LA
CROIX DE JÉSUS-CHRIST
LA VICTOIRE DE LA CROIX
I
Notre Convention touche à sa fin, et se
termine sur une note de Victoire : la Victoire
de la Croix...
Mais n'est-il pas vrai, cette note
victorieuse, et l'ensemble même de cette
victorieuse Convention, consacrée à
la Croix, sont encore une anomalie en France, une
anomalie voulue de Dieu.
« L'église
chrétienne, dans son ensemble, vit-elle
encore sous le signe de la Croix ? »
demandait en 1905 le grand théologien G.
Frommel. Et il répondait
lui-même : « Il serait vain de
se le dissimuler, la Croix de Jésus-Christ
ne joue plus dans le monde ni dans l'Eglise, le
rôle qu'elle jouait autrefois... La
prédication de la Croix n'est plus au centre
de la prédication évangélique,
et la pensée de la Croix cesse d'inspirer la
pensée chrétienne. Nos
expériences dans ce domaine sont rares et
rudimentaires, nos croyances incertaines et
molles... Une vague piété nous tient
lieu de religion... Beaucoup de bonnes
dispositions, de généreux
désirs, une grande activité, des
oeuvres en nombre immense, mais un oubli
général de la vie
intérieure, et
lorsqu'elle existe, peu de force, d'énergie,
de profond... Le sentiment que nous avons du
péché... nous en ignorons le poids,
l'angoisse et l'horreur. C'est la
caractéristique d'un christianisme qu'aucun
réveil n'a de longtemps
secoué...
« Une Église qui
perdrait la Croix serait en train, quelles que
soient les apparences, de perdre l'Évangile
lui-même ». Et G. Frommel
ajoutait encore ces paroles
prophétiques : « J'estime que
nous ne pouvons pas rejeter la consolation que nous
apporte l'idée d'expiation, parce que la
doctrine de ce fait nous paraît
impénétrable
On ne doit jamais penser qu'une
idée qui fut centrale pendant plusieurs
siècles puisse subitement mourir... Il est
possible qu'une nouvelle porte s'ouvre devant une
prochaine génération
déjà...
Lorsque la Croix qui s'aiguillonne (les
besoins d'une doctrine de réconciliation) et
leur répond, leur sera de nouveau
présentée, ils la salueront avec un
transport de joie douloureuse... »
1° Dans le crépuscule de
nos Églises en somnolence, la Croix s'est
à nouveau dressée, je crois, nous
croyons à la Victoire de la Croix et nous la
saluons avec un transport de joie douloureuse. Le
Réveil commence à secouer
l'Eglise, et, retrouvant la Croix elle retrouve
l'Évangile.
Amis de cette Convention, par votre
présence, par votre joie, par les
expériences que vous faites, par les
conversions qui se sont produites et se produiront
ici, par les actes de consécration si
émouvants que nous avons vu avant-hier, vous
êtes une démonstration visible, une
démonstration vivante de ce fait que la
Croix attire et subjugue. La
« génération prochaine
déjà » s'est
levée. Gloire à Dieu ! Nous
croyons à cause de vous à la Victoire
de la Croix.
2° J'y crois aussi à
cause de moi-même. Permettez-moi, mes
frères, un court témoignage
personnel.
Comme je le disais une fois dans une Mission
de la Brigade, ce qui m'étonne le plus
sur cette estrade, c'est d'y être. J'ai
vécu des années durant sans
comprendre la Croix. Après ma conversion,
j'ai marché des années sans bien en
savoir l'importance. Durant mes études de
théologie elle était passée
à l'arrière-place. J'ai exercé
quelques mois dans le ministère sans
comprendre la Croix. Les termes de Substitution,
d'Expiation, de Salut par le sang de Christ, me
mettaient presque en colère. J'ai
marché sans le savoir « en ennemi
de la Croix du Christ ».
Je voyais dans la Rédemption le
pardon de Dieu, une
régénération effective, la
Puissance de Dieu se déployant dans la
conversion et la sanctification ; je voyais
dans la Croix la marque plus odieuse du
péché humain, et dans l'acception de
cette Croix par Jésus, l'acte sublime par
excellence, mais auquel il aurait pu
échapper si les circonstances avaient
été autres ; la Croix,
c'était un symbole éternel, une
Leçon, un Appel, le plus émouvant de
tous : c'était aussi la forme
même d'existence que doit emprunter la vie
chrétienne, trop souvent (pas
toujours) si elle veut rester
fidèle ; mais la
nécessité de la Croix
m'échappait ; son rôle
obligatoire dans l'histoire du monde, je le
récusais ; sa puissance unique sur les
âmes, j'en doutais ; ce n'était
plus la Croix triomphale, la Croix
mystérieuse.
Et, maintenant, la Croix m'a dompté
aussi. Je crois par expérience à la
Victoire de la Croix.
3° J'y crois enfin pour une
troisième raison : Nous voulons vivre
de la Croix, n'attendons pas de la comprendre.
J'ai dit tout à l'heure que j'ai
vécu longtemps sans comprendre la Croix. En
réalité, je ne la
comprend guère plus
aujourd'hui, mais je l'accepte. Les penseurs
chrétiens ne comprendront jamais toute la
Croix, et même pas grand'chose. À plus
forte raison nous-mêmes. Tout à la foi
en dépit de ce Mystère et à
cause de lui, la Croix victorieuse s'impose
à l'intelligence chrétiennes et elle
lui dit : « Renonce,
capitule ». et elle capitule.
Après vingt siècles de
théologie plus ou moins contradictoire, et
d'inutiles efforts pour rendre intelligible toute
la Rédemption, il faut l'amour, la Croix
reste debout, défiant toutes les critiques
et cette constatation est
écrasante.
J'ai relu ces derniers temps des cours ou
des ouvrages de pensée chrétienne
concernant la Croix et j'ai été
frappé de leurs lacunes. L'un, celui qu'on
appellera bientôt le plus grand
théologien de langue française de
toute notre époque, le doyen H. Bois, a pu
critiquer d'une manière décisive et
jeter à terre magistralement toutes les
conceptions de la Rédemption qu'il trouvait
debout, la sienne même ne subsiste qu'en
voilant la Croix, qui pourtant ne supporte aucun
voile.
Un autre penseur, encore vivant,
étudiant la Mission historique de
Jésus dans un livre remarquable, peut
proclamer la valeur de la Croix ; il la
dépouille de tout ce qui en fait
l'extraordinaire.
Et ce même G. Frommel, dont je vous ai
lu tout à l'heure quelques lignes si
puissantes, et qui, peut-être, a écrit
en notre langue ce qu'il y a de plus fort sur
l'expiation et la Rédemption, semble
s'approcher tout près, du but à
atteindre ; par moment un vertige vous
saisit ; il semble qu'avec lui on va
plonger dans les pensées mêmes de ce
Dieu Rédempteur qui nous a fait solidaires
de Jésus. Et, soudain, on se dit :
« Non, ce n'est pas cela tout à
fait ! Ceci est artificiel, et ceci est trop
rapide, ceci trop vite accordé, et ceci mal
interprété. Il y a lacune,
lacune impossible à
combler, il y a des nuages sur les
sommets. » Oui, même pour les
études du regretté C. Babut, nous
osons dire « Il y a des nuages sur les
sommets. »
- Mes frères, la foi est une
montagne, et les théologiens sont comme des
guides de cette montagne, guides solides, pleins
d'expérience. Ils nous disent :
« Venez, vous peinerez avec nous, nous
vous emmènerons, vous gravirez avec nous les
pentes rocailleuses, vous verrez la splendeur des
monts et des neiges éternelles, vous
cueillerez des fleurs très
rares. » - Nous sommes montés,
escaladant les obstacles dans l'air qui nous
semblait tonique et vivifiant malgré les
brouillards et les éboulis ; nous
sommes montés jusqu'au sommet ; mais au
sommet nous n'avons rien vu ; les nuages
recouvraient les monts ; un pic, un moment,
émergea, mais la nuée l'a
enveloppé, puis, un autre, et la nuée
l'à enveloppé...
Nous ne comprendrons jamais toute la Croix
mais nous en vivons étant « plus
que vainqueur ».
Oh ! paradoxe de la Croix
victorieuse ! Je crois à la Victoire de
la Croix.
II
Mais nous ne voulons pas seulement,
frères et soeurs, apporter ici une
Affirmation résolue. Nous voulons
encore, ce matin, pour clôturer dans le
recueillement et la foi notre Convention de
Dieulefit, en poser non pas une
Démonstration, puisqu'on ne peut
démontrer ni expliquer l'inexplicable Croix,
et que discuter se serait s'enliser dans la
Théologie ; mais essayer, si j'ose
dire, une Monstration : montrer en
raccourci, très vite.
Hélas, très superficiellement,
rappeler plutôt, et à grands
traits, de quelle manière un simple
homme, un homme pécheur comme nous, un homme
de chair et de sang, a réalisé la
victoire de la Croix. Fidèle à nos
principes nous irons encore à la Parole de
Dieu et de même qu'on nous a montré
hier d'une manière si saisissante le Fils de
Dieu portant sa Croix, nous suivrons aujourd'hui
celui qui après Jésus a
été le grand guide des actions et des
pensées chrétiennes : saint
Paul, et nous apprendrons de lui, pour mieux
apprendre encore du Christ qui s'incarna jadis en
saint Paul, et veut aussi revivre en nous.
1° La vie de saint Paul
nous
montre comme celle de tous les grands
chrétiens, que la Croix est victorieuse de
l'intelligence humaine.
Avant d'expirer en Croix, Jésus
s'écrie dans l'Évangile de Jean
(19 :
30) - « Tout est
accompli ». Qui pressera jamais tout le
sens de cette exclamation ?...
Personne...
« Tout est accompli »,
cela veut dire entre autres : Justice est
faite. L'humanité a été faite
un corps, pour qu'ayant une seule tête, elle
puisse frappée entière en un seul
coup. Par un seul condamnée, par un seul
elle meurt ; par un seul elle pourra revivre.
Justice est faite. Le crime appelle la mort ;
le crime appelle aussi, hélas, le sentiment
du péché, ; durant les heures
affreuses qu'aucune plume ne décrira jamais,
Jésus sans péché et sans
repentance, Jésus l'impeccable, a compris, a
saisi (le mot n'est pas de trop), a
résumé dans son âme,
Jésus s'est assimilé tout ce que les
hommes devraient et auraient dû ressentir de
leur péché ; du haut de
Golgotha, il a sondé toute l'horreur du mal,
toute la souffrance humaine, le vice des hommes et
leur malheur, et il s'en est vêtu,
comme d'un vêtement de
chair. Le corps aurait pu résister
peut-être, mais l'esprit a succombé,
brisé de compassion et d'horreur, vaincu.
Avec lui est vaincu le mal. « Tout est
accompli... »
Tout est accompli, cela veut dire
encore : les Écritures sont maintenant
explicables. Voici la clé des rites, des
sacrifices compliqués de l'Ancienne
Alliance, de tous les symboles de toutes les
prophéties. L'Ancienne Alliance a
vécu. Tout est achevé, parfait, fini,
accompli.
Mais s'il en est ainsi aux yeux de Dieu, aux
yeux des Juifs, il n'y a rien. Il n'y a qu'un
pauvre homme du peuple, un condamné de plus
dans les archives judiciaires. Ennemis ou partisans
n'ont vu qu'un vaincu ordinaire, qu'une victime de
plus, n'ont rien vu ; rien n'est accompli.
Aussi quelle colère pour les vrais
pharisiens. Quelle colère pour Saul de
Tarse, jeune rabbin fanatisé, quand il
entend prêcher que Jésus a
sauvé le monde. Un condamné,
même innocent, mort du supplice des esclaves,
du supplice des bandits, ou comme nous dirions
maintenant, mort du supplice ignominieux des
vauriens, sauver le monde !
Que dirions-nous de nos jours, si des
sectaires illuminés nous venaient dire qu'un
fusillé ou un guillotiné même
innocent va revenir du ciel pour nous juger, que
Fr. Ferrer ou les fusillés de Vingré
sont les élus de Dieu, des Messies. On
rirait, la foi est tellement morte de nos jours
dans les masses, qu'on rirait. Mais les Juifs
fanatisés ne riaient pas. Et Saul
s'élança sur les routes pour
bâillonner les sectaires
chrétiens.
Aujourd'hui, ce scandale moral et juridique
n'en est plus un pour nous. La Croix est sur toutes
les poitrines et cela semble naturel. (Ce serait
moins naturel de porter en
pendentif de minuscules guillotines, d'or et
pourtant ... ). Au carrefour des chemins, la
piété romaine décore de fleurs
les Calvaires. La Croix est dans tous les
cantiques, tous les sermons
évangéliques, la Croix est couverte
de fleurs. C'est un peu comme le Réveil que
tout le monde désire et acclame... de loin
(quand il s'approche, la plupart se sauvent). La
Croix expiatrice n'est plus un scandale pour la
pensée morale mais elle reste, un scandale
intellectuel pour la pensée tout court. On
n'en veut plus. On veut bien du Christ vivant,
là-dessus tout le monde serait d'accord,
mais de la Croix sanglante, non ! On la
décrète inacceptable. Tant pis si les
foules meurent de faim !
Saint Paul., dans la poussière, a
accepté l'inacceptable roi Agrippa, dit-il,
je n'ai pas résisté à la
vision céleste
(Actes 26 : 19).
« Notre prédication,
écrit-il
(I Cor. 1: 18), est une folie, un
scandale.... une folie... ». N'importe,
il a cru l'incroyable ; il a presque compris
l'incompréhensible, il a pleuré de
repentir sur son orgueil et sa sagesse, et il a
été grand parmi les saints.
Mes frères, voulez-vous la
victoire ? La Croix, telle que la
décrit la Bible, est une victoire sur
l'intelligence.
Voulez-vous céder, être
vaincus pour avoir la Victoire ? C'est une
question solennelle.
2° La Croix est une
Victoire
sur la Volonté.
« Tout est accompli », a
dit Jésus. C'est-à-dire :
Victoire ! Il n'y a plus d'obstacles,
le chemin est ouvert maintenant, tout
commence, tout est renouvelé, tout est
possible. Et alors, va commencer
l'épopée chrétienne, et avec
elle l'épopée de Paul. La mort n'est
pas morte encore, mais son règne est
compté ; les puissances de
ténèbres sont clouées avec
elle sur la Croix de
Jésus, toutes les victoires sont
gagnées à l'avance. Une nouvelle
création commence sur les ruines de
l'ancienne
(Il Cor. 5 : 17) ;
pour les
chrétiens, pour un saint Paul, ni la peur,
ni la souffrance, ni le découragement ne
prévaudront jamais ; les passions qui
paralysaient la volonté sont
crucifiées lorsque la Croix est
accepté par la foi, la crainte, la
timidité sont foulée aux pieds :
l'Évangile, sera annoncé avec
hardiesse et joie. « Soyez toujours
joyeux », écrit l'apôtre,
jadis tourmenté, jadis féroce.
« Nous sommes transformés à
Son image, dit-il encore, de gloire en
gloire »
(Il Cor. 3 : 18).
Mes frères, rendons gloire à
Dieu qui a tout accompli. Ce n'est plus à
nous de vaincre, ce n'est plus à notre
volonté. Nous n'avons qu'à saisir
la victoire remportée par Jésus sur
le Calvaire ; je le répète,
ce n'est pas à nous de vaincre. Or des
milliers et des milliers d'âmes
sincères et religieuses s'étiolent
parce qu'elles essayent, sans obtenir victoire, de
faire (les pauvres !) tous leurs efforts.
L'acceptation de la Croix est une victoire
sur l'orgueilleuse et pitoyable volonté
humaine toujours en faillite.
Nous résumerons donc ainsi la vie
chrétienne:
Apprendre la Vérité
(par le cerveau).
La comprendre par le coeur, et
enfin
la prendre par la foi dans une position de
victoire, telle est la vie chrétienne. Elle
se termine par une victoire : prendre, saisir,
posséder la Paix, l'accepter totale.
3° La Victoire de la
Croix
est une victoire sur les sentiments
humains.
Nous arrivons ici au point capital de notre
étude. Cette recréation de
l'âme humaine, ce renouveau de
gloire, plus grande que la
gloire de la première création,
lorsque l'Esprit planait sur les grands
abîmes (une âme rachetée a plus
de valeur que le monde entier), cette nouvelle
création n'est pas seulement au
bénéfice de la Croix ; ce
n'est pas seulement une acceptation ;
c'est avant tout une perpétuation de
la Croix dans notre âme. « Tout
est accompli », disait Jésus,
agonisant, c'est-à-dire toutes les
conditions ont été remplies ; et
maintenant les soldats romains pourront
déplanter la Croix de bois de Golgotha, le
vendredi soir, la Croix invisible est toujours
debout. Elle s'implante dans la vie
chrétienne ; la vie de saint Paul va
être désormais une implantation de la
Croix du Christ dans la nature, l'existence, le
tempérament, la sensibilité du grand
apôtre. Ce n'est plus, seulement la croyance
à la valeur de la Croix, c'est
l'expérience de la Croix, une
nouvelle crucifixion de la chair et des affections
qui, après saint Paul, se prolonge au cours
des siècles.
« J'ai été
crucifié, écrit saint Paul,
crucifié avec Christ »
(Gal.
2 : 20). Voyez-le vivre.
Il passe, 3 jours à Damas dans la
prière et l'isolement, brisé par la
conversion, immergé dans les eaux profondes
d'une repentance mortelle, jusqu'au moment
où par la voix d'Ananias, la puissance de
Dieu va le ressusciter. 3 jours, comme Jésus
au tombeau. Et comme le Crucifié, saint Paul
se relève. Mais comme le Ressuscité
est resté malgré tout le Sauveur
stigmatisé, qui apparaît glorieux,
mais dans les plaies duquel on peut mettre la main
( « Je vis, dit l'auteur de l'Apocalypse
(5 : 6), au milieu du
trône [du trône de gloire], un agneau
comme immolé »), de même
saint Paul le glorieux pourra écrire
(Gal.
6 : 17) :
« Je porte en mon corps les stigmates de
Jésus ».
Le voilà devenu « une
même plante » avec Christ
(Rom.
6 : 5). Il est une branche
du grand arbre du Royaume dont Christ est le
trône ; une même sève les
nourrit, un même sang ; il y a union,
confusion, participation, assimilation.
« Ce n'est plus moi qui vit, c'est Christ
qui vit en moi »
(Gal.
2 : 20). Étrange et
douloureuse apothéose.
À Lystre on le prend pour le dieu
Mercure, dieu des marchands : et des
richesses. Mais il préfère l'opprobre
et la lapidation
(Act. 14 : 18),
l'apothéose des coups de poing. À
Philippes, il est battu de verges, mais il chante.
À Athènes, on éclate de rire
quand il parle de résurrection, lui qui est
ressuscité avec Christ, et qui a tout
sacrifié. On éclate de rire devant ce
crucifié avec Christ, comme la foule riait
à Golgotha : alors il prie comme son
Maître. À Corinthe, on le traîne
au tribunal ; à Jérusalem, il
échappe à peine à la mort.
À Rome enfin, après une vie
trépidante, agitée, des années
angoissantes et débilitantes de prison, les
cheveux blancs du vieillard
vénéré rouleront sur le sol
rougi ; une épée
décapitante achèvera la vie de celui
« dont le monde n'était pas
digne ».
La Croix, c'est la sanctification. La Croix,
c'est la joie. La Croix c'est la Force qui donne
aux vieillards un courage de jeune soldat. La
Croix, c'est la Victoire.
III
Nous voici presque au bout, chers amis. Un
double aspect de notre étude nous reste
à entrevoir.
1° La Victoire de la
Croix
remportée au Calvaire, parce qu'elle se
perpétue au cours des siècles, n'est
pas complète sans notre collaboration
à nous, chrétiens.
Le chrétien qui saisit la victoire
par la foi, et par la Croix, ne se contente pas
d'une banale collaboration à l'Oeuvre de
Dieu, par des dons, des prières, des actes
d'abnégation. Dieu ne lui demande pas
seulement de porter sa Croix, Dieu le
récompense. Le chrétien participe
lui-même, ô mystère, au
salut du monde, à la Croix salvatrice.
« J'achève, s'écrie saint
Paul, j'achève, je compense en ma chair ce
qui manque aux souffrances de Christ »
(Col.
1 : 24).
Qu'est-ce à dire ? Y aurait-il
un déficit ? L'oeuvre du Calvaire
serait-elle imparfaite ? Les souffrances du
Christ seraient-elles insuffisantes ? Non
point. Tout est parfait en Christ. Son oeuvre donne
tout en abondance. Avec lui, puissance sur le
péché : « Je ne me
sens coupable de rien », dit saint Paul
(1 Cor. 4 : 3-4), puissance sur
les démons ; au feu tous les livres de
magie ; dehors les imposteurs ; les
malades sont guéris, un mort ressuscite.
Puissance par la prière. Puissance par la
Bible. Le rabbin fanatique est devenu un
géant de l'histoire : Puissance sur la
mort. L'oeuvre du Christ est parfaite.
Mais en revanche, écrit M. Babut, si
nous considérons le but final en vue duquel
Dieu a donné son fils et l'a livré
à la mort, il faut convenir qu'il est loin
d'être atteint. Jésus a souffert pour
son corps qui est l'Eglise
(Col.
1 : 24). Pauvre
Église ! Elle est loin, oui,
très loin d'avoir conquis les âmes
qu'elle pourrait conquérir elle n'est,
hélas, ni sans ride ni sans tache
(Eph.
5 : 27) ; elle est
loin d'être la digne épouse du
Sauveur. C'était vrai au 1er siècle.
Et, aujourd'hui !... Pour que soit accomplie
la volonté de Dieu, il faut que les
disciples de son Fils, ouvriers avec Dieu,
travaillent et souffrent avec Lui, sur la Croix.
Les tribulations du Maître et celles de Paul
leur sont infligées par
les mêmes ennemis, les Juifs, et
endurées dans le même esprit. Songez
aux souffrances de l'apôtre, dont il fait un
tableau saisissant, l'appelant sa mort
journalière
(I Cor. 15 : 31), une
façon de porter les stigmates du Sauveur.
Qu'on songe à ses larmes, dont A. Monod a
parlé si éloquemment, et qui
ressemblent tant aux larmes du Maître
(Actes 20 : 19-32-37). Qu'on
songe à cette intense sympathie en vertu de
laquelle Paul portait comme une Croix, comme une
humiliation personnelle, toutes les
défections, tous les scandales des
églises
(Il Cor. 11 : 28-29) en sorte
qu'il écrit aux Galates
(4 :
19) : « Je
souffre de nouveau pour vous les douleurs de
l'enfantement. » - Qu'on songe à
ses prières continuelles, où il
nommait tous ses
« enfants », tous ses ennemis,
prières et intercession qui étaient
un combat, et même une agonie
(Col.
2 : 1). Telle
était, mes frères, la Passion de
Paul. Elle n'a rien eu d'expiatoire, mais
n'avait-elle pas quand même quelque chose de
salvateur ?
Frères, tel est le ministère.
Frères, laïques, membres de groupes
chrétiens, unionistes, chefs
éclaireurs, diacres, conseillers, tel est
aussi votre ministère. Aimer et souffrir,
souffrir mais vaincre. Voulez-vous participer au
salut du monde, ou bien préférez-vous
une bonne petite vie ? La question est
solennelle, choisissez.
2° Si la Victoire de la
Croix
est une collaboration de Christ avec l'homme, une
solidarité de l'homme et du Christ, elle est
aussi solidarité, identité du Christ
et de son Père, une oeuvre du Père
autant que du Fils.
À en croire l'apôtre Paul
(Il Cor. 5 : 19) sur la Croix
du
Calvaire, Dieu était en Christ,
réconciliant le monde avec lui-même. -
Nous sommes de ceux qui, à cause de la
Bible, croient à la Trinité, bien que
le mot de Trinité ne soit
pas un mot biblique (si le mot n'est pas dans la
Bible la chose y est) ; de ceux qui
répètent chaque jour avec patience
et, obstination, comme le vieux Caton
répétait chaque fois au Sénat
romain. « Il faut que Carthage soit
détruite » : « Il
faut que soit détruit le
Modernisme » ; « Delenda
est » avant d'entrer dans cette Brigade
que nous aimions, mais que nous raillions parfois
et critiquions âprement, nous avons
vécu de l'esprit du modernisme ; nous
le connaissons ; il faut qu'il meure, par le
Réveil. Oui, par le Réveil.
Nous aimons nos frères modernistes,
nous ne ferons jamais de polémique
méchante, de polémique synodale, de
polémique par la brochure et le livre, nous
les aimons, nous les voulons à Christ. Le
Réveil les courbera, le Réveil seul.
Que reste-t-il de la Croix sans la
Trinité ? Tout juste la souffrance d'un
homme ou d'une sorte d'ange supérieur
préexistant et mystérieux,
Jésus et non pas Dieu.
Enlevez la Trinité et la Croix
s'effondre. Dieu n'a pas souffert dans son Fils.
Or, il fallait aux hommes, pour les
conquérir, un Dieu qui souffre.
Mystère insondable, Dieu lui-même a
souffert dans son Fils. Il a été,
lui qui est sans corps, crucifié avec son
Fils. En tant que Juge, il a accepté comme
agréable la mort de son Fils
(Eph.
5 : 2 ;
Rom. 3 : 25). Il y a pris
plaisir, Il y a pris plaisir, Il a pris plaisir...
en ses propres souffrances, car, en tant que
Père, Il mourait en son Fils. Il s'est
complu en son humiliation. Il réconciliait
le monde avec Lui. Et c'est cette pensée qui
arrachera toujours des larmes au
chrétien : La Croix, ce n'est pas la
souffrance d'un homme, même aux trois quarts
divin. C'est la crucifixion du Dieu des cieux.
Divin mystère, je le veux bien, mais
alors, j'entrevois mieux la clef
de toutes les contradictions éclatantes de
la Croix :
1° C'est le plus
terrible déchaînement, et la plus
terrible démonstration du
péché humain, de la haine
grimaçante.
- Mais c'est la démonstration
suprême de l'amour Sanglant de Dieu.
2° Abominable, elle était
nécessaire pour révéler
l'homme à lui-même.
- Mais la même Croix efface l'homme
ancien pour faire revivre l'homme spirituel, en
sens, Satan qui a dressé la Croix, s'y est
laissé clouer sans le savoir.
3° Elle a été la
manifestation publique de la Loi parfaite
(Jésus ayant incarné la Loi vivante),
et aussi du sacrifice qu'il fallait offrir à
la Loi, offrir à Dieu, offert par
Dieu ; Dieu qui avait exigé a offert
aussi la rançon.
4° Elle est l'oeuvre
des
hommes libres, oeuvre maudite. Mais Dieu use
parfois de Satan, du péché, de la
liberté humaine, pour faire avancer son
règne. La Croix est l'oeuvre divine, le
Salut parfait.
5° Elle a été la
mort terrestre du Dieu des cieux, mais par elle
nous vivons ; dans la défaite,
victoire, dans la mort, vie débordante.
Retirons-nous, mes frères, devant un
pareil spectacle, et, prosternés, adorons.
Vinet avait raison : « Ce n'est pas
l'Évangile qui nous a conservé la
Croix, c'est la Croix qui nous a conservé
l'Évangile ».
En attendant l'Aube du grand Matin, la
Victoire totale du Retour sur les nuées,
dans notre pauvre monde souillé,
pécheur et corrompu, adorons et rendons
gloire à Dieu ; l'Évangile, la
Bonne nouvelle de la Victoire est retrouvée
par la Croix.
Retournons maintenant dans nos
églises, nos campagnes,
nos grandes villes, nos oeuvres, nos paroisses, nos
groupes. Plantons partout la Croix. Soyons des
Temples de Dieu (construits en forme de Croix).
Proclamons la gloire de Dieu. Vivons pour sa
gloire, et pour la Victoire. Amen.
P. CARON.
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