Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



JEAN NISSOLLE
SON ÉVASION HORS DE FRANCE
À la suite de la Révocation de l'Édit de Nantes


II
ARRESTATION A LA FRONTIÈRE. PIGNEROL ET GRENOBLE

Peu de temps après, je me mis en chemin pour sortir du royaume avec le sieur Hourtet, marchand de Sumène (1) ; Jacques Finiel (2), cardeur de laine ; Antoine Causse, de Saint-Hippolyte, et Antoine Nissolle, mon fils, chirurgien. Après avoir fait quelques journées, nous nous trouvâmes dans un bois appelé Grésinian, près de Pignerol. Nous rencontrâmes deux paysans, à qui nous demandâmes le chemin de Turin. Ils nous dirent de les suivre et qu'ils nous mettraient dans le grand chemin. Peu de temps après, nous nous trouvâmes environnés de sept ou huit autres paysans qui voulurent nous arrêter de la part du duc de Savoie. Il fallut composer avec eux. Nous leur donnâmes trois louis d'or et une paire de souliers neufs, afin qu'ils nous laissassent aller. Ils firent semblant de nous mettre au bon chemin, et nous menèrent près d'une rivière. Nous nous dépêtrâmes comme nous pûmes de ces voleurs. Nous ne doutâmes point que ce n'en fût. Ils se mirent à siffler sitôt qu'ils nous eurent quittés, et nous entendions qu'on répondait à leur sifflement de beaucoup d'endroits. Cela nous fit beaucoup appréhender même pour notre vie, et nous obligea, après avoir traversé la rivière, à aller tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, afin qu'on ne reconnût point où nous passions.

Comme nous n'avions rien mangé ce jour-là, nous allâmes à la première maison qui se rencontra pour demander quelque nourriture. Nous n'y fûmes pas plus tôt que nous vîmes arriver nos gens, qui, après nous avoir salués, défendirent charitablement aux paysans de cette maison de nous rien donner. Cela nous surprit et nous étonna fort, car c'était sur le soir, et nous étions, comme je l'ai dit, encore à jeun. Ils nous firent dire cependant qu'ils nous laisseraient aller, si nous voulions encore leur donner quelque argent. Nous ne trouvâmes pas à propos de leur rien donner ; nous crûmes qu'il valait mieux faire les résolus. Nous les menaçâmes de porter nos plaintes devant le magistrat, et de lui demander justice de l'argent qu'ils nous avaient volé. Nous leurs fîmes avouer qu'ils nous avaient pris trois louis d'or et le reste ; nous en prîmes des témoins que nous fîmes signer ; c'étaient deux paysans de la maison où nous étions. Nous dressâmes ainsi une espèce de verbal. Quand ils nous virent ainsi résolus de les poursuivre en justice, ils coururent chez un nommé M. Joseph, substitut du juge de Brequairas (3), et lui consignèrent ce qu'ils nous avaient pris. Nous vîmes, peu de temps après, paraître un grand homme avec un manteau bleu, qui nous dit de le suivre de la part de Son Altesse Royale. Nous lui remontrâmes qu'il était fort tard et qu'il pleuvait. Nous le priâmes donc d'attendre au lendemain, et lui promîmes de le suivre partout où il voudrait nous conduire. Cependant je lui offris deux louis d'or, afin qu'il nous laissât aller sans plus de formalité. Il nous répondit qu'il fallait que nous le suivissions le lendemain matin avant le jour, et qu'il nous laisserait sauver, mais que cependant il fallait qu'il fit quelques procédures, puisque la chose était sue, pour le mettre à couvert. Sur ce que cet homme nous promit, nous le suivîmes sur-le-champ, mais il ne nous tint pas parole.

Après nous avoir menés par des endroits où il n'y avait jamais eu de chemin. nous arrivâmes enfin au village et dans sa maison. Ce ne fut pas sans beaucoup de frayeur que nous marchâmes ainsi pendant la nuit. Nous entendions des sifflements de tous côtés ; nous étions accompagnés de sept ou huit coupe-jarrets, tous armés, si bien que nous croyions à tout moment qu'on nous allait égorger, quelles assurances que nous donnât le sieur Joseph de ne point craindre. Il fit d'abord allumer un grand feu pour nous essuyer, car nous étions tous mouillés. Une heure après, on nous fit aller dans un cabaret, où nous soupâmes avec huit ou dix de ces honnêtes gens.

Après le souper, on nous enferma trois dans une chambre du cabaret, et les deux autres dans une écurie hors du logis. Le lendemain, on nous reconduisit dans la maison de l'officier Joseph, où nous fûmes fouillés fort exactement. Nous remerciâmes Dieu de ce qu'il permit qu'on ne nous trouvât rien, quoique nous eussions sur nous plus de soixante pistoles en or. Après toutes ces procédures, le sieur Joseph nous dit qu'il était fâché de n'avoir pu nous laisser aller comme il nous avait promis ; mais que la chose avait trop fait d'éclat ; que cependant il fallait que nous allassions devant le juge de Brequairas, auprès duquel il nous promettait de trouver toute sorte de satisfaction. Il ne faut pas oublier de vous dire qu'avant que sortir du logis, toutes ces gens nous détachèrent un prêtre pour nous dire de leur part que, si nous voulions abandonner toutes nos hardes et notre argent, on nous laisserait aller de nuit ; mais nous ne jugeâmes pas à propos de le faire.
Nous fûmes donc conduits devant le juge de Brequairas.

Il nous demanda de quelle religion nous étions. Nous répondîmes de la réformée. Il nous fit prêter serment et promettre de dire la vérité. Un de nous dit au juge de ne pas nous obliger à déposer contre ceux qui nous avaient arrêtés, de peur qu'ils ne s'en trouvassent pas bien. Il nous répondit qu'on nous rendrait tout ce qu'on nous avait pris, que la moindre punition qu'auraient ces gens-là serait d'aller en galère, et que Son Altesse Royale n'entendait pas qu'on commit de tels brigandages sur ses terres. On nous ouït dans toutes les formes, et on nous fit signer au bas de chaque page de notre déposition.

On consigna cependant entre les mains du commandant du fort Sainte-Marie, dans les vallées de Luzerne, à la Tour (4), l'argent que nous avions donné. Il nous fit conduire tous attachés dans ce fort. Nous y demeurâmes douze jours, pendant le plus fort de l'hiver, couchant toujours sur des ais au corps de garde, incommodés par une quantité de poux effroyable, et toujours persécutés par des missionnaires et par des officiers de la Tour. Nous étions parmi une compagnie d'Allemands assez bonnes gens, mais par malheur il se trouva parmi eux un Italien, qui ne pouvait souffrir de nous voir à genoux prier Dieu, sans nous donner du bâton. Vous jugez bien que cela redoublait l'ardeur de nos prières. Ce fut encore ce scélérat qui nous ôta un Nouveau-Testament. Il le fit par ordre des missionnaires.

On nous traduisit ensuite à Pignerol attachés ; huit de ces Allemands et un sergent nous accompagnèrent. Ils nous remirent entre les mains du major de la place, avec notre argent et une lettre du commandant du fort Sainte-Marie. Celui-ci nous fit conduire par des soldats de la garnison dans la plus haute chambre des prisons de la place qui regardait sur le palais, où il faisait un froid extraordinaire. Après avoir demeuré là sept ou huit jours, nous présentâmes requête au gouverneur, à ce qu'il lui plût nous permettre de rentrer dans nos maisons, en vertu d'une déclaration du roi, qui donnait six mois de temps à ceux qui s'étaient cachés dans les montagnes pour se retirer chez eux, sans qu'ils pussent être inquiétés pour la religion. On y eut si peu d'égard qu'on nous renferma beaucoup plus étroitement. On nous sépara. On mit Hourtet, Finiel et mon fils dans une certaine casemate, où l'on n'avait accoutumé que d'enfermer les plus grands scélérats. On n'y pouvait voir le jour que par un trou. L'eau y coulait de tous côtés, et il n'y avait qu'un peu de paille à demi pourrie toute remplie de poux. On nous enferma, Causse et moi, dans un cachot si plein d'ordure, et de la plus sale ordure, qu'elle remplissait presque jusqu'à la porte, et qu'à peine pûmes-nous y mettre une paillasse pour coucher. Le lieu était fort humide, et c'était une puanteur si insupportable qu'un prisonnier des vallées de Luzerne y était devenu tout enflé.

Après vingt-trois jours de séjour dans de pareils endroits et pendant la rigueur de l'hiver, on eut ordre de la Cour de nous faire conduire dans notre pays et devant nos juges. Huit soldats et un sergent nous traduisirent à Grenoble. Nous y vîmes M. de Saint-Ruth (5), à qui nous dîmes nos raisons. Il nous fit mener dans une chambre près de son logis, où nous trouvâmes quatre dragons. Après nous avoir envisagés : « N'êtes-vous pas, nous dirent-ils en jurant, de ces opiniâtres qui ne veulent pas faire abjuration ? Vous pouvez compter que tout au moins la galère vous est sûre. » - « Vous ne serez pas nos juges », leur répliquai-je. - « Eh bien ! puisque vous raisonnez, nous répartirent-ils en jurant plus fort, vous serez tous cinq attachés cette nuit. » Cependant nos gens se couchèrent et je restai seul auprès du feu avec un dragon. Il s'avisa de vouloir disputer de religion avec moi, mais comme il n'y trouva pas son compte : « Laissons cela à part, me dit-il, vous savez bien ce que je vous ai promis. » Je lui répondis fort doucement qu'il n'était pas nécessaire qu'il tint sa parole. « Vous le verrez », répliqua-t-il. Il envoya cependant acheter, par la servante du logis, quatorze sous de cordes assez grosses. Lui et un autre furent une demi-heure à m'attacher.
Fâchés de leur embarras et de ce que mes compagnons, qui couchaient à terre sur des matelas, ne se levaient point, ils les tirent lever à coups de corde, et faillirent à crever un oeil à un de nos gens. Ils nous attachèrent l'un contre l'autre de toute leur force, ce qui nous incommodait beaucoup. Il y en avait cependant un de nous auprès du feu, à qui un dragon dit d'avancer ; celui-ci voulut dire : « Courage, mes frères, Dieu ne nous abandonnera pas. » - « Puisque tu raisonnes encore, lui dirent-ils, tu seras attaché par le col. » Ils ne manquèrent point ; ils lui firent deux tours ; et comme ils l'étranglaient, nous criâmes de toute notre force au secours. Il faut remarquer qu'en nous attachant ils nous disaient, avec des serments horribles, que si nous n'avions pas renoncé à la religion de Calvin avant qu'il fît jour, on nous ferait boire un seau d'eau à chacun. L'hôte et l'hôtesse du logis entrèrent alors avec un dragon, qui querella fortement les deux autres, et qui leur dit qu'ils avaient fait l'action d'un bourreau. En même temps, ils nous détachèrent. Ce dernier dragon nous dit : « Courage, Messieurs, vous partirez demain pour aller dans votre pays. J'ai ordre de vous accompagner avec quelques autres et un officier. »


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(1) On verra plus loin que Jean Hourtet mourut dans la tour de la Reine, d'Aiguesmortes, le 23 juin 1686. Une Jeanne Hortet membre de la même famille, épousa un de Beausobre, du pays de Vaud, et c'est dans les mains de cette famille qu'a été conservé le récit manuscrit de Jean Nissolle.

(2) Jacques Finiel fut déporté en Amérique, et mourut pendant la traversée. (V. Un déporté pour la foi, pages 62 et 199).

(3) Briqueras, en italien Brichevasio, à 7 Km. de Pignerol à l'entrée de la vallée vaudoise du Pellice.

(4) Torre-Pellice (vallées vaudoises du Piémont).

(5) Le marquis de Saint-Ruth, maréchal de camp du duc de Noailles, qu'il accompagna en Dauphiné. Il s'y signala par ses cruautés contre les réformés, et son nom est demeuré en exécration dans leur histoire. Une épigramme du temps dit de ce convertisseur :
Tuer, voler et pendre,
Sont les trois points de ses sermons.

 

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