UN
SIÈCLE DE MISSION A
MADAGASCAR
CHAPITRE VII
INTERVENTION DE LA SOCIÉTÉ
DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE
PARIS
LUTTE CONTRE LES JÉSUITES
Avant même que ces tragiques
événements n'aient
éclaté, la Société des
Missions de Paris avait compris son devoir
d'intervenir à Madagascar pour
préserver les églises protestantes
malgaches de l'assaut qui s'était
préparé depuis longtemps et qu'on
sentait tout proche. Dès que fut connue en
France la reddition de la capitale de l'île,
le Comité lança aux chrétiens
de France l'appel suivant :
Paris, le 24 octobre
1895.
« L'occupation de Tananarive et
l'acceptation, par la reine Ranavalona, du
traité apporté par le
général Duchesne, ont placé
Madagascar dans une relation d'étroite
dépendance à l'égard de notre
pays. La France exercera désormais sur les
destinées de la grande île africaine
une influence prépondérante.
« Une question se pose dès
lors devant le protestantisme français,
celle de son devoir envers
Madagascar. Devoir complexe et difficile : car
il ne s'agit pas simplement, il ne s'agit pas en
première ligne des païens à
gagner à l'Évangile. Ce n'est pas que
les païens manquent à Madagascar, mais
ce qui est en question, aujourd'hui, avant tout,
c'est l'avenir réservé aux
Églises protestantes que soixante-dix-sept
années d'héroïques travaux ont
constituées à Madagascar. Cette
conquête, une des plus nobles de la mission
évangélique, l'Eglise romaine se
prépare à la disputer : les
mandements de nos évêques, qui
saluaient dans l'expédition une nouvelle
croisade, ne laissent aucun doute à cet
égard. Sans doute, la foi des traités
et les principes de libéralisme dont
s'honore notre pays garantissent la liberté
aux Églises et aux missions protestantes de
Madagascar et commandent une confiance que
déjà les faits semblent justifier. Il
n'en est pas moins vrai que, dans
l'intérêt de la cause protestante et
de l'oeuvre missionnaire, l'intervention d'un
élément protestant français
semble désormais s'imposer. »
Les craintes qui se font jour dans ce document
étaient malheureusement trop
justifiées.
Le premier Résident
Général, dûment averti de ce
qui se tramait, maintint d'abord en respect ceux
qui s'étaient flattés de renverser,
à la faveur des troubles survenus dans
l'île, l'oeuvre patiemment
édifiée par les représentants
de l'Évangile, et les deux premiers
délégués
envoyés par le
Comité de Paris, MM. Krüger et Lauga,
crurent, tout d'abord que le calme ne tarderait pas
à revenir et qu'il suffirait de fournir aux
missions anglaises et norvégiennes quelques
hommes spécialement au courant des
méthodes d'éducation
françaises pour leur permettre de
rétablir ce qu'avait détruit le
fahavalisme et reprendre la marche en
avant.
Ils se rendirent pourtant compte du
danger couru par le protestantisme malgache. Le 20
mars 1896 M. Lauga écrivait ces
mots :
« ... Que notre arrivée
a été providentielle ! C'est ce
que ne cessent de nous répéter les
missionnaires qui nous entourent, et ce dont nous
nous apercevons nous-mêmes de jour en jour.
On ne peut guère se faire de loin une
idée, même approchante, de
l'état d'esprit des populations qui nous
entourent. Chez la masse, le moral a
été tué par l'oppression
odieuse des grands qui, assoiffés d'or (ou
plutôt d'argent, car l'or n'existe pas ici
comme métal monnayé), ont usé
pour s'en procurer de tous les moyens, inventant
des accusations contre ceux dont ils convoitaient
les biens, les jetant en prison ou les faisant
décapiter après des jugements de
complaisance, ou bien les dépouillant
purement et simplement par la violence. Aussi
quand, après la conquête, les
jésuites et leurs partisans se sont mis
à crier tout haut que, pour être
Français, il fallait se faire catholique,
ces gens ont-ils pris peur. Dans une foule de
villages ils n'osaient plus aller à
l'église et se
demandaient avec angoisse s'il
ne faudrait pas aller plus loin et entrer dans
l'Eglise romaine. Le général Duchesne
a, certes, fait beaucoup pour les rassurer, mais il
n'y a réussi que partiellement, même
dans la capitale ; au loin, on n'a pas connu
ses déclarations, ou bien, grâce aux
affirmations contraires des catholiques, on n' y a
pas cru.
« Certes, il y a des
exceptions au principe général que je
pose là. Les chrétiens vrais ont tenu
bon un peu partout, mais ils n'en étaient
pas moins très inquiets, eux aussi ;
et, comme ils sont la minorité dans ces
masses protestantes de nom et de
préférence, mais encore
singulièrement ignorantes, l'état
général des esprits était
vraiment inquiétant. Il n'y avait pas eu
encore beaucoup de défections, mais on
pouvait les prévoir à brève
échéance. C'est là-dessus que
nous sommes arrivés, affirmant par notre
seule présence l'existence d'un
protestantisme français, existence à
laquelle on commençait à ne plus
croire. »
Le mouvement d'insurrection,
s'accentuant soudain, vint changer une fois de plus
la face des choses.
À la fin de juillet 1896, M.
Lauga écrivait :
« Ils (les prêtres
jésuites) ont commencé, sur ces
populations terrorisées par le brigandage
dont elles sont les victimes, autant que par les
événements de l'an dernier, une
oeuvre d'intimidation qui pourrait, si on n'y
opposait pas une action énergique, avoir les
plus graves conséquences.
Dans toutes les stations excentriques plus ou moins
atteintes par l'insurrection, ils obtiennent qu'on
envoie des postes militaires, - ce qui est
excellent, - mais, au lieu de se contenter de
travailler loyalement sous cette protection, ils en
profitent pour faire une guerre déloyale et
acharnée au protestantisme. Aux officiers
chargés de défendre la région
et de conduire les enquêtes, et qui, dans ces
villages sans ressources, sont presque toujours
leurs hôtes, ils dénoncent
systématiquement comme rebelles les hommes
qui ont quelque influence religieuse dans l'Eglise
protestante, toujours de beaucoup les plus
nombreux, et qui, après avoir
été les premières victimes des
fahavalos, qui ont détruit, pillé et
brûlé leurs maisons, quand ils ne
pouvaient pas les massacrer eux-mêmes, se
voient appréhendés par ceux qu'ils
croyaient leurs protecteurs. Puis, les troupeaux
une fois privés de leurs hommes influents,
ils se livrent sans ménagement à leur
oeuvre d'intimidation, publiant, au milieu de ces
populations apeurées, que quiconque ne
viendra pas à l'Eglise catholique sera
considéré comme rebelle et en subira
les conséquences.
« J'ai dû, depuis le
départ de Krüger, recommencer mes
courses au-dehors pour aller, dans diverses
directions, essayer d'empêcher cette oeuvre
diabolique de porter ses fruits, et j'espère
y avoir en partie, et pour un temps du moins,
réussi. »
En septembre de la même
année, M. Laroche était
remplacé par le Général
Gallieni. Les représentants de
l'église romaine se firent plus agressifs.
Ayant mis, auprès des officiers
chargés de l'administration et de la police
des différentes provinces de l'île,
des élèves à eux comme
interprètes, ils suivirent une tactique des
plus cyniques.
Ils accusèrent de connivence avec
les fahavalos, les membres les plus influents des
églises protestantes. Ces gens
arrêtés, traduits devant l'officier
chef du secteur, virent leurs réponses,
odieusement tordues par les interprètes
dûment stylés par leurs anciens
maîtres. Beaucoup furent ainsi
fusillés sans avoir jamais su de quoi on les
accusait. Le prêtre retournait alors dans le
village où le malheureux condamné
avait vécu, et déclarait aux gens que
pareil malheur arriverait à quiconque
refuserait l'invitation de se joindre à
l'église romaine.
Et qu'il était difficile de
résister pour des gens fort peu au courant
des questions de controverse, auxquels on disait de
conserver leurs Bibles, leurs livres de cantiques,
et auxquels on persuadait, ainsi, que le tout se
réduisait à un simple changement
d'étiquette ! Le miracle a
été que, l'église protestante
ait tenu bon. L'attaque fut opiniâtre,
tenace, brutale et sans scrupule. Nous allons en
donner quelques épisodes relatés
surtout par M. B. Escande, qui était venu
remplacer MM. Lauga et Krüger. C'est lui qui
supporta tout le poids de
l'assaut au moment le plus dangereux.
« De quatre côtés
différents, écrit-il le 2 octobre
1896, je pourrais presque dire des quatre points
cardinaux, nous est arrivée, cette semaine,
la nouvelle que les jésuites avaient fait,
simultanément sur ces divers points, des
tentatives pour s'emparer des temples protestants
afin d'y dire la messe, et des bâtiments
scolaires de nos missions pour y placer leurs
propres instituteurs. Ils font croire à qui
veut les entendre qu'ils sont tout-puissants
auprès du gouvernement. Nous sommes en
présence d'un plan d'attaque savamment
combiné, et, pour y faire face, nous sommes
obligés à des prodiges
d'activité. Il ne réussira pas
partout, cela est bien certain, car, grâces
à Dieu, il y a à Madagascar des
chrétiens qui sauront au besoin mourir pour
leur foi, et, d'autre part, le
général Gallieni fera, nous en sommes
persuadés, tout son devoir pour
empêcher que des attentats pareils se
perpétrant sous le couvert de
l'autorité française. Il est non
moins certain que ces procédés d'un
autre âge troubleront et
démoraliseront bien des populations, ce qui
offrira aux Jésuites une excellente occasion
pour pêcher en eau trouble.
« Par ce que je vous dis
là, vous vous rendrez compte que les
Églises de Madagascar traversent un des
moments les plus sombres de leur histoire. Le vent
souffle en tempête sur elles ; on se
demande ce qui restera du travail
missionnaire accompli par nos
frères anglais et norvégiens quand la
rafale aura passé...
« Vous savez
déjà, mais vous serez heureux de me
l'entendre répéter, que les
missionnaires anglais et norvégiens,
malgré les attaques dont ils sont l'objet,
rivalisent de zèle pour faire
bénéficier la France du travail moral
et spirituel qu'ils ont accompli dans ce pays. Je
les ai vus d'assez près pour pouvoir
affirmer qu'ils ont accepté, loyalement et
sans arrière-pensée, l'état de
choses actuel ; qu'ils travaillent à la
pacification des esprits, et qu'ils ne sollicitent
qu'une faveur : pouvoir continuer leur oeuvre
en paix, non en vue d'un but politique qu'ils n'ont
jamais poursuivi, mais en vue de la conversion des
peuples malgaches. Ils ont spontanément
offert au gouvernement français leur
concours le plus dévoué ; avec
leurs milliers d'églises et de temples, ils
représentent une force morale incomparable.
Je n'hésite pas à dire que refuser ce
concours serait une énorme faute au point de
vue politique, presque un crime. Pour l'honneur de
notre pays, comme aussi pour le bien de notre
grande colonie africaine, nous devons croire que
jamais la France ne s'en rendra
coupable... »
« À Ambatomanga,
l'officier a fait tout ce qu'il a pu pour vexer et
décourager les protestants. Il a pris leur
temple pour y loger des troupes. Puis il a fait
venir le prêtre et lui a adjugé pour
chapelle un des meilleurs locaux
de l'endroit (le village
auparavant ne comptait pas un seul catholique). Les
protestants, eux, sont forcés de s'assembler
en plein air. C'est en plein air, par une pluie
fine et serrée, enveloppé dans mon
imperméable, que j'ai tenu le service lors
de ma visite à ce village.
« Voici un échantillon
de ses procédés. Un jour l'officier
étant arrivé à Ambohijoky,
convoqua les habitants sur la place publique et
leur dit quelque chose comme ceci - « Je
suis catholique, et je suis votre maître.
Donc, vous devez me suivre. Que ceux qui veulent
devenir catholiques lèvent la
main. » Beaucoup la levèrent.
« Que ceux qui veulent rester protestants
me le disent ! »
L'évangéliste et deux ou trois autres
s'approchèrent. « Quoi ! vous
me résistez ! » -
« Non, mais nous savons que la France
nous permet de servir Dieu selon notre conscience,
et c'est pourquoi, tout en obéissant aux
lois de la France, nous désirons rester
protestants. » L'officier les regarda
fixement et se borna à leur dire :
« Je vous punirai. »
« Enfin, le gouverneur
général indigène,
Razafindrainibé, a son système
à lui de prosélytisme : c'est
peut-être le plus efficace. Il consiste
à obliger les gouverneurs protestants
à changer de religion ; s'ils refusent,
il les remplace par des catholiques. Puis, quand il
a bien ces gouverneurs sous la main, il leur
ordonne comme mot d'ordre de convertir leurs
administrés de gré ou de force. Comme
ces gouverneurs sont des potentats ou petit pied,
qu'ils peuvent écraser de
corvées ceux contre qui ils ont des motifs
de ressentiment, qu'ils peuvent même les
accuser de fahavalisme, les habitants tremblent
à leur parole. Rien de plus aisé que
d'en trouver cinq ou six disposés à
signer une pétition demandant que le temple
soit transformé en église. Les
autorités du cercle ne demandant pas autre
chose, l'autorisation est obtenue sans peine. Et
voilà comment les spoliations
s'accomplissent !
« À Tsiafahy on
défendit aux habitants d'avoir le moindre
rapport avec leur missionnaire, sous peine
d'être jetés aux fers. La consigne fut
si bien observé que, quand le petit
garçon du missionnaire fut tombé
malade, personne n'osa s'approcher des pauvres
parents ni leur porter ce qui eut sauvé
l'enfant : lait, oeufs, poulets. Quand
l'enfant mourut, personne n'eut le courage d'aller
leur témoigner un peu de sympathie : on
les laissa complètement
seuls ! »
Dans le village de Fihasinana, à
cinq heures au sud de Tananarive, lorsque
l'instituteur protestant voulut reprendre son
travail, interrompu brusquement par une incursion
des « fahavalo »,
l'autorisation lui en fut refusée. Par
contre, on agréa sans difficulté un
instituteur catholique et l'autorité mit le
temple à sa disposition.
À Ankadivoribe, dans le district
de Tsiafahy, alors que M. B. Escande
présidait une réunion dans le temple
bondé (environ 120 grandes
personnes), il reçut une
note officielle que, le village ayant passé
tout entier au catholicisme, le bâtiment
religieux était donné au prêtre
pour l'usage du culte catholique.
« En présence de ces
iniquités, écrit M. Escande, le 10
février 1897, je ne pouvais rester
indifférent ni inactif. Dès hier,
j'eus une longue conversation avec le
général Gallieni, et, grâces en
soient rendues à Dieu, j'ai tout lieu
d'espérer qu'elle n'aura pas
été inutile. Tout d'abord, il m'a
promis de faire rendre immédiatement le
temple aux protestants d'Ankadivaribé. Il va
également écrire au commandant
d'Ambatomanga au sujet du temple de
Fihasinana.
« Le plan du
général Gallieni, c'est de
créer un enseignement officiel qui servira,
en quelque sorte, de tampon entre les deux
enseignements confessionnels. Il a
déjà organisé sur ces bases
une école professionnelle, à
l'inauguration de laquelle il m'a aimablement
invité, car, partout où paraît
l'évêque catholique, il veut que je
paraisse moi-même, afin de bien montrer son
impartialité. C'est sur ces bases
également qu'il va créer une sorte de
grande école normale dite
« École Le Myre de
Vilers », pour former des instituteurs
officiels, des interprètes et des
fonctionnaires. Nous voyons sans jalousie aucune la
création de cette école. Les
catholiques, eux, sont navrés, car ils
redoutent les effets de cette
neutralité. »
D'un rapport écrit par le
surintendant luthérien
Borchgrevinck, que le général
Gallieni devait faire décorer quelque mois
après de la Légion d'honneur pour ses
services rendus à la France, nous extrayons
ces faits concernant le Betsileo :
« Lorsqu'il y a trois semaines
le résident et le gouverneur
proclamèrent dans leur kabary que tout le
monde était libre d'appartenir à
l'Eglise de son choix et pouvait envoyer ses
enfants à l'école qu'il
préférait, tout était
parfaitement tranquille. Mais voici que, mardi
dernier, le père Félix et ses adeptes
Jésuites commencèrent leurs attaques
en envoyant de tous côtés des bandes
de 20 à 40 individus qui, envahissant les
maisons, menaçaient nos gens et les
obligeaient à inscrire leurs enfants sur les
registres qu'ils colportaient avec eux. Ceux de nos
gens qui ont encore le courage de résister
aux Jésuites et se refusent à se
joindre à eux, tremblent pour leur vie et
redoutent ce qui peut arriver à leurs
enfants lorsqu'ils sortent de nos écoles
pour rentrer chez eux. Plusieurs n'ont
envoyé leurs enfants à l'école
des Jésuites qu'à la suite des
mauvais traitements qu'ils avaient
déjà subis de la part des adeptes du
père Félix.
« S'il n'y a pas bientôt
une intervention supérieure pour
résoudre ces difficultés, je me
demande ce que sera la fin de tout ceci.
« 13 décembre. - Voici
que m'arrive un groupe de cinq instituteurs qui se
considèrent en danger dans leurs villages,
et n'osent plus instruire les
enfants dans leurs écoles où ils ont
déjà été
attaqués plusieurs fois. Aujourd'hui
même un autre instituteur m'est arrivé
qui avait été cruellement battu sur
la route par une bande de partisans des
Jésuites. Ces adeptes des Jésuites
sont très audacieux et très
dangereux, et nous faisons tout notre possible pour
éviter toute querelle avec eux, parce qu'ils
n'hésitent pas à inventer les
histoires et les accusations les plus incroyables
au moyen de faux
témoins. »
Il y eut des pasteurs et des
chrétiens influents qui tombèrent
sous des balles françaises, victimes de
toutes ces odieuses calomnies.
Quelques-uns furent sauvés,
grâce à l'énergique
intervention de M. Escande qui parfois pliait sous
le fardeau : « Je perds pied,
quelquefois, disait-il au début d'avril. Ces
deux jours, j'ai reçu plus de 120 visites.
Et toujours ce sont des difficultés qu'on
m'apporte. »
Le secours cependant lui arrivait. Le
Comité de Paris avait envoyé,
dès le mois de février, deux
instituteurs, MM. Durand et Galland, et le 25 mars
s'embarquaient MM. Meyer, Delord, Ducommun, Minault
et Mondain.
Ils arrivaient juste au moment où
le gouverneur général venait de
prendre les mesures les plus graves. La reine avait
été déposée et
exilée à la Réunion le 28
février 1897. On envisagea un moment la mise
en accusation du principal pasteur de l'Eglise du
Palais, Andrianaivoravelona : lui aussi dut la
vie à M. Escande qui
obtint du général
de lui faire simplement partager le sort de
Ranavalona III.
La tâche dévolue aux
nouveaux missionnaires protestants arrivant de
France était très lourde. On confiait
de but en blanc à leur inexpérience,
l'École du Palais, l'École Normale,
et, bientôt après, le soin de
réorganiser les 800 écoles de la
Mission de Londres détruites par les
fahavalos. Outre cela, cinq grands districts
spécialement ravagés par la
propagande romaine. Il leur fallait une
activité dévorante mise au service
d'une prudence et d'un tact incomparables. Car
leurs ennemis étaient décidés
à ne leur pardonner aucune faute.
Ils avaient à rassurer les
Malgaches, à faire comprendre aux
autorités l'erreur commise dans la campagne
commencée contre les missionnaires
étrangers, et à maintenir cependant
leur renom de patriotes, car la calomnie les
guettait.
Une terrible épreuve vint
atteindre la Mission française dès
ses débuts. On n'a pas encore oublié
en France, l'émotion extraordinaire qui
saisit nos églises à la nouvelle du
tragique événement : MM.
Benjamin Escande et Paul Minault assassinés
par les
« fahavalo » !
Les deux missionnaires se rendaient au
Betsiléo, l'un à cheval, l'autre en
filanzane, accompagnés seulement de quelques
bourjanes. Ayant fait au préalable un
détour par l'ouest, pour visiter l'oeuvre
des Quakers, ils se
trouvèrent amenés
à emprunter une route peu
fréquentée dans la partie la plus
sauvage du massif de l'Ankaratra. Ils furent
attaqués par une bande armée de
fusils, près du marché
d'Ambatondradama, à vingt-cinq
kilomètres du poste de Ramaïmandro.
Eux-mêmes, confiants, voyageaient sans
armes ; incapables de se défendre, ils
furent bientôt frappés à mort.
Tous leurs bourjanes s'étaient enfuis, sauf
le brave Rainimanga, qui parvint à se sauver
au dernier moment et fit ensuite le récit de
l'attentat. C'était le 20 mai 1897. Le
lendemain, les deux corps étaient
retrouvés et transportés à
Ramaïnandro où ils reposent maintenant,
dans l'émouvant petit cimetière de la
Mission anglicane.
On se demanda si les meurtriers
n'avaient pas été plus ou moins
indirectement poussés à leur action
par des paroles prononcées à la
légère par des adversaires du
protestantisme. Quoiqu'il en soit, d'autres
chrétiens se levèrent aussitôt
pour remplacer les disparus. Dès juillet
partirent MM. Élisée Escande et
Lauriol, que M. Bénézech avait
précédés ; puis, en
octobre, MM. Vernier, de St-Vidal, Mlle Vidil, et
enfin, en décembre de la même
année, MM. Rusillon, Robert et M.
Rousseau.
La mission luthérienne avait, de
son côté, fait appel aux
luthériens du pays de Montbéliard qui
constituèrent un Comité
spécial à l'effet de lui trouver des
collaborateurs français et lui
envoyèrent MM. Péchin et
Brognard, puis, un peu pus tard
MM. Parrot et Pochard. Malgré ces renforts,
et malgré les assurances de
neutralité religieuse données par les
hauts fonctionnaires de l'administration, la
situation demeurait toujours sombre. M. Meyer,
conduisant M. Bénézech au Betsileo,
se heurtait dans maints endroits à des
incidents tels que celui qu'il a raconté
dans une lettre du 25 juillet 1897:
« À Ambodifiakarana, je
demande à la propriétaire de ma
case : - Y a-t-il des protestants
ici ?
« Elle regarde autour d'elle,
puis, tremblante, à demi-voix :
« - Izaho protestante, moi
protestante.
« À ***, je me
dirigeais vers le village, causant avec un
instituteur. À cinquante mètres de la
porte du village, il s'arrêta en
tremblant ; je lui dis :
« Qu'avez-vous ? Vous ne
venez pas plus loin ? Vous êtes
malade ?
« - J'ai peur.
« - Peur ?
« - Oui, j'ai peur que les
catholiques ne me voient avec
vous. »
M. Delord disait de son,
côté :
« Les Jésuites sont
loin de se relâcher. Ils reçoivent,
presque par chaque courrier, de nouveaux renforts,
et nous avons la tristesse d'apprendre qu'ils
occupent fréquemment de nouvelles positions.
On se fait d'étranges illusions sur la
nature de notre tâche. On pense que
nous sommes de vrais pasteurs,
presque des évêques, ayant la haute
direction d'Églises solidement
constituées, composées d'un certain
nombre, relativement considérable, de
chrétiens. Hélas ! il faut
revenir de cette idée. Au fond, nous sommes
et devons être encore de vrais missionnaires.
Bien des choses sont à faire, à
défaire et à refaire. Dans les jours
faciles, les choses marchaient tant bien que mal,
mais, depuis que la tempête a soufflé,
quel désordre ! quelle confusion !
quel laisser-aller ! Que de
désertions ! que de temples
brûlés par les Fahavalo ! que de
stations désorganisées par les
jésuites ! quelle recrudescence de
délations, de calomnies, de faux
témoignages ! Que de personnes
affolées cherchant plutôt
l'approbation des gouverneurs que celle de leur
conscience ! Que d'écoles, qui
comptaient autrefois des centaines
d'élèves et qui ne comptent plus
aujourd'hui que quelques unités, que
d'autres qui ont disparu, remplacées par les
écoles des Jésuites ! Cette
caractéristique concerne, il est vrai,
seulement les trois districts les plus
menacés, les seuls que je connaisse un peu
de visu. »
Dans le seul district d'Ambatomanga,
cinquante temples avaient été
brûlés, et toutes les écoles
étaient à rétablir.
D'autre part l'étendue de
l'oeuvre à reprendre se montra de plus en
plus importante.
Aux districts déjà
cédés s'ajoutèrent,
après la visite d'enquête des
directeurs de la Société
de Londres, ceux du Vonizongo et
d'Ambohibeloma, à l'ouest de la
capitale.
Les délégués
anglais MM. Thompson et Spicer, avant de partir,
voulurent que le rôle des missionnaires de
leur Société à Madagascar
fût nettement défini, pour faire taire
les calomnies répandues sur leur compte, et
dans ce but ils envoyèrent aux
Églises de l'Imerina une lettre circulaire
dont voici la conclusion :
« Vous donc, pasteurs et
maîtres d'école, sur qui repose le
soin d'éviter cette mise à l'index
dont est menacée notre
Société, que votre obéissance
complète au gouvernement de la France, que
votre conduite montre le cas qu'il faut faire des
grossières calomnies que l'on a
lancées contre vous. Nous croyons que vous
saurez montrer ce que vous valez, et nous sommes
pleins de confiance en votre sagesse et votre
esprit chrétien.
« Nous sommes heureux de
savoir que M. le général Gallieni a
proclamé souvent et sans réserve la
liberté de conscience, et qu'à
l'honneur de la République française,
il a rendu témoignage de l'entière
liberté que doivent avoir tous les enfants
de la France, de prier Dieu comme ils l'entendent.
Nous pensons que vous saurez vous montrer hommes
pour maintenir votre foi, et que vous prouverez
ainsi que tous les protestants de Madagascar sont
les meilleurs Français de l'île, les
meilleurs fils de cette France, la grande et
illustre nation à laquelle vous
appartenez. »
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