Sermons et
Méditations
Gagner Christ.
Pourvu que je gagne Christ.
Philip.
III, 8.
Gagner ! Connaîtriez-vous une
pensée plus puissante dans le coeur de
l'homme ? Il faut gagner, voilà le
mobile de la fiévreuse activité qui
dévore d'innombrables créatures
humaines qui semblent ignorer le repos. Il faut
gagner afin de vivre, de s'enrichir, de pouvoir
jouir plus tard. Il faut gagner, aussi longtemps
que les forces ne trahissent pas le travailleur ou
qu'il ne se déclare pas satisfait du fruit
de son labeur. Jamais, peut-être, la course
au gain ne fut plus générale, ni plus
difficile qu'aujourd'hui. Les habitudes de
simplicité ont disparu, et comment pourvoir
aux besoins toujours nouveaux qui naissent et se
multiplient ? Gagner ! Tel est le mot
d'ordre que s'est donné la
société, qu'elle déclare
nécessaire et qui la fait souffrir, parce
qu'il la remplit d'agitation et d'amertume. Elle
soupire sous son fardeau, en attendant un jour de
délivrance qui ne vient pas. Plus elle se
fatigue, plus aussi elle rive la chaîne qui
la lie à la terre, et plus la terre produit
pour elle des ronces et des
épines qui blessent et qui déchirent.
Gagner ! L'Évangile aussi connaît
et emploie ce mot. Il a été sur les
lèvres de St-Paul ; il a occupé
une grande place dans la vie de
l'apôtre ; il a donné à sa
pensée et à ses aspirations une
orientation nouvelle ; il revient sous sa
plume, qui veut en instruire d'autres sur leur
devoir. Possédé du désir de
gagner. St-Paul donne son temps, ses forces, ses
talents. Il court, il travaille, il lutte pour
arriver au but qu'il s'est proposé. Il
oublie les choses qui sont derniers lui, il tend
vers celles qui sont devant lui. Un seul et grand
désir le remplit : gagner !
Gagner, mais quoi donc ? De
l'argent ? Les biens de la terre ? Le
pain quotidien ? St-Paul se dit que, lui
aussi, a besoin de tout cela, et il saura mettre la
main à l'oeuvre, afin de n'être
à charge à personne. Il accomplira,
avec simplicité de coeur et beaucoup de
fidélité, les devoirs que lui impose
la terre. Mais le but de sa vie, mais l'objet de
ses plus grands efforts, non, il ne sera pas
là. Il sait que Dieu pense à lui et
qu'il doit suffire à un homme d'avoir la
nourriture et le vêtement. Il sait surtout
que ce serait une folie que de livrer et de vendre
son coeur à la matière. Jamais il ne
croira, lui, désillusionné, que ce
monde puisse satisfaire les besoins de son
âme immortelle. Son âme, mais
n'est-elle pas d'en haut ? N'est-elle pas
d'origine divine, faite pour un monde meilleur que
celui où elle loge pour quelques courtes
années, faite pour le ciel et pour Dieu qui
l'a donnée ? Son âme,
tout le lui affirme, ne
trouvera
son repos, sa paix, une vie digne d'elle que dans
la communion de Jésus-Christ. Pourvu que je
gagne Christ, écrit-il à ses
frères de Philippes.
Heureux apôtre ! Son choix a
été excellent ! Qu'il ne craigne
pas d'en arriver là où finiront les
luttes de l'homme qui ne vit que pour la terre et
auquel la poussière ne pourra jamais donner
autre chose qu'une poignée de
poussière. L'enfant du siècle
présent moissonnera, comme fruit de ses
labeurs, la déception et la perdition. Sa
vie s'en ira dans un douloureux soupir. Mais
l'apôtre, loin de lui ressembler, jouira des
vrais biens que Dieu accorde, son âme aura la
paix, et sa fin, ce sera la joie, le bonheur, un
cantique de louange et d'actions de
grâce.
Mes frères, gagner le monde, gagner
Christ. J'ai rapproché l'un de l'autre ces
deux désirs, puissant, le premier, dans la
génération à laquelle nous
appartenons ; puissant, le second, dans le
coeur de St-Paul. Il y a là deux tendances
qui se tournent le dos, deux chemins qui se
séparent, deux existences, deux avenirs,
deux fins, une voie qui descend et une voie qui
monte. Je pourrais dire qu'il y a là, au
point de vue moral et spirituel, la mort et la vie.
Le fait, après tout, est fort connu. fort
simple et fort clair. Il trouve tous les jours et
devant les yeux de qui veut voir, sa confirmation.
Nous sommes obligés de nous déclarer
d'accord, et cependant, pleins
d'inconséquence, nous ne choisissons pas
réellement la bonne part. Nous ne
suivons pas réellement
l'exemple que nous a donné cet homme pour
lequel gagner Christ était devenu l'ambition
suprême. Vraiment, quand je compare nos vies
à celle de l'apôtre, je vois qu'elles
ne sont pas ce qu'a été la sienne.
Subtilement et sans nous l'avouer à
nous-mêmes, ou bien ouvertement, nous
emboîtons si souvent encore le pas de ceux
qui veulent gagner la terre ! La terre, pour
nous aussi, se place au premier rang, la terre avec
ses exigences, ses attraits, ses obligations,
oh ! combien multiples et multipliées
de nos jours ! La terre avec le pouvoir
qu'elle sait exercer sur la pensée, l'esprit
et le coeur ! La terre avec ses flots de
paroles et d'impressions, ses voix sans nombre qui
nous arrivent de près, de loin, de toutes
parts et sous les formes les plus diverses !
La terre avec l'ouvrage qu'elle a soin de tenir
prêt pour nous chaque matin et les
occupations que crée notre bon
plaisir ! Il y a là comme un
envahissement de notre être qui se renouvelle
sans cesse, et le fait est que nous ne lui
résistons pas toujours.
Est-ce par oubli que les choses se passent
ainsi ? Par oubli, dis-je, des
intérêts de notre âme et des
profonds besoins de nos coeurs ? Par oubli de
cette parole du Maître lui-même :
Il ne servirait de rien à un homme de gagner
le monde entier, s'il perdait son âme ?
Par oubli de ce mot de l'apôtre, c'est que le
monde passe avec sa convoitise et que seul l'homme
qui aura fait la volonté de Dieu demeure
éternellement ? Par oubli ? -
Peut-être. - Mais d'où vient donc que
notre mémoire soit si
bonne là où il s'agit pour nous de la
terre, de gagner le monde, de pourvoir aux besoins
de la journée, de répondre aux appels
de nos goûts et de nos souhaits ?
D'où vient qu'elle ne nous rappelle pas,
avec une égale fidélité, que
la grande affaire pour nous, c'est de gagner
Jésus-Christ ? D'où vient
qu'elle ne nous place pas, chaque matin, en face de
cette question : Christ est-il à toi,
es-tu à Christ ? Faudrait-il chercher
ailleurs l'explication de ce fait que, tout bien
considéré, nous sommes dominés
encore par les affaires, entraînés par
la vie présente, si bien que nous sommes
pris, esprit, âme et corps, dans un engrenage
qui nous serre de près, - la terre, toujours
la terre pleine de trouble et ignorant la
paix ? Il se pourrait qu'en présence de
ces deux objets qui attirent nos regards et
appellent nos désirs, - Jésus-Christ
et le monde, - nous ayons voulu faire la part de
chacun. Que de raisons pour ne pas oublier le
premier ! Un engagement pris à l'heure
solennelle de notre vie où, saisissant en
connaissance de cause la main de Christ, nous lui
avons promis de ne pas le quitter, de l'aimer et de
le servir ; les appels de la
prédication chrétienne et de la
Bible ; l'expérience, qui ne cesse de
nous fournir des preuves de la vanité des
choses d'ici-bas et de la fragilité de la
vie humaine ; le souvenir aussi du bonheur que
donne au pauvre pécheur la communion de
Jésus-Christ, le Sauveur. Ne plus
désirer Jésus-Christ ? Ne plus
le chercher, lui, qu'on appelle
la perle de grand prix,
lui, le
plus fidèle des amis ?
Qu'on ne s'attende pas de notre part
à une erreur si grave et si
impardonnable ! - Mais que de bonnes raisons
aussi pour garantir au monde la place qu'il
réclame ! Elles apparaissent si
nombreuses et si plausibles ; elles savent si
bien naître de nos circonstances et en tirer
leur force, qu'à peine ont-elles besoin d'un
effort pour triompher de nos résistances. Il
leur est si facile de nous arracher cette heure,
ces quelques instants de recueillement, de
prière, d'édification domestique ou
publique, de lecture et d'étude de la Bible
auxquels notre âme avait droit. Si facile
encore de nous faire croire que l'homme peut vivre,
au moins un jour ou deux, de pain seulement, qu'il
peut se passer de la parole sortie de la bouche de
Dieu et de l'appui que lui donne la communion de
Jésus-Christ ! Si facile de nous
convaincre que nous sommes en règle avec le
ciel, et qu'il n'y a pas pour nous de danger
à mettre ce qui nous reste de temps et de
forces à l'accomplissement des devoirs de la
terre ? Si facile aussi de nous
détourner de notre vocation de
témoins de Jésus-Christ ! N'y en
a-t-il pas d'autres pour parler, pour avancer le
règne de Dieu, pour donner et pour
travailler ? Et nous entendons par là
des gens plus libres de leurs mouvements et moins
retenus par la terre que nous. - Mes frères,
quand de la sorte le ciel et la terre,
Jésus-Christ et les choses d'ici-bas, ont
demandé tour à tour votre temps, vos
forces, votre coeur, ne vous serait-il pas
arrivé d'agir comme si
vous étiez en face de deux maîtres
également légitimes, ayant chacun le
même droit de se faire écouter et
obéir ? Vous avez voulu partager alors,
donner à chacun la part qui lui revenait, et
qu'en est-il résulté ? La part
de Jésus-Christ a été faite
bien petite, toujours plus petite, jusqu'à
ce que, par une parole de sa bouche, par un coup
imprévu, par un appel plein de puissance, le
Souverain Pasteur et Gardien de notre âme ait
fait valoir ses droits suprêmes. Gagner
Christ : Dieu veut que ce soit là le
grand, le premier but de notre vie !
Je le disais naguère, l'homme auquel
nous devons ces deux mots : Gagner Christ, a
su compter aussi avec les obligations d'ici-bas. Sa
main, la même qui a écrit la touchante
lettre aux Philippiens, a fabriqué plus
d'une tente, fait plus d'une couture, coupé
plus d'une pièce d'étoffe. Elle a su
travailler pour la terre, gagner le pain quotidien
et se fatiguer par le labeur. Elle a tracé,
afin de combattre une funeste erreur, cette ligne
sévère : Si quelqu'un ne veut
pas travailler, il ne doit pas non plus manger.
Personne, mieux que l'apôtre, n'a compris
l'ordre de Dieu, donné aux premiers
habitants de ce monde : Tu mangeras ton pain
à la sueur de ton front. Personne, mieux que
lui, ne s'est courbé, avec une pleine
docilité, sous cette dispensation des
premiers jours. Mais, en même temps,
oh ! comme St-Paul a bien su se dire qu'il est
une aspiration qui doit occuper en nous le premier
rang, un désir qui doit primer tout autre
désir, un travail auquel
nous devons le meilleur de nos forces et de notre
temps, une oeuvre qu'il faut accomplir avant toute
autre oeuvre : Gagner Christ et être
trouvés en lui. Écoutez-le, rendant
devant ses frères de Philippes ce
témoignage qui sort des profondeurs de son
âme chrétienne et de son coeur vaincu
par l'amour de Jésus-Christ : Je
regarde toutes les autres choses comme une perle,
en comparaison de l'excellence de
Jésus-Christ, mon Seigneur, pour qui je me
sais privé de toutes ces choses et je ne les
regarde que comme des ordures, pourvu que je gagne
Christ et que je sois trouvé en lui.
Il y a là un homme qui connaît
la vérité et qui la pratique. Ce
n'est pas un rêveur, croyez-le bien, ce n'est
pas un exalté, un pieux fanatique ; ce
que nous disions tout à l'heure de ce
travailleur en fait foi. Mais il y a là un
chrétien qui a vu clair et qui a su marcher
à la lumière répandue sur son
chemin, Pourvu que je gagne Christ et que je sois
trouvé en lui : voilà le but que
cet homme s'était proposé à
lui-même, le but qui rayonnait aux yeux de
son âme, et auquel, pour lui, demeurait
subordonné tout le reste. Ce qui le
rapprochait de Jésus-Christ, ce que
Jésus-Christ lui ordonnait, ce que
Jésus-Christ lui offrait, il l'acceptait. Ce
qui l'aurait éloigné de
Jésus-Christ, il le repoussait. Son bonheur
présent et futur, il le savait
étroitement lié à la personne
de ce Jésus qui, sur le chemin de Damas,
l'avait pris à lui, et, avec beaucoup de
conséquence, il cherchait à affermir
le lien invisible qui
l'attachait à ce Sauveur. Nourrir sa foi,
croître dans la connaissance de
Jésus-Christ et suivre ce Maître
toujours plus fidèlement : telle fut la
grande, la constante préoccupation de
l'apôtre.
Mes frères, ni dans les exigences de
ce siècle, ni dans nos obligations
personnelles envers nos semblables, ni dans nos
circonstances, ou dans nos travaux
multipliés, nous ne trouverions une excuse
qui nous justifiât, si nous nous refusions
à suivre l'exemple de St-Paul. Les temps ont
changé, je le veux bien. Mais si nous sommes
aujourd'hui comme emportés par un
tourbillon ; si ni notre temps, ni nos forces
ne semblent plus suffire ; si les affaires
d'ici-bas ont l'air de se précipiter
au-devant de je ne sais quelle issue, ne
seraient-ce pas là autant de voix qui nous
crient, en appuyant celle de St-Paul : Pourvu
que tu gagnes Christ et que tu sois trouvé
en lui ! Christ et son règne survivront
à tout ce qui passe. Seuls ceux qui l'auront
gagné, lui, le Sauveur et qui seront
trouvés en lui, ne périront pas dans
l'effondrement général. Gagner Christ
et être trouvé en lui : mon
frère, que ce soit donc là la devise
de chacune de tes journées et que tout ce
que tu fais, soit fait à la lumière
et sous la discipline de cette parole ! Amen.
Réjouissez-vous
de ce que vos noms sont inscrits dans les
cieux.
(Lire
Luc X, 17-24.)
Mes frères, nous avons surpris, en
ouvrant la page de l'Évangile selon St-Luc
que nous venons de lire, une heure peut-être
unique dans la vie de Jésus. Ils pourraient,
en effet, avoir raison ceux qui disent que cette
vie a été enveloppée de
tristesse et qu'il n'y a pas eu en elle beaucoup de
joies. Parcourez les écrits des auteurs
sacrés. L'impression qui s'en dégage,
c'est que Celui qui apportait, partout où on
le voyait paraître, le remède aux maux
dont souffrait le peuple, la consolation et la
paix, Celui par lequel s'accomplissait cette
antique parole du prophète : L'Eternel
m'a oint pour annoncer la bonne nouvelle aux
affligés, pour guérir ceux qui ont le
coeur brisé, pour présenter à
ceux de Sion qui sont dans le deuil et pour leur
donner le diadème au lieu de la cendre,
l'huile de joie au lieu du deuil, le manteau de
louange au lieu d'un esprit abattu, si bien qu'on
les appellera les chênes de la justice, les
arbres plantés par l'Eternel pour le
glorifier, - je dis que l'impression que nous
laisse la vie de cet Envoyé de Dieu est
celle d'une existence riche en
larmes plutôt qu'en joies. Cet homme qui a
fait tant d'heureux et qui en fera jusqu'à
la consommation des siècles, a
été l'homme de douleur. Sa vie s'est
résumée dans cette chose effroyable
qu'on appelle la croix. Il y a eu là le
renoncement, l'angoisse et la lutte, il y a en
là jusqu'à la plus amère des
souffrances, celle infligée par des mains
amies, et peu de jouissance, peu de satisfaction,
peu de joie visible, éclatant à la
vue de tous. Ah ! je ne soutiens pas que
Jésus n'ait pas été heureux.
Heureux, on le sera toujours quand on aime Dieu et
que l'on marche dans ses voies. Et qui, sinon
Jésus, aurait aimé et
obéi ? Heureux, il est possible de
l'être jusqu'au milieu des larmes.
Versées aux pieds du Seigneur, elles
n'auront pas le pouvoir de détruire la paix
du coeur. Mais la joie telle que nous l'entendons,
la joie sous l'effet de laquelle l'être tout
entier s'épanouit et qu'on voit rayonner sur
la figure de celui qui l'éprouve, cette
joie-là, Jésus ne l'a guère
connue. Une fois cependant, nous l'apercevons
illuminant ses traits, et ce moment, c'est celui
où, aujourd'hui, le Maître se
présente à nous entouré de la
foule de ses disciples, le moment où
s'échappe de ses lèvres cette
parole : Réjouissez-vous de ce que vos
noms sont écrits dans les
cieux !
Nous sommes réunis ici, mes
frères, pour entendre de la bouche de
Jésus, tressaillant de joie, cet appel
à la joie. Mais pour bien le comprendre et
pour savoir y répondre, il nous faut, avant
tout, examiner de plus
près et selon l'Écriture, les
circonstances qui l'ont fait naître. Chose
frappante ! La joie qu'il éprouve, ce
moment de bonheur qui passe comme un rayon de
lumière sur sa personne, Jésus l'a
dû à ses disciples, et voici
comment.
Un jour, il y avait de cela, selon toute
probabilité, assez longtemps, Jésus
avait envoyé soixante-dix de ses amis au
milieu des tribus d'Israël. La vocation dont
il les avait chargés avait été
semblable à celle de Jean-Baptiste. Par leur
parole, par leur oeuvre, ils devaient
préparer le chemin du Maître, annoncer
sa venue, proclamer son nom. Lui-même les
avait suivis, complétant leur travail,
apportant le dernier mot et les grâces
suprêmes, se donnant lui-même, l'ami,
le docteur, le pasteur sans pareil. Enfin, leur
tâche accomplie, les disciples s'en
retournent vers Celui qui les avait fait partir.
Les messagers de la bonne nouvelle rentrent au
foyer. Ils ont vu ce qu'il est permis de faire
à l'homme que Jésus emploie, qu'il
accompagne de sa bénédiction, qu'il a
outillé pour son service et rempli de ses
dons et de sa puissance. Ils reviennent
pénétrés d'une joie qu'ils
expriment naïvement : Seigneur,
disent-ils, les démons nous sont assujettis
par ton nom ! Aurait-on cru que
l'étendue du pouvoir dont ils avaient
été revêtus fût si
grande ? Se serait-on attendu, pour ces hommes
faibles, peu instruits, manquant,
d'expérience, à des victoires si
belles ? Alors, dans ce cercle des premiers
témoins dont le Père avait
béni le ministère au delà
de ce qu'ils avaient osé
espérer et demander, la joie des disciples
se communique au Maître. Devant eux, un coin
du rideau, cachant les magnifiques bontés de
Dieu, s'est levé. Devant lui, tout le plan
divin se découvre et dans les premiers
succès, remportés par la foi et
l'obéissance, s'annonce pour lui le triomphe
final. Il contemple l'oeuvre du salut accomplie, le
Prince de ce monde détrôné, la
gloire rendue à Dieu et le bonheur rendu aux
hommes. Quel avenir que celui-là !
Quelle lumière, quelle vie, quelle
paix ! Et tressaillant d'allégresse, il
s'écrie : Je te loue, ô
Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce
que tu as caché ces choses aux sages et aux
intelligents et de ce que tu les as
révélées aux enfants !
Oui, mon Père, cela est ainsi, parce que tu
l'as trouvé bon !
Mes frères, il est des situations
qui ne se renouvellent pas. C'est parmi elles qu'il
faut ranger, peut-être, celle des
soixante-dix ayant achevé leur
ministère et apportant leurs gerbes aux
pieds du Maître de la moisson. Et cependant,
il peut y avoir eu, et il peut y avoir encore des
analogies entre leurs expériences et les
nôtres. J'évoque le souvenir des jours
où il a plu à Dieu de nous faire
sentir que notre travail n'était pas vain
auprès de lui, qu'il regardait, dans sa
condescendance, à nos intentions
plutôt qu'à la valeur de notre oeuvre
et que, dans nos intentions mêmes, il
démêlait, pour s'y arrêter et
pour y prendre plaisir, ce qui était vrai,
pur et bon, d'avec ce qui ne supportait pas la
flamme de ses yeux. Oh ! le bonheur d'avoir
senti alors son approbation,
d'avoir pu nous dire : Tu as été
quelque peu utile, la force du Seigneur s'est
accomplie dans ta faiblesse, il s'est servi de toi
pour faire quelque bien à un frère,
pour porter à ceux qui en avaient besoin,
une parole d'encouragement, de consolation et de
paix, pour terrasser, dans un coeur dont ils se
disputaient la possession, les démons du
mécontentement, de l'envie, de la jalousie,
de l'orgueil et de la médisance, et pour
faire triompher Jésus-Christ, le Saint et le
Juste, le Sauveur du pécheur repentant et le
Médecin de ceux qui se portent mal.
Vraiment, il y a eu là comme un écho
lointain de ce cri de joie d'il y a vingt
siècles : Seigneur, les démons
mêmes nous sont assujettis par ton nom !
J'évoque le souvenir de ces
jours, moins semblables encore à ceux des
soixante-dix dont nous parlions tout à
l'heure, mais qui, me semble-t-il, peuvent aussi
être nommés ici, où toute la
bonté de Dieu s'est fait sentir dans nos
vies, sur nos personnes et au sein de nos familles.
Ne sont-elles pas bien rares parmi nous, les
existences humaines pour lesquelles jamais et
d'aucune façon les paroles du patriarche
Jacob, rentrant dans sa patrie après un long
et pénible exil, n'ont été
éclairées d'une lumière qui
les rendait nouvelles et les transformait en une
confession personnelle du lecteur de la
Bible : Éternel, je suis trop petit
pour toutes les faveurs et pour toute la
fidélité dont tu as usé envers
ton serviteur ; car j'ai passé le
Jourdain avec mon bâton et maintenant je
forme deux camps ! Que de dangers
écartés de notre route,
que de bienfaits semés
sur notre chemin, que de grâces
libéralement accordées à ceux
qui n'avaient mérité que le
châtiment, que de témoignages d'une
sollicitude toute paternelle et divine pour des
enfants de col raide, quelle abondance de
miséricorde, quelle sagesse et quelle
puissance manifestées dans les moyens !
Mes frères, ne vous seriez-vous donc jamais
tenus sur quelqu'un de ces sommets où la
main de Dieu place quelquefois ses enfants et
où il ramènera bien souvent ceux qui
s'y laisseront conduire pour voir ce que leur
Seigneur a fait pour eux ? Et puisqu'il me
semble impossible que jamais, de là-haut,
vous n'ayez jeté un regard
étonné sur votre passé, sur
l'oeuvre de vos mains bénies par Dieu, sur
quelqu'une de ces bontés spéciales
dont, dans telle circonstance particulière,
il a usé envers vous, ou bien sur l'ensemble
des gratuités dont il a couronné vos
jours ; - puisque je ne puis croire que jamais
vous n'ayez été frappés de la
manière d'agir de Dieu à votre
égard, dites ce que vous avez
éprouvé à la vue de tant
d'ennemis mis sous vos pieds, de tant de
délivrances accordées et de tant de
miracles accomplis en votre faveur ! Vous
n'avez pas songé, sans doute, à
répéter sans en changer les mots, le
cri des soixante-dix, envoyés par
Jésus-Christ : Seigneur, les
démons mêmes nous sont assujettis par
ton nom ! Mais ce qui s'est retrouvé en
vous, c'est leur surprise, leur allégresse
et leur hommage rendu à Celui dont le
pouvoir et la bonté avaient
dépassé leurs espérances les
plus hardies !
Et nous voici, mes frères,
malgré la distance qui nous sépare
d'eux et la diversité que présentent
les situations, associés aux témoins
de la première heure dont la joie fit
naître dans le coeur et jaillir des
lèvres de Jésus cette parole :
Ne vous réjouissez ; pas de ce que les
esprits vous sont assujettis, mais
réjouissez-vous de ce que vos noms sont
écrits dans les cieux. Elle nous regarde
donc comme elle regardait les disciples, et vous me
demandez quelles ont été, en la
prononçant, la pensée, les
intentions, la volonté du Seigneur à
l'égard de ceux qui
l'écoutaient.
Je ne pense pas, mes frères, que
le Maître ait voulu dire que l'objet qui
avait jeté ces hommes dans le ravissement ne
fût pas digne de leur attention et de leur
admiration. Eh quoi ! La victoire que les
soixante-dix avaient remportée sur les
démons, le bonheur que leur succès
leur faisait éprouver, la joie dont
débordaient leurs coeurs, tout cela
n'avait-il pas ouvert devant Jésus
lui-même ces perspectives glorieuses qui le
font tressaillir en son esprit ? Non, je ne
pense pas que Jésus ait voulu formuler un
blâme, qu'il ait voulu désapprouver
l'étonnement et l'allégresse de ses
serviteurs, frappés de ce qu'ils avaient vu.
Il comprend, il approuve, il partage leur
pensée ; elle s'empare de lui aussi,
elle lui fait du bien et lui arrache une parole
admirable d'adoration et d'actions de grâce.
Mais jusque dans cette heure belle et grande entre
toutes, il est une chose que le Fidèle et le
Véritable n'oublie pas, c'est de veiller sur
les âmes des siens, c'est
d'écarter ce qui
pourrait, par la force des circonstances, se
transformer pour elles en piège, et de les
mettre en face de la vérité
complète, seule vraiment bienfaisante. Il
est, en effet, pour le serviteur de
Jésus-Christ, pour l'enfant de Dieu, un
sujet de joie élevé bien au-dessus de
tous les succès qu'il remporte, comme
au-dessus de toutes les grâces qu'il
recueille le long de la route, c'est le fait
d'être sauvé. Que son oeil ne se
laisse donc pas éblouir et fasciner par ce
qu'il contemple, que son coeur ne soit pas
satisfait de ce qu'il lui est donné de faire
et de posséder ! Il pourrait y avoir
là des pièges dont il ne se doute
pas. Une chose meilleure, une chose sans laquelle
aucun succès, ni aucun bienfait de la terre
ne pourrait être pour lui un sujet de joie,
une chose grande entre toutes lui est
destinée et lui est assurée par la
grâce divine : Réjouissez-vous,
s'écrie Jésus, de ce que vos noms
sont écrits dans les cieux.
Aurons-nous de la peine à
comprendre la signification de l'image ? On
portait, dans la ville antique, les noms des
citoyens sur les registres d'un livre.
L'inscription garantissait le droit de bourgeoisie
avec ses privilèges. L'inscrit était
certain d'être de la famille, d'avoir sa
place au pays, d'être accueilli et
protégé par ses compatriotes.
S'emparant de ces usages, la Bible en a fait une
image qui lui est familière. Moïse
s'écrie : Pardonne leur
péché, sinon efface-moi de ton livre
que tu as écrit, ! Et dans
l'Apocalypse, parlant de la cité de Dieu,
nous lisons ces paroles : Ceux-là seuls
qui sont écrits dans le livre de vie de
l'Agneau y entreront.
Lorsque donc, se tournant vers les
soixante-dix, Jésus les appelle à se
réjouir de ce que leurs noms sont
écrits dans les cieux, que peut-il avoir
voulu leur dire, sinon qu'il est pour eux une
grâce suprême, plus enviable et plus
excellente que n'importe quelle autre, c'est de
posséder l'assurance de leur salut
personnel.
On a demandé, mes frères,
si le chrétien, dont le pied chancelle
encore au contact du monde d'iniquité qui
l'entoure, peut avoir l'assurance d'être
sauvé ? On lui a contesté le
droit de croire à son salut comme à
une chose certaine. En l'entendant affirmer qu'il
possède sa place parmi les serviteurs de
Dieu dans les cieux, on l'a accusé de
témérité. Mais Jésus ne
partage pas cette opinion. Réjouissiez-vous,
dit-il, de, ce que vos noms sont écrits dans
les cieux. Encouragés par lui, nous
déclarons qu'il est une assurance du salut,
légitime et voulue de Dieu. Elle ne
s'achète à aucun prix, mais elle peut
être donnée à l'homme, elle
sera accordée à quiconque la prend
comme un don des mains meurtries du
Rédempteur ; elle sera, de la part du
Dieu vivant, le suprême témoignage de
sa grâce gratuite en Jésus-Christ. Nul
ne pourra rien recevoir, ni rien posséder de
plus grand et de plus beau qu'elle. Elle
dépasse en valeur tout le reste. Elle est,
après Celui qui en est l'auteur, le
trésor de grand prix.
Frères, auxquels Dieu, par son
St-Esprit, a dit que vous êtes sauvés,
vous, pauvres et misérables pécheurs,
réjouissez-vous ! Sauvés :
là est la chose digne d'être à
tout jamais l'objet de la joie de vos coeurs. Il
n'en est pas d'autre, qui, mieux
que celui-là, mérite de vous
posséder tout entiers. Pas d'autre auquel
vous puissiez vous livrer plus complètement,
sans crainte et sans danger, puisqu'il n'y en a pas
d'autre qui vous dise avec autant de force que tout
est grâce, et que la grâce, avec toute
son excellence, sera la part de qui est assez
humble pour l'accepter à deux
genoux.
Réjouissez-vous de ce que vos
noms sont écrite dans les cieux ! O
Seigneur qui as prononcé cette parole, qui
nous l'as rappelée dans ce jour, qui as
voulu qu'elle fût écrite pour nous,
donne-nous de la comprendre et de la mettre en
pratique ! Amen.
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