Lettres de Direction spirituelle
inédites
PRÉFACE
À lire les lettres
de Félix Neff, on ne peut que se sentir
très petit. L'évangéliste des
Hautes-Alpes n'a pas laissé d'œuvre
littéraire. Il a laissé sa courte
vie, une vie d'homme, simple et droite, mais une
vie remplie de l'Esprit. Les lettres permettent au
lecteur un contact d'un prix inestimable avec
l'homme, et avec l’œuvre qu'il
écrivit, comme l'Apôtre, non sur des
tables de pierre, mais sur des tables de chair,
dans les cœurs.
Il y a une grande beauté dans une vie
achevée. Tant que la vie se
fait,
nul n'en
discerne le plan, que Dieu seul connaît.
Quand la fin est venue, plus encore le recul du
temps, tout s'éclaire dans la
destinée de celui qui a vécu en
communion avec son Dieu. Par la foi et par
l'obéissance, il a suivi un plan,
mystérieux encore pour lui. Dieu est
fidèle, et la vie de l'homme qui s'est
confié en lui, est un
chef-d’œuvre, réalisé par
l’architecte divin, malgré les
faiblesses et les chutes de son enfant.
Ainsi en est-il de Félix Neff. Aussi faut-il
lire les Lettres de direction spirituelle
après la Biographie extraite de ses lettres.
Chaque lettre donnera une richesse plus grande
à l'esprit qui l'abordera dans une
atmosphère toute baignée de la
connaissance de l'auteur. La brève et
ardente destinée de
l'évangéliste se retrouve tout
entière présente en ces messages.
Chacun d'eux part du cœur, et
va
au cœur
pour g produire une transformation spirituelle, que
Neff se représente toujours avec
clairvoyance et avec précision. Les Lettres
sont toutes nourries de la réalité
des montagnes et des vallées des
Hautes-Alpes, plus encore de la
réalité humaine, des êtres
concrets, simples montagnards, âmes
précieuses, au contact desquelles s'affinait
son expérience, et dont on ne peut pas
séparer la destinée de celle de
l'évangéliste. Quelle signification
profonde la mort, dont nous connaissons, nous, la
date, donne aux lignes qui furent dictées de
son lit de maladie !
En Félix Neff, les qualités de
l'homme se retrouvent dans les lettres et dans le
style. Il n'a pas suivi le cycle des études
théologiques ; mais il n'est pas un
ignorant, et son esprit n'a rien de
médiocre. Il apprécie les
études, particulièrement celles qui
portent sur le concret, l'histoire, l'histoire
naturelle. L'écriture porte un tant soit peu
la marque de l'époque, qui
fut,
on le sait,
sujette à l'emphase ; mais la
personnalité de Neff domine ce penchant et
s'affirme dans sa simplicité, à
travers même les quelques formes qui risquent
de nous paraître vieillies. Il y a dans le
style une marque personnelle, on voudrait presque
dire une griffe : l'homme est un
chrétien sans titres ni diplômes qui
va droit au but, au cœur de l’homme
à
qui il parle.
Les comparaisons ont de vives couleurs ; elles
sont nettes et pleines de bon sens.
Quant au fond, c'est bien de direction spirituelle
qu'il s'agit. Pour Neff, le christianisme ne se
sépare pas des âmes. Il est doctrine
certes, et Neff a une certitude
réfléchie de la vérité
absolue qu'il apporte. Sur la
Révélation parfaite de Dieu. en
Jésus-Christ, sur l'autorité des
Saintes-Écritures, sa pensée ne
vacille pas un instant. Mais, de même que
toute la révélation biblique est
concentrée en Jésus-Christ dans son
Incarnation, de même toute la doctrine que
prêche Neff n'existe que parce qu'elle prend
corps dans des êtres de chair. La
vérité est lumière et
puissance de vie elle prend possession des hommes,
au prix des durs combats de la prière et de
la prédication fidèle. Elle
modèle ensuite leur vie spirituelle. Jamais
Neff n'accepte de dévier vers la
spéculation abstraite qui, semblable
à la poulie folle qui n'entraîne aucun
engrenage, se soustrait au contrôle des
choses créées, et du même coup
perd toute emprise sur elles, C’est pourquoi
la pensée, qui s'exprime dans les Lettres,
est pénétrée de l'esprit que
leur auteur voulait voir régner dans les
cercles d'édification mutuelle, qui
caractérisent le Réveil de Mens et
des Hautes-Alpes. Neff a reconstitué
là, dans l'expérience vécue,
ce que les Moraves de leur côté, les
Méthodistes du leur, avaient jugé,
eux aussi, indispensable à la
vie
chrétienne. Dans ces groupes,
chaque chrétien a un ministère
à exercer, selon le don reçu de Dieu.
Si Neff exerce une direction, c'est en vertu des
dons que Dieu lui a confiés. On imagine
cependant que, dans la conversation, il devait
savoir amener chaque âme à être
en bénédiction aux autres ; en
sorte que, sans oublier le ministère
éminent qu'il exerça au milieu de ses
frères, on peut dire que les Lettres entrent
dans ce partage de la vie spirituelle, cette
édification réciproque, cet amour
concret, qui constituent, d'après le Nouveau
Testament, le propre de l'Eglise de
Jésus-Christ.
Grâce à cette conception si profonde,
si simple, et si scripturaire de la vie
chrétienne, Neff sut éviter le
piège du sectarisme. Il ne voyait nulle
nécessité de grouper les croyants
réveillés en une nouvelle
organisation ecclésiastique. Il saluait avec
joie les conversions authentiques, partout
où elles ce produisaient. Par la direction
spirituelle, par l'édification mutuelle, le
Réveil voulait prendre place au dedans
même du cadre transmis par la coutume :
ce n'est pas à dire que ce cadre
fût
par
lui-même satisfaisant ou qu'il
représentât une donnée
intangible ! Le Réveil est un vin
nouveau pour lequel il faut toujours une outre
neuve. Mais ce qui semble avoir été
dans l'esprit de Neff, et ce qu'il a pu commencer
de réaliser, grâce à
l'indépendance relative dont il jouissait
dans les Hautes-Alpes, c'est une transformation de
l'église obtenue du dedans et par des moyens
spirituels.
Quel eût été le
développement de la pensée et de
l’action de Neff s'il eût vécu
plus longtemps, on ne peut le prévoir. La
lettre à M Fivaz, du 6 mai 1821– Neff a
vingt-quatre ans ! – témoigne
cependant d'une maturité et d'une
clairvoyance. telles, qu'on ne voit pas ce que Neff
aurait pu changer par la suite. Et pourquoi y
changerait-on quelque chose aujourd'hui ? Dans
quelle autre voie pourrait-on engager un
réveil, surtout dans une situation. comme
est la nôtre aujourd'hui, où les
églises ne sauraient plus compter sur
l'appui de l'État pour combattre la
prédication de l'Évangile de la
grâce, et où le peuple de ces
églises éprouve certainement un
besoin profond de l'entendre ?
Deux traits de la personnalité de Neff, en
dehors des questions de pensée, sont
particulièrement attachants. J'ai
nommé le désintéressement, et
le courage. Neff travaille réellement pour
Jésus-Christ, et Jésus-Christ seul.
Avec une prodigalité dont il s'est
peut-être repenti, il a donné sa
santé en un dévouement obscur, dont
notre amour actuel du confort ne saura pas mesurer
la qualité : car qui de nous mesurerait
– et il faudrait que l’instrument de
mesure fût notre propre corps – les
marches dans la neige et dans la nuit, les
escalades, ta vie sans foyer, sans le secours d'une
femme, sans la caresse d'un enfant mais le
désintéressement était plus
profond encore :
désintéressement de tout titre et de
fout honneur, désintéressement de
tout ce qui n'était pas la nouvelle
naissance d'une âme aux pieds de Jésus
crucifié. À ce
désintéressement total, s'allie le
courage de celui qui a pris au sérieux les
paroles du Christ relatives à la
persécution que doivent subir ses disciples.
« Cela ne finira pas... tant que vous
resterez fidèle », disait-il en
parlant des difficultés suscitées
à son ami, le pasteur André Blanc.
Mot admirable du « caporal au cœur
d'acier », comme l'appelait Ami Bost, du
sergent d'artillerie devenu témoin de
Jésus, et qui fit sa tâche en trouvant tout
naturel de recevoir des coups.
Nous l'aimons et nous le sentons près de
nous par l’esprit. Nous l'admirons et nous le
louons. Prenons garde. S'il pouvait revenir parmi
nous et lire tout cela ? Prenons garde qu'il
ne nous dit alors, citant le Maître :
« Malheur à vous, scribes et
pharisiens hypocrites ! parce que vous
bâtissez les tombeaux des prophètes et
ornez les sépulcres des justes, et que vous
dites : Si nous avions vécu du temps de
nos pères, nous ne nous serions pas joints
à eux pour répandre le sang des
prophètes... » Il ne convient pas
de mettre Neff au rang de ces morts dont on orne
les tombeaux. Plutôt qu'il soit un
prophète vivant au milieu de nous, et que,
par la grâce de Dieu, lecteur ami, tu lises,
afin de devenir toi-même un prophète
vivant aujourd'hui.
L. DALLIÈRE.
AVANT-PROPOS
Il faut se réjouir que
soient étudiées, de plus en plus, et
avec tant d'attention, les questions de psychologie
religieuse.
Cependant, à trop analyser les anomalies de
la vie intérieure, on peut arriver à
les croire absolument inévitables ou
incurables ; et bien souvent, l'incertitude
– voire Je doute – prennent figure
d'humilité.
Nous avons besoin d'études sur la
psychologie de la conversion et sur la mystique
chrétienne qui puissent faire mieux
comprendre ce que doit être une existence
Conforme à l'Évangile, et servir
à la développer, et, s'il le faut,
à la redresser.
D'autre part, toute maladie spirituelle doit
recevoir le traitement qu'elle réclame.
Que de problèmes se posent, que de
situations déconcertantes et souvent
tragiques : doutes, difficultés ou
orgueil intellectuel, questions morales, une
certaine critique biblique, milieu, et combien
d'autres écueils se dressent à
l'encontre de la vie de l'esprit. N'avons-nous pas,
presque tous, côtoyé de tels
abîmes, n'en sommes-nous pas revenus
meurtris ; et plus d'une défaillance ne
s'explique-t-elle pas par la solitude en une heure
de crise ?
N'atténuons pas notre responsabilité,
elle est presque toujours entière. Mais
certains états sont parfois d'ordre
psychologique ou physiologique. Satan le sait et
excelle à nous torturer par des
perplexités, des scrupules, une
défiance de nous-mêmes, dont l'origine
est fort complexe.
Certaines âmes sont plus tourmentées
que d'autres, mais nous sommes tous physiquement et
psychiquement des malades, a dit Frommel : et
la vie spirituelle la plus saine et la plus
authentique connaît l'accablement ou la
sécheresse.
Aussi avons-nous besoin de brancards, de direction.
Sans doute Dieu l'exerce sans intermédiaire,
mais il nous permet aussi de trouver
l'avertissement qui trouble ou la parole qui apaise
dans la bouche ou sous la plume de tel de ses
envoyés.
Nous publions ces pages uniquement pour permettre
à plusieurs de trouver les indications, les
éclaircissements, les remèdes
indiqués par des serviteurs de Dieu
qualifiés. Après en avoir
bénéficié, ils deviendront
eux-mêmes les ouvriers de cette action
spirituelle que Neff ne cessait de prescrire, avec
les directives appropriées dès que la
guérison était en bonne voie.
Dieu veuille se servir à nouveau de ces
Lettres
pour faire trouver
aux uns le lait
spirituel et pur, à d'autres la nourriture solide, puis à tous le vouloir et le faire.
Celui qui les a
écrites était et demeure un
spécialiste en la matière dont les
écrits sont toujours actuels ; il fut
surtout de ceux qui dispensèrent avec droiture la
parole de la vérité.
S.
LORTSCH.
Nous tenons à exprimer
toute notre reconnaissance à Mlle C. Gay,
petite-fille d'Antoine Blanc, qui a pris la peine
de copier à notre intention de nombreuses
pages, toutes inédites, de ses
précieuses archives de famille ;
à MM. les pasteurs E. et L. Marchand qui
nous ont confié plusieurs lettres
également inédites et à M le
pasteur Forissier dont l'aide et les conseils ont
contribué plus qu'il ne nous permettrait de
le dire à la publication de ce volume.
Nous avons indiqué par * les lettres
copiées par Mlle Gay ; par ** celles
communiquées par M. E. Marchand ; par
*** quelques détails complémentaires
extraits de A. Bost, Lettres de Félix Neff, 2
vol., 1842.
|