ; il garde une courbure et ne se
redresse que peu à peu, lentement, dans un
effort qui torture ses muscles endoloris et
ankylosés. La plante courbée par
l'orage, et qui a crû dans cette position,
n'est pas relevée et attachée
à un tuteur sans que se rompent quelques
fibres. Du côté extérieur de la
courbure les tissus se sont relâchés,
mais ils se sont resserrés du
côté intérieur.
Pour nous aussi, par suite de notre
courbure, quelque chose s'est relâché
à l'extérieur, dans notre
rigidité morale, nos habitudes, notre
manière de vivre ; mais, quelque chose
aussi s'est rétréci à
l'intérieur, dans nos esprits et dans nos
coeurs serrés, meurtris par l'oppression, et
peut-être contractés par la
colère ou par la haine. Et tout cela s'est
durci en nous. Il faudra nous faire violence,
d'abord pour nous redresser, puis pour nous
réhabituer à vivre et à
marcher droit. Il faudra nous montrer inflexibles
à l'égard de nous-mêmes et
à l'égard de ceux que nous avons la
mission d'élever. Cela ne sera pas facile.
Cela ne se fera pas sans douleur. Sans doute n'y
parviendrions-nous pas si nous n'avions un Tuteur
qui veut bien accepter non
seulement que nous nous attachions à lui,
mais que nous vivions de lui, comme des plantes
parasites. Il faudra nous lier à lui plus
étroitement que jamais, au risque de nous
meurtrir peut-être de nous briser à la
courbure, comme on casse un membre dont les os se
sont soudés dans une position
défectueuse, pour le rétablir dans
une position normale. Mais si nous restons ainsi
attachés à Christ, si nous recevons
de lui la vie, la sève de son esprit
réparera toutes les déchirures des
tissus lésés, cicatrisera toutes les
blessures, effacera la courbure et nous pourrons
croître et grandir redressés, non plus
dans la contrainte d'un effort douloureux, mais
dans la liberté et dans la joie de
l'être qui s'épanouit, dans le sens de
sa vraie nature.
Ce sens c'est celui de l'Éternel,
c'est-à-dire celui du vrai, du juste, du
bien tels qu'ils nous ont été
révélés en
Jésus-Christ. Tout redressement dans un
autre sens reste illusoire. L'histoire le prouve
qui est la longue tragédie des
écroulements de toutes les civilisations
orgueilleuses, de la ruine de toutes les
constructions humaines, de toutes les expansions et
de toutes les restaurations de peuples qui ne
tendent pas vers l'éternel. Et elle continue
cette histoire - celle qui se fait aujourd'hui et
qui s'écrira demain - à nous
démontrer que rien ne subsiste que ce qui
s'édifie dans la justice, dans la
vérité et dans l'amour de Dieu. Car
la justice, la vérité, le bien
eux-mêmes ne sont que des mirages quand ils
ne portent pas le caractère de
l'éternel. Sans doute chaque peuple,
à l'heure des grands élans et des
nouveaux départs, proteste,
sincèrement parfois, de la justice de sa
cause et de son attachement à la
vérité. Hélas ! il ne
s'agit le plus souvent que de sa justice, de sa
vérité qui déjà, aux
yeux des autres, apparaissent comme des
contrefaçons qui les lèsent et les
oppriment, parce qu'elles ne portent pas ce
caractère de l'universel, de l'absolu et de
l'éternel, qui ne se rencontrent et ne se
fondent harmonieusement qu'en Dieu seul. Pour nous
relever, sans doute est-il nécessaire que,
dans notre infirmité, nous nous appuyions
les uns sur les autres, mais si nous ne savons nous
appuyer sur les autres qu'en les courbant, notre
redressement préparera de
- nouvelles ruines, peut-être la leur
d'abord, mais fatalement, par suite, la
nôtre. On ne se maintient pas debout sur des
points d'appui qui s'écroulent, et il y a
une solidarité humaine dont on ne peut pas
troubler le jeu sans péril pour les autres
et pour soi-même.
Pour nous redresser, cherchons la
Vérité, non pas cette
vérité d'occasion et de circonstance
qui change d'une frontière à l'autre
et d'une époque à l'autre, mais la
Vérité une, immuable,
éternelle ! Cherchons la justice, non
pas notre justice qui suit la courbe de nos
intérêts, de nos passions,
épouse les règles de la force et se
plie aux raisons d'État, mais la justice
inflexible, absolue et éternelle !
Cherchons le Bien, non pas notre bien, celui de
notre peuple, de notre race, de notre
génération et du moment
présent, mais le Bien souverain, universel,
éternel ! Alors l'Éternel nous
redressera, nous les courbés. Car nous ne
pouvons pas nous relever nous-mêmes et par
nos seules forces. L'action de Dieu ne supprime pas
notre effort, elle l'exige, car c'est cet effort
qui nous rend perméables à la
grâce et accorde nos âmes à
Dieu, leur rend sensibles les vibrations de son
coeur et leur permet de recevoir la force de son
Esprit. Mais c'est seulement la montée en
eux de la vie divine qui relève les
âmes et les peuples abattus. C'est le soleil
de son Esprit qui, par un mystérieux
« théotropisme », les
attire et les redresse après les orages
dévastateurs.
Nous ne pouvons pas attendre de tout un
peuple qu'il voie et qu'il cherche en
l'Éternel la source et l'auteur de son
redressement. Mais il nous suffit de prendre
conscience de ce qu'exige de nous notre titre de
chrétiens. Il nous suffit d'avoir foi dans
la force de Dieu qui relève ceux qui sont
courbés, de nous mettre en état de
recevoir cette force et de la laisser agir en nous,
alors nous verrons se renouveler les miracles des
résurrections et celui du levain qui gonfle
la pâte. Dieu ne nous demande pas de relever
notre peuple, mais de nous faire les points de
pénétration par lesquels son esprit
s'introduira dans l'âme de notre peuple et le
redressera.
Voilà notre mission. Ne laissons pas
passer une occasion, peut-être unique, qui
nous est offerte. Sinon il n'y aura pas
de redressement et la
chrétienté elle-même, par son
infidélité, restera courbée
sous le poids d'une responsabilité qui
deviendra, peut-être, celui d'une
malédiction.
L'heure favorable des redressements est
proche. Ne nous laissons pas attirer et
détourner par les clartés
artificielles des fausses vérités,
des fausses justices et des faux amours. C'est en
l'Éternel, en l'Éternel seul que nous
avons la vie, le mouvement et l'être. C'est
lui seul qui est le soleil des âmes.
Offrons-lui donc des âmes ouvertes,
confiantes, sincères,
abandonnées ! De toutes leurs
servitudes, de toutes leurs misères, de
toutes leurs détresses, Il les
relèvera. Le Christ s'en porte garant, lui
que ni le péché, ni la
persécution, ni la souffrance n'ont pu
courber, et qui, couché dans le tombeau par
l'ouragan du Calvaire, s'est relevé,
éternel témoin de la puissance de
Dieu et de sa victoire sur toutes les puissances de
mort. Frères courbés, Celui qui est
notre Maître porte un nom riche de
merveilleuses promesses et de glorieuse
espérance. Il s'appelle le
Redressé ; Il s'appelle le
Ressuscité !
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