Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



LA CROIX DE JÉSUS-CHRIST




LA VICTOIRE DE LA CROIX

I

Notre Convention touche à sa fin, et se termine sur une note de Victoire : la Victoire de la Croix...
Mais n'est-il pas vrai, cette note victorieuse, et l'ensemble même de cette victorieuse Convention, consacrée à la Croix, sont encore une anomalie en France, une anomalie voulue de Dieu.

« L'église chrétienne, dans son ensemble, vit-elle encore sous le signe de la Croix ? » demandait en 1905 le grand théologien G. Frommel. Et il répondait lui-même : « Il serait vain de se le dissimuler, la Croix de Jésus-Christ ne joue plus dans le monde ni dans l'Eglise, le rôle qu'elle jouait autrefois... La prédication de la Croix n'est plus au centre de la prédication évangélique, et la pensée de la Croix cesse d'inspirer la pensée chrétienne. Nos expériences dans ce domaine sont rares et rudimentaires, nos croyances incertaines et molles... Une vague piété nous tient lieu de religion... Beaucoup de bonnes dispositions, de généreux désirs, une grande activité, des oeuvres en nombre immense, mais un oubli général de la vie intérieure, et lorsqu'elle existe, peu de force, d'énergie, de profond... Le sentiment que nous avons du péché... nous en ignorons le poids, l'angoisse et l'horreur. C'est la caractéristique d'un christianisme qu'aucun réveil n'a de longtemps secoué...

« Une Église qui perdrait la Croix serait en train, quelles que soient les apparences, de perdre l'Évangile lui-même ». Et G. Frommel ajoutait encore ces paroles prophétiques : « J'estime que nous ne pouvons pas rejeter la consolation que nous apporte l'idée d'expiation, parce que la doctrine de ce fait nous paraît impénétrable

On ne doit jamais penser qu'une idée qui fut centrale pendant plusieurs siècles puisse subitement mourir... Il est possible qu'une nouvelle porte s'ouvre devant une prochaine génération déjà...

Lorsque la Croix qui s'aiguillonne (les besoins d'une doctrine de réconciliation) et leur répond, leur sera de nouveau présentée, ils la salueront avec un transport de joie douloureuse... »

Dans le crépuscule de nos Églises en somnolence, la Croix s'est à nouveau dressée, je crois, nous croyons à la Victoire de la Croix et nous la saluons avec un transport de joie douloureuse. Le Réveil commence à secouer l'Eglise, et, retrouvant la Croix elle retrouve l'Évangile.

Amis de cette Convention, par votre présence, par votre joie, par les expériences que vous faites, par les conversions qui se sont produites et se produiront ici, par les actes de consécration si émouvants que nous avons vu avant-hier, vous êtes une démonstration visible, une démonstration vivante de ce fait que la Croix attire et subjugue. La « génération prochaine déjà » s'est levée. Gloire à Dieu ! Nous croyons à cause de vous à la Victoire de la Croix.

J'y crois aussi à cause de moi-même. Permettez-moi, mes frères, un court témoignage personnel.
Comme je le disais une fois dans une Mission de la Brigade, ce qui m'étonne le plus sur cette estrade, c'est d'y être. J'ai vécu des années durant sans comprendre la Croix. Après ma conversion, j'ai marché des années sans bien en savoir l'importance. Durant mes études de théologie elle était passée à l'arrière-place. J'ai exercé quelques mois dans le ministère sans comprendre la Croix. Les termes de Substitution, d'Expiation, de Salut par le sang de Christ, me mettaient presque en colère. J'ai marché sans le savoir « en ennemi de la Croix du Christ ».

Je voyais dans la Rédemption le pardon de Dieu, une régénération effective, la Puissance de Dieu se déployant dans la conversion et la sanctification ; je voyais dans la Croix la marque plus odieuse du péché humain, et dans l'acception de cette Croix par Jésus, l'acte sublime par excellence, mais auquel il aurait pu échapper si les circonstances avaient été autres ; la Croix, c'était un symbole éternel, une Leçon, un Appel, le plus émouvant de tous : c'était aussi la forme même d'existence que doit emprunter la vie chrétienne, trop souvent (pas toujours) si elle veut rester fidèle ; mais la nécessité de la Croix m'échappait ; son rôle obligatoire dans l'histoire du monde, je le récusais ; sa puissance unique sur les âmes, j'en doutais ; ce n'était plus la Croix triomphale, la Croix mystérieuse.
Et, maintenant, la Croix m'a dompté aussi. Je crois par expérience à la Victoire de la Croix.

J'y crois enfin pour une troisième raison : Nous voulons vivre de la Croix, n'attendons pas de la comprendre.
J'ai dit tout à l'heure que j'ai vécu longtemps sans comprendre la Croix. En réalité, je ne la comprend guère plus aujourd'hui, mais je l'accepte. Les penseurs chrétiens ne comprendront jamais toute la Croix, et même pas grand'chose. À plus forte raison nous-mêmes. Tout à la foi en dépit de ce Mystère et à cause de lui, la Croix victorieuse s'impose à l'intelligence chrétiennes et elle lui dit : « Renonce, capitule ». et elle capitule. Après vingt siècles de théologie plus ou moins contradictoire, et d'inutiles efforts pour rendre intelligible toute la Rédemption, il faut l'amour, la Croix reste debout, défiant toutes les critiques et cette constatation est écrasante.

J'ai relu ces derniers temps des cours ou des ouvrages de pensée chrétienne concernant la Croix et j'ai été frappé de leurs lacunes. L'un, celui qu'on appellera bientôt le plus grand théologien de langue française de toute notre époque, le doyen H. Bois, a pu critiquer d'une manière décisive et jeter à terre magistralement toutes les conceptions de la Rédemption qu'il trouvait debout, la sienne même ne subsiste qu'en voilant la Croix, qui pourtant ne supporte aucun voile.

Un autre penseur, encore vivant, étudiant la Mission historique de Jésus dans un livre remarquable, peut proclamer la valeur de la Croix ; il la dépouille de tout ce qui en fait l'extraordinaire.

Et ce même G. Frommel, dont je vous ai lu tout à l'heure quelques lignes si puissantes, et qui, peut-être, a écrit en notre langue ce qu'il y a de plus fort sur l'expiation et la Rédemption, semble s'approcher tout près, du but à atteindre ; par moment un vertige vous saisit ; il semble qu'avec lui on va plonger dans les pensées mêmes de ce Dieu Rédempteur qui nous a fait solidaires de Jésus. Et, soudain, on se dit : « Non, ce n'est pas cela tout à fait ! Ceci est artificiel, et ceci est trop rapide, ceci trop vite accordé, et ceci mal interprété. Il y a lacune, lacune impossible à combler, il y a des nuages sur les sommets. » Oui, même pour les études du regretté C. Babut, nous osons dire « Il y a des nuages sur les sommets. »

- Mes frères, la foi est une montagne, et les théologiens sont comme des guides de cette montagne, guides solides, pleins d'expérience. Ils nous disent : « Venez, vous peinerez avec nous, nous vous emmènerons, vous gravirez avec nous les pentes rocailleuses, vous verrez la splendeur des monts et des neiges éternelles, vous cueillerez des fleurs très rares. » - Nous sommes montés, escaladant les obstacles dans l'air qui nous semblait tonique et vivifiant malgré les brouillards et les éboulis ; nous sommes montés jusqu'au sommet ; mais au sommet nous n'avons rien vu ; les nuages recouvraient les monts ; un pic, un moment, émergea, mais la nuée l'a enveloppé, puis, un autre, et la nuée l'à enveloppé...

Nous ne comprendrons jamais toute la Croix mais nous en vivons étant « plus que vainqueur ».
Oh ! paradoxe de la Croix victorieuse ! Je crois à la Victoire de la Croix.

II

Mais nous ne voulons pas seulement, frères et soeurs, apporter ici une Affirmation résolue. Nous voulons encore, ce matin, pour clôturer dans le recueillement et la foi notre Convention de Dieulefit, en poser non pas une Démonstration, puisqu'on ne peut démontrer ni expliquer l'inexplicable Croix, et que discuter se serait s'enliser dans la Théologie ; mais essayer, si j'ose dire, une Monstration : montrer en raccourci, très vite. Hélas, très superficiellement, rappeler plutôt, et à grands traits, de quelle manière un simple homme, un homme pécheur comme nous, un homme de chair et de sang, a réalisé la victoire de la Croix. Fidèle à nos principes nous irons encore à la Parole de Dieu et de même qu'on nous a montré hier d'une manière si saisissante le Fils de Dieu portant sa Croix, nous suivrons aujourd'hui celui qui après Jésus a été le grand guide des actions et des pensées chrétiennes : saint Paul, et nous apprendrons de lui, pour mieux apprendre encore du Christ qui s'incarna jadis en saint Paul, et veut aussi revivre en nous.

La vie de saint Paul nous montre comme celle de tous les grands chrétiens, que la Croix est victorieuse de l'intelligence humaine.

Avant d'expirer en Croix, Jésus s'écrie dans l'Évangile de Jean (19 : 30) - « Tout est accompli ». Qui pressera jamais tout le sens de cette exclamation ?... Personne...

« Tout est accompli », cela veut dire entre autres : Justice est faite. L'humanité a été faite un corps, pour qu'ayant une seule tête, elle puisse frappée entière en un seul coup. Par un seul condamnée, par un seul elle meurt ; par un seul elle pourra revivre. Justice est faite. Le crime appelle la mort ; le crime appelle aussi, hélas, le sentiment du péché, ; durant les heures affreuses qu'aucune plume ne décrira jamais, Jésus sans péché et sans repentance, Jésus l'impeccable, a compris, a saisi (le mot n'est pas de trop), a résumé dans son âme, Jésus s'est assimilé tout ce que les hommes devraient et auraient dû ressentir de leur péché ; du haut de Golgotha, il a sondé toute l'horreur du mal, toute la souffrance humaine, le vice des hommes et leur malheur, et il s'en est vêtu, comme d'un vêtement de chair. Le corps aurait pu résister peut-être, mais l'esprit a succombé, brisé de compassion et d'horreur, vaincu. Avec lui est vaincu le mal. « Tout est accompli... »

Tout est accompli, cela veut dire encore : les Écritures sont maintenant explicables. Voici la clé des rites, des sacrifices compliqués de l'Ancienne Alliance, de tous les symboles de toutes les prophéties. L'Ancienne Alliance a vécu. Tout est achevé, parfait, fini, accompli.

Mais s'il en est ainsi aux yeux de Dieu, aux yeux des Juifs, il n'y a rien. Il n'y a qu'un pauvre homme du peuple, un condamné de plus dans les archives judiciaires. Ennemis ou partisans n'ont vu qu'un vaincu ordinaire, qu'une victime de plus, n'ont rien vu ; rien n'est accompli. Aussi quelle colère pour les vrais pharisiens. Quelle colère pour Saul de Tarse, jeune rabbin fanatisé, quand il entend prêcher que Jésus a sauvé le monde. Un condamné, même innocent, mort du supplice des esclaves, du supplice des bandits, ou comme nous dirions maintenant, mort du supplice ignominieux des vauriens, sauver le monde !

Que dirions-nous de nos jours, si des sectaires illuminés nous venaient dire qu'un fusillé ou un guillotiné même innocent va revenir du ciel pour nous juger, que Fr. Ferrer ou les fusillés de Vingré sont les élus de Dieu, des Messies. On rirait, la foi est tellement morte de nos jours dans les masses, qu'on rirait. Mais les Juifs fanatisés ne riaient pas. Et Saul s'élança sur les routes pour bâillonner les sectaires chrétiens.

Aujourd'hui, ce scandale moral et juridique n'en est plus un pour nous. La Croix est sur toutes les poitrines et cela semble naturel. (Ce serait moins naturel de porter en pendentif de minuscules guillotines, d'or et pourtant ... ). Au carrefour des chemins, la piété romaine décore de fleurs les Calvaires. La Croix est dans tous les cantiques, tous les sermons évangéliques, la Croix est couverte de fleurs. C'est un peu comme le Réveil que tout le monde désire et acclame... de loin (quand il s'approche, la plupart se sauvent). La Croix expiatrice n'est plus un scandale pour la pensée morale mais elle reste, un scandale intellectuel pour la pensée tout court. On n'en veut plus. On veut bien du Christ vivant, là-dessus tout le monde serait d'accord, mais de la Croix sanglante, non ! On la décrète inacceptable. Tant pis si les foules meurent de faim !

Saint Paul., dans la poussière, a accepté l'inacceptable roi Agrippa, dit-il, je n'ai pas résisté à la vision céleste (Actes 26 : 19). « Notre prédication, écrit-il (I Cor. 1: 18), est une folie, un scandale.... une folie... ». N'importe, il a cru l'incroyable ; il a presque compris l'incompréhensible, il a pleuré de repentir sur son orgueil et sa sagesse, et il a été grand parmi les saints.

Mes frères, voulez-vous la victoire ? La Croix, telle que la décrit la Bible, est une victoire sur l'intelligence.
Voulez-vous céder, être vaincus pour avoir la Victoire ? C'est une question solennelle.

La Croix est une Victoire sur la Volonté.
« Tout est accompli », a dit Jésus. C'est-à-dire :

Victoire ! Il n'y a plus d'obstacles, le chemin est ouvert maintenant, tout commence, tout est renouvelé, tout est possible. Et alors, va commencer l'épopée chrétienne, et avec elle l'épopée de Paul. La mort n'est pas morte encore, mais son règne est compté ; les puissances de ténèbres sont clouées avec elle sur la Croix de Jésus, toutes les victoires sont gagnées à l'avance. Une nouvelle création commence sur les ruines de l'ancienne (Il Cor. 5 : 17) ; pour les chrétiens, pour un saint Paul, ni la peur, ni la souffrance, ni le découragement ne prévaudront jamais ; les passions qui paralysaient la volonté sont crucifiées lorsque la Croix est accepté par la foi, la crainte, la timidité sont foulée aux pieds : l'Évangile, sera annoncé avec hardiesse et joie. « Soyez toujours joyeux », écrit l'apôtre, jadis tourmenté, jadis féroce. « Nous sommes transformés à Son image, dit-il encore, de gloire en gloire » (Il Cor. 3 : 18).

Mes frères, rendons gloire à Dieu qui a tout accompli. Ce n'est plus à nous de vaincre, ce n'est plus à notre volonté. Nous n'avons qu'à saisir la victoire remportée par Jésus sur le Calvaire ; je le répète, ce n'est pas à nous de vaincre. Or des milliers et des milliers d'âmes sincères et religieuses s'étiolent parce qu'elles essayent, sans obtenir victoire, de faire (les pauvres !) tous leurs efforts.
L'acceptation de la Croix est une victoire sur l'orgueilleuse et pitoyable volonté humaine toujours en faillite.

Nous résumerons donc ainsi la vie chrétienne:
Apprendre la Vérité (par le cerveau).
La comprendre par le coeur, et enfin la prendre par la foi dans une position de victoire, telle est la vie chrétienne. Elle se termine par une victoire : prendre, saisir, posséder la Paix, l'accepter totale.

La Victoire de la Croix est une victoire sur les sentiments humains.
Nous arrivons ici au point capital de notre étude. Cette recréation de l'âme humaine, ce renouveau de gloire, plus grande que la gloire de la première création, lorsque l'Esprit planait sur les grands abîmes (une âme rachetée a plus de valeur que le monde entier), cette nouvelle création n'est pas seulement au bénéfice de la Croix ; ce n'est pas seulement une acceptation ; c'est avant tout une perpétuation de la Croix dans notre âme. « Tout est accompli », disait Jésus, agonisant, c'est-à-dire toutes les conditions ont été remplies ; et maintenant les soldats romains pourront déplanter la Croix de bois de Golgotha, le vendredi soir, la Croix invisible est toujours debout. Elle s'implante dans la vie chrétienne ; la vie de saint Paul va être désormais une implantation de la Croix du Christ dans la nature, l'existence, le tempérament, la sensibilité du grand apôtre. Ce n'est plus, seulement la croyance à la valeur de la Croix, c'est l'expérience de la Croix, une nouvelle crucifixion de la chair et des affections qui, après saint Paul, se prolonge au cours des siècles.

« J'ai été crucifié, écrit saint Paul, crucifié avec Christ » (Gal. 2 : 20). Voyez-le vivre. Il passe, 3 jours à Damas dans la prière et l'isolement, brisé par la conversion, immergé dans les eaux profondes d'une repentance mortelle, jusqu'au moment où par la voix d'Ananias, la puissance de Dieu va le ressusciter. 3 jours, comme Jésus au tombeau. Et comme le Crucifié, saint Paul se relève. Mais comme le Ressuscité est resté malgré tout le Sauveur stigmatisé, qui apparaît glorieux, mais dans les plaies duquel on peut mettre la main ( « Je vis, dit l'auteur de l'Apocalypse (5 : 6), au milieu du trône [du trône de gloire], un agneau comme immolé »), de même saint Paul le glorieux pourra écrire (Gal. 6 : 17) : « Je porte en mon corps les stigmates de Jésus ».

Le voilà devenu « une même plante » avec Christ (Rom. 6 : 5). Il est une branche du grand arbre du Royaume dont Christ est le trône ; une même sève les nourrit, un même sang ; il y a union, confusion, participation, assimilation. « Ce n'est plus moi qui vit, c'est Christ qui vit en moi » (Gal. 2 : 20). Étrange et douloureuse apothéose.

À Lystre on le prend pour le dieu Mercure, dieu des marchands : et des richesses. Mais il préfère l'opprobre et la lapidation (Act. 14 : 18), l'apothéose des coups de poing. À Philippes, il est battu de verges, mais il chante. À Athènes, on éclate de rire quand il parle de résurrection, lui qui est ressuscité avec Christ, et qui a tout sacrifié. On éclate de rire devant ce crucifié avec Christ, comme la foule riait à Golgotha : alors il prie comme son Maître. À Corinthe, on le traîne au tribunal ; à Jérusalem, il échappe à peine à la mort. À Rome enfin, après une vie trépidante, agitée, des années angoissantes et débilitantes de prison, les cheveux blancs du vieillard vénéré rouleront sur le sol rougi ; une épée décapitante achèvera la vie de celui « dont le monde n'était pas digne ».

La Croix, c'est la sanctification. La Croix, c'est la joie. La Croix c'est la Force qui donne aux vieillards un courage de jeune soldat. La Croix, c'est la Victoire.

III

Nous voici presque au bout, chers amis. Un double aspect de notre étude nous reste à entrevoir.

La Victoire de la Croix remportée au Calvaire, parce qu'elle se perpétue au cours des siècles, n'est pas complète sans notre collaboration à nous, chrétiens.

Le chrétien qui saisit la victoire par la foi, et par la Croix, ne se contente pas d'une banale collaboration à l'Oeuvre de Dieu, par des dons, des prières, des actes d'abnégation. Dieu ne lui demande pas seulement de porter sa Croix, Dieu le récompense. Le chrétien participe lui-même, ô mystère, au salut du monde, à la Croix salvatrice. « J'achève, s'écrie saint Paul, j'achève, je compense en ma chair ce qui manque aux souffrances de Christ » (Col. 1 : 24).

Qu'est-ce à dire ? Y aurait-il un déficit ? L'oeuvre du Calvaire serait-elle imparfaite ? Les souffrances du Christ seraient-elles insuffisantes ? Non point. Tout est parfait en Christ. Son oeuvre donne tout en abondance. Avec lui, puissance sur le péché : « Je ne me sens coupable de rien », dit saint Paul (1 Cor. 4 : 3-4), puissance sur les démons ; au feu tous les livres de magie ; dehors les imposteurs ; les malades sont guéris, un mort ressuscite. Puissance par la prière. Puissance par la Bible. Le rabbin fanatique est devenu un géant de l'histoire : Puissance sur la mort. L'oeuvre du Christ est parfaite.

Mais en revanche, écrit M. Babut, si nous considérons le but final en vue duquel Dieu a donné son fils et l'a livré à la mort, il faut convenir qu'il est loin d'être atteint. Jésus a souffert pour son corps qui est l'Eglise (Col. 1 : 24). Pauvre Église ! Elle est loin, oui, très loin d'avoir conquis les âmes qu'elle pourrait conquérir elle n'est, hélas, ni sans ride ni sans tache (Eph. 5 : 27) ; elle est loin d'être la digne épouse du Sauveur. C'était vrai au 1er siècle. Et, aujourd'hui !... Pour que soit accomplie la volonté de Dieu, il faut que les disciples de son Fils, ouvriers avec Dieu, travaillent et souffrent avec Lui, sur la Croix. Les tribulations du Maître et celles de Paul leur sont infligées par les mêmes ennemis, les Juifs, et endurées dans le même esprit. Songez aux souffrances de l'apôtre, dont il fait un tableau saisissant, l'appelant sa mort journalière (I Cor. 15 : 31), une façon de porter les stigmates du Sauveur. Qu'on songe à ses larmes, dont A. Monod a parlé si éloquemment, et qui ressemblent tant aux larmes du Maître (Actes 20 : 19-32-37). Qu'on songe à cette intense sympathie en vertu de laquelle Paul portait comme une Croix, comme une humiliation personnelle, toutes les défections, tous les scandales des églises (Il Cor. 11 : 28-29) en sorte qu'il écrit aux Galates (4 : 19) : « Je souffre de nouveau pour vous les douleurs de l'enfantement. » - Qu'on songe à ses prières continuelles, où il nommait tous ses « enfants », tous ses ennemis, prières et intercession qui étaient un combat, et même une agonie (Col. 2 : 1). Telle était, mes frères, la Passion de Paul. Elle n'a rien eu d'expiatoire, mais n'avait-elle pas quand même quelque chose de salvateur ?

Frères, tel est le ministère. Frères, laïques, membres de groupes chrétiens, unionistes, chefs éclaireurs, diacres, conseillers, tel est aussi votre ministère. Aimer et souffrir, souffrir mais vaincre. Voulez-vous participer au salut du monde, ou bien préférez-vous une bonne petite vie ? La question est solennelle, choisissez.

Si la Victoire de la Croix est une collaboration de Christ avec l'homme, une solidarité de l'homme et du Christ, elle est aussi solidarité, identité du Christ et de son Père, une oeuvre du Père autant que du Fils.

À en croire l'apôtre Paul (Il Cor. 5 : 19) sur la Croix du Calvaire, Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec lui-même. - Nous sommes de ceux qui, à cause de la Bible, croient à la Trinité, bien que le mot de Trinité ne soit pas un mot biblique (si le mot n'est pas dans la Bible la chose y est) ; de ceux qui répètent chaque jour avec patience et, obstination, comme le vieux Caton répétait chaque fois au Sénat romain. « Il faut que Carthage soit détruite » : « Il faut que soit détruit le Modernisme » ; « Delenda est » avant d'entrer dans cette Brigade que nous aimions, mais que nous raillions parfois et critiquions âprement, nous avons vécu de l'esprit du modernisme ; nous le connaissons ; il faut qu'il meure, par le Réveil. Oui, par le Réveil.

Nous aimons nos frères modernistes, nous ne ferons jamais de polémique méchante, de polémique synodale, de polémique par la brochure et le livre, nous les aimons, nous les voulons à Christ. Le Réveil les courbera, le Réveil seul. Que reste-t-il de la Croix sans la Trinité ? Tout juste la souffrance d'un homme ou d'une sorte d'ange supérieur préexistant et mystérieux, Jésus et non pas Dieu.

Enlevez la Trinité et la Croix s'effondre. Dieu n'a pas souffert dans son Fils. Or, il fallait aux hommes, pour les conquérir, un Dieu qui souffre. Mystère insondable, Dieu lui-même a souffert dans son Fils. Il a été, lui qui est sans corps, crucifié avec son Fils. En tant que Juge, il a accepté comme agréable la mort de son Fils (Eph. 5 : 2 ; Rom. 3 : 25). Il y a pris plaisir, Il y a pris plaisir, Il a pris plaisir... en ses propres souffrances, car, en tant que Père, Il mourait en son Fils. Il s'est complu en son humiliation. Il réconciliait le monde avec Lui. Et c'est cette pensée qui arrachera toujours des larmes au chrétien : La Croix, ce n'est pas la souffrance d'un homme, même aux trois quarts divin. C'est la crucifixion du Dieu des cieux.

Divin mystère, je le veux bien, mais alors, j'entrevois mieux la clef de toutes les contradictions éclatantes de la Croix :

C'est le plus terrible déchaînement, et la plus terrible démonstration du péché humain, de la haine grimaçante.
- Mais c'est la démonstration suprême de l'amour Sanglant de Dieu.

Abominable, elle était nécessaire pour révéler l'homme à lui-même.
- Mais la même Croix efface l'homme ancien pour faire revivre l'homme spirituel, en sens, Satan qui a dressé la Croix, s'y est laissé clouer sans le savoir.

Elle a été la manifestation publique de la Loi parfaite (Jésus ayant incarné la Loi vivante), et aussi du sacrifice qu'il fallait offrir à la Loi, offrir à Dieu, offert par Dieu ; Dieu qui avait exigé a offert aussi la rançon.

Elle est l'oeuvre des hommes libres, oeuvre maudite. Mais Dieu use parfois de Satan, du péché, de la liberté humaine, pour faire avancer son règne. La Croix est l'oeuvre divine, le Salut parfait.

Elle a été la mort terrestre du Dieu des cieux, mais par elle nous vivons ; dans la défaite, victoire, dans la mort, vie débordante.

Retirons-nous, mes frères, devant un pareil spectacle, et, prosternés, adorons. Vinet avait raison : « Ce n'est pas l'Évangile qui nous a conservé la Croix, c'est la Croix qui nous a conservé l'Évangile ».

En attendant l'Aube du grand Matin, la Victoire totale du Retour sur les nuées, dans notre pauvre monde souillé, pécheur et corrompu, adorons et rendons gloire à Dieu ; l'Évangile, la Bonne nouvelle de la Victoire est retrouvée par la Croix.

Retournons maintenant dans nos églises, nos campagnes, nos grandes villes, nos oeuvres, nos paroisses, nos groupes. Plantons partout la Croix. Soyons des Temples de Dieu (construits en forme de Croix). Proclamons la gloire de Dieu. Vivons pour sa gloire, et pour la Victoire. Amen.

P. CARON.


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