L'avènement de Henri Il au trône
amena une recrudescence de persécutions
contre les protestants. Sous son règne de
douze ans (1547-1559), les prisons ne
cessèrent de s'emplir
d'hérétiques et les bûchers ne
chômèrent jamais de victimes. Ce roi,
que l'un de ses favoris, le cardinal de Lorraine,
dépeignait comme étant « de
doux esprit, mais de peu de jugement, et du tout
propre à se laisser mener par le bout du
nez, » fut, en effet, gouverné par
ses favoris, qui lui persuadèrent que les
réformés étaient les ennemis
de la monarchie et qu'il fallait, dès le
commencement du règne, leur enlever tout
espoir devoir s'améliorer leur
situation.
À cet effet, le roi établit,
par un arrêt en date du 8 octobre 1547, dans
le Parlement de Paris, une Chambre destinée
uniquement à faire le procès des
hérétiques et qui envoya tant de
victimes au bûcher que le peuple lui donna le
nom sinistre de Chambre ardente. Une grande
obscurité régnait jusqu'à ces
derniers temps sur les origines et le
fonctionnement de ce tribunal. Grâce aux
découvertes d'un érudit protestant,
M. N. Weiss (1), on sait maintenant
que la
création de la Chambre ardente date des
premiers mois du nouveau règne et l'on
possède le texte d'un grand nombre de ses
arrêts. Dans les lettres d'institution de
cette nouvelle Chambre, le roi constate
l'impuissance des efforts de son
prédécesseur pour débarrasser
le royaume des hérétiques :
« Combien que feu notre très
honoré seigneur et père, que Dieu absolve, eût de
tout son
pouvoir résisté, par le moyen de sa
justice, aux erreurs, sectes et doctrines
contraires à notre sainte foi catholique, et
eût fait faire, des sectateurs et
hérétiques, plusieurs grandes
punitions exemplaires ; néanmoins,
lesdites erreurs et doctrines
hérétiques pullulent autant ou plus
que jamais en notre Royaume, à notre
très grand regret et
déplaisir. » En
conséquence, il créa cette Chambre,
dite « seconde Tournelle
criminelle, » avec la mission de
« voir et juger tous et chacun les
procès d'hérésie et erreurs
contre notre sainte foi
catholique. »
La Chambre ardente siégea de
décembre 1547 à janvier 1550, soit
environ vingt-cinq mois. M. Weiss estime à
plus de six cents le nombre des arrêts rendus
contre des luthériens par cette Cour pendant
cette première période. Quand le roi
jugea à propos de la dissoudre, ce fut pour
renvoyer les accusés, soit devant la Chambre
ordinaire, soit devant les juges d'Eglise. Elle fut
d'ailleurs rétablie en 1553.
La Chambre ardente prit au sérieux la
tâche. que lui assignait le roi. Son premier
président, Pierre Lizet, « devait
sa réputation principalement à
l'acharnement avec lequel il avait poursuivi
l'extirpation de l'hérésie. On lui
attribuait l'institution de ce tribunal
exceptionnel, et les arrêts qu'il y signa
contribuèrent, certainement à lui
faire donner le surnom de Chambre ardente. Ils se
distinguent, non seulement par une
sévérité implacable, mais
encore par le soin avec lequel
ils entrent dans une foule de détails
destinés à terroriser les victimes et
ceux qui étaient tentés de les imiter
(2). »
Le premier soin de la Chambre fut de hâter le
procès des luthériens qui
étaient en prison, et d'envoyer au
bûcher tous ceux qui se refusaient à
abjurer. Elle délégua aussi
quelques-uns de ses membres en province pour y
rechercher les partisans des doctrines nouvelles.
À Langres, en Champagne, où une
petite Église s'était fondée
par les soins d'un évangéliste
surnommé Séraphin (et dont le
vrai nom était Robert
Lelièvre), des poursuites furent faites,
qui se terminèrent par deux
autodafés, l'un de quatre victimes à
Paris et le second de huit victimes à
Langres (3).
« C'est une des surprises, »
dit M. Weiss, « que nos textes
réservent aux historiens, que le nombre
d'ecclésiastiques, docteurs en
théologie, prêtres, chanoines, et
surtout religieux de tout ordre, qui y figurent
comme accusés, prisonniers, condamnés
ou fugitifs. On voit fort bien qu'à cette
époque encore la Réforme sortait des
entrailles de l'Eglise catholique
(4). »
Le Martyrologe de Crespin ne fournit que peu
de détails sur les exécutions des
luthériens pendant les deux premières
années du règne. Nous savons
maintenant qu'elles furent très
nombreuses ; malheureusement nous ne
possédons guère que les noms des victimes, et
souvent moins
encore. « Pour quelques exécutions
dont on retrouve la trace, combien y en a-t-il qui
nous échappent ! Souvent, en effet, en
l'absence de preuves suffisantes, la Cour
condamnait les inculpés à la torture
ordinaire ou extraordinaire, avec cette mention,
« Et est retenu in mente curiae,
que si ledit prisonnier confesse en ladite question
lesdits cas dont il est chargé, il ne pourra
révoquer sa confession et sera
condamné au feu. » Ce retentum dispensait, en fait, le
tribunal de
prononcer un nouvel arrêt, de sorte qu'on
ignore la destinée finale de beaucoup de ces
pénitents envoyés au sinistre
confessionnal de la Tour Bombec
(5) ! »
L'entrée solennelle de Henri Il à Paris, à la suite de son expédition en Italie, fut, en juin et juillet 1549, l'occasion de fêtes magnifiques. Fidèle au précédent établi par son père à la suite de l'affaire des Placards, le roi ordonna, pour le 4 juillet, une procession expiatoire, « rehaussée du supplice de quelques luthériens. Le Parlement, en grand costume, y figurait, accompagnant les reliques de la Sainte-Chapelle. Le roi et la reine suivaient le Saint-Sacrement, escortés du cardinal de Lorraine et des ducs de Guise et d'Aumale. Après la messe entendue à Notre-Dame, le roi dîna à l'évêché ; puis il assista, sur le parvis Notre-Dame, au supplice de deux prêtres, dont l'un était Florent Venot, qui, depuis quatre ans, expiait en prison le crime d'avoir voulu servir Dieu selon l'Évangile. Pour vaincre sa constance, on l'avait tenu six semaines dans cet horrible cachot en forme d'entonnoir, dit la chausse ou la poche d'Hypocras, où l'on ne pouvait ni s'asseoir, ni se tenir debout, ni se coucher. On lui coupa la langue pour l'empêcher de parler au peuple ; « néanmoins, » dit Crespin, « par signes et regards au ciel, il donnait courage à chacun, et lui-même se fortifiait, voyant la grâce que Dieu faisait aux autres (6). » Un autre prêtre, Léonard Galimar, périt en même temps que Venot. Il était accusé, outre le crime d'hérésie, d'avoir facilité l'émigration à Genève de plusieurs familles réformées.
Le roi et sa suite assistèrent à
un autre supplice, qui eut lieu, le même
jour, en la rue Saint-Antoine. Ce n'était
pas un prêtre, mais un pauvre tailleur
d'habits, que l'on surnomma le tailleur du roi,
à cause de la courageuse attitude qu'il
avait eue devant Henri II. Celui-ci, ayant
manifesté le désir de montrer un luthérien
à sa favorite Diane de Poitiers, le cardinal
de Lorraine crut habile de choisir un artisan
illettré, pensant qu'un tel interlocuteur
serait facile à réduire au silence.
Mais les choses tournèrent autrement qu'il
ne l'avait prévu. Cet homme, nourri des
saintes Écritures, se montra un adversaire
redoutable pour le prélat. Et quand Diane de
Poitiers voulut se mêler de discuter avec
lui, « elle trouva, » dit
Crespin, « son cousturier qui lui tailla
son drap autrement qu'elle n'attendait. Car icelui,
ne pouvant endurer une arrogance tant
démesurée en celle qu'il connaissait
être cause des persécutions si
cruelles, lui dit :
« Contentez-vous, Madame, d'avoir
infecté la France, sans mêler votre
venin et ordure en chose tant sainte et
sacrée, comme est la vraie religion et la
vérité de notre Seigneur
Jésus-Christ. »
Le roi, irrité de cette verte
réprimande adressée par ce
luthérien à sa favorite, jura qu'il
le verrait brûler de ses yeux. Il se
plaça en effet à une fenêtre de
l'hôtel du sieur de Rochepot, pour assister
à l'agonie du manant qui avait osé
lui tenir tête. Mal lui en prit, car le
martyr ayant aperçu le roi ne détacha
plus ses yeux de lui. Sous ce regard accusateur
qui, du milieu des flammes, se fixait sur lui,
Henri Il perdit contenance et quitta la place. On
assure que, pendant quelque temps, il fut
hanté par ce souvenir, au point d'en perdre
le sommeil et qu'il se promit de ne plus tenter une
semblable expérience.
La création de la Chambre ardente, suivie
d'une recrudescence de rigueurs, loin de diminuer
le nombre des protestants, parut le multiplier.
Alors, comme aux premiers siècles, le sang
des martyrs fut la semence de l'Eglise.
Le roi était forcé de
constater, dans le préambule de ses
édits, que l'hérésie couvait
partout « comme feu sous la
cendre. » Il stimulait, tantôt par
des promesses tantôt par des menaces, les
juges des parlements à se montrer
impitoyables. Il confirmait les pouvoirs de
Mathurin Ory et de ses acolytes comme inquisiteurs
de la foi. Enfin, en 1551, il promulgua le fameux édit de
Châteaubriant, code de
la persécution en quarante-six articles,
où rien n'est oublié et où
tout acte, toute démarche, toute parole
sentant l'hérésie sont rangés
au nombre des actes criminels dignes du dernier
supplice.
En envoyant à la mort tant d'hommes
pieux et bons, cet édit a porté,
comme l'a dit un historien, « des fruits
meilleurs et plus abondants qu'on ne le pense. Nous
ne lui devons pas seulement une multitude de
paroles admirables de foi et de simplicité,
comme il n'en tombe que de la bouche des
confesseurs ; nous lui devons aussi, et en
foule, des actes de renoncement, de patience, de
fermeté, de courage civil, de
dévouement, d'amour du prochain, d'amour
fraternel : trésors sans lesquels il
n'y a que pauvreté morale sur la terre et que Dieu
amasse pour le
ciel. Par
suite de cet édit, les Français ont
appris à penser par eux-mêmes,
à vouloir, à sentir, en un mot,
à être. Conformément à
sa lettre, il a abouti à la mort ; mais
à la vie par les résistances saintes
qu'il a provoquées
(8). »
Dans ce trésor de pieux et glorieux
souvenirs, nous devons nous borner à
recueillir quelques traits.
Plusieurs articles de l'édit de
Châteaubriant visent des délits
nouveaux résultant de l'émigration
d'un grand nombre de protestants à
Genève et ailleurs : défense
d'apporter des livres quelconques de Genève
et des autres lieux séparés de
l'union du Saint-Siège ; défense
de correspondre avec ceux qui se sont
retirés à Genève et autres
pays hérétiques et de leur envoyer de
l'argent ; sur l'argent saisi, le tiers
appartiendra aux dénonciateurs ; les
porteurs de lettres hérétiques venant
de Genève seront poursuivis comme
hérétiques ; les biens de ceux
qui auront transporté leur domicile dans
cette ville seront confisqués.
Ces mesures draconiennes furent
appliquées avec rigueur et conduisirent au
bûcher de nombreuses victimes. L'une d'elles
fut Thomas de Saint-Paul, un adolescent de
dix-huit ans, membre d'une famille de Soissons,
qui, dès 1549,
avait émigré à Genève.
Fils aîné d'une mère veuve,
Thomas fut obligé, en 1551 de faire un
voyage en France pour régler des affaires de
famille. C'était le moment où les
chemins étaient peu sûrs pour les
luthériens, comme on les appelait encore.
Les primes offertes aux délateurs
aiguillonnaient le zèle des hôteliers
qui faisaient de plus gros profits en
dénonçant les voyageurs suspects
d'hérésie qu'en les
hébergeant. De Genève à Paris,
Thomas de Saint-Paul courut plusieurs fois le
risque d'être arrêté. Il arriva
cependant dans la capitale et descendit à
une hôtellerie. Afin de mieux cacher son
identité, il avait apporté avec lui
une petite pacotille de marchandises qu'il
cherchait à vendre.
Comme il traitait une affaire avec un homme,
il ne put s'empêcher de le reprendre
doucement au sujet des blasphèmes dont il
assaisonnait sa conversation. Celui-ci,
irrité, le soupçonna aussitôt
d'être un luthérien. Un homme qui ne
jurait ni ne blasphémait et qui ne pouvait
pas souffrir qu'on le fît en sa
présence, était fort suspect
d'hérésie et était
sûrement de ces gens de Genève qui,
comme dit Crespin, « ont l'honneur de
Dieu en plus grande recommandation que leur vie
propre. » Dénoncé à
Jean André, libraire au Palais, qui faisait
métier d'espion aux gages du
président Lizet, il fut arrêté
et conduit au Châtelet. Inhabile dans l'art
de feindre, il confessa sa foi et « il ne
put être ébranlé, »
dit Crespin, « ni par menaces de
tourments horribles qu'on lui proposait devant les
yeux,
ni par
la douceur de cette vie, laquelle les juges
promettaient de lui sauver, sans note d'ignominie
ni d'amende publique, au cas qu'il voulût se
dédire ; mais la bonté et
vérité de Dieu le rendait invincible
contre tous assauts. »
Malgré la commisération
qu'inspirait à quelques juges son
extrême jeunesse, on le mit à la
question. pour l'obliger à dénoncer
les chrétiens qu'il connaissait. Mais il ne
nomma que ceux qui étaient à
l'étranger, « hors de la puissance
de l'Antéchrist. » Quant à
ses amis qui étaient en France, il
répondit à ceux qui le pressaient de
questions à leur sujet :
« Pourquoi me tourmentez-vous pour vous
nommer tant de gens de bien ? Que
gagneriez-vous à les tourmenter, comme vous
me faites maintenant ? Si je pensais que leur
exemple vous dût servir d'imitation je vous
les nommerais volontiers comme les autres mais je
sais que, s'il vous était possible, vous
leur feriez pis que vous ne me faites. »
Le calme de ce jeune chrétien, que
les angoisses de la torture ne parvenaient pas
à vaincre, exaspéra ses juges, qui
lui crièrent : « Tu nommeras
tes complices, ou tu seras démembré
en pièces. » Les mains des
bourreaux s'étant lassées à
tendre les cordes, Maillard, docteur de Sorbonne,
et ses acolytes leur prêtèrent
main-forte ; mais toute la furie de ces
tourmenteurs en soutane échoua devant la
constance de Thomas.
Condamné à être
brûlé vif, il fut mené à
la place Maubert, accompagné de Maillard,
qui espérait sans doute
que la vue du bûcher serait plus efficace
pour le fléchir que ne l'avait
été la chambre de torture. Au moment
où allait commencer le supplice, il lui dit
qu'il avait charge de la part des juges, de lui
offrir la vie sauve, s'il voulait abjurer. Il
répondit qu'il aimerait mieux mourir dix
mille fois que de renier son Sauveur. Il fut alors
attaché par des cordes, puis
élevé en l'air et plongé dans
les flammes du bûcher. On l'en retira sur
l'ordre de Maillard, qui lui offrit de nouveau la
vie, s'il se rétractait. Mais le martyr lui
fit cette admirable réponse :
« Puisque je suis en train d'aller
à Dieu, remettez-moi et me laissez
aller. » Et la flamme eut bientôt
fait son oeuvre et soustrait cet
héroïque jeune homme à la rage
de ses bourreaux.
Ce fut aussi en revenant de Genève, en
cette même année 1551, qu'un autre
jeune homme, Jean Joëry, de
l'Albigeois, fut arrêté. Il
était accompagné d'un jeune
domestique, qui partageait ses convictions et qu'il
traitait comme un frère. Ils apportaient une
charge de livres, protestants, qui les
dénoncèrent, Arrêtés
à Mende, ils furent condamnés
à être brûlés, Joëry
en appela, non pas qu'il espérât
échapper à la mort, mais parce que,
« si notre Seigneur l'appelait à
rendre témoignage de sa
vérité, il désirait fort que ce fût à
Toulouse. » Envoyé, avec son
serviteur, devant le Parlement de cette ville,
« il y fit ample confession de sa foi,
rendant bonne raison de tout par l'autorité
de l'Écriture. » Son jeune
compagnon, peu instruit encore, était
parfois embarrassé par les arguties des
docteurs ; mais il les renvoyait alors
à son maître, et il répondait
à ceux qui voulaient ébranler sa
confiance en lui : « Je l'ai
toujours connu de si bonne et sainte vie, que je me
tiens pour assuré qu'il m'a enseigné
la vérité contenue en la Parole de
Dieu. »
On les conduisit à la place
Saint-Georges, où devait périr sur la
roue Jean Calas, deux cent onze ans plus tard. Le
serviteur fut attaché le premier sur le
bûcher, où des moines
cherchèrent encore à obtenir de lui
une abjuration. Joëry s'empressa de le
rejoindre sur les fagots, et, le voyant en larmes,
lui dit : « Hé quoi !
mon frère, tu pleures ! Ne sais-tu pas
que nous allons voir notre bon Maître, et que
nous serons bientôt hors des misères
de ce monde »
Le serviteur lui répondit :
« Je pleurais parce que vous
n'étiez pas avec moi. » -
« Il n'est pas temps de
pleurer, » reprit Joëry,
« mais de chanter au
Seigneur ! » Et pendant que la
flamme commençait à lécher
leurs membres, ils entonnèrent un
psaume.
Joëry, « comme s'il se
fût oublié soi-même, »
dit Crespin, pour penser au jeune garçon son
compagnon, « se levait contre le poteau
tant qu'il pouvait, et se retournait pour lui
donner courage. Et ayant aperçu qu'il était
passé, il ouvrit l'a bouche comme pour humer
la flamme et la fumée, et baissant le cou,
rendit l'esprit. »
Lausanne, comme Genève, voyait affluer
dans ses murs des réfugiés, et, dans
son académie récemment fondée,
des jeunes gens venus de France se formaient en vue
d'y retourner pour exercer le ministère
évangélique. Pierre Viret, pasteur de
l'église de Lausanne et Théodore de
Bèze, professeur à l'Académie,
donnaient une attention toute spéciale
à la préparation de ces candidats au
ministère, qui étaient surtout
candidats au martyre. C'est de Lausanne que
partirent, au printemps de 1552, cinq
étudiants français, munis de lettres
de recommandation des pasteurs de cette ville,
auxquelles Calvin joignit la sienne, à leur
passage à Genève. C'étaient Martial Alba, de Montauban ;
Pierre
Escrivain, de Boulogne en Gascogne ; Bernard Seguin,
de la Réole en
Bazadois Charles Favre, de Blanzac en
Angoumois, et Pierre Navihères, de
Limoges. Leur but, en rentrant dans leur pays,
était, dit l'un d'eux, de « servir
à l'honneur et à la gloire de Dieu et
tâcher d'amener à la connaissance de
son Fils Jésus-Christ tous ceux qu'il lui
plairait d'appeler par leur moyen. »
Entre Genève et Lyon, ils
rencontrèrent un homme qui se rendait comme eux à
Lyon et qui
les invita à le venir voir ; ils se
rendirent à cette invitation, mais, comme
ils étaient à table chez lui, le
prévôt, escorté de ses
sergents, fit irruption dans la maison et les
arrêta. C'était le 1er Mai 1552.
Conduits dans les prisons de l'archevêque,
ils furent examinés sur leur foi, reconnus
entachés d'hérésie et
livrés au bras séculier. Mais ils en
appelèrent de cette sentence, et,
grâce à l'intervention des
autorités bernoises qui les
réclamèrent comme leurs écoliers, ils obtinrent un sursis qui
fit traîner en longueur leur procès
pendant plus d'une année.
Cette année de captivité nous
a valu de précieuses lettres, dont les unes
ont été publiées dans le
Martyrologe de Crespin, tandis que les autres,
conservées à la bibliothèque
vadiane de Saint-Gall, n'ont été
mises en lumière que de nos jours
(12)
Il semble
que Dieu ait voulu que ces jeunes lévites,
à défaut du ministère de la
parole auquel ils s'étaient
préparés, aient pu ainsi rendre
témoignage par leurs écrits en
attendant de le faire par leur mort sur le
bûcher.
Bornons-nous à citer un court extrait
de l'une de ces lettres, pour montrer dans quelles
dispositions ces jeunes gens se préparaient
à la mort :
« Nous ne voyons devant nos yeux que confusion, cruels tourments et l'horrible face de la mort ; nous mourons tous les jours et à toute heure pour notre Seigneur Jésus et pour l'espérance que nous avons en lui, toutefois nous ne perdons courage aucunement, ni ne nous troublons point ; mais, étant assurés et certains de l'amour et charité que notre bon Dieu nous porte, étant environnés de ses ailes, et cachés sous les plaies de Jésus-Christ, nous dépitons toute la rage du monde et du diable, de la mort et de l'enfer, et nous réjouissons d'une joie et liesse incompréhensible et inénarrable, attendant, en grand désir et repos de conscience, cette bienheureuse journée en laquelle notre Seigneur apparaîtra pour nous recueillir en son royaume céleste, auquel nous vivrons et régnerons avec lui éternellement. N'avons-nous donc pas grande matière de nous réjouir et de nous glorifier en la croix de notre Seigneur Jésus, puisque notre bon Dieu nous fait tant de bien et d'honneur que de nous recevoir au nombre de ses martyrs, nous qui ne sommes que pauvres vers de terre, et de nous retirer de ce val de misères et de maux pour nous emmener en son royaume éternel ? Oui, vraiment (13) ! »
Pendant leur long emprisonnement, les cinq
étudiants eurent à subir les assauts
des prêtres et religieux qui avaient mission
de les ramener au giron de l'Eglise romaine. Ils
eurent aussi à tenir tête aux
tentatives de parents et d'amis qui essayaient de
les décider à sauver leur vie en
reniant leur foi. D'autre part, ils reçurent
d'abondantes consolations par les lettres que leur
écrivirent Calvin et Viret et par les
sympathies des fidèles dont l'écho
réussissait à percer les murs de leur
prison.
À la fin de février 1553,
arriva de Paris l'arrêt de la Cour du
Parlement qui rejetait l'appel des cinq
étudiants. Un dernier effort, tenté
par les seigneurs de Berne auprès du
cardinal de Tournon, retarda encore l'issue du
procès. Le 16 mai enfin, ils reçurent
avis que leur pourvoi était rejeté,
et lecture leur fut faite de la sentence qui les
condamnait à être brûlés
vifs le jour même. Ils se mirent alors
à prier et à chanter des psaumes, en
attendant d'être menés au supplice.
Sur la charrette, ils entonnèrent le psaume
IX, puis s'encouragèrent en
répétant des passages de
l'Écriture, et témoignèrent
leur foi, en récitant le symbole des
apôtres.
Arrivés à la place des
Terreaux, ils furent attachés au poteau qui
surmontait le bûcher. Le plus
âgé, Martial Alba, fut attaché
le dernier. Il demanda la permission d'embrasser
ses frères et ils échangèrent
le suprême baiser, en se disant :
« Adieu, mon
frère ! » Au milieu des
flammes qui bientôt les enveloppèrent,
on entendit ces mots : « Courage,
frères, courage ! »
« Ce furent là, » dit
Crespin, « les dernières paroles
entendues du milieu du feu, qui bientôt
consuma les corps de ces cinq vaillants champions
et vrais martyrs du Seigneur. »
Vers la même époque, la ville de
Lyon envoya au bûcher d'autres martyrs de
Jésus-Christ. Pierre
Bergier (14), de
Bar-sur-Seine, eut la
joie,
pendant sa captivité, d'amener au Sauveur un
malfaiteur, Jean Chambon, qui fit ensuite
une fin triomphante. Lui-même édifia,
par son attitude et par ses paroles, la foule
réunie sur la place des Terreaux pour le
voir mourir. « Oh ! que la moisson
est grande ! » s'écria-t-il,
« Seigneur, envoie de bons
moissonneurs. »
« Seigneur, » dit-il au moment
où l'on mettait le feu au bûcher,
« que ton nom est gracieux et
doux ! » On l'entendit encore
dire : « Seigneur, je te recommande
mon âme ! » puis, avec une
expression d'indicible béatitude, il dit,
comme Étienne :
« Aujourd'hui, je vois les cieux
ouverts. » Puis il rendit l'esprit.
Peu après, Matthieu Dymonet
(15), un
enfant
de Lyon, qui avait été arraché
à une vie de dissipation par l'exemple des
cinq écoliers, monta sur le bûcher,
après avoir tenu tête aux obsessions
des prêtres et à celles de ses parents
et amis qui ne comprenaient pas que celui qui
naguère les amusait par ses propos frivoles
sacrifiât maintenant sa vie à ses
convictions religieuses.
Un autre des prisonniers de Lyon, Denis
Peloquin (16), de Blois,
était le
frère d'Étienne Peloquin, qui avait
souffert le martyre à Paris en 1549. Il
conduisait sa soeur à Genève,
lorsqu'il fut arrêté et jeté dans les prisons de
Lyon.
Ses
lettres nous le montrent heureux d'ajouter un
nouveau lustre par son martyre à celui de sa
famille.
« Je loue Dieu, » écrit-il, « de ce qu'il m'appelle à un tel honneur, de porter témoignage à sa sainte vérité. O heureuse race ! O heureux lignage des Peloquins ! Y avait-il donc en nous quelque chose de plus qu'aux autres, par quoi le Seigneur ait été ému à nous faire tant de grâce ? Il est bien certain que non ; mais sa seule grâce et bonté a trouvé la cause en elle-même. »
Voici comment il envisageait la mort qui l'attendait :
« Ils pensent nous mener à la mort ; mais au contraire, ils nous mènent à la vie. Ils pensent nous ruiner ; mais ils sont instruments pour nous faire entrer en possession de la gloire éternelle, laquelle nous a été préparée avant la constitution du monde. »
Ce fut à Villefranche, près de
Lyon, que Peloquin subit le dernier supplice,
après dix mois de captivité. Le feu
avait presque consumé le bas du corps, qu'il
élevait encore ses mains calcinées au
ciel, en invoquant l'aide du Seigneur.
Lyon eut encore, en cette même
année 1553, une triple exécution,
celle de Louis de Marsac, gentilhomme du
Bourbonnais, de son cousin et d'un menuisier, Étienne Gravot,
de Gien
(17). Ils
moururent en chantant le
cantique de Siméon. Leur
sérénité, en allant au
supplice, fut en édification au peuple et
redoubla la rage de leurs ennemis. L'un d'eux, ne
pouvant pas dissimuler son dépit,
s'écria : « Faudra-t-Il donc
souffrir qu'un tas de coquins tiennent tête
à une monarchie ! »
Ces exécutions
répétées, dont Lyon eut le
spectacle en 1553, montrent assez que la seconde
ville du royaume tenait à honneur de suivre
les traces de la première.
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