Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



JEAN NISSOLLE
SON ÉVASION HORS DE FRANCE
À la suite de la Révocation de l'Édit de Nantes

VUE DE LA VILLE DE GANGES (Hérault)



PRÉFACE

Cette relation a paru, en 1861 et 1862 dans le Bulletin de l'Histoire du protestantisme français. Elle fut envoyée à cette revue par M. B. de Beausobre, de Morges (canton de Vaud), descendant lui-même de réfugiés huguenots. Ce récit, perdu dans l'énorme collection de documents que forment les 55 volumes du Bulletin, n'a pas été republié, à notre connaissance du moins. Il nous a paru intéressant et utile de remettre en lumière cette narration si simple, mais si touchante et si édifiante dans sa simplicité. Nous possédons un certain nombre de récits d'évasions ; il en est de plus dramatiques que celui-ci, mais aucun, à notre avis, ne nous met en présence d'une âme aussi vaillante et aussi chrétienne que celle de cet honnête bourgeois de Ganges, qui se nommait Jean Nissolle. Aucun surtout ne jette autant de lumière sur l'état moral et religieux des protestants, au moment de la Révocation.

Nous avons laissé au style de Nissolle sa simplicité et sa saveur, nous bornant à rectifier quelques noms propres et à ajouter quelques notes.
Nous remercions M. Fonbrune-Berbineau, qui a bien voulu nous prêter l'aide de son érudition pour ces annotations.

M. L.



I
PRÉPARATIFS DU DÉPART

 

Vous me demandez, Monsieur, (1) une relation de tout ce que j'ai souffert pour la religion. Le voici, au hasard de lasser votre patience.
J'appris, le 2 octobre 1685, que six compagnies de gens de guerre devaient se rendre à Ganges, pour forcer tous les habitants réformés à changer de religion. Je crus qu'il était de mon devoir d'exhorter tous ceux que je pus à la persévérance. Je leur représentai, le plus fortement qu'il me fut possible, que c'était nos péchés qui avaient allumé la colère de Dieu contre nous, que ce mépris presque général de sa Parole et de ses sacrements était aussi la cause de la désolation générale des églises réformées de France, que ces troupes de dragons convertisseurs n'étaient que des instruments en la main de Dieu pour nous châtier, et qu'il n'y avait pas d'autre moyen de désarmer sa colère qu'un repentir sincère et un désir ardent de mieux vivre à l'avenir. Je les exhortai surtout à souffrir la perte de leurs biens, et toutes les violences qu'on pourrait exercer sur leurs personnes plutôt que d'abandonner notre religion.

J'eus la douleur de voir toutes mes exhortations sans fruit. Chacun me dit qu'il fallait céder au torrent et faire comme les autres ; on ne manqua point de m'alléguer les exemples de ceux qui avaient déjà succombé. Un seul, nommé Nougier (2), que la première persécution avait chassé de Saint Hippolyte (3) à Ganges, se laissa toucher à mes raisons. Voyant donc qu'il n'y avait plus de ressources, nous résolûmes ensemble de sortir du royaume. Il voulut d'abord me faire partir ce jour-là, après que nous eûmes fait un petit exercice de dévotion dans mon logis, où tous ceux du quartier se trouvèrent ; mais comme c'était un dimanche, je ne voulus point me mettre en chemin et je lui fis trouver bon d'attendre au lendemain de partir. Nous dîmes même de faire une assemblée dans le reste du jour, ce qui s'exécuta fort heureusement à une métairie tout près de la ville. Il s'y rencontra plus de cinq cents personnes. On y lut un sermon fort édifiant, et on y fit l'exercice de la même manière qu'on avait accoutumé de le faire dans nos temples. La plupart des anciens du consistoire m'en reprirent fort aigrement. Ils me dirent que ce n'était point encore le temps de faire de ces sortes d'assemblées, mais que peut-être un jour viendrait auquel il faudrait exposer sa vie pour cela. Je leur répondis que leur disposition présente était une fort méchante cautionpour l'avenir, que c'était le temps ou jamais de faire tous nos efforts pour conserver nos privilèges, et que c'était une chose honteuse que la lâche soumission que nous avions témoignée aux déclarations du roi, contre l'obéissance que nous devions à Dieu.

Cependant la grande envie qu'avait Nougier de se retirer le fit partir sur la fin de ce jour-là sans m'attendre : comme il ne me trouva point, il donna ordre à sa femme de me dire qu'il s'en allait à Valleraugue, et qu'il m'attendait là chez un hôte nommé Le Camus. Je ne manquai point de m'y rendre le lendemain, qui était le lundi. Je l'attendis là deux jours, mais il ne vint point. On me dit cependant qu'à Ganges on avait logé des soldats dans les maisons de ceux qui avaient fui, ou chez ceux qui n'avaient pas voulu faire abjuration. Je crus que peut-être la Providence m'appelait à souffrir dans ma maison avec ma famille. L'envie que j'avais de la fortifier fit que je partis de Valleraugue par une pluie horrible.

Étant arrivé chez moi, je ne trouvai point de soldats, comme on me l'avait dit ; il n'y en avait pas encore dans la ville. Ma femme eut du chagrin de me voir, parce que, dit-elle, je lui rompais ses mesures. Elle avait dit à M. de Ganges (4) et à M. le juge qu'elle ne savait où j'étais allé ni quel chemin j'avais pris. On la menaça de faire raser la maison dès que les dragons seraient arrivés, si l'on ne me trouvait point, et l'on ne manqua pas de faire une exacte recherche de ceux qui manquaient. Il fallut donc me cacher pour obéir à ma femme, et ce fut dans une des plus misérables maisons de la ville. J'obligeai ma soeur de s'y cacher avec moi. Je ne vis point d'autre moyen de nous conserver que celui-là. La consternation était si générale, il était si visible que Dieu avait abandonné ce misérable peuple à sa propre conduite, qu'on ne pouvait pas douter qu'il ne fit abjuration en foule dès que les dragons paraîtraient.

Cela ne manqua pas d'arriver le lendemain. Avant que le logement des dragons fût fait, tout avait presque succombé. Quoique ma femme m'eût promis merveilles, si tôt qu'elle vit neuf dragons dans sa maison, elle courut faire abjuration avec les autres, et mena avec elle une de nos filles âgée de dix-sept ans. Cette nouvelle me causa la plus vive douleur que j'eusse ressentie de ma vie. Deux jours après, j'entendis sonner la cloche pour le sermon qu'on fit dire dans le temple. Ce son me perçait l'âme et me rappelait cet heureux temps auquel nous allions servir Dieu dans son temple avec pureté et avec liberté.

L'impatience me prit au bout de huit jours. On me dit que l'exercice n'était point encore interdit à Monifac (5). Je dis à ma soeur que j'allais à Ginestous m'informer s'il était vrai qu'on prêchât encore à Monifac, et que j'étais bien aise aussi de savoir de quelle manière se conduisait M. de Ginestous (6) et sa famille. Quand je fus arrivé à ce lieu-là, l'hôte me dit que, quoique M. de Ginestous fût de mes amis, je ne lui ferais pourtant point plaisir de le voir, et que, dans des affaires aussi délicates, il n'avait garde de donner aucun conseil ni aucun avis. Il me dit encore que, le jour précédent, on avait prêché pour la dernière fois à Monifac. Je retournai donc trouver ma soeur où je l'avais laissée.

Pendant le peu de temps que je fus absent, on ne négligea rien pour la gagner, et on n'y réussit que trop.
On lui dit que, si on la découvrait, elle serait rasée et conduite dans un couvent. Cela l'intimida extrêmement. Cependant elle n'osait pas changer, que je n'en eusse fait autant le premier. Elle s'avisa pour cet effet de faire venir un de mes amis, qu'elle fit rencontrer comme par hasard et sans dessein. C'était le maître de la maison où nous étions cachés. Ce tentateur me prit par tous les endroits qu'il crut les plus propres à m'ébranler. Il me cita la révolte générale et la difficulté qu'il y avait à sortir du royaume. Il ajouta que, me connaissant propre à consoler les malades et assez hardi pour leur faire la prière sans crainte, il ne doutait point que ce ne fût offenser Dieu, et un défaut de charité en moi de les abandonner ; d'autant mieux que je pouvais compter de n'aller jamais à la messe ; qu'on se contentait de ma simple signature ; qu'on ne m'en demanderait assurément pas davantage, de peur de ne rien du tout obtenir, et qu'enfin si je voulais lui donner parole, un de mes parents, nommé Boudon, viendrait me prendre sur la nuit pour me conduire chez le curé, et que cependant il l'allait avertir ; qu'il se faisait fort que ce curé, qui était de ses amis, ne me demanderait aucune chose, mais qu'il se contenterait de me voir et de prendre mon nom. Je lui répondis que je le priais de dire à M. Boudon, avant qu'avertir le curé, qu'il prît la peine de me venir voir, que nous parlerions de cela ensemble, et que cependant je penserais à mes affaires.

J'avoue franchement, monsieur, que cet homme me prit par mon faible. Je crus, sans l'avoir beaucoup examiné, que je pouvais, sans intéresser ma conscience, me présenter devant ce prêtre, et qu'il pouvait écrire tout ce qu'il voudrait, pourvu que je n'en susse rien et que je n'y eusse aucune part. Je m'imaginai, après avoir fait une forte résolution, de n'aller jamais à la messe, quoi qu'il dût m'en arriver, que je pouvais et que je devais même rester dans ma famille pour l'instruire et l'élever à la crainte de Dieu, que je serais surtout d'un grand secours aux pauvres malades de notre Église.

Mon tentateur s'en alla donc plein d'espérance ; il trouva ma soeur en descendant, à qui il raconta toute notre conversation. Elle lui répondit qu'assurément il n'avait rien fait, que je ne lui avais point promis, qu'il fallait me parler de nouveau et m'obliger à donner parole positive. Pendant que ces gens parlaient encore, ma conscience se réveilla. Elle me représenta le péché énorme que j'avais commis de marchander, pour ainsi dire, ma religion ; elle me mit devant les yeux toutes les menaces que Jésus-Christ dénonce contre les tièdes et contre les timides. Dans cet état, accablé de douleur et de remords, je jetai les yeux sur les psaumes qui se trouvaient devant moi. En ouvrant le livre, la Providence me fit tomber sur un endroit qui me pénétra : ce fut le 2e verset du psaume XXVIe, où il est dit :

Seigneur, essaye-moi
Je requiers que de toi
Sondé je sois et éprouvé :
Mes reins et mes pensées
Dans le feu soient lancées,
Pour voir quel je serai trouvé (7).

Je lis alors cette courte prière à mon Dieu : « Seigneur, lui dis-je, qui m'as jusqu'ici comblé de tes faveurs et de tes biens, qui, après m'avoir fait la grâce de naître dans ton Église, m'as encore inspiré la forte résolution de t'être fidèle jusques à la mort, voudrais-tu ne me plus continuer ton assistance, et m'abandonner aujourd'hui à moi-même dans mon plus pressant besoin ? Non, Seigneur, tu ne le feras pas. Je t'en conjure du plus profond de mon coeur, je te le demande, et je l'espère pour l'amour de ton grand nom et pour l'amour de ton fils Jésus, qui a bien voulu souffrir la mort pour mes péchés. »

Le bon Dieu m'exauça dans ce moment. Il remplit mon coeur d'une joie véritable et solide ; il me fit sentir les plus doux effets de son amour et de sa grâce, il fortifia ma foi, il releva mon espérance, et m'affermit si bien dans la résolution à tout souffrir plutôt que d'abandonner sa sainte religion, que les plus terribles supplices n'auraient pas été capables de m'ébranler. C'est ainsi que Dieu se fait sentir, et qu'il se laisse trouver à ceux qui le cherchent de tout leur coeur.

J'étais dans ces transports et dans ces doux sentiments de la grâce de mon Dieu, lorsque mon séducteur entra de nouveau dans ma chambre. Il voulait avoir de moi une parole plus positive que celle que je lui avais donnée. « Je puis bien compter, me dit-il, sur ce que vous m'avez promis, car il serait fâcheux de faire venir ici votre cousin inutilement. » Je lui répondis tout ému que jusqu'ici je l'avais cru un de mes meilleurs amis, mais que je voyais avec un chagrin extrême que je n'avais pas de plus cruel ennemi au monde, puisqu'il voulait me faire renier mon Sauveur et abandonner sa sainte communion.

Je l'exhortai à se mettre à genoux avec moi, et à demander tous deux pardon à Dieu, lui d'avoir voulu me tenter, et moi de n'avoir pas fermé l'oreille à ses séductions. Après notre prière, il se releva, les yeux mouillés de larmes ; il me protesta qu'il se repentait de tout son coeur de tout ce qu'il m'avait dit, et qu'à l'avenir, dût-on le combler de biens, il ne se chargerait jamais plus de semblables commissions.


Table des matières


(1) Probablement un ancêtre des de Beausobre, dont un membre appartenait à la famille de Jean Hourtet, de Sumène, qui partit avec Nissolle et mourut à Aiguesmortes.

(2) Probablement Noguier ou Nouguier.

(3) Saint-Hippolyte-du-Fort (Gard).

(4) Le marquis de Ganges.

(5) Localité probablement mal orthographiée. Ce doit être Montdardier (Voy. la note suivante).

(6) Ce de Ginestous doit être le même que François de Ginestous, seigneur et ministre de Montdardier, qui abjura le 11 novembre 1685 à Montpellier, entre les mains de l'évêque de Viviers. Il reçut une pension de 400 livres, plus une pension extraordinaire de 300 livres et mourut dévotement à Montdardier en 1697. Il avait été fait, en 1693, maire de Montdardier.

(7) Traduction de Théodore de Bèze.

 

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