Sermons et
Méditations
Priez les uns pour les autres.
Jacq. V. 16.
Mes frères, sur la première page
du poème religieux que nous connaissons sous
le nom de Livre de Job, se déroule devant
nous une scène mystérieuse et
effrayante. Mêlé à une
assemblée d'enfants de Dieu, un être
perfide se présente devant l'Éternel
pour faire périr, par ses accusations, un
homme pieux, irréprochable. Vous avez
reconnu le calomniateur, le meurtrier dès le
commencement, Satan travaillant à la perte
de Job. Tournez la page ; ouvrez le Nouveau
Testament, et les apôtres du Seigneur,
parlant des choses que le Saint-Esprit leur a fait
voir des yeux de la foi, vous transporteront eux
aussi dans le ciel. Mais ce n'est plus pour vous y
faire voir le terrible accusateur. La place qu'il
occupait a été prise par un avocat
plaidant la cause des perdus. Vous avez reconnu,
cette fois, Jésus-Christ, dont il est dit
qu'il intercède, même pour nous, et
qu'il peut toujours sauver ceux qui s 'approchent
de Dieu par lui.
Or, s'il y a là deux princes, celui
des ténèbres, précipité
aujourd'hui de son trône, mais investi
encore, pour un temps, d'une partie de son pouvoir,
et celui de la lumière,
auquel toute puissance a été
donnée dans le ciel et sur la terre, il y a
deux camps, deux armées, deux peuples,
obéissant chacun aux ordres qu'il
reçoit. Il y a, sur cette terre, le peuple
de Satan, le peuple des calomniateurs, des
accusateurs, des séducteurs sans conscience,
et il y a le peuple de Jésus-Christ, le
peuple qui aime, qui pardonne, qui excuse et qui
intercède, le peuple qui cherche à
sauver ce qui est perdu. Mes frères, de ces
deux troupes, je laisse celle qui est d'ici-bas,
qui est de l'enfer. Je ne veux, à cette
heure, m'occuper avec vous que de celle qui est
d'en haut, qui est du ciel, qui fait ce que fait
Jésus-Christ. Laissez-moi donc vous parler
de l'intercession chrétienne ; vous
dire, au nom du divin intercesseur, que vous
êtes appelés, vous qui vous
réclamez de son nom, à ce
ministère excellent entre tous, et vous
montrer, avec l'assistance du Saint-Esprit, la
divine beauté et la divine grandeur de cette
mission. Priez les uns pour les autres,
écrivait saint Jacques aux chrétiens
de la dispersion. Écoutons l'ordre qu'il
nous donne comme de la part de celui qu'il sert et
qui inspire sa plume, et sachons bénir Dieu
qui daigne, en nous demandant nos intercessions,
nous associer à l'oeuvre de son Fils
même.
I
Mes frères, l'intercession
chrétienne est une chose excellente, parce
que, en effet, tout d'abord, elle joint
ceux qui la pratiquent à
l'oeuvre de salut et de
régénération que poursuit
Jésus-Christ. Prier pour mes frères,
prier pour ceux que Dieu met à mes
côtés, prier pour les miens, prier
pour le monde, ce sera édifier le royaume de
paix, de justice, de sainteté dont il est le
chef ; ce sera coopérer à la
destruction des oeuvres de Satan et à la
disparition du mal ici-bas. Ah ! qui suis-je,
moi, créature faite de poussière,
homme aux lèvres souillées, pour
avoir le droit de me présenter, à
côté de Jésus-Christ, devant la
Majesté divine, pour supplier Dieu de faire
grâce, de pardonner, de guérir les
ravages du péché, de délivrer
ceux qui souffrent, de consoler les
affligés, de purifier les coeurs, de sauver
les âmes !
Qui es-tu, mon frère, ma soeur, pour
qu'il te soit permis d'apporter devant le
trône de Dieu les besoins, les
misères, les douleurs, les détresses,
les larmes des autres ? Seraient-ce vraiment
nos bouches que la parole de Dieu
déclarerait capables de demander le salut de
nos familles et de nos maisons, le salut de telle
âme qui nous est chère et que nous
voyons se perdre, les progrès de l'Evangile
sur cette terre de péché, la victoire
de la vérité et de la justice, le
succès des travaux de l'Eglise et
l'avancement du Règne de Dieu ? Ce
serait vous et moi dont Jésus-Christ,
oserai-je le dire, accepterait le concours pour
achever son oeuvre de salut et la conquête du
monde ? Ce serait nous, si pauvres, si
misérables à tant d'égards,
dont il voudrait faire des ouvriers avec lui ?
O vocation belle, grande, sainte entre toutes,
dont nous sommes tous
indignes,
et qui, cependant, nous a été faite
à tous à partir du jour où
nous avons cru en Jésus-Christ et où
nous avons déclaré vouloir le
suivre ! Il n'en est pas d'autre qui, comme
celle-là, nous élève et nous
humilie tour à tour. Elle nous humilie, car,
en se présentant à nous, elle nous
fait sentir toute notre petitesse, toute notre
insuffisance, toute notre incapacité et
peut-être même la coupable et
incroyable indolence de nos coeurs. Elle nous
élève, car elle nous fait savoir que
Dieu, en Jésus-Christ, veut malgré
tout se servir de nous pour faire du bien, pour
bénir et pour sauver ! Intercesseurs
avec Jésus-Christ et comme
Jésus-Christ ! Qui donc d'entre ceux
qui comprennent que c'est là leur
tâche ne se sentirait encouragé et ne
rendrait grâce au Dieu de miséricorde
et de bonté, qui honore les disciples de son
Fils d'un mandat si beau !
II
Une oeuvre excellente, l'intercession
chrétienne l'est encore parce qu'elle
répond à des besoins aussi nombreux
que profonds. Que de détails, que de faits,
que de situations désespérées,
que de causes perdues selon les hommes, qui
appellent l'intercession année après
année, jour après jour, j'allais dire
à tout instant ! Voyez, au temps
d'Abraham déjà, les villes impies de
la plaine du Jourdain ; rien ne leur
était plus nécessaire que
l'intercession du pieux patriarche ;
seule, elle pouvait les
sauver
de la perdition, seule, elle les aurait
sauvées, si les dix justes que cherchait
l'oeil de Dieu s'y étaient trouvés.
- Voyez le peuple d'Israël,
égaré, perdu, dansant autour du veau
d'or. La colère de l'Éternel
s'enflamme. l'a, dit-il à Moïse,
descends, ton peuple s'est corrompu ; c'est un
peuple de col roide ; laisse-moi faire ;
je les consumerai, mais je te ferai devenir une
grande nation. Ici encore, que seraient devenus les
coupables, si un intercesseur ne s'était
tenu à la brèche ? Moïse
prie, et Dieu fait grâce.
- Voyez les apôtres de
Jésus-Christ, hommes sanctifiés par
la parole de Dieu et par le Saint-Esprit, mais
hommes faibles, portant leur trésor dans des
vases de terre, exposés à mille
dangers. livrés tous les jours à la
mort à cause du nom de Jésus-Christ
qu'ils aiment et qu'ils confessent. Quel est le
service qu'ils demandent à leurs
frères, aux Églises qu'ils ont
fondées, à ces anciens païens
qu'ils ont amenés à la connaissance
de la vérité ? Quelle est la
chose qu'ils déclarent leur être
nécessaire à eux, témoins de
Jésus-Christ, pour pouvoir continuer leur
ministère avec courage et avec foi ?
L'intercession, mes frères, l'intercession
de ceux-là mêmes qui, de toute
façon, sont moins avancés, moins
affermis, moins fidèles, moins utiles
qu'eux, mais qui cependant ont appris à
prier. Mes frères, écrivent les
apôtres, priez pour nous ! C'est ainsi
que l'histoire du règne de Dieu sur la terre
vient nous prouver qu'il a plu à Dieu
d'instituer, comme une nécessité pour
le monde et pour l'Eglise de
Jésus-Christ, le
ministère de l'intercession. Il veut que ses
créatures s'entr'aident, par la
prière, pour vaincre ensemble ce que, dans
la vie de chacune, il y a d'erreurs, de fautes, de
péchés, de misères, de
douleurs et d'angoisses, d'insuffisance, de chemins
sans issue et de tristesses sans consolation. Dieu
pourrait se passer de l'homme sans doute, agir sans
attendre nos supplications, faire grâce sans
se soucier des plaidoyers que nous lui
présentons en faveur de nos frères.
Il pourrait manifester la grandeur de sa
miséricorde et la puissance de son bras
avant même que nous ouvrissions la bouche.
Mais il lui a plu de faire entrer dans son oeuvre
la coopération de nos prières, et je
ne me tromperai pas, dès lors, en disant
qu'il y a, au près comme au loin, sous notre
toit comme dans le vaste monde, dans notre famille
selon la chair et dans notre famille spirituelle,
partout et toujours, des faits et des situations,
des âmes et des coeurs qui demandent ces
prières à grands cris, et auxquels
ces prières sont indispensables. Vous
êtes-vous dit quel bien vous êtes
destinés à faire à vos
frères, et avec quelle anxiété
ils attendent que vous parliez d'eux au
Seigneur ? Avez-vous essayé de
discerner ces sujets d'intercession que le
Maître tient là en réserve pour
ses serviteurs ? Et si vous avez
réussi, si vous avez compris qu'il y a
là des cas urgents, n'avez-vous pas
constaté aussi que ces cas, en un clin
d'oeil, se sont multipliés sous vos regards,
si bien que c'est à peine si vous avez pu y
suffire ? N'avez-vous pas senti que Dieu, en
vous confiant le
ministère de l'intercession, vous donnait
une charge belle et importante entre toutes dans
son royaume ? Mes frères, soutenir par
nos prières un enfant qui s'égare ou
dont le chemin se complique, soutenir un compagnon
de route, soutenir un malade, un affligé,
soutenir un serviteur de Dieu qui fléchit
sous le poids de sa tâche, soutenir telle
cause chrétienne, soutenir telle oeuvre qui
chancelle, soutenir ces frères et ces
oeuvres par nos intercessions qu'ils
réclament : quelle vocation glorieuse
et sainte !
III
Une oeuvre excellente, l'intercession
chrétienne l'est en troisième lieu
par les résultats qu'elle obtient. La
prière du juste faite avec zèle,
écrit saint Jacques, a une grande efficace.
Elie était un homme sujet aux mêmes
affections que nous, et néanmoins, il
demanda par ses prières, qu'il ne plût
pas sur la terre, durant trois ans et demi. Et il
pria de nouveau et le ciel donna de la pluie et la
terre produisit son fruit. Merveilleuse puissance
que celle qui ferme et qui rouvre les bondes de la
voûte céleste ! L'exemple, on en
conviendra, est frappant. Mais des
expériences semblables à celle qui a
marqué dans la vie du prophète
contemporain d'Achab, se sont trouvées dans
l'existence de tous ceux qui ont prié.
À tous, il a été donné
de voir quelque miracle de la bonté et de la
puissance de Dieu, miracle dans lequel ils ont pu
saluer l'exaucement de leurs prières.
Que de délivrances obtenues, que de
larmes séchées, que de fléaux
détournés, que d'ennemis vaincus, que
d'armes de Satan détruites, que de
malheureux arrachés à l'esclavage du
péché, que d'âmes
sauvées, rendues au ciel, par l'humble et
persévérante intercession des enfants
de Dieu ! La foi l'a compris ; la foi a
été certaine du fait, alors
même qu'il a été impossible de
l'établir et de le prouver par une
démonstration mathématique. Vous avez
été l'objet d'une intervention de
Dieu ; vous avez vu une oeuvre de salut se
faire dans l'âme d'un des vôtres :
c'est ce que l'homme a pu observer. Une bataille a
été gagnée dans la grande
lutte que l'Évangile soutient contre les
ténèbres : c'est encore ce que
chacun a pu voir. Une calamité publique
s'est transformée en
bénédiction pour un village, une
ville, un peuple tout entier ; chacun en a
été frappé. Mais la cause
secrète de ces événements
étonnants, fort souvent un seul l'a connue,
celui qui connaît toutes choses. C'est sa
main qui a agi, sans doute, mais elle a
été mue par tel chrétien, tel
serviteur de Dieu, tel pauvre infirme cloué
sur un lit de maladie, telle Église de
Jésus-Christ intercédant en faveur de
ceux qui étaient éprouvés. Ah!
mes frères, si nos yeux pouvaient s'ouvrir,
s'il leur était permis de jeter un regard
sur les merveilles qu'opère l'intercession
chrétienne, s'il se déchirait, le
voile qui nous cache le comment et le pourquoi de
tant de bontés de Dieu, dont nous avons
été les objets, et de tant de
miracles que nous avons contemplés dans la
vie des autres et dans
l'histoire du règne de Dieu sur la
terre ! Ce que nous verrions alors, c'est la
troupe bénie des intercesseurs, apportant
à Dieu leurs supplications et leurs
prières, et luttant à genoux avec le
Seigneur. Qu'il ferait beau les connaître,
ceux qui ont prié pour nous et qui ont
obtenu pour nous la
bénédiction ! Qu'il fera beau
les connaître un jour dans le ciel !
Qu'il ferait beau, surtout, être du nombre de
ceux qui ont prié, qui prient, et dont la
prière est une bénédiction
pour plusieurs ! Or, c'est
précisément à cela que Dieu
t'a destiné, mon frère, et qu'il m'a
destiné, moi, tout indignes que nous soyons
l'un et l'autre d'une oeuvre si belle, si grande,
et si sûre de son succès !
IV
Une oeuvre excellente, l'intercession
chrétienne l'est enfin, mes frères,
parce qu'elle ne peut être pratiquée
sans que le coeur et la vie de celui qui prie s'en
ressentent d'une manière bienfaisante. Priez
pour ceux qui vous sont chers, et votre affection,
sanctifiée, deviendra plus vraie et plus
profonde. Priez pour ceux que vous supportez avec
peine, et vous apprendrez à les aimer. Priez
pour le monde, et votre coeur s'élargira et
saura avoir compassion, comme Jésus-Christ a
eu compassion. Priez pour l'Eglise, et l'Eglise,
gardée d'erreur, enrichie de dons
célestes, sera pour vous une source de
grâces toujours nouvelles. Priez pour
la famille de Dieu,
groupée autour de Jésus-Christ, et
vous aurez de mieux en mieux votre place au foyer.
Priez pour les autres, et l'homme nouveau en vous
s'enrichira, se fortifiera, se transformera
à l'image du grand intercesseur qui est
Jésus-Christ. Intercédez, et vous
éprouverez le bonheur que donnent le service
de Jésus-Christ accompli auprès de
ses rachetés et l'obéissance à
l'ordre de Dieu le plus beau et le plus
touchant.
Priez les uns pour les autres !
Aurais-je besoin de poursuivre, de nommer encore
des grâces qui seront pour ceux qui
obéiront ? Aurais-je besoin
d'insister ? Où donc trouver, sur la
route chrétienne, quelque oeuvre qui nous
transporte plus haut, nous, pauvres et
misérables pécheurs, quelque oeuvre
qui soit plus nécessaire, plus salutaire
à celui qui l'accomplit, que l'oeuvre de
l'intercession faite au nom de
Jésus-Christ ! Et cette oeuvre vous
attend, mes frères, elle est du nombre de
celles que Dieu a préparées pour vous
afin que vous y marchiez ; c'est par elle que,
selon la volonté de Dieu, vous serez
bénédiction ; c'est par elle que
vous serez bénis. Intercéder, pouvoir
intercéder, quelle grâce, quel
bonheur ! Amen.
L'étroitesse
de l'Évangile.
Combien étroite est la
porte et resserré le chemin qui
mènent à la vie ! Et il y en a
peu qui le trouvent.
Matth.
VII, 14.
Lorsque Jésus fut allé trouver
Matthieu au bureau des péages de
Capernaüm, et qu'il l'eut appelé
à l'apostolat, l'ancien péager tint
à célébrer par un festin
l'honneur qui lui était échu. De
nombreux membres de la société dont
il avait fait partie vinrent se grouper, à
sa table, autour de Jésus et des disciples.
Ce fut le banquet des misérables et des
proscrits dont le Sauveur des pécheurs
acceptait la communion. Ce fut la divine largeur de
l'Évangile mise en évidence devant
tous.
La largeur de l'Évangile, scribes et
pharisiens n'y comprennent rien. Ils
s'étonnent, ils murmurent, ils se
scandalisent. Manger avec des péagers et des
gens de mauvaise vie ! Quel scandale !
Quel affront fait à toutes les
convenances ! Mais les étroitesses du
passé ont fait leur temps. Le Dieu
d'Israël ouvre en Jésus-Christ ses bras
à n'importe quel pécheur. Il veut que
tous soient sauvés ! Il met sur les
lèvres de son bien-aimé cette parole
pleine de gratuité et de miséricorde
universelle : Venez à moi, vous tous
qui êtes travaillés
et chargés ! C'est
le monde qu'il veut arracher à la perdition,
le monde tant païen que juif. Où que se
trouve quelque coeur malheureux, quelque esclave du
péché, l'amour divin va le chercher.
Quelle que soit la nature du mal qui fait souffrir
le pécheur, le divin Médecin
apportera la guérison, jamais il ne sera
trop tard pour que le Libérateur puisse
faire son oeuvre. Il ne demandera, pour
l'accomplir, ni argent, ni or, ni aucun don, ni
aucun travail de l'homme. Il ne demandera que la
foi qui accepte. 0 largeur de l'Évangile,
que tu es belle, que tu es grande, toi que je vois
éclater partout où paraît
Jésus, le Sauveur !
Et cependant, devons-nous le taire ? ce
même Jésus s'est
écrié : Combien étroite
est la porte et resserré le chemin qui
mène à la vie, et il y eu a peu qui
le trouvent ! Peu de sauvés, puisque,
à côté de la largeur de
l'Évangile, il y a l'étroitesse de
l'Évangile. Peu de sauvés, à
cause d'un fait que la miséricorde infinie
de Dieu même n'a pu changer, mais qu'elle a
dû laisser subsister. Peu de sauvés,
à cause de cette pierre d'achoppement et de
chute qui n'a pu être éloignée
du chemin du salut, si largement, si
généreusement ouvert devant les pas
de tous !
L'étroitesse de
l'Évangile ! Mes frères, ne
songeons pas à vouloir l'effacer ;
l'Évangile, sans elle, ne serait plus
l'Évangile. Il la lui faut, tout aussi bien
que sa merveilleuse largeur. Il n'accomplira pas,
sans elle, cette oeuvre de relèvement et de
régénération qui fait du
pécheur coupable et perdu un concitoyen des
saints et un domestique de Dieu.
Il ne serait, sans elle, qu'un rayonnement divin,
éclairant pendant quelques courts instants
la nuit du péché, pour la laisser
paraître dans la suite d'autant plus noire.
Non, ne demandons pas que l'étroitesse de
l'Évangile disparaisse ; demandons
plutôt à la voir et à la
connaître comme l'ont vue et comme ont appris
à la connaître tous les
héritiers de la vie éternelle.
Étroite la porte, resserré le
chemin : divin Auteur de notre salut, si large
de coeur, si désireux de nous sauver, si
plein d'amour pour le monde perdu, qu'as-tu entendu
par là ?
I
L'Évangile est étroit, d'abord,
parce qu'il nous place dans la voie de
l'obéissance et de la soumission. Il vient
dire à l'homme qu'il n'est pas
destiné à être son propre
maître, à faire sa volonté,
à vivre selon les pensées de son
coeur. Il le met plutôt dans la
dépendance d'un autre et il porte atteinte
par là à son orgueil et à ses
ambitions les plus chères. Dépendre,
obéir, se soumettre, cette parole est dure,
qui peut l'entendre ? Elle en a fait reculer
des milliers. Elle suffit à expliquer
pourquoi l'Évangile est en défaveur
auprès du grand nombre. L'homme
réclame sa liberté, sans se douter,
hélas ! que la liberté qu'il
rêve n'est, au fond, que la pire des
servitudes et que lui, qui se déclare libre,
est l'esclave de ses passions et de ses
convoitises, l'esclave des choses d'ici-bas. La
chaîne de fer ou d'or
qu'il traîne il semble ne pas la voir, il a
l'air de l'avoir choisie et de se plaire à
la porter, il se persuade qu'il est libre, il
affirme qu'il l'est, et, semblable aux Juifs
repoussant la main de Jésus, il
s'écrie : Nous n'avons jamais
été les esclaves de personne !
Pauvre coeur humain ! Il ne sait pas, il ne
veut pas savoir que nul ne sera libre avant d'avoir
subi l'humiliation, à laquelle
l'Évangile appelle tout homme qui veut
être sauvé, et d'être
entré, de bon coeur, dans le chemin de
l'obéissance et de la soumission
tracé pour lui en Jésus-Christ.
En Jésus-Christ, ai-je dit. C'est
lui, en effet, qui se tient à
l'entrée de la voie du salut, c'est lui que
l'homme y rencontre à chaque pas, c'est lui
qui demande, avec autorité, d'être
reçu et suivi. Je suis le chemin, dit-il,
non pas un des chemins possibles, mais le chemin,
le seul et unique chemin qui mène à
la vie. Je suis, dit-il, la vérité,
non pas une vérité, mais la
vérité même. Je suis la
lumière, non pas un rayon de lumière,
utile dans telle circonstance spéciale,
indispensable ici ou là, mais la
lumière venue au monde pour éclairer
la conscience, le coeur et l'âme de tout
homme. Je suis la vie ; ne la cherchez jamais
ailleurs, ni dans quelque institution
ecclésiastique, ni dans quelque habitude de
piété, ni auprès de quelque
homme, si excellent soit-il et quelque bons que
soient les conseils qu'il donne.
Je suis le bon Berger. Je suis la
porte ; si quelqu'un entre par moi, il sera
sauvé, il entrera, il sortira et trouvera de
la pâture. Celui qui ne me suit pas, n'est
pas digne de moi. Hors de moi,
vous ne pouvez rien faire ! Vous le voyez, mes
frères, c'est à prendre ou à
laisser. Choisir Jésus-Christ, le prendre
pour Maître, le suivre, le servir, se laisser
conduire, garder, bénir par lui, ou bien
périr avec les conseils que nous donnera
notre propre coeur et dans le chemin où nous
conduira notre propre sagesse : il faut l'un
ou l'autre. D'autre possibilité,
point ! Lequel des deux voulez-vous ?
Oh ! combien étroite la porte et
resserré le chemin !
Et ce Jésus, hâtons-nous de
l'ajouter, ce Jésus qui se place de la sorte
sur notre chemin, demande de nous non seulement des
ovations, de l'admiration et des promesses, mais de
l'obéissance. Il ne sera l'Auteur d'un
éternel salut que pour ceux qui lui
obéissent.
Il ne tolère pas que j'accepte en
théorie et en principe seulement, son
autorité sur ma personne, ma vie, mes
actions, mes paroles et mes pensées ;
il exige que je me livre à lui afin qu'il
détruise en moi ce qui ne peut voir le
royaume de Dieu, et qu'il fasse de moi un homme
nouveau. Il va jusqu'à me dire cette parole
que tout enfant du siècle repoussera comme
une folie : Si quelqu'un veut venir
après moi, qu'il renonce à
soi-même et qu'il me suive. Quiconque voudra
sauver sa vie la perdra ; quiconque perdra sa
vie pour l'amour de moi, la trouvera. Sauver,
seulement quelques fibres de notre coeur
naturel ; sauver, soustraire à la
discipline de Jésus-Christ, ne fût-ce
qu'une partie de notre raisonnement et de notre
volonté ; sauver, conserver pour y
revenir avec satisfaction, ne fût-ce qu'une
seule de ces vanités, de
ces ambitions, de ces habitudes, un seul de ces
mauvais désirs, dans lesquels nous nous
retrouvons nous-mêmes, qui nous plaisent et
qui nous flattent - qui ne l'aurait jamais
voulu ? Qui ne le voudrait aujourd'hui
encore ? Mais il faut tout donner à
Celui qui demande tout. Quiconque ne renonce pas
à tout ce qu'il a, ne peut être mon
disciple. Oh ! combien étroite est la
porte et resserré le chemin !
Serait-il nécessaire d'affirmer que
le dépouillement, auquel le Maître
soumet son disciple, ne se fera jamais sans
souffrance ? Il en coûtera au coeur de
suivre le chemin de l'obéissance et de voir
mourir ce qui compose l'homme terrestre. Jamais
Jésus n'a essayé de le cacher.
À ce scribe, qui, impressionné par sa
parole, vient lui offrir ses services, il
dit : Les renards ont des tanières, les
oiseaux du ciel ont des nids, mais le Fils de
l'homme n'a pas où reposer sa
tête ; le scribe serait-il prêt
à partager ce sort ? Aux disciples, il
annonce que le monde les haïra; seront-ils
à même de le supporter ? À
tous les siens, il ordonne, par une image
significative, de lui ressembler, à lui
qu'on clouera au bois maudit: Si quelqu'un veut
venir après moi, qu'il se charge chaque jour
de sa croix et qu'il me suive. Il sera là,
sans doute, pour secourir dans leur faiblesse tous
ceux qui porteront son joug ; il leur rendra
le courage, à l'heure de la
défaillance, lui, qui a vaincu le
monde ; il priera pour eux, lui, le divin
Avocat de leur âme : il leur donnera et
laissera sa paix, ce trésor que rien ne
ravira au coeur racheté. Mais malgré
cet appui, ces consolations, ces
joies intimes du chrétien, combien
étroite la porte et resserré le
chemin de l'obéissance et de la soumission
où il marche et qui seul le mènera
à la vie !
II
L'Évangile est étroit encore parce
qu'il nous place dans la voie de l'amour.
Obéir et aimer, voilà la vie
chrétienne ! - Aimez ! Appel plein
de douceur, devoir facile, on le dirait ;
facile, en effet, aussi longtemps qu'il s'agit
d'aimer comme le monde aime. Si vous n'aimez que
ceux qui vous aiment, quelle récompense en
aurez-vous ? Les péagers mêmes
n'en font-ils pas autant ? Et si vous ne
faites accueil qu'à vos frères, que
faites-vous d'extraordinaire ? Les
péagers mêmes n'en font-ils pas
autant ? Mais ce n'est pas ainsi que
l'Évangile entend l'amour. Il se
présente à la porte de notre coeur
égoïste avec des ordres
étonnants. Il demande une charité
patiente, pleine de bonté pour tous et qui
ne cherche point son intérêt. La
montrerons-nous sans devoir faire un suprême
effort sur nous-mêmes ? Il demande une
charité qui ne soupçonne point le
mal, qui excuse tout, qui croit tout, qui
espère tout, qui supporte tout. Est-ce ainsi
que nous aimerons, sans avoir surmonté
d'abord, dans une lutte
désespérée contre les
sentiments et les dispositions qui nous sont
naturels, la résistance qu'opposent à
l'ordre divin notre coeur et notre
caractère ? Et si l'Évangile ne
va jamais jusqu'à vouloir
faire passer la charité avant la
vérité; si jamais il n'autorisera les
concessions accordées par faiblesse, la
conciliation sur toute la ligne, le sacrifice d'une
conviction, quelqu'une de ces lâchetés
morales dont le monde est plein ; si jamais il
ne nous permet d'immoler ni la dignité du
chrétien, ni la moindre parcelle de la
fidélité que le chrétien doit
à son Maître, il nous ordonne
cependant, s'il se peut faire et autant qu'il
dépend de, nous, d'avoir la paix avec tous
les hommes. Il va plus loin encore en
établissant pour nous cette règle de
conduite, inconnue même du peuple de Dieu de
l'Ancienne Alliance : Mais moi je vous
dis : Aimez vos ennemis, bénissez ceux
qui vous maudissent, faites du bien a ceux qui vous
haïssent, priez pour ceux qui vous outragent
et qui vous persécutent ! Où
donc s trouverait, - parmi tous ceux qui, selon la
parole du Maître, ont voulu être
parfaits, parfaits dans la charité, -
où donc se trouverait le chrétien
dont le coeur n'aurait jamais déclaré
difficile, étrange, impraticable même,
la voie où son Dieu l'appelle ?
Avez-vous pu y marcher, sans vous apercevoir
à chaque pas que votre amour-propre, votre
susceptibilité, votre orgueil se
redressaient et sans qu'une voix, celle de votre
coeur naturel, vous criât : Tu ne peux
pas aimer comme l'Évangile veut que nous
aimions ! Oh ! combien étroite est
la porte et combien resserré le chemin qui
mènent à la vie !
III
L'Évangile est étroit, encore, et
j'allais dire surtout, parce qu'il nous met dans la
voie où, pour le meilleur même, le
plus excellent, le plus obéissant, le plus
aimant des hommes, tout est grâce à
jamais. Vous êtes-vous déjà
placés, en la prenant bien au
sérieux, devant cette parole que
Jésus dit un jour à ses
disciples : Quand vous aurez fait, tout ce qui
vous est commandé, dites : Nous sommes
des serviteurs inutiles, car nous n'avons fait que
ce que nous étions obligés de
faire ! Quelle exigence que
celle-là ! Elle ravit au disciple de
Christ jusqu'au sentiment de satisfaction, si
légitime selon le monde, qu'il voudrait
éprouver en se disant, qu'au service du
Maître, il a fait son possible. Elle ne lui
laisse que l'humiliation d'une vie dont seule la
grâce divine pourra faire sortir quelque bien
et dont seule elle pourra combler les innombrables
lacunes. Pensez-vous que ces choses soient faciles
à accepter pour un coeur tel que le
nôtre, disposé toujours à
grossir les mérites de l'homme et à
le juger indispensable avec ce qu'il a à
donner ? Prenez encore cette
déclaration solennelle et grave de
St-Paul : Vous êtes sauvés par
grâce par la foi ; cela ne vient pas de
vous, c'est un don de Dieu. Ce n'est point par les
oeuvres, afin que personne ne se glorifie. Je n'en
exagérerai pas la portée en disant
qu'elle ne laisse au chrétien le plus
accompli pas d'autre espoir de salut qu'au plus
grand pécheur. Un acte de
grâce, gratuitement accompli, engloutissant
le péché, réparant les
erreurs, lavant le pécheur de ses fautes, le
revêtant du fin lin de la justice de Christ,
voilà ce qui les sauvera l'un comme
l'autre ! La raison et le coeur humains
imagineraient-ils quelque coup plus sensible
à notre orgueil, quelque réponse plus
dure à nos prétentions, quelque chose
de plus diamétralement opposé enfin
à la manière de faire et de penser du
siècle présent ? Vraiment, tu as
eu raison de dire, ô Jésus :
Combien étroite est la porte et combien
resserré le chemin qui mènent
à ta vie ! Oui, combien étroite,
combien resserré ! Et combien il m'est
facile de comprendre aussi ce que Jésus
ajoute : il y en a peu qui le trouvent !
La largeur de l'Évangile plairait à
tous ; son étroitesse n'est
acceptée que par le petit nombre. Un jour,
scandalisés des paroles de Jésus,
plusieurs de ses disciples se retirèrent et
ils n'allèrent plus avec lui. Mais
Jésus a l'air de ne pas s'en étonner.
Et vous, demande-t-il aux douze, ne voulez-vous
point aussi vous en aller ? Le Maître
les laisse libres ; ils connaissent sa
pensée, sa volonté, ses
dispensations, l'étroitesse du chemin qu'il
leur indique ; à eux maintenant de
prendre une décision ; à eux
autrefois, à nous aujourd'hui. Que
ferons-nous ? Sommé de
répondre : Seigneur, à qui
irions-nous ? tu as les paroles de la vie
éternelle, s'écrie Pierre. À
qui irions-nous ? disons-le à notre
tour. Tes paroles, quelque sévères
qu'elles soient, sont pourtant et seront toujours
notre seul salut. Amen.
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