Lettres de Direction spirituelle
inédites
À quelques
pasteurs et étudiants en
théologie.
I. – A un ami.
COMMENT PRÉSENTER L'ÉVANGILE.
– LA VIE CHRÉTIENNE. – VIE
CONTEMPLATIVE ET VIE ACTIVE. – LE
CRITÈRE POUR JUGER LES OUVRAGES DES HOMMES.
Neuchâtel, 29
janvier 1820.
CHER FRÈRE EN JÉSUS-CHRIST
Tu m'avertis charitablement quand tu me crois dans
un mauvais chemin, mais, tout en reconnaissant ta
bonne intention, je considère ton avis comme
superflu. Je sais bien, et le Seigneur le sait
aussi, que ce n'est pas pour sauver la vie du vieil
homme que je mets de côté les oeuvres
de Mme Guyon (1),
mais parce que je n'y trouve pas
l'évangile présenté dans sa
simplicité primitive ; cela peut
être la nourriture des Chérubins, mais
à nous, méprisables transgresseurs,
il nous faut le sang du Christ, il nous faut un
Sauveur que nous puissions appelez
« Jésus de Nazareth »,
« le Charpentier » ; ce
nom de « Dieu tout pur » que
vous employez sans cesse est trop grand pour
nous.
Vous distillez l'Évangile en quelque jargon
pour n'en prendre et n'en présenter que la
quintessence ; nous, nous prenons la
vérité telle que Dieu nous l'a
donnée. C'est cette Parole à la main
que je juge les ouvrages des hommes, et c'est pour
que l'on s'en. tienne à cette Parole et aux
ouvrages calqués sur elle, que je ne
conseille pas ceux qui m'en paraissent
s'éloigner en quelque sens que ce soit
(2).
Autrefois, alors que l'Eglise du Seigneur
était composée d'âmes
ignorées – comme les sept mille d'Elie
– et où rien, au dehors, ne contribuait
à rendre visible et éclatant le
témoignage de la Croix, il. est possible que
cette vie contemplative et cette concentration
intérieure fût le refuge et l'asile de
la foi ; mais actuellement que l'oeuvre de
Dieu se fait ouvertement, et où tout semble
concourir à un réveil extraordinaire,
je crois que la vie active
est nécessaire, et que ce qu'il faut
présenter aux hommes, c'est la
malédiction de la loi, pour les
convaincre de péché, et le sang de
la croix de Christ, comme seul refuge contre la
colère à venir. Il faut aussi que
tous ceux qui ont éprouvé la
puissance efficace de ce sang, travaillent à
en étendre, de tout leur pouvoir, la
connaissance parmi les hommes, remettant à
l'Esprit Saint le soin d'ouvrir les coeurs et d'y
faire germer la divine semence. Se crois que tout
autre ouvrage est inutile, que c'est bâtir en
l'air : il faut avant tout poser solidement le
fondement qui est Christ. Pour trouver ce roc, il
faut creuser bien profondément dans
l'abîme de notre méchanceté.
Voilà de la besogne taillée pour les
prédicateurs de l'Évangile ;
inutile de la prendre dans les nuages de la
contemplation. Du reste, à Dieu ne plaise
que je méprise ce qu'il peut y avoir de bon
dans ces livres, j'en ai parfois tiré du
profit pour mon âme, et parfois je me sers
pour l'édification des âmes de ce que
j'y ai puisé. Si ce que ces ouvrages disent
est la vérité, on doit y parvenir par
la prière et la lecture de la Bible, et
quand même je ne crois pas à
l'apostolat de Mme Guyon, j'espère arriver
par Christ et sa Parole à la place qu'il m'a
lui-même préparée et
acquise.
Je n'ai qu'un maître qui est Christ, et je
compte pour rien les paroles des hommes qui ne
parlent pas l'Évangile à la main.
« À la loi et au
témoignage » : voilà
ma proclamation ! « Christ et Christ
crucifié » : voilà ma
prédication !...
(la suite manque)
Il. – À Marc Fivaz, Suffragant à
Orbe (Vaud)
(3)
L'OEUVRE DE DIEU NE PEUT PROSPÉRER SI ON
Y ASSOCIE DES NON CHRÉTIENS. – LE
NOMBRE : N'EST PAS UNE FORCE. – LES
INSTITUTIONS AUXQUELLES LA CONSCIENCE DU
CHRÉTIEN N EST POINT LIÉE. –
TRAVAILLONS À ÉDIFIER LA
VÉRITABLE ÉGLISE.
Genève, 6 mai
1821.
CHER FRÈRE EN JÉSUS-CHRIST,
J'ai appris par M. Duplessis, de Nyon, que nous
avons eu le plaisir de voir ici dimanche, que
l'affaire des Missions a trouvé une
vigoureuse opposition, et que probablement elle
restera « au crochet »
jusqu'à nouvel ordre. Je dois vous dire que
je n'en ai été ni fort
étonné, ni fort affligé.
D'abord, il était facile de présumer
qu'une oeuvre à laquelle on avait voulu
donner un éclat mondain, en y invitant tant
de gens qui, vu leur état de mort, ne
pouvaient qu'y apportez un esprit peu
chrétien, qu'une oeuvre qu'on avait cru
devoir appuyer sur l'homme, ne devait pas
être bénie d'en haut, et, par
conséquent, devait rester exposée
à toutes les attaques de l'ennemi. Vous
savez d'ailleurs de quel oeil je considérais
cette marche avant que le résultat fût
évident ! Malheur à L'homme
qui se confie en l'homme et qui fait de la chair
son bras ; on a bien de la peine à
comprendre que l'Éternel se plaise à
confondre les choses fortes et honorables, celles
qui sont, non par des choses plus fortes, mais par
des plus faibles, plus méprisables,
même qui ne sont point !
Il n'eût guère semblé
raisonnable à nos spéculateurs de
la foi, s'ils eussent été
à la place de Gédéon, de
renvoyer presque toute l'armée pour vaincre
plus sûrement. Ce peuple est en trop grand
nombre pour que je lui livre Madian. (Juges
VII : 2). Comment le grand nombre qui fait la
force peut-il être nuisible ? Pour venir
à ses fins, l'Éternel doit employer
les moyens qu'il a lui-même
créés. De même, ils auraient
trouvé bien insensé le conseil du
prophète qui déclara à
Amatsia, que s'il persistait à marcher
contre l'ennemi avec les cent mille auxiliaires des
dix tribus qu'il avait à sa solde, il serait
certainement vaincu (II Chroniques XXV : 6-8).
Et, quelque absurde que cela paraisse à
notre incrédulité,
l'expérience a prouvé que telle est
la volonté de Dieu : il veut qu'on
s'appuie sur lui et non sur des secours
étrangers.
Le chrétien ne doit donc pas être
surpris quand, pour ne s'être pas
appuyé sur l'Éternel, il est
désappointé. D'autre part, je garde
l'espérance que cet événement
sera une bonne leçon pour ceux qui ne savent
pas encore discerner la vraie foi, et qui croient
qu'il ne faut qu'être prudent et charitable
pour se concilier l'estime et avoir l'approbation
de tous les hommes religieux ; on voit
maintenant, d'une façon claire, ce qu'est
cette inimitié du monde contre Dieu et son
règne ; on apprend à ne pas
juger si favorablement des hommes et à
comprendre ce qu'en disent les
chrétiens ; on voit maintenant ce
qu'est cette vaine science de théologie,
même la plus orthodoxe, dont notre
canton se glorifie tant. : elle est comme le
Saint-Sépulcre, le corps du Christ y a bien
été, mais maintenant je l'y cherche
en vain, et. je suis obligé de dire comme
Marie : On a enlevé, mon Seigneur et
je ne sais ou on l'a mis. Et si même le
corps du Christ y est, il n'y a que son
corps ; son esprit n'y est point. Que les
serviteurs de Jésus, ne se scandalisent pas
de cette opposition à l'oeuvre de Dieu, et
qu'ils se disent bien que, quelque apparence de vie
qu'aient ceux de qui elle paraît
procéder, ils n'ont pas la lumière de
l'Évangile.
Cette lumière nous montre l'oeuvre de Dieu
se glissant dans la boue de ce monde, sans
apparence, sans honneur, foulée aux
pieds ; ces hommes n'ont probablement jamais
su ce que c'est d'être petit, humble,
méprisé, rejeté des hommes,
regardé comme la balayure du monde ;
ils ont toujours considéré. Christ
comme devant régner ici-bas avec un sceptre
de fer, assujettissant les rois et les peuples
à la piété ; ils ont
voulu faire l'oeuvre de Dieu en grand,
méthodiquement, d'une manière
humainement légale ; ils ont cru. que
le Christ qu'ils attendaient en esprit serait un
roi de gloire, qu'il prendrait ses serviteurs dans
la famille d'Aaron, qu'il ferait adorer le
Père à Jérusalem, dans le
temple fait de mains d'hommes, enrichi. par
Hérode ; et maintenant qu'ils voient
qu'il n'en est pas ainsi, ils s'opposent à
lui, mais là encore le Diable s'est
marché sur la queue ; la
vérité y gagnera, on verra que de
tout temps l'Evangile a été une chose
méconnue, haïe, détestée,
que de tout temps les vrais serviteurs de Dieu ont
été séparés du monde,
qu'on les a qualifiés de sectaires, qu'on
leur a attribué mille mauvais desseins, et
que la multitude si divisée sur d'autres
choses s'est toujours admirablement accordée
pour s'opposer à eux, que par
conséquent ils ne doivent pas s'attendre
à être secondés,
approuvés, qu'ils doivent agir uniquement
par droit divin, sans en appeler au droit humain,
que jamais ils ne doivent se scandaliser quoi qu'on
dise d'eux, quoi qu'on leur fasse. Jésus
nous a prévenus. Enfin ils doivent renoncer
absolument à tout, et n'ambitionner que
d'être associés à la
pauvreté, à la croix de leur
maître.
Oh ! combien les préjugés dont
on est imbu dès l'enfance, et qui sont
généralement reçus, ont de la
peine à tomber ! On ne peut se
persuader que le règne de
Jésus-Christ n'est pas de ce monde ;
que tous les clergés réguliers,
salariés par les gouvernements, toutes ces
églises à la tête desquelles se
placent les grands de la terre, toutes ces
académies où l'on enseigne à
ergoter impertinemment sur tout ce qu'il y a de
plus sacré, toutes ces paroisses et ces
temples, ces troupeaux et ces pasteurs ne sont que
des choses du monde, des institutions purement
humaines, auxquelles la conscience du
chrétien ne doit pas être plus
liée qu'à toutes les maximes et tous
les usages que la vanité des hommes a
consacrés. Le peuple de Dieu doit être
un peuple de franche volonté ; donc
toutes ces formes religieuses, où l'on
encadre, avec plus ou moins de contrainte, mondains
et chrétiens, ne constituent pas le peuple
de Dieu.
Là-dessus, les Réformateurs n'ont pas
vu plus clair que beaucoup d'autres : ils ont
trop cherché à mettre l'Eglise sous
la tutelle du pouvoir humain ; de là
l'aigreur, le feu trop judaïque qui anime
souvent leurs écrits, de même que les
révolutions civiles qu'ils ont
occasionnées et le sang qu'ils ont fait
répandre. Dieu a permis ces
imperfections ; il avait ses vues, et il ne
nous appartient pas de détruire cet
édifice, son église, d'en
sortir ; seulement qu'on ne s'y laisse point
lier ni de coeur ni d'action, et qu'usant de la
glorieuse liberté des enfants de Dieu,
on travaille, dans son sein, à
édifier la vraie Église du
Sauveur.
Bien que je m'exprime ici avec clarté, je ne
crains point que vous le preniez en mal, car vous
connaissez assez le sens spirituel de
l'Évangile, pour ne pas mal
interpréter mes expressions ; mais je
ne parlerais pas ainsi à tout le monde...
Nous avons des frères très bien
intentionnés et capables de faire beaucoup
de choses pour le Seigneur, qui ne comprendraient
pas ce langage, et qu'il faut se garder de
scandaliser...
Pour ce qui vous concerne particulièrement,
je suppose que votre mariage aura lieu
bientôt : c'est bien ici que vous devez
redoubler de vigilance ; priez le Seigneur
qu'il vous garde de la tentation d'entrer en
rapport avec les choses du monde, et souvenez-vous
qu'entre les péchés innocents
dont s'excusaient les indifférents ne
répondant pas à l'invitation du roi,
il y avait le mariage. Gardez-vous de
négliger, à cette occasion, soit la
prière, soit vos fonctions, non seulement
pastorales, mais évangéliques, en
disant : « je les reprendrai
bientôt ». Que vos propres noces ne
vous fassent pas oublier celles de
l'Épouse, que vous attendez. Que
votre lampe ne manque point d'huile, et qu'elle ne
cesse pas de répandre une lumière de
vie. Nul qui va è la guerre ne
s'embarrasse des choses de la vie, s'il veut plaire
à celui qui l'a enrôlé. Que
cette parole retentisse à nos oreilles. Que
nous ayons sans cesse présent le travail que
le Seigneur nous a donné, que l'accomplir
soit notre nourriture ; en cela nous imiterons
notre Maître. Prions Celui qui accomplit
toutes choses en tous de nous rendre de plus en
plus fidèles ; demandons-lui la
patience, la persévérance, afin de ne
point nous décourager au moindre obstacle,
car la terre que nous cultivons est ingrate, c'est
une matière inerte. Quoique nous devions
désirer avec ardeur que le règne de
Dieu avance rapidement, n'attendons cependant pas
grand chose, et réjouissons-nous si, au bout
de plusieurs années de travaux
évangéliques, nous voyons quelques
âmes attachées solidement à
leur Sauveur.
J'ai vu, en venant d'Orbe, plusieurs
frères ; il semble qu'une respiration
de vie commence à en animer plusieurs ;
mais l'ennemi ne dort pas, il ne se contentera pas
d'une seule attaque ; tenez-vous sur vos
gardes, communiquez autant que possible les uns
avec les autres, surtout par lettres ; ne vous
entravez pas en vous associant des morts ;
méfiez-vous de tous ces conseils de
prudence, de modération, de soi-disant
charité, dictes par la pusillanimité
ou la sagesse humaine. Que l'Évangile soit
le seul guide auquel vous ajouterez foi ; et
si l'on veut y ajouter autre chose, que l'on
considère comment l'oeuvre de Dieu s'est
faite, là où elle a existé ou
existe d'une façon vivante,
évidente, et non à la manière
des philanthropes qui regardent aux choses
visibles.
Adieu, cher frère, donnez-moi de vos
nouvelles si vous ne venez pas incessamment. Saluez
affectueusement madame votre mère.
La grâce du Seigneur, sa lumière et sa
paix soient avec vous
(4).
III. – À. P. Baulme, J. Clavel, F.
Martin-Dupont (5)
S'INSTRUIRE, FAIRE DES CONNAISSANCES UTILES. LA
QUESTION D' ÉGLISE.
Arvieux, le 81 mai
1825.
... Mes chers amis, vous voilà donc
à Paris ; c'est bien la vraie foire
de la vanité 2. Je n'ai
pas besoin de vous dire de prendre garde et de
passer comme Chrétien et
fidèle, en détournant les
i~eux et en vous bouchant les
oreilles ; car tout ce bruit, loin de vous
distraire, doit vous affliger, en pensant au
malheur de tant de milliers d'âmes qui
semblent se précipiter à l'envie dans
les pièges de Satan.
Vous vous affligez avec raison de ne pouvoir rien
faire pour le règne de Dieu ; mais
priez pour qu'il vous ouvre quelque porte. Gobat
3 avait bien
trouvé le moyen
de travailler pour cette oeuvre, et ce serait fort
étrange qu'au milieu de tant de gens on ne
trouvât personne à qui parler. Ayez
patience et cela viendra.
Du reste occupez-vous de vos études ;
apprenez le plus de choses que vous pourrez. Paris
est le pays de la science, et bien qu'elle ne soit
pas l'essentiel, elle est toujours utile.
D'ailleurs, il faut varier l'étude pour se
fatiguer moins l'esprit. Une chose très
utile à savoir et très longue
à apprendre, c'est l'histoire, surtout ce
qui tient à l'histoire ecclésiastique
ancienne et moderne. Ne négligez rien pour
acquérir cette connaissance. Tâchez
d'apprendre aussi un peu d'histoire naturelle et de
prendre quelques teintures de physique et de
mathématiques. Tout cela élargit les
vues, forme le jugement et vous rend capables de
comprendre tout ce qu'on lit ou ce qu'On entend
dire aux gens instruits. Il y a à Paris des
cours publics sur toute sorte de sciences. Si vous
pouvez y être admis, ne les négligez
pas, surtout ne soyez pas timides mal à
propos ; saisissez toutes les occasions de
faire des connaissances avec les personnes
éclairées. Il ne faut jamais que
l'ambition nous guide ; mais quand notre but
unique est d’étendre notre
sphère d'activité dans l'oeuvre de
Dieu, il nous est permis de mettre à profit
tous les moyens honnêtes et légitimes.
Prétendre que le Seigneur nous aide sans
employer ces intermédiaires, c'est tenter
Dieu... Parlez peu de vous, surtout pour vous
plaindre, mais encouragez, fortifiez, exhortez. Il
faut s'accoutumer à ne conter ses
misères qu'au Sauveur, quand on est
appelé à porter celles des autres. Un
évangéliste doit apprendre à
exister, comme s'il était destiné
à ne voir jamais que des âmes plus
faibles que lui.
Quant à la séparation, au
baptême, etc., rappelez-vous que la
première nécessité pour
accomplir l'oeuvre de Dieu est de tenir le chemin
libre à sa parole, et que tout ce qui peut
faire naître des obstacles doit être
rejeté sans autre examen, si on peut
être sauvé sans cela. Il me suffit que
les âmes viennent à
Jésus-Christ, et trouvent en lui la paix et
la sanctification. Se peux en conclure que la
doctrine qui produit ces fruits est bonne et
suffisante. Voyez les missionnaires de
Sierra-Leone : ils sont anglicans ;
cependant, de toutes les missions, la leur est la
plus florissante, leurs colonies sont
déjà de petits paradis
terrestres ; Dieu bénit donc leurs
travaux, quand même ils ne soient pas dans ce
que les séparatistes appellent la
volonté du Seigneur, comme si le Seigneur ne
voulait autre chose de nous que l'observation de
certaines règles de discipline. Cependant,
c'est avec ces apôtres de l'Afrique que nos
séparatistes et les baptistes ne voudraient
pas prendre la Cène ! Cela offre
quelque chose de si révoltant, qu'il n'en
faudrait pas davantage pour faire haïr de tels
systèmes (5b)
.
Plaignez ceux qui sont enlacés par ces liens
subtils du rusé serpent, et regardez comme
un grand trésor cette précieuse
liberté dont vous jouissez. Dites comme
saint Paul : Je ne me rendrai esclave de
rien ; conservez la faculté de vous
faire tout à tous ; ne mettez pas votre
conscience à la gêne comme les Galates
et les Colossiens. Il existe un certain esprit qui
s'attache à la lettre, aux observations
légales, et on appelle tout cela être
fidèle et faire la volonté du
Seigneur ! Moi, j'appelle tout cela se
mettre sous la loi et s'assujettir mal à
propos pour donner du scandale aux Juifs, aux Grecs
et à l'Eglise de Dieu ; c'est
être enfant d'Agar et non de Sara.
D'ailleurs, on finit par mettre plus d'importance
à ces riens qu'à l'Évangile
même ; et au lieu de retirer quelques
tisons du feu, on croit bien servir Dieu en
troublant ceux qui lui appartiennent
déjà. On coule le moucheron et on
avale le chameau ; on se glorifie de porter la
croix de Christ et on ne porte que la sienne...
Ayons des vues plus élevées ;
repoussons cette gaine qui va toujours en se
rétrécissant, où l'on se serre
chaque jour davantage et où l'oh n'est
jamais assez esclave
(6).
IV. – A P. Baulme, 3. Clavel, F.
Martin-Dupont, J.-L. Rostan
(7).
LES ÉTUDES THÉOLOGIQUES. –
UN PROGRAMME DE VIE D'ÉTUDIANT. –
EXERCER DÉJÀ LE MINISTÈRE A LA
FACULTÉ.
... Je n'ai pas besoin de vous dire, mes chers
amis, combien je suis réjoui de vos
succès. Vous voilà. donc en
théologie ; et, dans peu de temps, vous
pourrez commencer à prêcher en
qualité de proposant. Cependant, mes chers
amis, dans mes actions de grâce à
notre bon Dieu, je crois devoir le suppliez de vous
préserver de l'orgueil ; je le prie
surtout de vous garder au milieu des nombreuses
tentations qui vous entourent.
Rappelez-vous que la plupart des choses qu'on vous
enseignera sont d'une faible utilité dans
l'oeuvre de Dieu, et qu'il en est même qui
sont plus propres à enfler le coeur
et à détruire la simplicité de
la foi qu'à édifier. Il est à
désirer que vous puissiez vous occuper de
ces choses, comme un chimiste manie des poisons.
Malheur à vous si vous y mettez votre
coeur !
Votre position est d'autant plus dangereuse, que
c'est d'une ignorance absolue que vous êtes
immédiatement passés à la
lumière de l'Évangile, et que les
fausses lueurs dont on frappe vos yeux, peuvent
avoir pour vous le charme de la
nouveauté ; tandis qu'au contraire,
ceux qui n'ont trouvé le repos aux pieds de
Jésus qu'après avoir longtemps
erré dans ces déserts arides et sans
eau, ne peuvent plus être
égarés par des guides trompeurs.
Épargnez-vous cette triste
expérience ; ne tentez pas le Seigneur,
en vous plongeant avec
témérité dans ces sables
mouvants, dans cet obscur labyrinthe où son
Esprit ne s'engage point à vous suivre et
à vous garder. Ne soyez point
présomptueux ; ne pensez pas qu'on.
puisse essayer de tout impunément. Il en est
de l'esprit comme du coeur : dès qu'il
cesse de craindre, il est bien près
d'aimer ; dès qu'il cesse de combattre
ou de fuir, il est tout près d'être
asservi.
Rappelez-vous ces temps heureux où vous
reçûtes l'Évangile en
simplicité de coeur ; que pourriez-vous
désirer de plus ? Transportez-vous dans
votre chère patrie, dans les
chaumières des Hautes-Alpes, au milieu de
nos frères et de nos soeurs qui ne savent
que Jésus-Christ et Jésus-Christ
crucifié, qui ne lisent que la Bible et
quelques ouvrages dictés par
l'expérience du coeur. Que leur manque-t-il,
et que pourraient-ils gagner dans la compagnie des
sages et des dissertateurs de ce siècle,
dont, peut-être, vous enviez le
prétendu savoir ?... Ne
répondriez-vous pas par un sourire de
pitié à ceux qui vous demanderaient
si les docteurs rationalistes que vous connaissez,
pourraient tous ensemble amener une seule âme
à la vie éternelle, et porter, dans
l'oeuvre de Dieu, le fruit que portent un
Aimé du Loix ou une Marie Carron ?
Je ne suis pas ignorantin, vous le savez ; et,
en fait de sciences positives, bien qu'il ne faille
pas y attacher trop de prix, mon avis est qu'on
n'en saurait trop acquérir. Soyez donc
savants dans les langues ; apprenez les
mathématiques, l'histoire, les sciences
naturelles, autant que vous le pourrez, et faites
servir ces connaissances au règne de Dieu.
Mais, en fait de métaphysique, et surtout de
théologie proprement dite, vous avez bien
peu à recevoir de vos semblables ; ce
sont des choses que l'oeil n'a point vues, que
l'oreille n'a point entendues, et qui ne sont
jamais montées au coeur de l'homme, mais que
l'Éternel a réservées à
ceux qu'il aime ; et comme nul ne sait ce qui
est dans l'homme, sinon son propre esprit, de
même nul ne connaît ce qui est de Dieu,
sinon l'Esprit de Dieu.
C'est donc à cet Esprit seul qu'il
appartient de nous les faire connaître ;
aussi, nous. n'avons pas reçu l'esprit de ce
monde, mais l'esprit qui vient de Dieu, afin que
nous connaissions les choses qui nous ont
été données de Dieu,
lesquelles, ajoute l'Apôtre, nous
annonçons, non avec les discours qu'enseigne
la sagesse humaine, mais avec ceux qu'enseigne le
Saint-Esprit.
N'employez donc que le moins de temps possible
à ce qui ne rassasie point ;
n'apprenez, en fait de théologie ainsi
nommée et de toute science humaine relative
aux choses spirituelles, que tout juste ce qui vous
sera nécessaire pour subir vos examens. Ne
permettez jamais qu'on vous fasse sortir sur ce
sujet du champ des Escritures, et récusez
constamment tout autre témoignage ;
combattez avec charité et modestie, mais en
même temps avec franchise, les principes
erronés que l'on pourrait vous proposer.
Ne formez de liaison, avec les étudiants,
que pour votre édification ou pour la
leur ; que la conscience et le coeur aient
toujours part dans vos conversations ; car
l'esprit, quand on l'attaque seul, glisse et
s'échappe comme un serpent.
Rappelez-vous que vous n'êtes pas. à
Montauban seulement pour vous préparer au
ministère, mais, en quelque sorte, pour l'y
exercer déjà. Si vous vous êtes
vraiment des disciples de Christ, ayez de l'huile
dans vos lampes, ayez du sel en vous-mêmes.
Tenez-vous près de Jésus, la source
de toute lumière. Demeurez attachés
au cep ; car, hors de lui, quoi qu'en pense le
monde, vous ne pouvez rien faire. Aimez-vous les
uns les autres. Édifiez-vous
mutuellement ; écartez les questions
oiseuses ; priez ensemble, et serrez les rangs
comme un peloton de fantassins pressé par la
cavalerie. Je vous le répète,
n'employez pas votre temps à des choses
vaines". *** (8).
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