Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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Lettres de Direction spirituelle inédites




À d'anciens paroissiens. I. – A la veuve Boniot.

FAIRE DES EXPÉRIENCES CHRÉTIENNES "' BÉNÉFICIER DE CELLES DES AUTRES. –
ÊTRE LE SEL DE LA TERRE. –
NÉGLIGER LE SALUT DE SES FRÈRES, C'EST EXPOSER SA PROPRE ÂMES.

Guillestre, le 25 août 1824.

BIEN-AIMÉE SOEUR EN JÉSUS-CHRIST,

... Considérons chaque jour combien l'amour de Christ est grand envers nous, et combien nous en sommes indignes. Croissons dans la connaissance de notre Dieu : nous apprendrons par là le bénir, à l'aimer pour toujours davantage, et h le servir plus fidèlement. On apprend à connaître une personne quand on la fréquente beaucoup, et qu'on vit avec elle ; de même, on n'apprend à bien connaître le Sauveur, que quand on est dans sa communion, quand on le prie, et que, comme Hénoc, on marche avec Dieu. Ce n'est pas dans les collèges et les académies des sages de ce monde qu'on apprend cela ; ce n'est pas non plus dans les livres : c'est dans la méditation et la prière ; c'est là la bonne et sainte science, que Dieu a cachée aux savants et aux intelligents, et qu'il a révélée aux petits enfants (Luc X, 21). Mais on peut être enfant à tout âge ; car un homme qui a vieilli dans la mondanité et qui se convertit à Dieu, est alors un petit enfant en Jésus-Christ ; et même il ne parviendra jamais, dans ce monde, à une aussi grande connaissance que celui qui est réveillé dans sa jeunesse.

Ainsi, chère soeur, vous ce qui vous regarde, je suis sûr que vous avez encore beaucoup à croître et à avancer en expérience, pour apprendre à vous connaître vous-même et à connaître les autres, et aussi à connaître le Seigneur. Il en est de la vie du chrétien comme d'un voyage : à mesure qu'on avance, on trouve tous les jours quelque chose de nouveau, tantôt une tentation, tantôt l'autre, tantôt de la joie, tantôt de la tristesse, des craintes, des doutes, des espérances, du courage, de la faiblesse, de la ferveur, puis de la tiédeur, une sécheresse où l'on est sans pouvoir seulement prier, comme si on passait par un désert ; et alors il n'y a que de l'ennui ; tout cela s'appelle les expériences chrétiennes. Le monde ne connaît rien de tout cela, parce qu'il n'a pas seulement commencé de se mettre en route pour la cité céleste ; ce n'est que quand on a beaucoup fait d'expériences de ce genre, qu'on peut véritablement édifiez, soutenir et consoler ses frères (II Cor. I, 4-6 ; Héb. Il, 10).

Non seulement il faut faire soi-même de telles expériences, mais il faut aussi remarquer celles que font les autres ; car tous ne passent pas par les mêmes combats, les mêmes tentations. Mais il est bon de remarquer ce qui arrive à autrui et de s'en souvenir, parce qu'on en profite pour soi-même, et que, quand on trouve d'autres âmes dans cette même position, on les console et on les instruit, en leur racontant comment d'autres s'y sont trouvées et par quel moyen elles en sont sorties.

Il faut donc tirer parti de tout ce qui se passe dans notre coeur, bon ou mauvais. Nardin, qui connaissait beaucoup le Seigneur, parle souvent de ces expériences-là dans ses sermons. Bunyan, celui qui a écrit le Voyage du Chrétien, lorsqu'il fut en prison pour l'Évangile, écrivait à son troupeau et citait ses propres expériences. Il avait passé par de grands combats, et il disait : « Je vous envoie du miel que j'ai tiré moi-même de la gueule du lion ; car les tentations viennent d'abord à nous comme le lion que Samson rencontra ; il semble qu'elles vont nous dévorer ; mais quand, par le secours du Seigneur, nous les avons vaincues, nous y trouvons un miel délicieux et fortifiant dont nous pouvons faire part à nos frères. Ainsi du fort procède la douceur, et de celui qui dévorait est procédée la nourriture (Juges XIV, 14). C'est une énigme, les Philistins ne comprennent pas cela. »

Prenons donc courage, dans quelque position que nous soyons. Tout tourne au bien de celui qui aime Dieu, c'est-à-dire qui veut l'aimer et le servir. Approchons-nous de lui avec confiance ; soyons sûrs qu'il ne nous. renverra pas à vide, mais que nous retirerons toujours quelques bénédictions, et qu'ensuite nous pourrons les répandre sur ceux qui nous écoutent. Celui qui croit en moi, dit le Sauveur, des fleuves d'eau vive couleront de lui. (Jean VII, 38). Si nous sommes en lui, sa grâce habitera en nous, et nos discours seront toujours assaisonnés de sel, avec grâce, procurant l'édification à ceux qui nous écoutent. (Col. IV, 6).

Rappelons-nous aussi que nous sommes le sel de la terre. Or, le sel, pour préserver les choses de se corrompre, doit en être proche ; si on le tenait dans un sac au coin de la maison, la viande qui est dans un autre endroit se pourrirait ; mais on le met parmi la viande pour la conserver. Ainsi nous devons nous tenir parmi ceux qui ont besoin d'entendre la bonne Parole de vérité, et répandre parmi eux cette Parole comme du sel, pour garder et sauver leur âme de la corruption. qui règne dans le monde. Le Seigneur nous a fait passer des ténèbres à la lumière, afin que vous annoncions ses vertus.

Faisons donc valoir les talents que Dieu nous a confiés ; et si quelques-uns de ceux qui semblent en avoir reçu plus que nous ne les font pas valoir, tant pis pour eux, nous savons ce qui leur est réserve ; que cela ne nous empêche pas de faire du nôtre le plus d'usage que nous pouvons. Celui qui travaille à édifier les autres s'édifie soi-même ; et tout chrétien qui néglige le salut de ses frères expose aussi sa propre âme... ! ***



Il. À Mlle Sophie.

S’ ATTACHER À JÉSUS, NON À SES SERVITEURS. –
AFFECTIONS SPIRITUELLES ET AFFECTIONS CHARNELLES. –
NE PAS TOUJOURS SE PLAINDRE.

St-Laurent, le 25 février 1825.

MA CHÈRE SOPHIE,

Votre lettre du 5 courant m'a fait vraiment de la peine, car vous croyez que. c'est par mépris et oubli que je ne vous ai pas vue dans mon dernier voyage en Trièves. Je suis très éloigné d'en agir de la sorte avec qui que ce soit, bien moins encore envers ceux qui m'ont toujours témoigné de l'affection et de la confiance, pour l'amour de l'Évangile. Soyez donc persuadée, chère soeur, que ce n'est pas ma faute si vous n'avez pu me rencontrer, car je n'ai jamais su qu'après coup quand vous êtes venue à Mens, pendant que j'y étais. Cependant, quelque mortifié que je fusse, de revenir sans vous avoir parlé, je vois maintenant que c'est une direction du Seigneur qui, à n'en pas douter, veut détruire tous nos faux appuis pour nous obliger à n'avoir que lui seul pour rocher.

C'est toujours avec peine que je vois des âmes bien disposées s'appuyer ainsi sur le bras de la chair, et je leur dirais volontiers comme l'apôtre : Paul a-t-il été crucifié pour vous ? ou avez-vous été baptisée au nom de Paul ?... Qui est Apollos ? Qui est Paul ? des ouvriers par le moyen desquels vous avez cru. (I Cor. I : 13...). Tandis que Christ était encore totalement inconnu parmi les Juifs, ceux qui attendaient la consolation d'Israël s'attachaient à Jean-Baptiste ; plusieurs même le prenaient pour le Christ ; mais une fois que ce fidèle précurseur leur eût montré l'Agneau de. Dieu qui ôte le péché du monde, ils se hâtèrent de le suivre, et quittèrent leur premier maître, et bien loin qu'il s'en offensât, il eut l'air de blâmer ceux qui continuaient de s'attacher à lui, en leur déclarant qu'il n'était que l'ami de l'époux, qu'il ne pouvait parler que comme issu de la terre, qu'enfin pendant que Jésus croissait, lui, devait diminuer (Jean I : 36, 37 ; Jean III : 30).

Remarquez cette dernière parole : Il faut qu'il croisse et que je diminue. Cela était vrai en général de son règne dans le monde, et cela aussi est vrai de son règne dans nos coeurs. Il faut que Jésus croisse en nous, c'est-à-dire que nous l'aimions toujours davantage, que nous soyons de jour en jour plus fermement attachés à lui. Qu'il soit notre vie, notre espérance, notre joie, notre tout. Or, quand cela arrive, il est inévitable que Jean-Baptiste diminue. Qu'on ne soit plus tant attaché aux serviteurs par lesquels on a cm, comme un lionceau déjà fort quitte sa mère, pour chercher lui-même sa subsistance, et comme un arbre bien enraciné n'a plus besoin de la mère souche !


Je ne puis donc vous dire que ce que saint Paul disait aux Corinthiens à la même occasion : N'êtes-vous pas charnels, puisque vous vous attachez tant à. l'ouvrier ? D'ailleurs, si vous avez besoin d'appui, comme cela est toujours vrai, puisque nous devons nous édifier les uns les autres, en manque-t-il près de vous ? N'en trouveriez-vous pas parmi nos frères et soeurs de la contrée, qui sont maintenant beaucoup plus avancés dans l'amour du Sauveur que moi-même ? et certes ce n'est pas beaucoup dire. Pourquoi donc n'ont-ils pas votre confiance ? Pourquoi venez-vous chercher si loin ce que vous avez si près ? Prenez garde qu'il n'y ait là dessous quelque séduction de l'ennemi, et que ce ne soit quelque reste du vieil homme. Si cela était, j'en serais très fâché, et je ne pourrais que vous exhorter vivement à crucifier de telles dispositions, à les combattre comme dangereuses, et de plus je vous conseillerais de ne plus chercher auprès de moi d'instructions et de consolations, et je me regarderais comme obligé de vous en refuser et d'éviter toute relation avec vous.

Je puis cependant me tromper, et si je vous soupçonne à tort, je vous en demande bien pardon ; mais votre conduite et vos discours y donnent. lieu. Veillez donc sur vous-même, et apprenez à chercher véritablement le « spirituel » où qu'il se trouve ; c'est-à-dire qui que ce soit qui vous donne de bons conseils, écoutez-le. Ne cherchez pas l'apparence des personnes, ni la vaine gloire. Apprenez à vivre dans la communion du Sauveur, et à cherchez en lui la force de combattre votre orgueil et toutes les convoitises de votre coeur. Vous savez bien toutes ces choses, et si vous ne les faites pas, vous en serez d'autant plus répréhensible. Voyez combien de soeurs plus jeunes et moins instruites que vous, et qui vous ont passé devant de cent lieues ! Avec la connaissance, l'intelligence et le caractère que vous avez, si vous étiez vraiment en Jésus-Christ, vous devriez, comme Deborah, être une mère en Israël, et non pas un faible rejeton qui ne peut se tenir debout sans appui.

Si vraiment votre misère spirituelle vous inquiète et vous fatigue, croyez-vous que c'est en se plaignant toujours qu'on allège ses maux ? Ceux à qui on les raconte ne peuvent pas les porter, ni les guérir. C'est à Celui qui ôte les péchés, qui a porté nos langueurs et chargé nos douleurs qu'il faut aller. Dites comme le cantique 208 si connu :

Si comme autrefois,
Encore je me vois
Et pauvre et pécheur,
Je verse mes peines,
Jésus, dans ton coeur.

Au reste, je vous prie de prendre en bonne part tout ce que je viens de vous dire ; croyez qu'il m'en coûte pour repousser ainsi, en quelque sorte, ceux qui mettent quelque confiance en moi, et que ce n'est qu'avec peine que je me suis décidé a vous parler aussi franchement ; mais je l'ai cru nécessaire pour votre bien, et c'est parce que je le désire sincèrement, et que l'affection que j'ai pour votre âme est vraiment et uniquement chrétienne. Croyez donc à la droiture de mes intentions, et au véritable intérêt que je prends à votre avancement spirituel en Jésus-Christ.

Adieu, chère soeur, que le Seigneur daigne se rendre maître de votre coeur et y demeurer éternellement.
Votre dévoué frère en J.-Christ (1).



III. – À Mlle Sophie Maillet (2).

SOYEZ RASSURÉE, LES ANGES DE L’ ÉTERNEL CAMPENT AUTOUR DE NOUS. –
LA FOI. – LES TENTATIONS.

Genève, fin 1827.

... Je pense souvent à vous et à tout ce que vous m'avez raconté ; et je prie Dieu de tout mon coeur qu'il vous fortifie, qu'il soit votre bouclier, votre forteresse et votre haute retraite, et qu'il ouvre vos yeux comme au serviteur du prophète (II Rois VI, 11, 15), afin que vous soyez rassurée, en voyant que les armées de l'Éternel campent autour de nous jour et nuit...

Oh ! si nous avions de la foi comme un grain de sénevé, de quoi avions-nous peur, même dans la vallée d'ombre de mort ? Car la foi est une représentation des choses qu'on ne voit point. C’est donc par la foi que nous voyons les anges de l'Éternel qui campent autour de nous. C’est par la foi que nous voyons la houlette du bon Berger, qui nous conduit et nous protège ; c'est par la foi que nous voyons notre nom écrit sur la paume des mains du Sauveur (Esaïe XLIX, 16) et que nous sommes sûrs qu'II se souviendra de vous lorsque les femmes oublieront leurs nourrissons. Ayez donc bon courage ; et que les ténèbres soient pour vous comme le midi, selon la parole d'un prophète (Esaïe LVIII, 10).

Du reste, nous ne sommes pas toujours assaillis par la même tentation ; et c'est bien possible qu'à l'heure qu'il est, vous ayez un autre genre le combat ; mais, quoi qu'il en soit, le Seigneur est notre Dieu ; il n'est aucun ennemi dont il n'ait prévu les attaques, et contre lequel il ne puisse et ne veuille vous défendre. Le Sauveur nous a rachetés à trop grand prix pour se laisser enlever le salaire de ses souffrances ; et si, quand nous étions ses ennemis, il n'a pas redouté de mourir pour nous, combien plus, à présent qu'il a fait tous les frais de notre salut, achèvera-t-il son ouvre en nous (Rom. V, 6-10) ?

Je languis beaucoup d'apprendre de vos nouvelles, et de savoir si vous avez un peu plus de confiance fraternelle, pour ouvrir votre coeur aux personnes qui peuvent vous faire du bien, et qui sont à votre portée. J'ai bien toujours l'espérance de vous revoir au printemps ; mais ma santé est encore si peu assurée que je n'en puis pas répondre ; dans tous les cas, que la volonté du Seigneur soit faite ; et qu'il nous donne de connaître qu'elle est toujours bonne, agréable et parfaite (Rom. XII, 2) ***



IV. – À Mlle Myette M.....

LA LÉGÈRETÉ. – VOULEZ-VOUS DÉCHIRER LES PLAIES DU BON BERGER ?

Arvieux, le 18 mai 1825.

MA CHÈRE MYETTE,

Quand je prends la plume pour écrire en Trièves, c'est ordinairement avec joie et une douce émotion de coeur. Aujourd'hui, en vous traçant ces deux lignes, mon coeur est bien ému, plus même qu'à l'ordinaire, mais je ne puis pas dire qu'il soit joyeux, oh ! non, ma chère Myette, il n'est pas joyeux, et il ne peut pas l'être, en voyant l'ennemi regagner si facilement, ce qui a. tant coûté de sang et de larmes à notre bon Sauveur !...

Je n'ai pas besoin de m'expliquer beaucoup ; vous ne me comprenez que trop ; mais cependant je ne dois pas m'en tenir la, car mon coeur est plein, et j'ai tant de choses à vous dire que je ne sais par où commencer ; mais que pourrais-je vous dire que vous ne sachiez déjà !

Si vous péchez, ce n'est pas par ignorance, plût à Dieu ! vous seriez moins coupable et il y aurait plus à espérer. Voulez-vous donc, ma chère amie, jouer avec l'éternité, et éprouver la patience de Celui qui tient en sa main le souffle de notre vie ? Avez-vous fait accord avec la mort et êtes-vous d'intelligence avec le sépulcre ? (Esaïe XXVIII : 15). N'avez-vous plus besoin de veiller et de prier ? ou bien n'avez-vous plus une âme à sauver et un juge à attendre ? Suspendez un instant votre course volage. Jetez les yeux sur l'abîme au bord duquel vous êtes suspendue. Accordez quelques instants à la réflexion, et dites-moi si vous voudriez mourir dans l'état où vous êtes ~ Prenez-y garde, ma chère amie, on ne se moque pas de Dieu impunément.

Malheur à celui qui abuse de sa bonté et tourne sa grâce en dissolution ! Lisez la sentence de ceux qui crucifient de nouveau le Fils de Dieu et qui l'exposent à l'opprobre (Héb. VI). Voulez-vous essayer si Dieu tiendra sa parole ? Voyez combien votre légèreté, expose à l'opprobre, ce Sauveur que vous faisiez profession de servir. Entendez le monde et son prince infernal chanter victoire, et se glorifier de votre retour dans son sein. Et cela n'est pas un conte. Dans ma dernière tournée en Champsaur, des gens qui ne vous ont jamais vue ; m'ont parlé de votre conduite légère ; ils tenaient. ces détails de gens étrangers au Trièves, mais mondains, et qui, voyant là des âmes sérieuses, pensaient, avec raison, leur faire de la peine en leur racontant, d'un air de triomphe, que vous aviez secoué le joug de Christ pour reprendre les chaînes du monde. C'est là que je l'ai appris, et, n'en voulant rien croire, je m'en suis informé.

Pauvre Myette, faudra-t-il donc vous ajouter à la liste funèbre de ceux qui sont devenus la proie de la mort seconde, et pour lesquels il n'y a plus de Sauveur ? Oh ! si vous pouviez sentir combien cela m'attriste et m'oppresse le coeur ! Mais, qu'importe pour moi, pécheur, incapable d'une sincère affection pour les âmes ? Mais le bon Berger, celui qui nous a chéris plus. que sa vie, qui a tant fait et tant souffert pour vous, voulez-vous le forcer à pleurer sur vous comme sur l'ingrate Jérusalem ? Voulez-vous déchirer ses plaies, et enfoncer de nouveau le fer dans son coeur ?... Mais j'ai bien peur de parler en vain. Il est si rare qu'une âme retourne à Christ, après l'avoir abandonné de gaîté de coeur et si longtemps. Il est rare que celui qui a tourné la tête après avoir mis la main à la charrue, soit encore bon pour le Royaume de Dieu. Quand un prisonnier s'est échappé une fois, et qu'il se laisse reprendre, comme on a soin ensuite de le veiller de près, de redoubler ses chaînes, et de renforcer ses liens pour qu'il ne s'échappe plus. Ainsi en fait Satan, à l'égard de ses esclaves qui reviennent à lui une seconde fois. Aussi est-il bien rare, bien rare, qu'ils s'échappent ; c'est pour cela que je n'ai qu'une bien faible espérance, en vous écrivant ; mais je ne puis vous laisser périr sans vous témoigner ma douleur, et l'amour que j'ai pour votre âme. D'ailleurs, c'est un devoir que je remplis ; le Seigneur fera ce qui lui semblera bon,

La légèreté est votre ennemie, on vous l'a dit tant de fois. C'est le poison de la piété et une porte toujours ouverte à l'ennemi. Je dois l'avouer, à ma honte ; loin de vous en détourner, j'ai eu la faiblesse de la partager souvent ;mais je l'ai jamais fait sans amertume et sans de vifs remords ; et si vous aviez su, de votre côté, la détester et vous la reprocher sérieusement, elle n'eût pas pris le dessus, et vous eût fait moins de mal. C'est chez vous un défaut naturel et sur lequel vous deviez veiller plus que personne ; au contraire, personne ne s'y livrait plus volontiers que vous ; aussi ne suis-je pas étonné de ce qui vous arrive. Il eût même été surprenant que cela n'eût pas lieu. Vous avez jet. le fondement de votre tour avant d'avoir calculé la dépense, et aujourd'hui vous n'avez pas de quoi l'achever. Allez donc, si toutefois il en est temps encore, allez à Celui qui donne gratuitement, et dont vous connaissez déjà toute la miséricorde. Allez vous jeter à ses pieds et les arroser de vos larmes ; donnez-lui votre coeur, afin qu'il le garde lui-même, puisque vous ne savez pas le garder.

Adieu, ma chère Myette, donnez-moi la joie d'avoir bientôt à vous adresser des paroles plus consolantes. Puisse le bon Berger vous faire encore entendre sa voix, vous ramener à lui, et ne plus permettre que personne vous ravisse de sa main. Amen (3).
Votre dévoué serviteur en J.-C.



V. – A Mlle Myon Robequien.

TRAVAILLER SANS RELÂCHE. – AVOIR PATIENCE AVEC LE MONDE.

Guillestre, le 18 octobre. 1825.

... Je me plains souvent du peu de fruit de mes travaux ; et pourtant quand je considère combien le Seigneur, sans égard à mon infidélité, a daigné les bénir, je reconnais mon ingratitude, et je rougis de honte, en voyant des âmes nouvellement nées, me devancer tellement dans la voie que je leur ai montrée. Ainsi Dieu sait tirer le pur de l'impur, et, avec rien, faire de grandes choses. Que cela vous donne donc courage, bien-aimée soeur, pour travailler sans relâche à cette grande oeuvre, quelque faibles que vous paraissent les résultats. Pensons que le succès que Dieu nous accorde est toujours plus grand que nous ne méritons ; et quand nous serions sûrs, (ce qu'à Dieu ne plaise), d'avoir travaillé en vain et sans fruit, nous devons toujours nous dire : mon oeuvre : est par devers Dieu (Esaïe XLIX, 4). N'oublions pas que nous ne sommes faits ses enfants que pour le glorifier, et reluire comme des flambeaux au milieu du monde pervers (Philip. Il, 15). Noé, en bâtissant l'arche, ne put sauver personne d'entre le monde ; mais il le condamna, et accomplit ainsi les desseins de Dieu (Hébr. XI, 7).

Persévérons donc dans cette bonne oeuvre, qui ne sera pas sans récompense auprès du Seigneur. Prenons garde de nous laisser enlacer par les filets cachés de Satan et du monde ; tenons la bride courte à nos désirs, et mortifions le vieil homme avec ses convoitises. N'oublions pas un seul instant qu'une seule chose est nécessaire ; cherchons-la continuellement, et regardons tout le reste comme un néant auprès de cette perle inestimable.

Du reste, ayons patience avec le monde, comme le Seigneur a patience avec nous ; que le sentiment de notre propre misère ne nous, fasse pas taire ; mais. qu'il nous fasse parler avec humilité et charité. Ayons pitié des pauvres aveugles, plutôt que de nous irriter contre eux. Rappelons-nous la charité avec laquelle Jésus pleurait sur l'ingrate Jérusalem ; il priait pour ses propres bourreaux. Rappelons-nous que, si nous avons l'inestimable avantage de connaître les choses qui appartiennent à notre paix, c'est un don gratuit du Seigneur, qui nous a aimés le premier, et qui s'est fait trouver, quand nous ne le cherchions point. Prions donc pour ceux qui sont près, comme pour ceux qui sont loin, afin que le Seigneur haie le temps glorieux de son avènement dans les âmes, et que le nombre de ses enfants augmente chaque jour, autour de nous, comme dans d'autres contrées.

Adieu, chère bien-aimée soeur, que le Seigneur vous fortifie et vous soutienne par sa grâce toute-puissante ! ***



Vl. – À Salomon Bachasse, tisserand au Bourg, à Mens.
Aux frères réunis pour leur édification chez Salomon Bachasse.

NÉCESSITE ABSOLUE : DE L ÉDIFICATION MUTUELLE. – PRINCIPES - MÉTHODES, ORGANISATION. –
 POURQUOI NOUS REDOUTONS LES MANIFESTATIONS ET LE DÉVELOPPEMENT DE LA VIE INTÉRIEURE DIFFÉRENTS INTERDITS. –
LE ZÈLE. EXTÉRIEUR PEUT MANQUER DE SINCÉRITÉ. – LES DISTRACTIONS.

Grand Villard (près Briançon), le 18 mars 1825.

CHERS ET BIEN - AIMÉS FRÈRES EN JÉSUS-CHRIST NOTRE SEIGNEUR,

C'est avec bien de la joie que j'ai appris des nouvelles de votre réunion d'exhortation. Je craignais qu'elle n'eût de la peine à prendre, parce que Satan trouve toujours quelque empêchement aux choses qui vont directement contre son règne. Or, il n'y a rien qui lui fasse plus de mal que la vigilance des enfants de Dieu, car il ne peut entrer dans Sion, tandis que les sentinelles sont vaillantes, et surtout bien Unies et bien disciplinées. – On me dit que vous en retirez du fruit, je n'en suis point étonné ; il n'est rien de tel que de se réveiller et de s'exciter ainsi mutuellement à la charité et aux bonnes oeuvres. La tiédeur, le relâchement, l'orgueil, en un mot tous les membres du vieil homme n'y trouvent pas leur compte ; et c'est pourquoi nous pouvons quelquefois répugner à cette manière de nous avouer, les uns aux autres, le véritable état de nos âmes.

Il faut nous défier beaucoup de notre propre coeur, qui est désespérément trompeur. Je sais par moi-même, que souvent, pendant qu'on paraît extérieurement bien zélé, bien ardent pour l'oeuvre de Dieu, pendant qu'on en parle avec science et avec force, et qu'on déclame contre le péché ; on le serre contre son coeur, et on retient injustement la vérité captive ; on cache ses idoles comme Rachel (Genèse XXXI : 19), et on garde de l'interdit dans sa tente comme Achan. (Josué VI). Cet interdit, c'est tantôt de l'avarice, tantôt de l'impureté, ou quelque autre volupté charnelle ; ou bien un reste de propre justice et d'orgueil, qui fait qu'on ne peut se soumettre entièrement à la justice de Dieu. (Rom. X : 3).
C'est quelquefois de la haine, de la jalousie ; on ne peut se résoudre à aimer son ennemi, on trouve trop dur de lui pardonner si entièrement qu'on sache ne plus dire du mal de lui, ne plus en faire un sujet de médisance et de raillerie ; il semble qu'on a besoin d'en parler et de le blâmer ; et ceci est d'autant plus difficile quand il s'agit d'ennemis de la vérité ; on croit alors servir Dieu en en disant du mal. Prenez bien garde à chers amis, c'est un grand piège pour nous tous ; souvent même, cette inimitié a des parents selon la chair et même des frères en Jésus-Christ pour objet ; on croit avoir à s'en plaindre, on ne peut se résoudre à boire cette coupe amère, et à tout supporter avec douceur et humilité.

La légèreté a aussi ses racines malaisées à détruire ; on ne peut se résoudre à bannir de son coeur les pensées vaines ; et, de ses conversations, les paroles inutiles, les plaisanteries, les bons mots, pour faire briller notre esprit en compagnie. La vaine gloire nous fait chercher les louanges, nous voudrions être fort estimés, au moins parmi les frères ; nous ne pouvons souffrir d'être comptés pour ce que nous sommes, c'est-à-dire pour rien, et nous sommes blessés très grièvement quand on a l'air de ne pas faire cas de nous. Tout cela sont des choses secrètes, difficiles à crucifier et qui tiennent tellement à nous, que c'est comme nous arracher l'oeil droit de nous les enlever, en sorte que, même en priant, nous ne sommes pas sincères, et nous avons quasi-peur, que Dieu nous exauce et nous délivre entièrement de ces affections mauvaises. Cette hypocrisie spirituelle nous domine même dans le temps que nous portons extérieurement à la croix de Jésus, ou que nous travaillons à son règne.

Il y a aussi en nous une secrète inimitié pour la vie intérieure ; nous cherchons à vivre en dehors de nous-mêmes, dans une espèce de dissipation, et d'oubli de notre propre âme ; nous avons le malheureux secret de nous plaire ainsi loin du Sauveur, quand même nous paraissons en être vraiment proches ; en sorte que le chant des cantiques, la lecture des bons livres, même la Parole de Dieu et les entretiens édifiants sont encore pour nous une occasion de distraction. Il faut être sans doute déjà expérimenté pour comprendre cela, et faire la différence entre la vie vraiment divine dans la vraie humilité, et cette vie apparente ou le vieil homme, habillé en enfant de lumière, joue le rôle du vrai fidèle, tellement que celui en qui cela se passe s'y trompe lui-même ; mais c'est une chose connue de ceux qui sont avancés ; ils savent combien le coeur est disposé à se chercher soi-même, et à conserver sa malheureuse liberté. Ce n'est pas là renoncer à soi-même, mourir à soi-même, tellement, que ce ne soit plus que Christ qui vive en nous. Le livre de l'Imitation de Jésus-Christ doit contenir beaucoup de choses sur cette vie vraiment spirituelle, et les moyens d'y parvenir. Très grièvement quand on a l'air de ne pas faire cas de nous. Tout cela sont des choses secrètes, difficiles à crucifier et qui tiennent tellement à nous, que c'est comme nous arracher l'oeil droit de nous les enlever, en sorte que, même en priant, nous ne sommes pas sincères, et nous avons quasi-peur, que Dieu nous exauce et nous délivre entièrement de ces affections mauvaises. Cette hypocrisie spirituelle nous domine même dans le temps que nous portons extérieurement à la croix de Jésus, ou que nous travaillons à son règne.

Il y a aussi en nous une secrète inimitié pour la vie intérieure ; nous cherchons à vivre en dehors de nous-mêmes, dans une espèce de dissipation, et d'oubli de notre propre âme ; nous avons le malheureux secret de nous plaire ainsi loin du Sauveur, quand même nous paraissons en être vraiment proches ; en sorte que le chant des cantiques, la lecture des bons livres, même la Parole de Dieu et les entretiens édifiants sont encore pour nous une occasion de distraction. Il faut être sans doute déjà expérimenté pour comprendre cela, et faire la différence entre la vie vraiment divine dans la vraie humilité, et cette vie apparente ou le vieil homme, habillé en enfant de lumière, joue le rôle du vrai fidèle, tellement que celui en qui cela se passe s'y trompe lui-même ; mais c'est une chose connue de ceux qui sont avancés ; ils savent combien le coeur est disposé à se chercher soi-même, et à conserver sa malheureuse liberté.
Ce n'est pas là renoncer à soi-même, mourir à soi-même, tellement, que ce ne soit plus que Christ qui vive en nous. Le livre de l'Imitation de Jésus-Christ doit contenir beaucoup de choses sur cette vie vraiment spirituelle, et les moyens d'y parvenir voila de l'ouvrage, chers amis, tant pour travailler tous ensemble, qu'en votre particulier. Gardons-nous bien de croire jamais que nous avons atteint le but. Le grand apôtre Paul, autrement plus avancé qu'aucun de nous, ne se le persuadait pas, et s'avançait comme un homme qui a encore beaucoup de chemin à faire ; imitons-le, et plus nous avancerons, plus nous nous verrons en arrière. Il ne faut cependant pas que cette vue nous décourage, elle doit nous rendre humbles et vigilants, et nous faire de plus en plus apprécier l'incompréhensible charité de celui qui nous supporte malgré tant de misères ; mais jamais nous ne devons nous défier de son amour.
Il savait bien tout cela mieux que nous, quand il a formé le dessein de venir nous sauver, et puisqu'il n'en a pas été découragé, ne le soyons pas non plus. Allons à lui tels que nous sommes, confessons nos faiblesses et notre infidélité, et combattons toujours sous ses yeux, et comme à ses pieds ; c'est le seul moyen de vaincre. Au reste, tout ceci sont les combats qu'on a à soutenir au-dedans du royaume de Dieu, et c'est même une preuve que nous y sommes déjà ; ceux qui sont encore en dehors ne connaissent pas ces sortes d'ennuis.


Je n'ai pas besoin de vous recommander l'ordre dans vos réunions. Que tout se fasse avec ordre, disait l'Apôtre, car notre Dieu n'est pas un Dieu de confusion. Que l'un parle et que les autres en jugent, et si un autre a une meilleure révélation, que le premier se taise, etc...

D'abord, il convient de proposer le sujet bien clairement ; puis chacun à son tour est appelé à dire ce qu'il pense de la chose en elle-même, de son utilité, de l'obligation où nous sommes de la pratiquer, etc..., sans parler de lui-même ;

chacun est appelé à dire où il en est à cet égard, sans autre observation ;

chacun dira à quoi il attribue sa négligence sur l'objet en question, quels obstacles il rencontre, quels ennemis il a à combattre, quelles circonstances lui sont défavorables, etc... ;

enfin, chacun proposera ce qu'il croit de meilleur pour remédier au mal, et proposera surtout sa propre expérience ; et l'on finira par s'exhorter mutuellement, à y bien songer, à être vigilants là-dessus, et à s'avertir les uns les autres toutes les fois qu'on se verra broncher. Puis, à quelque temps de là, on en reparlera de nouveau pour voir comment chacun l'a observé. L'objet sur lequel il convient de revenir souvent, c'est la prière, et le recueillement, le sérieux, puisque la légèreté est en général, pour plusieurs, la plus grande maladie.

Je finis en vous recommandant sur toute chose de ne point négliger cette assemblée mutuelle. Il vaudrait mieux manquer tous' les autres services plutôt que celui-là, quoique je pense que vous savez assez bien le quatrième commandement, pour ne pas négliger le jour du repos, qui, tout entier, doit être consacré à Dieu et à vos âmes. Gardez-vous donc bien d'être négligents là-dessus ; si quelqu'un l'oublie, réveillez-le. Surtout, n'y introduisez pas de faux frères ; si quelqu'un de vous a un ami à amener, qu'il commence par en obtenir la permission de ses frères ; car, quand on est gêné, cela ne vaut rien. Il n'y faut pas même des gens encore dans les ténèbres, quelques droits qu'ils soient d'ailleurs.

Un sujet que vous ne devez pas oublier dans. votre réunion, c'est celui de l'avancement du règne de Dieu autour de vous, pour lequel vous devez prier et parler aussi souvent que cela se peut. Ne laissez pas rouiller vos talents dans la terre. Que chacun emploie ce qu'il a reçu au service des autres, comme bon dispensateur des grâces de Dieu.
Adieu, chers amis, que le Seigneur vous éclaire et vous fortifie de plus en plus en Jésus-Christ. Amen (4)



VII. – Les relations de Neff avec la famille Philippe, d'Arvieux.

Si, lors du ministère de Neff dans les Hautes-Alpes, la. vallée de Freyssinières avait « fleuri comme la rose », le Queyras était resté le « lieu aride ». « Il n'y a que mon petit jardin qui profite de mes soins, récompense bien chétive pour un évangéliste », écrivait Neff accablé de tant d'endurcissement. Les Arviens avaient peut-être été
froissés de voir Neff ne pas tenir compte des prérogatives officielles du chef-lieu de la paroisse, et se dépenser également au service de tous.

Il y avait pourtant une famille, celle des Philippe, ou, disait-il, « je trouve un peu de vie, et qui sera, s'il plaît à Dieu, le commencement de son oeuvre dans cette pauvre commune ».

Nous avons rappelé, dans la biographie de Neff (5) , avec quelle patience, quel discernement, il s'occupa de Marie Philippe, jusqu'à ce qu'elle fût délivrée des obsessions qui « l'épuisaient corps et âme et qu'elle goûtât enfin la joie du salut ».

À sa soeur Marguerite, « fort catholique et assez légère », Neff demanda un jour si elle pensait n'avoir rien à craindre, parce qu'elle était catholique : « Croyez-vous lui dit-il, que le prêtre ou le pape puisse vous obtenir une dispense de conversion, comme ils vous dispensent du maigre ?
Ne vous y trompez pas ; personne, s'il n'est né de nouveau, ne peut entrer au royaume de Dieu ! Elle ne répondit rien, mais elle parut triste et pensive tout le jour. »

Quelques semaines après, Neff trouvait Marguerite et deux de ses cousines « bien travaillées ». Deux ans plus tard, en mai 1827, il s'exprime encore de même :
« Marguerite est toujours péniblement travaillée, ainsi que deux filles de la Chalp. Elles sont toutes trois dans un état très difficile, connaissant leur misère, voyant leur perdition, ayant en horreur le monde et sa joie, mais ne pouvant s'appliquer aucune promesse, ni prier, ni trouver nulle part aucune consolation, déclarant même qu'elles ne peuvent et ne veulent pas accepter les offres de la miséricorde de Dieu ; du reste, ouvrant très difficilement leurs coeurs à qui que ce soit. Il y a longtemps qu'elles sont dans ce combat ; deux d'entre elles y sont depuis plus de deux ans. »

Neff pensait souvent à cette jeune fille presque désespérée. Il lui écrivit aussi. Nous possédons une lettre qui montre à quel point il comprenait les difficultés particulières des âmes et ses propres lacunes.



Vlll. – A Mlle Marguerite Philippe.

INSUFFISANCE DE LA PRÉDICATION. –
IL FAUT PRIER POUR LE SALUT DE CEUX AUXQUELS ON A PRÊCHE. –
UN SIGNE DE L’ OEUVRE DE DIEU DANS NOTRE COEUR.

Dormillouse, le 12 mai 1827.

MA CHÈRE MARGUERITE,

Bien qu'il n'y ait que peu de jours que je vous aie quittée, et qu'il soit bien possible que je vous revoie encore à la foire, je sens le besoin de vous écrire quelques lignes pendant que j'ai le temps, et que je n'ai pas l'estomac chargé. J'ai toujours présent à l'esprit le triste état où je vous ai laissée. Oh ! si j'avais pu prendre une partie de ce lourd fardeau qui vous oppresse ! Si j'avais pu voir votre délivrance, après avoir vu votre travail ! Si j'avais pu voir couler de vos yeux des larmes de joie et de reconnaissance, après vous en avoir tant vu verser de tristesse et d'angoisse ! Mais le Seigneur m'a refusé cette consolation ; son heure n'était pas encore venue ; et il a voulu me convaincre de plus en plus que celui qui plante n'est rien ni celui qui arrose, mais lui seul qui donne l'accroissement. Il a voulu me montrer que c'est peu de prophétiser aux os secs, de leur dire : vivez ; mais qu'il faut invoquer L'ESPRIT, afin qu'il souffle sur les morts et qu'ils vivent (Ezéch. XXXVII).

Je sens. bien maintenant que, quelque soin que j'aie pris de vous indiquer la voie que vous devez suivre, de quelque patience dont j'ai usé envers vous pour sonder le véritable état de votre âme ; en un mot, quelque ardente et fidèle qu'ait été ma sollicitude pour votre salut, j'ai néanmoins négligé le plus efficace, c'est-à-dire de prier pour vous. Oui, chère amie, c'est là ce que j'aurais dû faire, et ce que, bien souvent, j'ai négligé, comme tant d'autres choses. Ce n'est pas cependant que je manque d'affection pour vous, ou que votre souvenir s'éloigne de moi ; non certes, et je n'ai pas besoin de vous l'assurer ; mais c'est parce que j'ai moi-même aussi mes misères, ma tiédeur et mon endurcissement.

Vous pensez que personne n'est comme vous ; que personne n'a tant d'orgueil ni d'incrédulité, qu'il n'est point de coeur plus dur que le vôtre. Hélas ! chaque âme réveillée et éclairée de Dieu porte sur elle un jugement semblable, et avec raison ; car il est naturel que nos maux nous frappent plus que ceux d'autrui. Mais n'est-ce pas là même une marque frappante de l'oeuvre de Dieu dans un coeur ? Tandis que nous sommes dans les ténèbres, sommes-nous portés à regarder les autres comme plus excellents ou moins mauvais que nous ? Pouvons-nous nous persuader que nous sommes les premiers des pécheurs ? Non, non, jamais ! Il n'y a que la lumière du Saint-Esprit qui puisse nous tirer de ce paisible et dangereux sommeil où tout le monde est plongé, et détruire ce songe flatteur qui trompe nos coeurs orgueilleux.

Vous avez donc entendu cette voix du Père, vous avez été instruite par lui ; vous viendrez donc à son Fils, car nul ne peut venir à lui, si le Père ne l'attire ; quiconque l'a entendu ne peut rester en arrière. Pourquoi donc n'y êtes-vous pas déjà venue ? Oui, ma chère enfant, tout ce que vous éprouvez, tout ce que vous voyez et sentez en vous, et tout ce que je sais et j'entends de vous, prouve de la manière la plus évidente que le Père vous appelle à son Fils, et qu'il vous a donnée à lui. Or, si tout ce que le Père lui donne vient à lui, encore une fois, pourquoi n'allez-vous pas ? Ne peut-on pas vous dire comme Ananias à Saul : Et maintenant, que tardes-tu ? Lève-toi et sois baptisée et lavée de tes péchés, en invoquant le nom du Seigneur (Actes XXII: 16). Il n'y avait pourtant que trois jours que Saul sentait les angoisses qui vous déchirent depuis plus de deux ans, et Ananias lui rapprochait de tarder : Que tardes-tu ? Ne peut-on pas mille fois mieux vous le dire à vous ? Combien d'âmes n'ont passé que quelques jours, et même quelques heures, dans la sombre vallée où vous demeurez depuis si longtemps ? Elles ne valaient pas plus que vous ; mais elles ont cru au témoignage de Dieu, elles ont reçu la bonne nouvelle, et, aussitôt, elles ont trouvé la paix. Et ne dites pas encore une fois que personne n'est comme vous, et que si nous connaissions bien votre coeur, nous ne parlerions pas ainsi. C'est une singulière espèce d'orgueil que de s'imaginer cela, et d'y persister ; mais c'est ce qui arrive à tous ceux qui s'approchent de la porte étroite.

Allez, ma chère amie, quand même j'ai toujours eu bien de la peine à vous faire parler de votre coeur, je le connais aussi bien que vous ; je sais ce qu'il peut y avoir ; et quand même vous me le diriez tout au long, je n'en serais pas plus surpris que de voir tomber de la neige en hiver, ou de trouver des pépins dans une pomme. Et puis, quand ce serait vrai que personne ne serait comme vous, est-ce une preuve que vous n'ayez point d'accès auprès de Dieu ? Y a-t-il quelque pécheur au-dessus du plus grand des pécheurs ? Et quand il a tant fait que d'entreprendre de nous sauver et de nous racheter, n'aura-t-il pas connu d'avance ce qu'il faut pour cela ; et n'aura-t-il pas fait en sorte qu'aucun pécheur ne se trouve exclu, si ce n'est pour ne pas vouloir de cette grâce ? Eh bien ! encore une fois, que tardez-vous ?
Je languis beaucoup d'apprendre que vous avez donné lieu à cette bonne parole ; mais j'ai cependant une ferme espérance que cela arrivera, et même bientôt. Oh ! puisse cette même espérance vous soutenir aussi et vous consoler d'avance ! Amen.

Adieu, ma chère Marguerite, que le Seigneur vous console et vous fortifie.
Votre dévoué frère en Jésus-Christ. **

En juillet de la même année, Neff, qui avait définitivement quitté les Hautes-alpes, reçut de meilleures nouvelles, si bien qu'il put écrire à Marie Philippe :

Vous me dites que votre soeur Marguerite, et votre Cousine Simone de la Chalp, ont trouve auprès du Sauveur quelque soulagement pour leur âme fatiguée et chargée depuis si longtemps. Que le Seigneur en soit à jamais béni ! Et puisse-t-il leur rendre, en gratuité et en bénédiction, tout ce qu'elles ont souffert en angoisses, en craintes et en ténèbres !

Oh ! combien ces chères âmes m'ont donné de souci ! Dans quel travail j'ai été pour les enfanter à Christ ! Et combien je prends part à leur joie, si elles ont enfin éprouvé qu'effectivement le Seigneur ne met point dehors ceux qui vont à lui. Oh ! dites-leur bien, répétez-leur sans cesse, que tout est possible à celui qui croit... Exhortez-les à repousser tous les dards enflammés du Malin... Dites-leur de m'écrire elles-mêmes, mais non pas des jérémiades. C'est une grande ingratitude de ne parler que du mal, et jamais des grâces que le Seigneur nous fait...

Neff ne rassurait jamais les âmes troublées – et à plus forte raison celles qui ne l'étaient pas, – avant d'être sûr de leur franche conversion. Il ne disait pas paix là où il n'y a point de paix, « quelque soulagement », ce n'était pas encore le salut. Mais après avoir reçu de Marguerite elle-même une lettre qui ne laissait plus aucun doute sur la réalité de sa foi, c'est un chant de triomphe qui s'écrit sous la main déjà débile du missionnaire.



IX. – À Mlle Marguerite Philippe.

APRÈS LE DÉSESPOIR LA DÉLIVRANCE. –
AVEC VOUS DANS LES ANGOISSES ET DANS L’ ALLÉGRESSE, L'OEUVRE S'ACHÈVERA.

Plombières, le 14 septembre 1828.

Béni soit le Seigneur, ma chère Marguerite, pour les grandes et précieuses grâces qu'il a répandues sur vous ! Quand je me rappelle pendant combien de temps le père de l'incrédulité vous a tenue comme renfermée dans une grotte de fer, et courbée sous le poids de vos péchés, sans vous permettre de jeter un cri, ni de pousser un soupir, ni de frapper un seul coup a la porte étroite qui était prête à s'ouvrir devant vous, ni même de lever un instant les yeux vers les montagnes de notre secours, et de jeter un coup d'oeil sur le serpent d'airain élevé pour la guérison des pécheurs ; quand je pense combien de fois je vous ai vue accablée par la force de l'angoisse et de la condamnation, sans pouvoir ouvrir votre coeur à personne, ni à Dieu, ni à vos amis ; quand je pense combien d'heures j'ai passées près de vous, sans pouvoir obtenir de vous une seule parole, ou quelque mot déchirant de désespoir ; quand je pense à ces tristes temps, et que je vous ai laissée dans cet état, j'ai peine à en croire mes yeux quand je lis vos lettres.

Oh ! que n'aurais-je pas donné, pour voir de mes yeux le premier rayon d'espérance qui a brillé sur votre visage, et pour entendre les premières paroles d'action de grâce et de bénédiction qui ont été la suite de votre délivrance ! Oui, si j'ai souffert avec vous, je me réjouis maintenant avec vous ; si j'ai été en angoisse dans vos angoisses, je me joins actuellement avec allégresse à vos cantiques de louange. Car, malgré les nuages qui obscurcissent de temps en temps votre foi, et qui vous dérobent dans certains moments l'agréable vue du soleil de justice, je ne suis plus en peine de vous ; je ne doute nullement que Celui qui a commencé cette bonne oeuvre en vous ne veuille aussi accomplir. Non, certainement, ma chère Marguerite, Celui qui a usé avec vous de tant de patience et qui ne s'est point lassé, malgré votre longue incrédulité, de frapper à la porte de votre coeur et de vous supplier d'accepter sa grâce, ne veut pas maintenant vous la retirer, Relisez souvent Rom. V : 6, 8, 9, 10. Et quant à vous, comment serait-il possible, qu'après avoir reçu tant de grâces de votre Sauveur, vous doutassiez de son éternel amour, ou que vous vinssiez à regretter un instant la dure servitude du Pharaon infernal sous laquelle vous avez si longtemps gémi ?...

J'ai appris avec joie que vous aviez participé à la Cène, ainsi que votre cousine. Je ne suis point surpris du trouble et des tentations qui vous ont agitée à l'approche de ce moment solennel. Chaque nouveau lien qui nous unit à Christ réveille la jalousie du Lion, qui redouble ses rugissements. Mais nous savons qu'il n'a plus de droit sur nous, et dans aucun temps, nous ne devons craindre de nous approcher de Jésus, tout pauvre et tout misérable que nous soyons ; car il ne change point, il est toujours l'ami des pécheurs, et comme autrefois, il mange et boit avec eux plutôt qu'avec les Pharisiens.

Adieu, ma chère et bien-aimée soeur, que Dieu vous bénisse de plus en plus. Allez rendre toujours quelques visites à nos chères soeurs de La Chalp et de Brunissart ; et ne négligez pas, par fausse honte. eu par timidité, de rendre témoignage à Jésus, que votre langue soit maintenant déliée pour louer Dieu.
Votre affectionné frère et sincère ami en Jésus-Christ. *"



X. – À Jean Philippe.

LA MALADIE DE NEFF. – PATIENCE ET RÉSIGNATION. –
LES VRAIS MEMBRES DU CORPS DE CHRIST. – LE SACERDOCE UNIVERSEL.

Genève, 28 décembre 1828.

BIEN-AIMÉ FRÈRE EN JÉSUS-CHRIST,

Depuis longtemps, je languissais de vous écrire, ma faiblesse étant augmentée ; mais c'est en vain que j'attends ; mes forces ne reviennent pas ; je me résous à ne vous envoyer qu'une petite lettre, plutôt que de garder le silence.

En partant de Plombières, j'étais beaucoup mieux, le voyage m'a fait du bien ; et, à mon arrivée ici, j'ai de me croire en chemin de guérison. Le Seigneur en a décidé autrement. Je suis actuellement si faible que je ne puis même plus dicter mes lettres. Priez Dieu qu'Il me donne la patience et la résignation qui me sont nécessaires pour supporter le chagrin que me cause mon inaction, c'est-à-dire mon inutilité.

J'ai reçu vos dernières lettres qui m'auraient réjoui comme à l'ordinaire, sans les tristes nouvelles que vous me donnez de la conduite de M. H..., tout à fait conformes à celles que je reçois des autres vallées, de Freyssinières et d'ailleurs.
Mon Dieu m'humilie et m'éprouve de bien des manières ; mais c'est afin que je mette toute ma confiance en lui seul, soit pour moi-même, soit pour son Église. O chers amis, c'est le moment de vous rappeler, et de mettre en pratique, ce que je vous ai dit tant de fois ; qu'il ne faut pas faire son oeuvre à la manière des hommes ; que, comme il n'a point choisi autrefois les sacrificateurs et les lévites (qui étaient pourtant assis sur la chaire de Moïse), pour annoncer l'Evangile et fonder son Église ; et, comme il n'a pas choisi, au XVI siècle, les cardinaux et les évêques pour remettre la lumière sur le chandelier, il ne choisit pas toujours non plus, pour rassembler et paître ses brebis, ceux auxquels le monde donne le nom de pasteur, et qui, pour la plupart, ne sont que des mercenaires que l'Eternel n'a point envoyés.

Le Seigneur a retiré son esprit de presque tous les collèges et académies, où l'on élève les prétendus ministres de Jésus-Christ. Si donc il s'en trouve quelques-uns, animés de l'Esprit de Dieu et qui. prêchent l'Évangile en vérité, il faut s'en réjouir et les écouter ; mais il ne faut pas les prendre au titre ou regarder à l'habit.
Car le Seigneur dit : Prenez garde à ceux qui viennent a vous en habit de brebis, etc. L'Écriture dit aussi : ne croyez pas à tout esprit, mais discernez les esprits (I Jean IV : 1). Les Brebis de Christ ne connaissent point la voix des étrangers, et bien loin de les suivre, elles doivent les fuir (Jean X : 5). Ainsi donc, vous ne pouvez pas regarder pour votre pasteur, quelqu'un qui n'est pas même une brebis du troupeau ; et vous devez vous mettre bien dans l'esprit que, si ceux qui ont dans le monde le titre de pasteur, ne font pas l'oeuvre de Dieu, elle doit cependant se faire sans eux, et même malgré eux, par tous ceux à qui Dieu s'est fait connaître, tant chétifs qu'ils soient aux yeux de la chair ; car vous savez que Dieu se plaît à choisir les choses faibles, viles, méprisées pour confondre les choses fortes, sages et annoncées du monde (I Cor. I : 27) ; vous savez qu'il a mis sa liqueur précieuse dans des vases de terre (II Cor. IV : 7), qu'il a révélé aux petits enfants ce qu'il a caché aux savants (Luc X : 21), et qu'il a tire sa louange de la bouche des petits enfants (Matth. XXI : 16).

Vous voyez comme Dieu a commencé, et comme il fait son oeuvre dans les Vallées du Piémont, par des gens sans lettres et du commun peuple. C'est ainsi que le règne de Dieu s'avance dans beaucoup d'endroits. C'est donc à vous tous, qui avez le bonheur de recevoir la Parole de Dieu, que l'oeuvre de Dieu est confiée ; c'est à vous, qui formez vraiment l'Eglise de Christ et le petit troupeau du Seigneur, c'est à vous, qui êtes les vrais membres du corps de Christ, à avoir soin les uns des autres, à vous édifier, à vous exhorter, à vous encourager les uns les autres selon la Parole de Dieu. Relisez sur ce sujet ce que je dis à la fin de ma méditation sur saint Jacques ; c'est aussi à vous à étendre le règne de Dieu autour de vous, selon qu'il est écrit : si ceux-ci se taisent les pierres même crieront. Au reste, je ne dis pas tout cela par rapport a M. H..... ne pouvant pas encore bien juger de sa manière de parler et d'agir ; mais dans tous les cas, ce que je vous dis là est véritable ; du reste, vous devez toujours agir vis-à-vis de M. H..... avec toute sorte de respect et de charité, évitant de dire du mal de lui sans nécessité, et surtout priant ardemment le Seigneur pour lui, afin qu'il soit rendu participant du Saint-Esprit, de cet esprit de vie, afin qu'il remplisse fidèlement sa charge.

Vous comprenez qu'il n'est pas nécessaire de communiquer cette lettre à ceux qui ne comprennent pas bien les choses de Dieu ; ils pourraient en être scandalisés ; je pense que vous en aurez soin, et que vous en userez prudemment.

Adieu, mon cher ami, et vous tous, frères et soeurs, que le Seigneur vous bénisse et vous garde ; priez pour moi afin que le Seigneur Dieu me donne patience et soumission dans mon épreuve.
Votre bien affectionné frère en Jésus-Christ. "



XI. – À une soeur du Dauphiné.

À VOUS JE PUIS DIRE QUE L'ÉVANGILE EST PAIX ET JOIE. – RETENIR L'ESPÉRANCE JUSQU'À LA FIN. –
J'AI BESOIN DE VOS PRIÈRES ET DE VOS EXHORTATIONS.

Plombières, le 24 septembre 1828.

... Je bénis le Seigneur avec vous des grâces qu'il vous accorde au milieu de votre épreuve ; et je le prie d'affermir de plus en plus votre espérance, en sorte que votre soleil ne se couche plus (Esaïe LX : 20) et, qu'au jour le plus sombre, il y ait encore de la clarté pour votre âme ; que, dans les plus grandes épreuves, vous ne perdiez jamais de vue la certitude des promesses ; que vos pas soient assurés ; et que l'ancre de votre foi soit fixée d'une manière inébranlable au-delà du voile où elle a pénétré.

Sans doute, il est nécessaire que le sentiment et la vue de nos insondables misères nous tiennent abattus et humiliés dans la poussière aux pieds de Jésus ; il nous est même utile, bien souvent, d'être nourris de pain d'affliction, et de manger la Pâque avec des herbes amères ; mais il est bien essentiel aussi de retenir jusqu'à la fin l'espérance qui nous soutenait au commencement (Hébreux III : 14), et d'espérer parfaitement en la grâce qui nous. a été faite (I Pierre I : 10). Et même il nous est bon de savoir nous réjouir en notre Seigneur ; car cette joie est notre force (Néh. VIII : 10) : c'est le vent qui enfle La voile de notre nacelle, et qui nous pousse, au travers des tempêtes de la vie, vers le port désiré du salut. Ayez donc en tout temps bon courage, et ne vous laissez pas ravir, par la jalousie de Satan, les fruits de consolation que le Seigneur a semés sur la route, au milieu de beaucoup d'épines, pour le rafraîchissement de nos âmes.

Je ne parle pas ainsi à tout le monde ; il en est beaucoup, et je suis un des premiers, qui ont besoin qu'on leur répète continuellement : sentez vos misères et pleurez ; mais il en est d'autres qui ont besoin, au contraire, qu'on leur répète les bonnes promesses de l'Évangile, et qu'on leur dise que le royaume de Dieu est justice, paix et joie par le Saint-Esprit (Rom. XIV : 17). Or, je sais que vous êtes de ce nombre, bien-aimée soeur ; et quand vous me diriez cent fois le contraire, je vous connais trop bien pour penser autrement...

Je tâche de prendre un moment la plume pour vous remercier de ma propre main des voeux que vous faites pour moi, surtout pour mon âme ; j'ai bien besoin de vos prières, et même de vos bonnes exhortations, car souvent je trouve long le temps de ma captivité ; j'oublie que j'ai moi-même demandé au Père de me châtier, comme il disait à David, de verges d'hommes (II Sam. VII : 14), c'est-à-dire en mon corps plutôt qu'en mon âme. Cependant je puis dire qu'en ces derniers temps mon âme s'est raffermie, et que je me trouve plus près de mon grand ami, et même de mon seul ami ; car ici il n'y a ni frère ni soeur qui puissent me parler des choses de Dieu ; et quand il y aurait quelqu'un pour m'écouter, je n'aurais pas grande force pour parler. Priez donc, chère soeur, pour que je profite du temps de l'épreuve, et que si je ne peux pas travailler pour les autres, je travaille pour moi, ce que je n'ai encore guère fait...

Je parcours bien souvent en esprit toutes vos vallées ; et je me trouverais bien heureux de pouvoir encore y supporter le froid, la neige et la fatigue, et de coucher dans les étables ou sur le foin, (si mon corps le pouvait supporter), pour prêcher encore la bonne Parole de Dieu. Mais que sa bonne volonté soit faite en toute chose. Amen ! ***



XII. – À Alexandre Vallon.

LA PAIX DANS LES SOUFFRANCES ET DANS LA MORT. –
SATAN VEUT NOUS RENDRE LUGUBRE LA PENSÉE DE LA MORT. –
NOUS APPELONS LA VIE UN DÉSERT... ET LA VUE DU PORT NOUS EFFRAIERAIT

Plombières, septembre 1828.

MON CHER VALLON (6).

Malgré la mauvaise nouvelle qu'on m'a donnée de votre santé, j'espère cependant que la présente vous trouvera encore dans cette vallée de misère. Je ne sais si je pourrai vous édifier, et vous donner quelque consolation ; mais j'ai besoin de vous écrire ; j'ai besoin de vous exprimer combien je suis attristé de votre état de souffrance, et quelle vive part j'y prends. O mon cher Vallon, c'est à présent que je sens combien est grande l'affection que j'ai pour vous ! Depuis le jour où le bon Berger vous amena près de nous à Dormillouse, je me rappelle combien votre société m'était douce et agréable, et combien de moments heureux nous avons passés ensemble ; j'admirais en vous la puissance de la grâce de Dieu, qui vous a retiré d'Egypte à main forte et à bras étendu.. J'aimais en vous les dons précieux que le Seigneur vous avait départis ; le bon sens, le discernement, l'affection, et surtout la sincérité avec laquelle vous aviez quelquefois la fidélité de me faire de justes observations. C'était là surtout ce qui avait gagné mon estime et mon attachement ; car, grâces en soient rendues à Dieu, j'aime véritablement ceux qui me reprennent en véritables frères ; je les aime plus que tous les autres, et je prie Dieu de m'en faire rencontrer partout.

O cher ami, qu'il m'est dur de penser que, s'il m'est permis de revoir vos contrées, je n'y retrouverai plus mon cher Alexandre ! ... mais, frère bien-aimé, permettez-moi de vous le dire, si je suis profondément attristé de votre maladie et de votre délogement, je dois l'être, et je le suis en effet bien plus encore, d'apprendre qu'au milieu de vos maux, vous paraissez manquer de cette confiance, de cette soumission, de cette paix, qui doivent glorifier Dieu dans les souffrances et dans la mort de ses enfants.

Je sais, mon cher ami, combien il est facile de crier du rivage à ceux qui luttent péniblement contre les flots : « Nagez ; ayez bon courage, ne vous laissez pas entraîner ! ... » Je sais combien il est facile, quand on est jeune et en santé, d'exhorter à la patience les affligés et les malades ; mais, mon cher ami, ce n'est point là mon cas ; ce n'est point ma position en regard de vous ; c'est un pauvre malade qui, du fond de son lit, encourage un autre malade ; c'est un malade qui, plus qu'aucun autre, sait combien il est difficile de conserver dans une longue épreuve la patience et la soumission d'un véritable chrétien ; un malade qui peut se mettre à votre place, et qui a toutes sortes de raisons de ne point être sévère dans ses jugements, envers ses compagnons d'infirmité.

Non, mon cher ami, je ne viens point vous reprendre de votre faiblesse, et encore moins me proposer comme modèle ; car je suis pour le moins aussi blâmable que vous ; mais, si je ne puis, à cause de mon peu de foi, montrer, par mon exemple, combien sont riches les consolations de l'Evangile ; combien l'Esprit de Jésus-Christ donne de force, de courage et même de joie à ceux qui le possèdent, et comment il les fait triompher dans tous les combats, en les rendant plus que vainqueurs par Celui qui les a aimés ; si je ne puis, dis-je, montrer en moi les fruits de l'Esprit, je les ai vus chez beaucoup d'autres ; j'ai vu de mes propres yeux des chrétiens, souffrant beaucoup plus que moi, et pendant de longues années, qui puisaient dans le trésor de leur très- sainte foi des consolations toujours nouvelles ; qui bénissaient Dieu de leurs douleurs même, et qui se réjouissaient de participer aux souffrances de Christ. Oui, j'ai vu cela, et je l'ai vu souvent ; et j'en conclus bien naturellement que si, vous et moi, sommes tristes et ennuyés de souffrir, si nous perdons courage, et si, au lieu de bénir Dieu et de nous réjouir, nous sommes tentés de murmurer et de nous plaindre, ce n'est pas la faute de l'Évangile, mais c'est notre faute ; c'est parce que la foi nous manque ; parce que nous avons négligé la prière ; parce que nous avons oublié en quelque sorte la purification de nos péchés passés, c'est-à-dire perdu de vue les premières grâces que nous avons reçues de Dieu, ainsi que les grandes et précieuses promesses qui sont devant nous ; nous avons oublié aussi que c'est par beaucoup d'afflictions qu'il nous faut entrer dans le royaume de Dieu. Nous oublions enfin que notre Chef fut couronné d'épines ; que le Prince de notre salut fut consacré par les souffrances ; et qu'on ne peut le suivre qu'en renonçant à soi-même, et en chargeant sa croix ; et cette croix, ce n'est pas nous qui la choisissons, mais c'est à nous de la recevoir comme Dieu nous l'envoie.

Je ne sais, mon cher ami, si la pensée de la mort. vous est pénible ; mais je sais maintenant par expérience que Satan peut, dans certains moments, nous la rendre bien lugubre ; c'est alors que nous voyons combien nous sommes encore charnels, et combien nous avons peu de foi. Cependant, qu'est-ce pour nous, que cette pauvre vie, que ce misérable monde ? Nous l'avons appelé tant de fois, dans le temps même de notre vigueur, un désert, une vallée de larmes, un enfer ; et maintenant que nos corps affaiblis ne peuvent plus jouir du peu de bien qu'il offre, l'esprit de séduction aurait l'art de nous le faire regretter ! Dans les plus beaux jours de notre pèlerinage, nous avons soupiré après l'heure de l'arrivée ; et, dans les sombres nuits d'une orageuse et pénible navigation, la vue du port nous effraierait ! O cher ami ; chantons, chantons plutôt le cantique de la délivrance : « Courage ! encore un pas, etc... » Vous avez peu de chose, cher ami, qui doive vous attacher ici-bas ; personne, ou à peu près, que vous puissiez regretter selon la. chair ; et si, selon l'Esprit, vous avez quelques frères et soeurs dont la séparation vous soit pénible, n'allez vous pas aux milliers d'anges, a l'assemblée des premiers-nés, à l'Eglise d'En-haut qui vous tend les bras et qui chantera à votre arrivée : « Courage ! Entrez. dans ce palais de gloire ; c'est ici le jour de la félicité ! Entrez, bénis de l'Éternel, entrez dans la joie de votre Seigneur ! » Ne chanterez-vous donc pas dès, à présent, vous-même :

En esprit transporté
Dans la sainte cité,
Je crois entendre
Le cantique nouveau
Que l'on chante à l'agneau,
Et veux l'apprendre.

Ah ! que les veilles de cette triste nuit, qui nous semble si longue, nous paraîtront courtes au matin de l'éternité, quand la brillante aurore du jour des Cieux dissipera, comme un vain songe, le souvenir de nos douleurs, quand l'Agneau nous paîtra, et qu'Il essuiera toute larme de nos yeux ! Courage donc, cher frère ; bientôt Celui qui doit venir viendra.

Rappelons-nous, en attendant, que nul de nous ne doit vivre ni mourir pour soi-même ; et prions Dieu qu'Il nous accorde la grâce de pouvoir dire avec saint Paul : Va ferme attente et mon espérance est que je ne serai confus en rien ; mais qu'en toute assurance, Christ sera maintenant, comme Il l'a toujours été, glorifié en mon corps, soit par la vie, soit par la mort. Et ajoutons avec lui : Christ m'est un gain, à vivre et à mourir.

Il m'a été bien pénible de ne recevoir aucune lettre de vous, depuis mon départ ; mais ce n'est pas le moment de vous en faire le reproche. Seulement, s'il est encore possible, écrivez-moi ; et, si vous ne le pouvez faire vous-même, faites comme moi : dictez votre lettre à quelqu'un qui écrive vos propres paroles comme elles seront. Choisissez pour cela le plus simple de vos frères ou soeurs ; car je veux vos propres paroles, en toute franchise et vérité ; bien ou mal arrangées, elles me seront précieuses ; et puissé-je y trouver l'assurance que votre âme est affermie et consolée en Jésus-Christ !

Adieu, cher ami ! Nous ne franchirons probablement plus ensemble les sommets des Alpes ; mais bientôt, nous nous rencontrerons sur les riantes collines de la céleste Canaan, et cela pour toujours ! Oui certainement..... bientôt pour toujours ! Adieu ***

(Cette lettre arriva trop tard ; le corps de ce cher ami était bien encore dans la maison, nais son âme était au ciel, seulement depuis quelques heures ! Neff lui-même mourut six mois après, en mars 1829).



PENSÉES

C'est Golgotha, c'est le Calvaire,
C'est le jardin des Oliviers,
Qui sont mes maisons de prières
Et mes rendez-vous journaliers.
Dans ce jardin, que vois-je en terre !
Le Fils du Grand Dieu prosterné,
Abattu, triste, consterné !
C'est pour moi qu'il est en prière !
Grand Sacrificateur
Priant pour le pécheur,
Jésus, Jésus, ah ! souviens-toi
D'intercéder pour moi.

Quand on a sacrifié son repos et sa liberté, pendant nombre d'années, pour acquérir les fonds nécessaires à bâtir une maison, qu'on a déjà à grands frais assemblé les matériaux, et que l'édifice s'élève à une certaine hauteur, il est bien dur de s'entendre dire par un homme de l'art, que faute d'avoir posé de bons fondements, tout l'ouvrage est nul, que les vieux fondements ne valent rien, que pas une pierre ne peut servir. C'est là l'histoire de l'homme qui entend l'Évangile pour la première fois. L'idolâtrie chrétienne ou la religion du monde : voilà ce dont l'homme se sert comme de lest, pour voguer plus sûrement, et plus à son aise, sur la mer de la mondanité ; mais, dans le fait, il est aussi païen que les hindous.

Dire, jouer, passer le temps avec les mondains, c'est comme si, sachant qu'un homme est conduit par un séducteur à la perdition, on l'y accompagnait, en chantant pour l'étourdir et le rassurer, se réservant de ne pas aller soi-même jusqu'au précipice. C'est encore boire avec des gens que le vin rend fou, et qu'il fera tomber dans un piège, en prenant en secret un préventif.

Voyez quel malheur ce serait, si beaucoup de gens expliquaient la Bible au lieu de jouer, de boire, Plusieurs chrétiens craignent de manifester l'Évangile au monde, ont-ils peur qu'il fasse du mal ? On dirait qu'ils manient du poison.

Il est des chrétiens qui voudraient que l'oeuvre de Dieu se fit à l'insu du Diable.

Les assemblées religieuses sont souvent le seul moyen de réveiller des âmes dans un lieu, et toujours elles sont le résultat de ce réveil. Donc, si l'on veut un réveil, il faut vouloir les assemblées, car qui veut la fin vent les moyens, qui veut les moyens veut la fin.

II Timothée II, 18. Hyménée et Philète se sont détournés de la vérité, disant que la résurrection est déjà arrivée, renversant la foi de quelques-uns. Ils entendaient, probablement, au spirituel, tout ce qui est dit de la résurrection. Cette manie de faire sans cesse disparaître le sens littéral est celle de nos mystiques (7), ils donnent par là dans d'étranges erreurs et échappent à tous les arguments les plus positifs tires de l'Écriture.

Il Timothée II, 22. Recherche la paix avec tous ceux qui invoquent le Seigneur d'un coeur pur. L'apôtre n'exige pas qu'on ait la paix à tout prix avec le monde ou les hérétiques manifestes, elle est même dangereuse alors, mais avec tous les chrétiens, sans disputer sur des mots.

Ce qu'ont fait les ministres de Genève avec les incrédules, en cachant une partie des doctrines revient à ceci : La mer était agitée par la tempête, la chaloupe faisait eau de toute part, le Seigneur paraissait dormir ; ils n'ont pas même eu la petite foi de crier ; ils ont mieux aimé, dans leur détresse, jeter la cargaison à l'eau et même les agrès du bateau ; cependant un mot du Seigneur réveillé par leurs prières eût sauvé le tout.

La vraie foi consiste à recevoir tout ce que l'Évangile enseigne, et non à s'attacher à une vérité, ou à un certain nombre de vérités, ou seulement à des vérités.

Aller à Christ, a-t-on dit souvent, c'est croire en lui. Sans doute qu'on ne peut aller à Christ sans croire en lui, et que ces deux choses doivent aller ensemble ; mais ne pourrait-on pas, jusqu'à un certain point, croire sans aller ? et n'est-ce pas là justement la foi morte et stérile de tant de prétendus chrétiens ? Croire n'est pas s'approcher, croire n'est pas allez. Ces expressions indiquent un mouvement ; c'est le mouvement d'une âme travaillée et chargée qui, poursuivie par la frayeur du jugement, et « fuyant la colère à venir », vient chercher un refuge dans le sein de Jésus.

La joie du salut n'est point nécessairement inséparable de la foi ; c'est une effusion de l'Esprit de Dieu dont il faut savoir supporter la privation, quand ce même Esprit juge a propos de nous conduire par une autre voie... comme tous ne sont pas appelés à beaucoup d'afflictions pour la profession de la vérité, qu'en outre plusieurs ont le malheureux talent de les éviter, et que cependant c'est un principe de la Bible que les souffrances sont nécessaires pour l'accomplissement de l'oeuvre de Dieu en nous, ne faudra-t-il pas que les épreuves intérieures et spirituelles suppléent aux temporelles, si même elles ne les accompagnent pas ?

FIN

Table des matières

1. Lettre publiée dans Foi et Vie, 16 dec. 1902 (déposée a la Société de l'histoire du protestantisme français).
2. La destinataire de cette lettre était alors placée chez le pasteur Cadozet, à Meas.
3. Lettre publiée dans Foi et Vie, 16 décembre 1902 (déposée à la Société de l'histoire du protestantisme français).
4. Lettre publiée par Le Libérateur, août 1876.
5. Félix Neff, biographie extraite de ses lettres, p. 125, 156.
6. Ce Vallon fut un des plus beaux fruits de l'oeuvre de Neff. Ivrogne, batailleur, il avait été emprisonné pour tentative de meurtre. Après sa conversion, il fit de tels progrès que Neff le prit comme instituteur à Dormillouse, puis le plaça à la tête de l’oeuvre de Dieu en Champsaur.
7. Qu'entendait Neff par « nos mystiques » ? Il pouvait faire allusion au groupe de Genevois qui avaient subi l'influence de Mme de Krudener. Il est plus probable cependant qu'il visait des « spiritualistes », hommes d'une vie religieuse incontestable, mais pour lesquels la foi devait être indépendante des croyances, et qui s'efforçaient de donner aux miracles bibliques un sens purement symbolique. La thèse que Neff avait à combattre a été de plus en plus soutenue depuis lors, jusqu'a être devenue aujourd'hui la base de l'enseignement théologique de certaines Facultés.

 

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