LA VIE DE
JOHN ET DE BETTY STAM
AVANT-PROPOS
AUX JEUNES, EN TOUS LIEUX,
QUI ONT DEVANT EUX
LES GRANDES POSSIBILITÉS
D'AUJOURD'HUI ET DE DEMAIN,
JE DÉDIE CES PAGES
M. G. T.
Ce récit n'est pas un
panégyrique ; c'est une simple
narration de faits. Et rien ne peut être plus
éloquent que des faits de ce genre. Il n'est
pas nécessaire qu'on nous dise qu'il fait
jour lorsque le soleil brille. Au-dessus du
portique donnant accès à la galerie
où sont évoqués quelques-uns
des plus grands héros d'ici-bas, on peut
lire ces brèves paroles
d'appréciation divine :
« Eux, dont le monde n'était pas
digne. »
Peu de personnes ressentent la perte
causée par le départ de John et de
Betty Stam pour la Maison du Père, au
même degré que les membres de la
Mission dont ils faisaient partie (The China Inland
Mission). Une foi, un amour, une
piété de la qualité des leurs,
sont parmi nos plus précieux
trésors ; les plus précieux,
après la riche moisson d'âmes que Dieu
nous accorde. Les noms si chers de ceux dont nous
évoquons la mémoire s'ajoutent
à la liste de nos martyrs ; à ce
jour, soixante-quatorze.
Songez à tout ce que cela implique
d'enrichissement pour ce champ de Mission,
où Dieu - dans ses serviteurs - a
été vu comme « l'Agneau
immolé ». Jésus est
mort pour racheter ; eux sont
morts en publiant - pour lui obéir -
l'oeuvre glorieuse de la rédemption.
Aujourd'hui encore, le Seigneur a besoin de
disciples prêts à vivre, et s'il le
faut, à mourir pour Lui, afin qu'Il voie le
fruit « du travail de son âme et
soit satisfait ».
Durant toute l'éternité, nous
vivrons et régnerons avec Christ ; mais
pourrons-nous encore faire des sacrifices pour
Lui ? Quand le péché, la douleur
et la mort ne seront plus, quand les larmes de tous
les yeux seront essuyées, aurons-nous encore
le privilège de partager la communion de ses
souffrances « en cherchant ceux qui sont
perdus » pour les amener au
salut ?
Le sourire qui resta sur la figure de John
Stam longtemps après qu'il fut tombé
sur le flanc de cette colline en Chine, nous fait
comme pénétrer jusque dans la gloire
céleste où il est entré. La
douceur de la petite orpheline qu'on chérit
aujourd'hui dans le monde entier, nous dit
certainement quelque chose de la tendresse avec
laquelle le Seigneur accepta le parfum très
précieux de la vie de la mère, vie
répandue par amour pour Lui ; quelque
chose aussi de l'Amour qui est maintenant le
partage de Betty Stam et par lequel elle est
consolée à jamais.
À nous de saisir, maintenant,
l'occasion de servir.
« Seigneur, accorde-nous la
grâce
De marcher sur leur
trace ! »
M. G. T.
237, West School Lane, Philadelphie.
CHAPITRE PREMIER
Un Foyer Hollandais
« Nous découvrons que nos
grands problèmes sont peu de chose pour sa
Puissance et que nos petites choses sont grandes
pour son Amour. »
Jacob STAM, LL.B.
Dans le plus ancien quartier de Paterson
[New-Jersey], s'élève une maison de
modeste apparence, que construisit Peter Stam pour
sa famille, qui s'accroissait rapidement. On y
arrive par un escalier assez raide qui monte de la
rue. Cette maison est la plus élevée
de Temple Hill. De la tourelle qui surmonte le
grenier, la vue s'étend sur la ville et les
environs, jusqu'aux plus proches collines, sur la
vallée de l'Hudson et jusqu'à
New-York, dont l'imposant profil se détache
sur le ciel.
Les parents Stam avaient six fils et
trois filles ; John était le
cinquième garçon. Ainsi, la maison
était remplie de jeunesse et de musique. On
y parlait l'anglais,
généralement ; mais aussi le
hollandais, car les parents venaient de
Hollande ; et ils avaient soigneusement
conservé non seulement la langue, mais aussi
les précieuses qualités du pays
natal.
Peter Stam était venu aux
États-Unis pour y chercher fortune. Il y
trouva des biens d'un ordre très
supérieur. Une dame lui avait fait cadeau
d'un Nouveau Testament
anglo-hollandais, en demandant
à Dieu que le petit livre pût lui
faire du bien. Pour apprendre l'anglais, le jeune
homme se mit à le lire avec ardeur. Mais
bientôt, oubliant l'anglais, il se trouva en
face de la grande question du salut ; et il se
vit lui-même à la lumière des
Écritures :
« Le Livre me disait
que j'étais un pécheur. Et comme de
juste, mon orgueil protestait. Le Livre m'apprenait
que j'étais perdu. Je fis mon possible pour
ne pas le croire. Mais, continuant de lire, je fus
obligé de reconnaître et de confesser
que j'étais bien vraiment un pécheur.
Jusque-là j'avais vécu uniquement
pour moi...
« J'appris aussi, dans
le Livre, que Dieu m'aimait. « Il a tant
aimé le monde (donc moi aussi), qu'il a
donné son Fils unique afin que quiconque
croit en lui ne périsse point, mais qu'il
ait la vie
éternelle. »
« Alors j'acceptai
l'offre faite. Je crus la Parole de Dieu, et
reçus Christ comme mon Sauveur. Je livrai ma
vie à Celui qui était mort pour moi,
et avec le secours de sa grâce, contraint par
son amour, je me mis à vivre pour les
autres. »
Avec la bénédiction de Dieu, ce
ministère ne cessa de se développer,
et Peter Stam devint bientôt le serviteur de
tous à Paterson, pour l'amour de
Jésus. À la prison, dans les
hôpitaux et les asiles, dans les plus pauvres
quartiers, dans les rues, partout, on rencontrait
sa haute silhouette bien connue dans la
cité. Cette activité charitable
était purement bénévole, et,
à côté, Peter Stam avait ses
travaux d'entrepreneur. Que de maisons il
éleva dans les environs de Paterson, ville
qui ne cessait alors de s'accroître !
Travail consciencieux, solide : il
était bien rare qu'un client eût
quelque réclamation à formuler. Les
affaires de l'entrepreneur
prospérèrent rapidement ; il y
ajouta l'achat et la vente de terrains, une affaire
d'assurance et un chantier de
bois. Celui-ci faisait les délices des
enfants, qui s'y amusaient royalement.
La seconde grande
bénédiction qui attendait Peter Stam,
en Amérique, ce fut d'y rencontrer une jeune
Hollandaise chrétienne, qui devint sa femme.
Elle descendait d'une famille de huguenots
français, réfugiés en
Hollande. Dès ses premières
années, la jeune fille avait trouvé
en Jésus, son Sauveur. Comme Peter Stam,
elle résidait à Paterson.
Chrétiens tous deux, ils avaient les
mêmes aspirations religieuses, le même
idéal, et ils fondèrent ensemble un
heureux foyer où naquirent neuf
enfants.
Il y avait, près de Temple
Hill, un très bon collège où
s'exerçait une excellente influence
chrétienne sur les jeunes. C'est là
que furent envoyés les enfants Stam.
Cependant, c'est surtout à la maison que
ceux-ci apprirent à aimer le Seigneur.
Là, les parents donnaient à Dieu la
toute première place. Trois fois par jour,
quand la famille se réunissait pour les
repas autour de la grande table, et avant que
fussent apportés les plats, on priait et on
lisait un chapitre de la Bible. Chacun avait son
livre et lisait quelques versets. Aujourd'hui, il
en est encore ainsi, et c'est une
bénédiction que d'assister à
ces cultes de famille où la divine
Présence se fait si vivement sentir. C'est
ainsi que la Bible prit la première place
à ce foyer, et dans l'éducation des
enfants. C'est ainsi que, tout naturellement, elle
fut à la base des relations entre parents et
enfants, et des enfants entre eux.
Un autre lien qui unissait aussi les
membres de la famille, c'était l'amour des
livres et de la musique.
« Nous avons
été élevés avec des
livres, me dit la soeur aînée ;
et tous, nous avons eu des leçons de
musique. Père n'a rien épargné
pour que nous en eussions
d'excellentes, et combien nous
avons joui de notre orchestre
familial ! »
Les soirées musicales
étaient l'un des événements de
la vie de famille, et cela fut certainement l'une
des choses qui aidèrent à
préserver les jeunes des influences
mondaines.
M. Stam exerçait une
sérieuse discipline à son foyer,
où son autorité était
incontestée. Tout en aimant tendrement les
siens, il n'admettait pas ce qui allait à
l'encontre de ses principes. Il ne fallait pas que
ses enfants pussent dire, au sujet du tabac ou du
théâtre ou de la danse :
« Papa trouvait que c'était
bien. » Le père et la mère
étaient d'accord sur tous ces points, et ils
l'étaient aussi pour essayer de faire
oublier la fête mondaine refusée, en
proposant quelque autre chose pour la
remplacer : ainsi, un voyage à
New-York, ou au bord de la mer, un très bon
concert, ou un nouvel instrument de musique qui
manquait encore à l'orchestre des jeunes
gens, et qui leur procurait un durable
plaisir.
Notons aussi que les parents
savaient se priver personnellement de certaines
choses par amour pour leurs enfants. Ainsi, ils
n'avaient point chez eux de poste de T.S.F., bien
que ceci eût pu leur être utile.
« Mais, dit M. Stam,
nous avions vu trop souvent des jeunes gens se
délecter de ce qui était un poison
pour leurs âmes. Et les âmes de nos
enfants avaient pour nous infiniment plus de valeur
que le monde entier. Et puis, nos fils et nos
filles aimaient la Parole de Dieu. Jamais ils ne se
plaignirent de ce qu'on la lisait trois fois le
jour, et avant chaque repas. Nous parlions avec
eux, nous leur disions notre responsabilité
de parents chrétiens, nous priions ensemble.
Enfin, avec le secours de Dieu, nous veillions
à ce que nos actes fussent en accord avec
notre profession chrétienne. Si souvent,
hélas, ce sont les parents eux-mêmes
qui sont une pierre d'achoppement sur la route de
leurs propres enfants ! »
L'oeuvre d'évangélisation
commencée par M. Stam, et dont toute la
famille s'occupait, se développait aussi
rapidement que ses affaires. L'amour s'ouvre un
chemin, et les petits débuts de River Street
donnèrent naissance a ce qu'on nomme
maintenant « The Star of Hope
Mission » (La Mission de l'Étoile
de l'Espérance). C'est dans une ancienne
écurie pour chevaux de louage, écurie
fermée depuis longtemps et où ne
vivaient plus que des légions de rats et
d'araignées, que M. Stam édifia la
jolie salle d'évangélisation de la
Mission, salle qui contient six cents places
assises et à laquelle il ajouta les
dépendances nécessaires. Des
personnes de toutes les nationalités sont
touchées par « The Star of Hope
Mission », et des centaines ont
été gagnées à Christ
par ses ouvriers : réunion de plein air
ou de cottage, visites à domicile ou dans
les prisons, les hôpitaux, les asiles. De
nombreux jeunes gens convertis devinrent
élèves missionnaires, et furent
dirigés sur divers champs de mission. La
Parole de Dieu est répandue par les soins de
la « Star of Hope » en quarante langues
différentes, etc.
« Ebenezer » est la devise de
la famille et de la mission [« Jusqu'ici,
l'Éternel nous a
secourus »] ; mais, comme M. Stam
aime à le dire « pour nous, cela
signifie que l'Éternel a tout
fait ».
Sous de telles influences, on
pourrait supposer que John donna de bonne heure son
coeur à Dieu. De fait, ses frères et
soeurs étaient tous convertis, et tous
étaient entrés au service de la
« Star of Hope ». Quant
à lui, il avait probablement des
difficultés spéciales à
surmonter, et plus longtemps qu'eux, il chercha sa
voie. Enfin, il avait montré une nature
très indépendante, mais il
était en même temps toujours prompt
à obliger. Il cousait ses boutons pour que
sa mère n'eût pas à le
faire ; et s'il y avait
quelque travail de jardinage, John s'en acquittait
volontiers. Comme écolier, il laisse le
souvenir d'un élève extrêmement
poli, et fidèle dans les petites
choses.
M. Stam était prêt
à faire faire des études classiques
au jeune homme, mais celui-ci refusa ; il
préférait une préparation
commerciale. Aussi, en quittant le collège
chrétien de Paterson, il entra dans une
école commerciale dont il suivi les cours
pendant deux ans.
Années difficiles, durant
lesquelles le jeune garçon,
déjà un homme par la stature, fut une
énigme pour ses parents et pour
lui-même. Il essayait d'édifier sa
propre vie sans la grâce et le secours de
Dieu, et c'est ce qui provoquait son état
misérable, bien qu'il ne s'en rendît
pas compte. À la Mission fondée par
son père, John avait été le
témoin de conversions et de changements
extraordinaires, lorsque les coeurs s'ouvraient
pour recevoir le Sauveur et sa puissance de salut.
Mais quant à lui, il n'était ni
voleur, ni hors la loi, ni ignorant de
l'Évangile. Depuis son enfance, il
connaissait la Parole de Dieu et il y croyait.
Cependant, comme le fils de la parabole, il se
trouvait dans « un pays
éloigné », où sa
situation était d'autant plus dangereuse
qu'il se complaisait en sa propre
justice.
On a dit de la conversion qu'elle
était un processus graduel - ou soudain -
par lequel un moi jusque-là divisé,
consciemment mauvais et malheureux, s'unifiait,
devenait bon et heureux, en acceptant les
réalités divines. C'est exactement le
changement qui s'opéra en John Stam
lorsqu'il se ressaisit, et alla vers son
Père céleste. Jamais il n'oublia
cette heure. Il se trouvait dans la salle
d'évangélisation dont nous avons
parlé, et il écoutait la
prédication d'un évangéliste
aveugle qui donnait une série de
réunions spéciales. En l'entendant,
John Stam se sentit perdu ;
il se vit sans espoir de salut en dehors de Christ.
L'enfer devint pour lui quelque chose
d'horriblement réel, l'affreux aboutissement
d'une vie sans Christ. Qui n'a point connu cette
conviction de péché, où
l'âme semble être déjà
devant le tribunal de Dieu, sous une
éclatante lumière, ne peut comprendre
cette expérience. De ce moment
commença le travail intérieur qui
aboutit à la conversion. C'est à son
pupitre, dans une salle de cours de l'École
commerciale, que John se donna
définitivement au Seigneur. La chose eut
lieu en l'année 1922, au
printemps.
Désormais, il savait qu'il ne
s'appartenait plus. Et quelle joie il ressentait de
s'être enrôlé au service du
meilleur des maîtres. Il continua de suivre
des cours commerciaux ; puis, durant six ans,
occupa diverses situations dans les bureaux
à Paterson et à New-York. Cependant,
il ne désirait plus comme autrefois gagner
beaucoup d'argent, et réussir dans la vie.
De plus en plus, il s'intéressait aux biens
éternels.
Lorsqu'il s'était
donné à Christ, une certaine
timidité l'avait empêché de se
déclarer ouvertement. Il redoutait qu'on
l'invitât à prendre la parole dans les
réunions de plein air ; aussi
faisait-il de longs détours pour ne point
passer près d'un groupe où l'on
chantait ou prêchait. Ce fut une invitation
de son père qui brisa la réserve
où il se cantonnait. Comme
l'été était venu, et que les
réunions en plein air n'avaient pas
commencé, John demanda ce qu'attendaient
ceux qui en étaient
chargés.
« Tu n'as qu'à y
aller, John, répondit le père
commence, toi-même. »
« Ce coup droit me fit
chanceler, écrivit John, peu après,
à l'un de ses amis ; mais j'allai de
l'avant. Il le fallait. Et Dieu a béni ce
premier travail en public, bien
que je le fisse à
contre-coeur. Il m'a délivré de la
crainte que j'avais de voir sourire des camarades
de classe. Il a versé sa joie et sa
bénédiction en mon
coeur. »
La crainte avait si
complètement disparu que, ce même
été, John parla en public presque
chaque soir, en compagnie de son plus jeune
frère Neal, rendant témoignage au
Seigneur Jésus-Christ. Le jeune homme
était devenu une nouvelle créature,
unifiée, ayant conscience d'être dans
le droit chemin, et heureuse. Changement
extraordinaire qui eut des répercussions
dans tous les domaines de sa vie.
En effet, après sa
conversion, John Stam se développa aussi
bien intellectuellement que spirituellement. Il
commença d'aimer la lecture, et il lut de
nombreux livres. L'amour du beau s'éveilla
en lui à ce moment-là. Enfin, au lieu
de s'absorber en lui-même, il
s'intéressa davantage aux autres. Comme il
faisait chaque jour le voyage de Paterson à
New-York, en compagnie de trois jeunes gens dont
l'un savait le grec, il lui vint le désir
d'employer les heures de chemin de fer et de bateau
à prendre des leçons de grec ;
ce qu'il fit.
New-York élargit son horizon.
Des fenêtres de son bureau, il voyait, par
delà Battery Park, des navires de toutes
provenances, et en partance pour tous les pays,
même les plus éloignés. Il lui
arriva de traverser à pied l'Île de
Manhattan dans toute sa longueur ; ou bien, il
explorait les riches quartiers où
s'étalaient l'opulence et le luxe - Broadway
et la Cinquième Avenue ; ou encore le
Ghetto, la ville chinoise, Pushcart Lane, Greenwich
Village, et d'autres quartiers que visitent les
étrangers et les artistes.
Déjà, les humains, et leurs
caractères si divers, l'intéressaient
davantage que les musées ou les livres.
Peu à peu, il se sentit
appelé à s'occuper du salut des
autres, et cet appel résonna dans son coeur,
avec toujours plus de force. Alors, convaincu que
Dieu le voulait directement à son service,
il résigna ses fonctions malgré les
protestations véhémentes et presque
indignées de son employeur. Durant les mois
qui suivirent, il s'occupa dans la Mission
fondée par son père ; puis, il
obtint d'aller à Chicago et d'entrer
à l'Institut Biblique Moody pour y continuer
ses études. Et cette démarche avait
un caractère particulier qui jette beaucoup
de lumière sur la mentalité du jeune
homme.
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