Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



FÉLIX NEFF PORTEUR DE FEU



CHAPITRE IX

LA GLACE FOND

Neff a passé trois semaines au Queyras qu'il quitte « le coeur serré ». L'âme en souci, il arpente le sentier qui se faufile au creux de la gorge ténébreuse du Guil, vivante image de l'enfer. Comme il arrive à Freissinières. François Berthalon, le « sévère » Berthalon, quitte le champ où il besogne et s'approche, « l'air riant », de l'éternel voyageur.
- Bienvenue ! Vous êtes ardemment désiré. Je crois que, cette fois, le Seigneur a bien travaillé !
Certes !

Que s'est-il passé ?
« Tous les visages semblaient changés... Vives démonstrations de joie auxquelles succédaient des larmes... Je devais m'arrêter partout... Il me fallut trois jours pour arriver à Dormillouse, le Jeudi Saint (1825). »

Les catéchumènes étaient descendus jusqu'à la cascade, à la rencontre de leur pasteur. Le soir même, réunion jusqu'à onze heures, mais les jeunes hommes restèrent longtemps après. « Étant sorti pour prendre l'air, j'entendais dans une maison voisine des pleurs et des lamentations, comme pour un mort ; je m'approchai et reconnus que c'étaient les jeunes filles réunies chez Suzanne qui, touchées par sa parole pleine de vie, pleuraient leur trop longue indifférence... Scène touchante, paroles plaintives, entrecoupées, auxquelles les expressions et la prosodie du Patois donnaient une âme dont le français n'est pas susceptible... je me retirai sans bruit et allai rejoindre les jeunes gens, pas moins attendris. »

Le lendemain, 31 mars, jour du Vendredi-Saint, Neff descend à la Combe (les Viollins). « La plus profonde tristesse était encore peinte sur les visages. » À dix heures, le temple est rempli par les gens accourus de toute la vallée. Au nombre de cent, les catéchumènes sont assis au pied de la chaire. « Je leur adressai un discours sur : Comme des enfants nouvellement nés... Le Seigneur m'assista puissamment. L'assemblée fondait en larmes. Beaucoup de jeunes gens, surtout des filles, étaient à genoux. Quand il fallut réciter le voeu du baptême, je n'en trouvai aucun qui put aller jusqu'au bout ; les sanglots étouffaient les voix. Je fus obligé de réciter pour eux. Puis, élevant les mains pendant que tous étaient prosternés, j'invoquai sur eux la bénédiction du Père, du Fils, du Saint-Esprit. Après le service, la plupart restèrent à genoux sans paraître s'apercevoir que c'était fini. »

À deux heures, on se retrouve pour le service de la Passion selon le rite morave. « L'émotion fut encore plus grande que le matin ; peu de personnes pouvaient chanter ; deux de nos chantres, surtout, ne firent que verser des larmes. » Et le soir, aux Mensals, « réunion nombreuse et familière, jusqu'à minuit ». On se rassemble encore le lendemain matin, 1er avril, le soir à Pallons où l'on s'entretient jusqu'à deux heures de la nuit. Pâques ! la communion prise par des centaines de fidèles (on peut les nommer ainsi maintenant). Assemblée compacte, encore, l'après-midi, le soir, le lendemain, et par trois fois à Dormillouse !

Ici, il convient de citer, et longuement :
« Ainsi se passa cette semaine vraiment sainte pour cette vallée. On ne l'y avait jamais célébrée. Cette fois, c'était tout à fait fête ; la jeunesse, surtout, semblait animée d'un même esprit, et une flamme vivifiante se communiquait de l'un à l'autre, comme l'étincelle électrique. Pendant ces huit jours je n'ai pas eu, en tout, trente heures de repos ; on ne connaissait plus ni jour, ni nuit. Avant, après, entre les services publics, on voyait les gens réunis en divers groupes autour des blocs de granit dont le pays est couvert, s'édifiant les uns les autres. Ici on lisait le Miel découlant du rocher ; là, le Voyage du Chrétien ; plus loin, Suzanne Baridon parlait de l'amour du Sauveur tandis que le sévère François Berthalon représentait aux jeunes hommes l'horreur du péché et la nécessité de la repentance. Dans ces petites réunions, les larmes coulaient comme au temple et on y observait le même recueillement... Frappé, étonné de ce réveil subit, j'avais peine à me reconnaître. Les rochers, les cascades, les glaces même, tout me semblait animé et m'offrait un aspect moins sévère. Ce pays sauvage me devenait agréable et cher, dès qu'il était la demeure de mes frères... N'oublions pas toutefois qu'il y a plus de fleurs au printemps que de fruits en automne et qu'au moment d'un réveil, bien des âmes, entraînées par le mouvement général, paraissent animées sans l'être effectivement, comme un caillou au milieu d'un brasier serait pris pour un charbon vif... Quoiqu'il en soit, c'est ici une oeuvre de l'Éternel !... Faisons comme les sentinelles qui veillent sur les murs d'une forteresse ; crions-nous, les uns et les autres : « Sentinelles, prenez garde à vous ! »

On peut se demander comment, si souvent absent pendant des semaines, Neff put atteindre jusqu'aux racines de ces âmes si longtemps tièdes. C'est que, en vrai chef, il savait se faire aider. Partout, dans chaque village de chaque vallée, il avait désigné, pour approfondir son travail, ceux et celles dont il était sûr, chargés de visiter, d'exhorter à la vigilance. Suzanne Baridon était, à Freissinières, une de ces « monitrices ». Ses lettres la montrent enjouée, d'une vive intelligence « toujours prête à courir sur le rempart de la foi ». À l'heure ou Neff récolte les fruits de son écrasant labeur, son nom ne doit pas être oublié.


TORPEUR DE MIDI

Dans le même temps, pour que chacun possède une Bible à son foyer, un volume de sermons - Nardin - à méditer aux heures où l'on garde les troupeaux, l'infatigable fonde une Société biblique. Il en coûte quelque argent et l'on n'en a guère. Mais l'un s'embauche comme ouvrier aux ardoisières, un autre comme berger des moutons de Provence. Comment acquérir dans cette famille des Mensals, non pas un, car on a bon appétit, mais deux exemplaires de Nardin ?
- Quoi, dit un des fils Besson, ne voulions-nous pas acheter un jeune porc ?
- À la place, répond une soeur, ne pouvons-nous pas engraisser un bouc ?

Tous :
- Oui, oui, les sermons, les sermons ! Point de cochon. Nous ferons la soupe tout de même.

Alors le père, gravement :
- Soit, je le veux bien aussi.

Après ces huit jours qui virent la résurrection de Freissinières, Neff passe le col d'Orcières, appelé par ses cinquante catéchumènes du Champsaur. L'activité du « juif errant » comme on l'appelle au Queyras, où on lui en veut de ne pas rester sur place, reprend de plus belle. En avant ! Il ne pouvait se croiser les bras, se livrer au repos, quand il voyait tant d'ouvrage et si peu d'ouvriers.

Lisant ce qui précède, on peut ironiser : surchauffe, influence morbide d'un évangéliste exalté, habile à capter les âmes des timides, à leur arracher des larmes, excitation sans lendemain, feu de paille !

Erreur profonde. Ce lendemain dura plus d'un siècle et chez plusieurs dure encore. Grâce à la conquérante ardeur de Félix Neff se succédèrent là-haut des hommes et des femmes a la conscience droite, au ferme vouloir, a la foi vivante et joyeuse. Familier de Freissinières dès notre lointaine enfance, fils d'une mère qui devait au « Bienheureux » un rayonnement d'âme exceptionnel, nous pouvons en témoigner. Au feu allumé sur les monts comme au creux des vallées, plusieurs générations, issues d'une génération transie, enfin réchauffée, ont demandé cette chaleur du coeur sans laquelle on n'existe pas. À tout ce qui s'est fait de bien et de beau, dans ce recoin rocheux, le Genevois Neff a présidé et préside encore. Théophile de Félix, descendant en ligne directe du sévère François Berthalon, celui qu'on appelle à Freissinières la Voix de la vallée, parlait vrai quand il nous disait récemment dans sa chambrette voûtée, aux parois ornées de versets bibliques tracés au pinceau :
- On lui doit tout ! Loué soit le Seigneur.

 


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