(1). Les prêtres continuaient à être nombreux parmi les premiers disciples de la Réforme, et naturellement aussi parmi ses martyrs. Jérôme Vindocin, un moine dominicain, qui était docte et éloquent, se rendit à Genève pour s'instruire dans la connaissance des doctrines évangéliques. La lecture de l'Institution de Calvin et les leçons du réformateur l'amenèrent à des convictions chrétiennes. Armé pour la lutte, il revint en Gascogne pour y prêcher le pur Évangile ; mais à peine arrivé, il fut arrêté, par l'ordre de l'inquisiteur Rochet, traduit devant la Cour de l'évêque d'Agen, et condamné à la dégradation, puis livré au bras séculier. Le 4 février 1539, il fut d'abord dégradé des ordres ecclésiastiques, avec le cérémonial accoutumé, puis brûlé vif dans une prairie située au bord de la Garonne. Cinq prêtres l'entouraient pour l'engager à renier sa foi ; « mais il les confondit tous et mourut heureusement au Seigneur. » Bien que la foule qui assistait à son supplice fût fort mal disposée à son égard nous savons, par le témoignage peu suspect du catholique Florimond de Roemond, dont le père assistait à l'exécution, que « plusieurs restèrent tout éperdus d'un tel spectacle, ne pouvant croire que celui qui, mourant, ne parlait que de Jésus-Christ, n'invoquait que Jésus-Christ, ne fût condamné à tort (2). »
Quelques semaines avant le jour de Noël de
l'année 1541, on arrêta à
Sainte-Foy, en Agenois, le pasteur Aymon de la
Voye. Ayant appris que le Parlement de Bordeaux
avait ordonné son arrestation et qu'on
allait venir pour le saisir, il refusa de s'enfuir,
et « voyant l'infirmité de son
troupeau, il demeura ferme, attendant ce qui
plairait à Dieu
(4). »
« Prévoyant qu'il ne
verrait plus son troupeau, il fit en trois sermons
un sommaire de toute la doctrine qu'il avait
prêchée, exhortant chacun de
persévérer en la confession
d'icelle. » Emmené à
Bordeaux, il « souffrit toutes sortes
d'indignités, neuf mois durant
(5). » Il fut mis à la
torture,
« aussi cruellement, » dit
Crespin, « que jamais homme ait
été. » Pendant qu'il
souffrait les plus horribles tourments, le
président, le saisissant par la barbe, lui
demanda quels étaient ses complices. -
« Mes complices, »
répondit-il, « je n'en ai pas
d'autres que ceux qui font la volonté de
Dieu mon Père, qu'ils soient gentilshommes,
marchands ou laboureurs. » Dans les
tourments de la torture, il disait :
« Ce corps périra, mais l'esprit
vivra, et le royaume de Dieu demeurera
éternellement. »
En allant au supplice, il chanta les psaumes
114 et 115.
Il parla à la multitude,
malgré ceux qui voulaient l'en
empêcher. « Je meurs, non en
hérétique, » dit-il,
« mais en chrétien. »
Puis il pria : « Seigneur, viens
à mon aide, et ne tarde point ; ne
dédaigne point l'oeuvre de tes mains ;
pardonne à ceux-ci, car ils ne savent ce
qu'ils font. » « Mes
frères, messieurs les
écoliers » s'écria-t-il en
s'adressant à la jeunesse des écoles,
qui était accourue au spectacle de sa mort,
« je vous en prie, étudiez en
l'Évangile ; il n'y a que la parole de
Dieu qui demeure éternellement. Apprenez
à connaître la volonté de Dieu.
Ne craignez pas ceux qui n'ont de puissance que sur
le corps et n'ont point de puissance sur
l'âme. » Au moment où le
bourreau mettait la main sur lui pour
l'étrangler, avant de livrer son corps aux
flammes, on l'entendit dire :
« Seigneur, en tes mains je recommande
mon âme. » Un jeune moine,
chargé de le convertir au catholicisme, fut
lui-même amené
à l'Évangile par l'exemple et les
entretiens de ce martyr.
Nous avons vu à l'oeuvre, pour la
première fois, des inquisiteurs. Le pape
Paul III essayait, dès lors, en effet,
d'introduire l'Inquisition en France. Il nomma
Mathurin Ory, de l'ordre des frères
prêcheurs, inquisiteur général
de la foi en France, et le roi, par lettres du 23
juin 1540, enjoignît à Ory d'exercer
son office « tout ainsi qu'il lui
était commis et mandé par la
provision du pape (7). »
L'inquisiteur général, qui
avait d'ailleurs des inquisiteurs particuliers sous
ses ordres, se transportait de ville en ville,
stimulant le zèle des évêques,
prenant connaissance des procédures faites
par eux en matière d'hérésie
et en ouvrant lui-même, lorsqu'il le jugeait
nécessaire. Les inquisiteurs avaient le
droit de procéder eux-mêmes aux
arrestations, et les juges royaux étaient
tenus de leur accorder l'aide du bras
séculier pour l'exécution de leurs
décrets. D'autre part, l'édit du 23
juillet 1543 accorda aux juges séculiers le
droit de sévir, sans recourir aux juges
d'Eglise, toutes les fois que
« l'hérésie est claire et
manifeste par les saints décrets et
sanctions canoniques
(8). »
Il était difficile aux
réformés d'échapper à
ce vaste réseau de juridictions qui les
enserrait de toutes parts. En avançant vers
la fin de son règne, le roi très
chrétien prenait de plus en plus au
sérieux la promesse d'exterminer les
hérétiques que comme tous ses
prédécesseurs, il avait faite lors de
son sacre.
Cette promesse, François 1er s'en souvint
surtout lorsque, le 1er janvier 1545, il donna
l'ordre au parlement d'Aix de mettre à
exécution l'arrêt, prononcé
cinq ans auparavant, contre les Vaudois de
Provence, et fondé sur ce que
« notoirement ils tenaient sectes
vaudoises et luthériennes,
réprouvées et contraires à fa
sainte foi et religion
chrétienne... » Cet arrêt,
à l'exécution duquel il avait
été sursis pour laisser aux Vaudois
le temps d'abjurer, condamnait les chefs de famille
vaudois de Mérindol à être
brûlés vifs, leurs femmes, parents et
serviteurs à être bannis du
royaume ; leurs maisons devaient être
rasées jusqu'aux fondements, les arbres
fruitiers arrachés et le pays rendu
inhabitable. François 1er enjoignit au
parlement d'Aix d'anéantir les
hérétiques et de « faire en
sorte que le pays de Provence fût
entièrement dépeuplé et
nettoyé de pareils
séducteurs. »
Il ne fut que trop obéi. Le premier
président d'Oppède, assisté de
l'avocat général Guérin et du
baron de La Garde, se jeta sur cette population de
gens paisibles et de bonnes moeurs, qui avaient
défriché une contrée
naguère inculte, et auxquels on ne pouvait
reprocher que de lire la Bible et de se passer du
ministère des prêtres.
Nous n'avons pas à raconter ici cet
épouvantable massacre, sur lequel les
historiens donnent des détails navrants.
Bornons-nous à rappeler, d'après
Henri Martin, qu'outre les trois petites villes
vaudoises (Mérindol, Cabrières et
Lacoste), « vingt-deux villages furent
détruits ; des milliers de proscrits,
traqués par les soldats, erraient, au milieu
des forêts et des rochers, et arrachaient,
pour apaiser la faim qui les dévorait, les
herbes et les racines sauvages ; ni villes ni
villages n'eussent osé les recevoir, le
Parlement d'Aix et le gouvernement pontifical du
Comtat ayant défendu, sous peine de la vie,
que nul osât donner retraite, aide, secours,
ni fournir argent et vivres à aucun Vaudois
ou hérétique. Une multitude de femmes
et d'enfants moururent de faim ; les plus
robustes des proscrits gagnèrent, à
travers les Alpes, Genève et la
Suisse ; presque tous ceux qui
tombèrent au pouvoir des soldats furent
égorgés, pendus ou envoyés
comme forçats sur les galères. Ce
Canton, naguère heureux et florissant, fut
changé en un désert plein de ruines
noircies et de débris humains sans
sépulture. Quatre à cinq mille
victimes avaient péri par
la main des bourreaux, un plus grand nombre par la
faim, la misère et le désespoir, sans
compter les infortunés qui encombraient les
bancs des galères royales
(10). »
Cette abominable boucherie, qui n'avait pas
l'excuse des entraînements de la guerre
civile, puisqu'elle eut lieu longtemps avant les
guerres de religion, fut le crime du clergé,
puisqu'elle s'accomplit sous les ordres de
l'épiscopat et sous les yeux de
prêtres venus de l'Etat pontifical ; ce
fut le crime de la magistrature, puisque les bandes
qui firent le massacre exécutaient un
arrêt du parlement d'Aix et marchaient sous
la conduite de son premier président ;
ce fut le crime de la royauté,
puisqu'après avoir donné l'ordre de
l'exécution, François 1er, loin de
punir ceux qui avaient outrepassé ses
ordres, « approuva par lettres patentes,
et sur l'avis du cardinal de Tournon, tout ce qui
avait été fait contre les
Vaudois. » Ce crime pèse donc sur
la mémoire de François 1er et donne
à son nom la sinistre illustration de celui
de son petit-fils Charles IX.
Après ce triste exploit, il semble que le
roi et son cruel ministre auraient eu le droit de
laisser quelque répit aux
réformés. Il n'en fut rien, et les
bûchers continuèrent à
s'allumer, non seulement à Paris, que
Bèze désigne comme « la
ville sanguinaire et meurtrière entre
toutes, » mais partout en France,
où l'on brûlait les
hérétiques, ordinairement un à
un, mais souvent deux, trois, quatre ou plus en
même temps. À Meaux, quatorze
luthériens montèrent ensemble sur le
bûcher ; un tel autodafé semblait
dire qu'il n'y avait plus de Pyrénées
et que l'Inquisition espagnole avait pris pied en
France.
Depuis plus de vingt ans qu'elle existait,
cette aînée des Églises
réformées du royaume avait maintenu
sa position au milieu des tempêtes qui
l'avaient assaillie, Les artisans qui la
composaient « n'avaient d'autre
exercice, » dit Crespin, « en
travaillant de leurs mains, que de conférer
de la Parole de Dieu et se consoler en icelle.
Spécialement les jours de dimanche et
fêtes étaient employés à
lire les Écritures et à
s'enquérir de la bonne volonté du
Seigneur. Plusieurs des villages faisaient le
semblable, en sorte qu'on voyait en ce
diocèse-là reluire une image de
l'Eglise renouvelée. » La famille Le Clerc, qui avait
donné à
l'Eglise de France son premier martyr, continuait
à se distinguer par sa piété.
L'un de ses membres, Pierre Le Clerc, simple
cardeur de laine, mais, « outre
l'intégrité de sa vie, »
dit Bèze, « fort exercé
ès Écritures
(12), » fut élu ministre par
les fidèles, après
plusieurs jours consacrés au jeûne et
à la prière. L'Eglise s'organisa
régulièrement ; les
assemblées religieuses se
célébrèrent dans la maison
d'un vieillard nommé Étienne Mangin,
et les sacrements furent fidèlement
administrés. Les réunions de culte
comptèrent bientôt de trois à
quatre cents personnes.
Le 8 septembre 1546, l'assemblée fut
surprise ; soixante-deux personnes furent
arrêtées, enchaînées et
transportées à Paris sur des
charrettes. Leur procès ne fut pas long. Le
4 octobre, le Parlement condamnait Étienne Mangin, Pierre et
François Le Clerc, et onze autres, à
être brûlés vifs, après
avoir subi la torture et avoir eu la langue
coupée. Les autres accusés furent
condamnés à diverses peines, et leurs
biens furent confisqués ; la maison
où se célébrait le culte
réformé fut démolie et une
chapelle, en l'honneur du saint sacrement, fut
construite sur son emplacement.
Les quatorze condamnés à mort
furent ramenés de Paris à Meaux,
où devait avoir lieu leur supplice. On les
soumit à la question extraordinaire. L'un
d'eux criait aux bourreaux, pendant qu'ils le
torturaient : « Courage, mes
amis ! n'épargnez pas ce
misérable corps, qui a tant
résisté à l'esprit et a tant
été contraire au vouloir de son
Créateur. » Au moment de les
emmener au lieu de l'exécution, le bourreau
coupa la langue. à huit d'entre eux. Le
premier, après que le bourreau la lui eut
coupée, put encore dire intelligiblement :
« Le nom de Dieu soit
béni ! » Quatorze
bûchers étaient dressés sur la
place du Marché. En y montant, ceux qui
n'avaient pas eu la langue coupée, parce
qu'on les jugeait moins dangereux, chantaient des
psaumes ; les autres se joignaient de leur
mieux à leur psalmodie, qui continua,
jusqu'à ce que, dit Crespin, « les
saintes hosties de Jésus-Christ furent
toutes brûlées en suave odeur au
Seigneur
(13) »
François 1er mourut le 31 mars 1547, troublé, sur son lit. de mort, par le souvenir du massacre des Vaudois. Il chargea son fils de punir ceux qui avaient abusé de son nom pour verser le sang de ses sujets. Il y eut, en effet, des poursuites commencées devant le Parlement de Paris. Elles aboutirent à faire condamner à mort l'un des agents de d'Oppède, l'avocat général Guérin, et il fut frappé moins encore pour avoir pris part à l'égorgement de tout un peuple, que pour avoir commis des malversations aux dépens du Trésor. Quant au baron d'Oppède, qui était le grand coupable, il fut acquitté, remonta sur son siège de magistrat et put recommencer à faire le procès aux hérétiques.
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |