LA
CROIX DE JÉSUS-CHRIST
LA CROIX DANS LA VIE DU
CHRÉTIEN
Depuis quatre jours déjà nous
vivons devant la Croix. Elle s'est
révélée, peut être, pour
chacun de nous avec des particularités
différentes. Les points de vue peuvent
être divers et les opinions variées,
mais une fois de plus, par elle, l'Esprit a
parlé encore avec puissance et nous a
bouleversés.
Ah ! devant la Croix,
l'indifférence est le pire des
blasphèmes.
Déjà nous bénissons
Dieu pour la Croix, mais nous sentons que nous
sommes à une heure exceptionnelle et que
nous devons en profiter pour pénétrer
plus avant dans la connaissance et surtout dans
l'expérience des plus profondes et des plus
hautes vérités divines.
Avant-hier, par la sanglante lumière
qu'elle a jetée sur le péché,
la Croix nous a sans doute enlevé, à
jamais toute illusion et toute idée de
propre justice.
Hier la vision de l'expiation a
balayé de l'horizon ces nuages de
tempête et nous a laissé entrevoir,
comme un lumineux arc-en-ciel, le sourire de notre
Père nous offrant son pardon.
Tous ceux qui l'ont accepté se
sentent en sûreté. Mais maintenant,
est-ce tout ? Après, avoir senti, par
la révélation du péché,
le poids de la condamnation nous écraser,
allons-nous, rassurés par la mort expiatoire
de Jésus, nous contenter de pousser un
soupir de soulagement, peut-être
teinté de reconnaissance et nous rendormir
dans une douce quiétude en nous
disant : « le péché,
la condamnation, bah, ce ne sont plus que des
fantômes, un cauchemar qui s'évanouit
puisque c'est Jésus et non pas moi, qui
meurt pour cela ».
Cette attitude, qui pourrait paraître
celle de la confiance, est d'une dangereuse logique
et inspirée par Satan qui, ne pouvant
détruire la Croix, cherche à en
limiter la puissance et à en diminuer la
portée.
Que Dieu nous garde d'amoindrir ainsi
l'oeuvre d'un Sauveur qui s'est donné
entièrement pour nous sauver
entièrement !
Nous avons bien compris que, sans la Croix,
il n'y a pas de Salut possible et sans doute aucun,
de nous n'oserait plus maintenant dire qu'il marche
vers la vie s'il n'a pas passé par cette
première étape de la Croix
expiatoire.
Mais la Croix n'est-elle qu'une étape
dans la vie ?
Ne s'est-elle présentée sur
notre route que comme un bref passage qui nous
arrête un instant, puis qu'on dépasse,
qu'on laisse derrière soi pour s'avancer
vers des révélations nouvelles, vers
une vie nouvelle ?
Non, on ne dépasse pas la Croix.
Elle a sa place, une place unique, au
début de la vie chrétienne, mais elle
a encore sa place dans la vie de chaque jour.
S'il est vrai qu'un seul regard de la foi,
jeté sur le Christ crucifié suffit
pour sauver le brigand repentant,
il n'en est pas moins vrai que Jésus dit
à ses disciples :
« Si quelqu'un veut venir
après moi, qu'il renonce à
lui-même, qu'il se charge chaque jour de sa
croix et qu'il me suive. »
Luc 9-23. Le chrétien
né à la Croix rencontre donc encore
chaque jour la Croix sur son chemin et non plus une
croix qu'il lui suffit de regarder avec admiration,
émotion, adoration même, mais Sa
croix, une croix qui se dresse sur sa route, qui
l'arrête et lui impose une
décision.
Frères et soeurs nous en sommes
arrivés là. Nous pensions
peut-être connaître la Croix parce que
nous avons été sauvés par la
Croix et voici devant nous une Croix nouvelle.
Une Croix nouvelle ! avons-nous dit,
l'expression peut paraître osée et
presque sacrilège. Prétendons-nous
apporter une révélation nouvelle,
quelque vérité
insoupçonnée au cours des
siècles. Vous refuseriez avec raison de nous
suivre dans cette voie pleine d'embûches.
Nous voudrions simplement nous replacer devant, une
des faces trop souvent négligée du
vieux message de la Croix.
La Bible doit être, cela va sans dire,
notre guide suprême dans cette étude
de vérités si
étrangères à l'esprit de
l'homme ; mais au commencement de cette
journée qui doit être féconde
en résultats pratiques dans notre vie,
souvenons-nous que seul le Saint-Esprit peut nous
rendre accessibles les vérités que
les plus savants discours ne sauraient mettre
à notre portée.
Pour beaucoup de chrétiens,
l'expérience de la croix s'arrête au
pardon des péchés. Cette
expérience est
fondamentale et vitale ; mais elle n'est, en
même temps, qu'élémentaire et
insuffisante ; et cette insuffisance ne tarde
pas à se manifester de façon
douloureuse.
En nous réconciliant avec Dieu, la
Croix a sans doute apporté une
extraordinaire transformation dans nos vies. Le
changement a été si grand même
que, pour l'exprimer, nous employons le mot
évocateur de conversion, c'est-à-dire
un changement complet de direction ; c'est une
révolution totale, rien moins qu'un miracle.
La vie, dès ce jour, prend un aspect
nouveau. Une joie débordante illumine toutes
choses.
Et cette expérience du premier amour
n'est pas qu'illusion, car le monde lui-même
en constate la réalité : les
habitudes sont changées. Le caractère
est transformé, le péché
abandonné. À ce moment-là, les
difficultés sont encore inconnues. Le
nouveau converti se sent capable de renverser tous
les obstacles, de vaincre tous les ennemis. Tout
semble parfait et définitif. C'est le ciel
sur la terre. Cette expérience, qui est la
mienne, est aussi la vôtre, sans doute, vous
tous qui, un jour, avez saisi en Jésus votre
Sauveur.
Mais, hélas ! comme la vie de
chaque jour, avec ses réalités
brutales, ses soucis ! absorbants, ses
petitesses déprimantes, a eu vite fait de
révéler la fragilité de ce qui
paraissait inébranlable, la vanité de
ces forces qui semblaient invincibles,
l'insuffisance de ce qui semblait parfait. Oui, il
serait puéril de le nier, il y a des
chrétiens qui ont passé par une
réelle conversion, qui ont été
pardonnés par la Croix et qui, cependant, ne
sont plus satisfaits.
Cette joie sans mélange du
condamné absous, cette joie encore si
réelle et si profonde, ne suffit plus
à étouffer un malaise naissant. La
paix parfaite du début a
fait place, à des luttes incessantes. La vie
chrétienne, qui apparaissait comme une
allée large et unie, montant
régulièrement vers des cimes
glorieuses n'est plus maintenant qu'un sentier
étroit et dangereux, tout
hérissé d'obstacles et de
pièges, montant et descendant en une
succession démoralisante de montagnes
russes.
Pourquoi cette contradiction entre : les
expériences bénies décrites
par la parole de Dieu et l'expérience
douloureuse de notre vie quotidienne ? Pourquoi ce
contraste, entre la peinture idéale du
chrétien de la Bible, qui nous
émerveille par son harmonie, et la grotesque
caricature que nous en voyons
réalisée en nous-mêmes ? La
Bible nous trompe-t-elle en faisant miroiter
vraiment devant nos yeux un programme
irréalisable ?
Non, nous le sentons bien ! Et c'est
précisément cette certitude que Dieu
encore moins, que nous ne peut être satisfait
d'une vie, aussi misérable, qui crée
en nous cette inquiétude et c'est le
pressentiment d'une vie plus glorieuse qui nous
rend toute résignation impossible.
La souffrance qui naît de ce sentiment
de médiocrité et de faiblesse est
peut-être décuplée lorsque nous
sommes au service de Dieu car les
conséquences, en sont encore plus
graves.
Nous pouvons être fidèles dans
notre message, zélés dans notre
activité, merveilleusement doués de
toutes les qualités qui font les ouvriers
utiles et -cependant notre témoignage est
impuissant, les résultats manquent.
Malgré l'amabilité de notre
caractère et les efforts que nous faisons
pour acquérir de l'influence sur ceux que
nous voulons sauver ou aider, il nous manque ce
rayonnement indéfinissable et surnaturel
qui attire
irrésistiblement, cette autorité
d'en-haut qui désarme l'opposition. Nous
sommes des serviteurs inutiles et cependant nous
sommes certains d'avoir reçu une vocation et
d'y avoir répondu dans la mesure de nos
moyens.
Conscients de notre insuffisance nous avons
longtemps cherché ce qui nous manquait,
soucieux d'écarter tout obstacle nous avons
consenti à des sacrifices douloureux, nous
avons purifié notre vie, nous avons
lutté, nous avons pleuré... et nous
nous retrouvions toujours les mêmes.
Nous sentons un obstacle et nous le
cherchons vainement autour de nous. Il y a quelque
chose à détruire que nous ne pouvons
pas détruire. Il y a un ennemi que nous ne
pouvons pas démasquer.
Ah ! Cessons ces luttes vaines !
abandonnons ces recherches décourageantes.
Laissons la parole à Celui qui sonde les
coeurs, écoutons le diagnostic de
Jésus et apprenons de lui le secret de la
victoire.
« Si quelqu'un veut venir
après moi qu'il renonce à
lui-même. »
Comprenez-vous maintenant ? Il ne
s'agit plus de renoncer à telle habitude,
à tel péché, au confort,
à l'argent, aux affections. Nous aurions pu
faire tout cela et au fond n'avoir pas
répondu à l'appel du Maître.
L'exigence de Jésus atteint jusqu'au fond
même de l'être. Ses recherches
s'étendent plus loin que les
éléments extérieurs et
accessoires de la vie. Au delà des actions,
il s'attaque au ressort caché qui les
engendre.
Non content d'avoir transformé toute
notre vie, Jésus veut exercer son action,
maintenant, jusqu'au centre même de la
personnalité. Ce qu'il condamne, ce qu'il
veut détruire, c'est le
« Moi », c'est-à-dire
nous-mêmes, tels que nous sommes dans notre
état naturel, avec notre
raison humaine, sa science, ses théories et
ses systèmes, notre coeur charnel et ses
affections ou ses haines, toute notre
volonté propre. lie
« Moi », en
résumé, c'est tout ce qui n'est pas
Lui.
Voilà l'ennemi mystérieux et
insaisissable ; voilà la cause de
toutes les faiblesses. Le
« Moi » qui, peut-être,
sans que nous le soupçonnions, est encore le
maître, le seigneur exigeant qui absorbe
toute notre activité, qui est l'objet de
toute notre sollicitude. C'est la vie du
« Moi » qui étouffe la
vie nouvelle, la vie divine que nous avions
reçue au Calvaire. On peut s'être
dépouillé de beaucoup de choses et
être encore rempli du Moi. Ah ! cela
vous étonne peut-être, mais jetons
seulement un regard sur nos vies, mais non plus un
regard indulgent ; demandons que ce soit un
rayon même du St-Esprit qui nous
éclaire de sa lumière, qu'il nous
donne de savoir analyser avec une implacable
perspicacité chacune de nos actions,
rechercher le mobile secret de toute notre vie et
nous verrons que le « Moi » est
partout, dirigeant tout et souillant tout.
Prenons, par exemple, ce qu'il y a de
meilleur dans notre vie : une de nos
prières. Laissant même de
côté les demandes se rapportant trop
manifestement à nos intérêts
personnels, dans la forme la plus, altruiste de la
prière, dans l'intercession, nous nous
rendons compte que le « Moi »
peut encore se manifester. Il n'est pas
jusqu'à cette demande, dictée
à l'origine par l'Esprit de Dieu :
« Que ton règne
vienne ! » qui ne puisse être
rendue vaine par les sentiments qu'y mêle le
« Moi ». Nous pouvons
peut-être dire : « Que ton
règne vienne ! » et le
« Moi » ajoute, :
« car tout irait tellement mieux, si
vraiment tu régnais ! » Nous
avons même pu prier pour le Réveil, et
le « Moi » venait mêler
à cette prière des pensées
égoïstes :
« Seigneur,
réveille mon Église, car je n'y
trouve plus rien
d'intéressant ».
Le « Moi » s'insinue
dans notre service pour Dieu. Nous voulons bien
servir mais en choisissant nos méthodes,
notre champ de travail ; notre activité
sera celle qui nous paraît convenir le mieux
à nos dons naturels. Nous emploierons les
moyens les plus en faveur dans notre milieu. Notre
message sera accommodé au goût du
jour.
C'est du « Moi » que
vient ce sentiment de satisfaction intense, ces
délices du prédicateur qui sent la
foule empoignée, remuée à son
gré. Ah ! Le
« Moi » chante et exulte
à l'heure du succès. Mais il est
peut-être encore plus visible lorsqu'il est
blessé, humilié par un
échec : lorsqu'un sermon n'a pas
porté, lorsqu'une visite a tourné
à la confusion du serviteur de Dieu. Le
mécontentement qui le tourmente provient-il
uniquement de ce que les intérêts de
Dieu ont été mal servis, ou n'est-ce
pas, plutôt le « Moi »
qui s'afflige d'un insuccès
amoindrissant ?
Mais c'est surtout à l'heure de
l'épreuve que le « Moi »
se révèle comme occupant toute la
place. Lorsque plus rien ne compte, plus rien n'est
digne d'intérêt, plus rien n'absorbe
l'attention que nos propres souffrances.
Tout ceci est naturel et admis, mais prouve
que le « Moi » est encore au
centre de notre vie. Est-il utile d'insister
davantage, je ne le crois pas, à moins de
fermer obstinément les yeux à la
réalité, nous devons tous
reconnaître que nous sommes les serviteurs
dociles, les esclaves de notre
« Moi ».
Il est extrêmement important qu'avant
d'aller plus loin dans notre étude, nous
soyons pleinement conscients de cet état
auquel on prête peu d'attention, en
général, que l'on
ignore souvent, tant il est difficile à
déceler.
Cette influence du
« Moi » dans nos vies est
souvent si subtile, se présente même
la plupart du temps sous des aspects si innocents
et si légitimes qu'il faut réellement
une action spéciale du St-Esprit pour
éveiller le chrétien au sentiment de
cette tyrannie qu'il subit sans s'en douter.
Ayant ainsi démasqué
l'adversaire, il faut que nous arrivions maintenant
à comprendre la nécessité de
sa défaite complète, de sa
destruction, et cela sera sans doute la partie la
plus utile de notre travail, car si
l'évidence nous force à
reconnaître la prépondérance de
ce « Moi » humain et naturel
dans notre vie, ce que nous reconnaissons, plus
difficilement, c'est qu'il doit en être
autrement. Il est triste de voir beaucoup de
chrétiens prendre si facilement leur parti
de leur médiocrité en disant :
« Que voulez-vous, nous sommes et nous
serons toujours humains, Dieu le sait bien et il ne
peut pas nous demander d'être
parfaits ».
Ce que nous répétons sans
cesse, avec une telle insistance que cette parole
est devenue un mot d'ordre de la Brigade, c'est que
Dieu ne se contente pas de ce que vous
êtes, et qu'il a le droit de ne pas s'en
contenter, parce qu'il met à votre
portée des possibilités infinies de
sanctification par la Croix de Christ.
Nous n'avons cependant aucune chance de
progresser, jusqu'à ce que nous ayons
compris et accepté qu'une oeuvre de
sanctification ne pourra se produire en nous, que
par une action destructrice de plus en plus
complète de tout ce qui est opposé
à la vie de l'Esprit, c'est-à-dire de
tout ce qui ne vient pas de Dieu, car tout ce qui
ne vient pas de Dieu est naturellement
opposé à Dieu.
Aussi devant l'obstacle à tout
progrès spirituel, ce
« Moi » immense et vivace,
notre mot d'ordre journalier doit être :
« Il faut qu'il meure ! »
Oui, il faut qu'il meure, et toute autre
résolution serait insuffisante.
Il faut qu'il meure, parce que Dieu ne peut
rien en faire. Dieu ne veut pas le transformer,
l'améliorer, le réparer, il ne
donnera jamais rien de bon. Le lamentable
édifice de notre « Moi »
sans beauté, sans valeur, occupe cependant
un site merveilleux, aux possibilités,
infinies, mais pour que le divin
propriétaire qui l'a acheté à
grand prix puisse y faire sa demeure, il faut que
nous le laissions anéantir et faire
disparaître jusqu'au dernier vestige de notre
vieille nature.
C'est l'orgueil qui nous fait croire que
Dieu pourra consacrer et utiliser pour sa gloire ce
que nous croyons voir de bon en nous et qu'il lui
suffira pour nous rendre parfaits de combler les
lacunes que nous reconnaissons. Mais Jésus
nous répond : « Personne ne
met une pièce de drap neuf à un vieil
habit... On ne met pas du vin nouveau dans de
vieilles outres ; autrement les outres se
rompent, le vin se répand, et les outres
sont perdues. »
(Matth. IX : 17).
Nous avons souvent demandé le
baptême du Saint-Esprit, croyant trouver en
lui le remède à toutes nos
faiblesses, mais le St-Esprit nous a
révélé qu'il n'était
pas lui-même le destructeur de notre nature
charnelle. Demandons le St-Esprit, nous avons
raison, mais il ne pourra que nous éclairer
sur notre état et nous conduire à la
Croix pour que nous y soyons crucifiés, avec
Christ.
Il n'y a qu'une puissance capable de
détruire notre vieux
« Moi », c'est la Croix, et
tant que nous n'aurons pas
goûté la mort de Christ, nous n'aurons
aucun droit de prétendre à la vie de
Christ.
Imiter Jésus dans sa vie est
impossible, nous nous heurtons à
nous-mêmes. Jésus a bien dit :
« Tout disciple accompli sera comme son
maître »
(Luc
VI : 40), mais cela
même implique qu'il doit goûter la mort
de son maître.
Il faut que le « Moi »
meure parce que Dieu réclame la rupture
complète avec tout ce qui s'oppose à
lui et que le mettre de côté serait
insuffisant. La mort de la Croix seule est une
séparation efficace, qui ne laisse
derrière elle aucun lien persistant.
Ne nous laissons pas tromper surtout
lorsqu'il y a eu des progrès dans notre vie,
lorsque nous avons pu en une certaine mesure
améliorer notre caractère, lorsque
même nous nous sentirons pleins de bons
sentiments, tout cela ne veut pas dire que nous
sommes sur la bonne voie.
Je suis sûr de ne pas me tromper en
croyant que notre désir à tous en
venant à cette Convention est de progresser
par des expériences nouvelles dans la voie
de la sanctification, et l'heure est venue, pour
nous tous qui avons déjà fait
l'expérience de la puissance d'expiation et
de justification qui réside en la Croix, de
connaître la Croix comme puissance de
crucifixion.
Comment pourrons-nous nous mettre encore au
bénéfice de la Croix ?
Ce sera premièrement par un acte de
foi ou plutôt une attitude constante de foi
nous faisant prendre position « en
Christ » et devenir « une
même plante avec lui ». Dans le 6e
chapitre de son Épître aux
Romains, Paul nous
déclare que notre vieil homme a
été crucifié avec Christ.
La croix de Jésus est-elle pour nous
une réalité ?
Oui, nous en vivons ! Alors la
crucifixion de notre « Moi »
est aussi une réalité. L'acte de foi
que nous devons faire est de même nature et
s'appuie sur les mêmes certitudes que celui
que nous avons fait le jour où nous avons,
cru au pardon de nos péchés.
Tournons donc vers la Croix le regard de la
foi, plein d'un intense désir d'y trouver
une fois encore la délivrance, d'en saisir
tout le sens caché, de nous en approprier
tous les trésors.
Cette Croix est à nous et nous devons
bénéficier de tous ses fruits.
Par elle, nous avons trouvé le
pardon, par elle encore, et au même titre,
nous sommes libérés de l'esclavage du
« Moi ».
L'acte de foi que nous faisons en regardant
sur la Croix notre vieil homme comme
crucifié avec Christ produit aussitôt
des effets pratiques.
1° Nous regardons notre
« Moi » cloué à
la Croix et nous le voyons dans sa véritable
situation.
Là il est réduit à
l'impuissance, il est vaincu. Nous avions
peut-être essayé de lutter contre lui
et il nous avait effrayé par sa puissance et
sa vitalité. Alors, qu'il semblait avoir
reçu un coup mortel, nous l'avons vu si
souvent se relever avec une force et des exigences
nouvelles.
Nous l'avons toujours salué comme un
vainqueur, mais comme la révélation
de Paul-nous le montre différent ! Sur
la Croix il est bien vaincu. Il nous a toujours
vaincu, mais enfin Jésus l'a vaincu.
N'y a-t-il pas là de quoi ranimer le
courage des plus faibles ?
2° Nous regardons à la
Croix et ce « Moi » que nous
avions l'habitude de voir occuper la place
d'honneur dans notre vie, nous le voyons maintenant
sous la malédiction. « Maudit est
quiconque est pendu au bois », tel a
été le décret de Dieu et si
notre vieil homme est maudit en Jésus, il
doit être aussi maudit en nous. En regardant
par la foi notre « Moi »
cloué au bois maudit, nous n'avons plus pour
lui aucune indulgence, nous n'acceptons plus avec
lui aucun compromis. En regardant au
« Moi » crucifié, nous
acceptons sa condamnation, plus que cela, nous le
maudissons à notre tour. Nous le voyons avec
les sentiments de Dieu et au lieu de la sympathie
qui nous poussait à le servir, nous
n'éprouvons plus pour lui qu'une sainte
horreur.
C'est cette expérience que
décrit ce témoignage que nous
reproduisons, du pasteur anglais F.-B. Meyer.
« Après avoir accepté le
sacrifice de Christ en rançon pour mes
péchés, rien n'a
révolutionné ma vie comme de voir
l'effigie de mon « Moi »
coupable dans le Sauveur innocent et mourant pour
moi. Je me suis dit : « Dieu a
cloué à la croix l'image de ma propre
vie ». La Croix est le symbole de la
dégradation et de la malédiction. Si
donc Dieu a traité l'effigie de mon
« Moi » coupable
représenté en Christ comme
étant digne de sa malédiction,
combien ne suis-je pas coupable aux yeux de Dieu
lorsque je garde mon péché, mon
« Moi », ma vie propre, lorsque
je les caresse et refuse, de les Lui
livrer !
O merveilleuse Croix ! Mais ce n'est
pas tout.
Christ et moi nous sommes un. En Lui, j'ai
été crucifié. En Lui, je
prends la position qui me
convient, agenouillé au
pied de Sa Croix, je voue ma vie propre à la
mort en sa mort.
C'est comme si j'avais pris à deux
mains ma vie avec ses passions, ses affections, sa
soif de perfection, ses bassesses, ses
inconséquences, ses jugements
téméraires, ses duretés, comme
si je l'avais prise au collet en lui disant :
« Tu es maudite, tu mourras, mon Dieu t'a
clouée au bois, viens je t'y place par mon
libre choix, par ma volonté, par ma foi.
Sois crucifiée ! »
Nous regardons à la Croix et
dans notre vieil homme crucifié, nous voyons
la fin de tout ce qui faisait notre vie
passée. Notre « Moi » en
était l'inspirateur, la source, et la mort
de la Croix nous en sépare comme un
abîme.
En regardant notre
« Moi » crucifié, nous
nous apercevons que nous avons perdu notre
maître, et il nous en faut un autre. Nous
éprouvons la nécessité de
recevoir la vie directement du Prince de la vie
puisque tout ce qui faisait notre force propre a
été anéanti dans la mort. Ne
pouvant plus être esclaves du
« Moi » maintenant
crucifié, nous devenons esclaves de
Christ.
Voici encore comment Frédéric
Godet parle de cet acte de foi :
« Là foi, dit-il, nous
élève en quelque sorte d'un bond
à la position royale qu'occupe maintenant
Jésus-Christ et qui, en lui, est
déjà la nôtre.
De là nous voyons le
péché sous nos pieds, là, nous
savourons la vie de Dieu comme notre
véritable essence en
Jésus-Christ.
La raison dit : Devient saint pour
l'être, et la foi dit : Tu l'es,
deviens-le. Tu l'es en Christ,
« deviens-le en ta
personne, ou comme dit saint Paul ! Vous
êtes morts ; mortifiez donc vos membres
terrestres ».
La foi en notre mort avec Christ nous
amène naturellement à faire
l'expérience pratique de ce que saint Paul
appelle : La conformité avec Christ en
sa mort.
C'est à quoi Jésus
lui-même nous a convié en
disant : « Si quelqu'un veut venir
après moi... qu'il se charge de sa croix et
qu'il me suive. » « Qu'il me
suive » veut dire ici : qu'il passe
lui-même derrière moi par le
même chemin, par la même mort.
Comment doit se produire dans nos vies cette
crucifixion avec Christ, seul supplice efficace
pour la destruction du vieil homme, c'est ce que
nous essayons d'apprendre en établissant un
parallèle entre la croix de Jésus et
notre croix.
Mais aussitôt une question se
pose : « N'est-il pas
sacrilège de comparer la mort de Christ
à la mort de nous-mêmes ? Car
Jésus n'a pas eu à mourir à
lui-même dans les mêmes conditions que
nous avons à le faire, il n'y avait pas, en
lui de vieil homme charnel et vendu au
péché. »
Certes, nous respectons la distance qu'il y
a entre Jésus et nous, mais c'est
précisément grâce à
cette sainteté unique que Jésus a pu
prendre notre place et mourir pour nous. Nous
croyons que Jésus en portant avec lui notre
vieil homme sur la croix, non seulement nous ouvre
le chemin de la mort à nous-mêmes mais
encore nous révèle par son exemple ce
que sera cette mort.
Toute image, toute parabole nous parait bien
faible ou inexacte à côté de la
croix de Jésus qui est le type
même de la mort
précieuse aux yeux de Dieu. La croix du
chrétien, c'est la croix de Jésus
transposée dans le domaine de notre
vie.
Mourir à soi-même, n'est que
suivre Jésus dans la mort. Pensée
réconfortante qui éclaire pour nous
cette mort d'une lumière rassurante. Nous
savons, où aboutit le chemin du Calvaire et
il n'est plus effrayant de marcher à la mort
avec Celui qui a vaincu la mort.
Considérés comme des
illustrations de la mort à nous-mêmes,
les détails de la mort de Jésus
prennent une signification nouvelle, un
intérêt nouveau lorsque nos pensons
que nous avons nous aussi à passer par
là.
Lorsque Paul a employé le terme de
« crucifié » pour
désigner la mort du vieil homme, il a
été certainement inspiré avec
exactitude dans le choix de cette expression. La
mort du vieil homme n'est pas une mort quelconque,
mais c'est la mort de la croix telle que l'a
acceptée et subie Jésus.
Revenons donc une fois de plus aux
récits des Évangiles, mais en nous
disant qu'à chaque étape de la mort
de Jésus doit correspondre une
expérience pratique dans notre vie. Nous
voudrions pouvoir faire porter nos recherches sur
la vie entière de Jésus, car
n'a-t-elle pas été un long et
incessant dépouillement, ou tout au moins
sur tous les épisodes de la crucifixion,
mais le temps nous manquerait et nous devons,
borner notre parallèle à quelques
détails caractéristiques de la
Passion.
C'est à Gethsémané que
nous voulons d'abord regarder Jésus car
c'est dans les angoisses de
Gethsémané que le chrétien
doit avant tout devenir conforme à son
Maître.
Gethsémané, c'est
premièrement pour Jésus la
vision de la mort qu'il
doit
accepter. Oh, les ténèbres de cette
heure, ténèbres qui voilent tout sauf
cette vision de la mort hideuse qui s'approche.
L'ombre de la croix est sur Jésus, ombre
plus obscure que la croix elle-même.
Jésus voit s'approcher de ses lèvres
la coupe débordante d'amertume,
avant-goût de la mort, plus amer que la mort
elle-même. On ne l'avait jamais vu trembler,
il a été calme au milieu de la
tempête, il a su résister à
Satan lui-même, il a même souvent
parlé de sa mort avec une ferme assurance,
mais maintenant, ce qu'il voit est si terrible
qu'il en est troublé jusqu'au plus profond
de son âme.
Frères, au moment où le
programme divin dresse devant nous au premier plan
la croix, notre croix, immense et redoutable, nous
avons nous aussi notre vision de
Gethsémané.
Gethsémané, c'est avant tout
pour nous la minute angoissante où la coupe
de la mort est si terrifiante, qu'à sa seule
vue une immense détresse nous envahit tout
entier. C'est la minute où la mort à
nous-mêmes qui jusqu'alors n'a
été pour nous qu'un mot, semble se
concrétiser en actions précises, en
renoncements douloureux, en séparations qui
mutilent le coeur. C'est l'heure où l'on
sent que la croix n'est pas une bagatelle ni un
rêve mystique mais une mort réelle et
qui nous atteint dans ce que nous avons de plus
cher.
Ne nous étonnons pas de cette heure
angoissante, elle a sa place au seuil de la mort
à soi-même.
Gethsémané est en même
temps une heure de solitude.
La solitude peut être douce parfois,
elle est réconfortante lorsqu'elle n'est
qu'une communion plus intime avec le Père.
Mais la solitude de Gethsémané est
tout autre chose, car c'est
un
abandon, une désertion des amis les plus
sûrs, des aides les plus
précieux.
Jésus s'était souvent
retiré à l'écart pour prier
seul, mais à cette heure, connaissant par
une intuition certaine l'affreux combat
qu'apportait l'heure à venir, Jésus,
ce soir, désire ardemment avoir
auprès de lui quelques fidèles
affections humaines et il prit avec lui Pierre et
les deux fils de Zébédée, les
trois sur lesquels il sait qu'il peut compter. Mais
ce faible appui va encore lui manquer, les trois
amis fidèles le laissent et s'endorment. Et
le coup est dur même pour Jésus qui
n'avait jamais eu d'illusions sur le coeur de
l'homme. Jésus est étonné et
blessé !
Oh ! il sera dur pour nous aussi le
coup que portera à notre coeur humain
l'abandon de ses plus précieux appuis, car
n'espérons pas que cette étape de la
mort nous sera épargnée, et c'est
tout seul que nous aurons à gravir le chemin
du Calvaire.
Mais ce qui confère avant tout aux
heures de Gethsémané leur solennelle
grandeur, c'est que ce furent les heures de la
décision suprême, de l'abandon sans
réserve, du renoncement le plus complet qui
se puisse imaginer et dans ce sens
Gethsémané est déjà une
victoire. L'agonie de Gethsémané se
termine par cette victoire de la confiance en
Dieu :
« Non pas ce que je veux, mais ce
que tu veux. »
Par cet acte décisif,
Gethsémané est la clef du Calvaire,
et nous ne verrons nous-mêmes commencer
l'oeuvre de la Croix en nous que lorsque nous
aurons aussi solennellement accompli l'acte de
décision.
Toute la vie de Jésus a
été un dépouillement et
cependant avant d'achever sa mission, il nous donne
l'exemple d'un dépouillement encore plus
complet : le renoncement à toute
volonté propre.
Oui, en Gethsémané il ne
suffit plus de renoncer à ce qui dans notre
volonté est nettement, obstinément
opposé au plan de Dieu. Il ne s'agit plus
d'abandonner des désirs grossiers ou
coupables, mais c'est toute notre volonté
quelle qu'elle soit qui doit être
livrée.
Si cela nous paraît inutile ou
exagéré, pensons à ce
qu'était cette volonté que
Jésus dépose en
Gethsémané sur l'autel de
l'obéissance.
La volonté de
Jésus !
Y a-t-il jamais eu sur la terre quelque
chose de plus pur, de plus noble, de plus
parfait ? Et cependant cela même,
Jésus l'abandonne. La volonté de
Jésus qui, en Gethsémané, se
courbe, s'efface, n'avait cependant jamais
été opposée, à celle du
Père. N'avons-nous pas la preuve par toute
sa vie que Jésus n'a jamais appliqué
sa volonté qu'à la recherche de la
seule gloire de son Père et à
l'accomplissement de sa mission de salut ?
Pourquoi à cette heure semble-t-il y avoir
opposition et lutte ? Nous ne voulons pas le
rechercher. Le domaine dans lequel se
déroule le drame est trop saint pour que
nous osions nous permettre de le fouiller d'un
regard impur. Une analyse nous paraîtrait
sacrilège. La seule attitude qui nous a
semblé permise devant ce mystère est
celle de l'humble disciple qui ne recherche dans
les actes de son Maître que ce qui peut lui
être une leçon.
Jésus nous impose l'attitude qu'il a
prise devant son Père. Cette prière
de Jésus est la plus impressionnante
leçon de soumission. Son exemple
détruit à jamais en nous toute
velléité d'indépendance. Qui
oserait maintenant laisser sa volonté se
dresser devant Dieu lorsque Jésus courbe la
sienne ?
Par cet acte décisif, Jésus
avait déjà virtuellement
accompli sa mission. Il a
maintenant fait tout ce qu'il devait, il n'a
plus rien à faire. Il a accepté
la mort, il n'a pas à la provoquer. Quelques
instants plus tard, il sera au pouvoir des hommes
qui doivent, eux, le conduire à la croix.
Dès ce moment, il n'est plus que
« l'agneau qu'on mène à la
boucherie. »
Ne pouvons-nous pas imaginer que si
Jésus, après la prière de
Gethsémané, avait dit à
Dieu : « Père, j'ai
accepté, maintenant que dois-je
faire ? » Dieu aurait répondu
simplement : « Tu as accepté,
cela suffit, les hommes feront le
reste. »
Pour nous aussi, un tel abandon est tout ce
que Dieu demande. Le renoncement total n'est pas
seulement la condition première de la mort
à soi-même, c'en est aussi tout le
secret.
Nous aussi, peut être, ayant compris
que la mort était la condition de toute vie,
nous acceptons la mort, plus que cela nous la
désirons et nous demandons
anxieusement : « Que dois-je faire
maintenant ? Je veux mourir, mais comment
pourrai-je le faire ? » Et l'exemple
de Jésus nous, répond
simplement : « Tu n'as rien à
faire, accepte et cela suffit, tu n'as pas à
te donner la mort, elle vient à
toi. »
Avez-vous remarqué que dans les trois
Évangiles qui nous rapportent le
récit de Gethsémané, ce
récit est immédiatement suivi de ces
mêmes mots exactement
répétés : « Et
aussitôt, comme il parlait encore, arriva
Judas » et avec lui venait la foule
armée. On se sent en présence d'une
action minutieusement préparée et
dont l'acte de Gethsémané aurait
été comme le déclenchement.
Jésus accepte, « et
aussitôt, comme il parlait encore, arrive
Judas » et c'est déjà la
mort.
Vous voulez mourir ! Mais ce n'est pas
difficile, acceptez seulement et aussitôt
arrive la mort. Le programme est tout prêt et
comme suspendu dans l'attente de votre
décision.
L'abandon total est donc le point capital de
la mort à soi-même et un
véritable abandon ne peut pas ne pas
être suivi de la mort.
« Mais, pourraient sans doute
objecter plusieurs d'entre nous, mon
expérience personnelle dément cette
affirmation. J'ai plus d'une fois prononcé
la prière d'abandon : « Non
pas ma volonté, mais que ta volonté
se fasse. » Je sais que je l'ai fait avec
une absolue sincérité, mon abandon a
été total, et cependant, la mort
n'est pas venue. »
Oui, mais ce qui fait sans doute la
différence entre l'abandon de Jésus
et le nôtre, c'est que Jésus, ayant
abandonné sa volonté en
Gethsémané ne la reprend plus.
Et nous ? Peut-être l'avons-nous
reprise.
Jésus aurait pu encore ne pas mourir,
même après Gethsémané,
après l'arrestation. Il l'affirme
lui-même lorsqu'il dit à Pierre :
« Penses-tu que je ne puisse invoquer mon
Père qui me donnerait à l'instant
plus de douze légions
d'anges ? »
(Matth. 26-53). Rien ne pouvait le
faire conduire à la mort contre sa
volonté. Il en est de même pour nous,
il ne suffit pas, de l'abandon d'un instant pour
nous conduire à la croix ; jusqu'au
bout, Dieu ne fera rien malgré nous.
La décision de
Gethsémané est unique et
définitive, mais elle doit se prolonger par
une acceptation continue de la mort dans chacune de
ses phrases.
Jésus nous en a
prévenus : « Si quelqu'un
veut venir après moi, qu'il renonce à
lui-même, qu'il se charge chaque jour de sa
croix et qu'il me suive. » Chaque
jour la mort à
nous-mêmes se présentera sous un
aspect nouveau et en même temps que la croix
se présentera à nous la
possibilité de la refuser. Celui qui a tout
abandonné en Gethsémané doit
recevoir encore de Dieu, jour par jour, la force de
résister aux sollicitations du
« Moi » qui voudrait
échapper à la mort et aux subtiles
tentations de Satan qui voudrait le
détourner de la Croix.
Mais, redisons-le encore afin de
prévenir bien des efforts inutiles, c'est
tout ce que nous avons à faire. Le reste,
disions-nous pour Jésus, ce sera l'affaire
des hommes. Ce sont eux qui le forcent à
marcher, qui le traînent jusqu'au Calvaire et
le clouent à la Croix. Ah ! il n'y
avait pas à craindre qu'ils n'accomplissent
pas leur rôle, ils s'y sont tous mis, Romains
et Juifs, prêtres et péagers, riches
et pauvres... Comme cela est vrai aussi pour le
chrétien !
Les coups efficaces que nous essayerions en
vain de donner à notre
« Moi » ne nous seront pas
épargnés par les hommes si seulement
nous les acceptons. La mort que nous avons
acceptée devant Dieu seul nous sera
apportée chaque jour par les hommes qui
« ne savent ce qu'ils
font ».
Au cours de la Convention de l'année
dernière, plusieurs de ceux qui sont
aujourd'hui parmi nous ont pris devant Dieu la
résolution d'accepter la mort à
eux-mêmes, coûte que coûte et ont
demandé la mort. Si nous pouvions leur
demander maintenant de nous raconter comment leur
prière a été exaucée,
je suis sûr que nous entendrions des
récits de luttes incessantes, d'attaques
sournoises ou brutales de la part des hommes, de
calomnies ou de flatteries plus dangereuses encore,
de lâchetés, de trahisons, d'abandons.
Nous nous sommes trouvés malgré nous
entraînés dans les
situations, les plus douloureuses, des oppositions
se sont élevées de toutes parts. Pour
certains d'entre nous, ce furent les fautes et les
hontes du passé qui ont été
ramenées à la lumière,
peut-être par ceux-là mêmes qui
prêchent le pardon et l'oubli des offenses,
et lorsque la vérité ne paraissait
pas assez humiliante, on y a ajouté la
calomnie. Nous avons vu nos plus fidèles
amis, comme entraînés par une force
mystérieuse, se détourner de nous
tous ensemble. Nous avons subi dans notre travail
des échecs humiliants, nous avons même
pu être arrêtés
complètement sur certains points. Nous avons
été amoindris de toutes
façons, brisés, nous avons fait
l'expérience, de notre faiblesse, de notre
impuissance totale.
Chacun des coups qui nous arrivaient ainsi
les uns après les autres était
d'abord une énigme, puis l'Esprit de Dieu
nous faisait comprendre que c'était
là l'exaucement de nos prières, la
réalisation de notre voeu de mort à
nous-mêmes. Et alors... ou bien nous avons
regimbé, nous nous sommes débattus et
nous ne sommes pas morts et notre acte de
consécration est resté vain, on bien
nous avons accepter chaque coup et on en voit les
fruits maintenant.
C'est cela qui est vraiment difficile
à accepter, plus peut-être que nous ne
l'imaginons et c'est pourquoi il nous a paru
nécessaire, au moment où plusieurs
ont accepté de mourir, de mettre en
lumière la façon douloureuse dont
cette mort nous est pratiquement apportée,
pour qu'il n'y ait plus, lorsque ce moment viendra,
de surprises et d'hésitations.
Ah, si Dieu voulait, au moment même
où nous lui livrons notre vie,
anéantir lui-même, d'un seul coup,
toute notre vieille nature, si au moment même
où nous lui disons, dans
une minute d'exaltation : « Oui,
Seigneur, j'accepte ! » un coup de
foudre nous débarrassait à jamais de
nous-mêmes, oh ! qu'il y aurait de
chrétiens morts à
eux-mêmes ! Mais ce ne serait pas la
mort de la croix.
Nous aurons à accepter froidement,
jour après jour, les coups que nous
donneront les hommes les plus indignes et les moins
qualifiés. Et cela est si dur que devant des
coups particulièrement cruels, parfois la
question se pose : « Jusqu'à
quel point devons-nous les laisser faire.
N'iront-ils pas trop loin, ne vont-ils pas
détruire notre ministère en
même temps que nous-mêmes. Avons-nous
le droit de tout accepter, car ces coups ne
risquent-ils pas de nous laisser pour toujours
invalides, amoindris, hors de
combat ? »
Non, nous n'avons pas à craindre
cela, les hommes ne peuvent tuer que ce qui est
mortel. Jésus, sur la croix, brisé,
anéanti, remettait cependant son Esprit
intact et vainqueur entre les mains, de son
Père. Laissons-les faire, ils ne peuvent
atteindre ce qui est Esprit, mais au contraire,
sans s'en douter, en labourant notre âme, en
détruisant tout, ils fraient la voie
à l'Esprit. Nous ne mourons que pour revivre
dans la mesure même où nous sommes
morts.
Mais surtout souvenons-nous toujours, car
c'est là le secret de la victoire, que c'est
« en Christ » que nous mourons.
Aussitôt que nous avons pris la position en
« Christ », Christ prend
position « en nous », et Christ
qui a été jusqu'au bout, saura aussi
nous conduire jusqu'au bout.
![](3points.gif)
Il n'entre pas dans notre programme
d'aujourd'hui de parler de la vie de
résurrection en Christ. Je sais
bien que si nous pouvions
le
faire maintenant, les splendeurs et la gloire de
cette vie suffiraient à effacer devant vos
yeux toutes les ombres et les horreurs de la mort,
mais je suis heureux que nous ayons l'occasion
d'accepter la mort avant même d'avoir une
vision bien nette de ce que sera la
résurrection. Cela nous évitera le
grand danger de désirer la mort pour
nous-mêmes, pour les bénéfices
que nous pourrions en retirer. Nous le ferons pour
Dieu seul, pour sa gloire.
Nous disions, au début de cette
étude, que la croix qui se dresse devant
nous aujourd'hui nous impose une décision.
Je n'ai pas à souligner l'importance de
cette décision, cette importance a
été mise en lumière avec
puissance par l'Esprit de Dieu au cours des
journées précédentes. Je n'en
veux pour preuve que ce fait : sur le
programme imprimé de notre convention, le
sujet de la mort à soi-même
n'apparaissait qu'aujourd'hui, mais dans le
programme de Dieu, il s'est imposé à
nous dès le premier jour de cette semaine.
Nous pensions nous entretenir de sujets divers, et
toujours la voix de Dieu nous imposait cet
ordre :
« Avant tout, il faut
mourir. »
Oui, mes frères, la Croix de Christ
est vaine si elle ne nous crucifie pas.
O Christ nous ne voulons pas que ta croix
soit vaine !
L. BORDIGONI.
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