DOROTHÉE
TRUDEL
QUATRIÈME PARTIE
Les méthodes de quelques
guérisseurs par la foi
III
Christian Science (Science chrétienne)
Il était réservé aux
Américains de mettre un comble aux
exagérations relevées dans le
chapitre précédent. The Christian
Science dépasse, et de beaucoup, la secte
Peculiar People et les guérisseurs anglais
tels que Simpson oui Wood.
De quoi s'agit-il exactement ?
Tout simplement des élucubrations,
plus ou moins originales, d'une femme qui trouve,
bon de combiner quelques réminiscences
chrétiennes avec les négations les
plus gratuites et les plus fabuleuses.
C'est en effet Mrs Mary Baker Glover Eddy,
qui revendique l'honneur d'avoir inventé
(1),
en 1866, une sorte de
médecine à laquelle elle a
donné plus tard le nom de Science
chrétienne (Christian Science). On pourrait
la surnommer plus Justement
« médecine métaphysique
(2). »
Au premier abord, on ne comprend pas bien
comment il peut exister une relation quelconque
entre une fièvre, une sciatique, un mal
d'estomac, une pleurésie et la
métaphysique, la plus immatérielle
des sciences.
Cela est pourtant ainsi. Il est, du reste,
facile de s'en faire rapidement une
idée.
La clef de voûte de l'édifice
est cette thèse : la matière
n'existe pas. - Ce qui n'est certes pas nouveau.
D'après Mme Eddy, on y arrive très
simplement par le raisonnement suivant : Dieu
est tout - ceci s'impose à moins de nier les
trois premiers attributs de la
Divinité, Toute-puissance, Toute-science et
surtout Toute-présence, Dieu est esprit,
donc tout est esprit. La matière n'est pas
esprit, donc la matière n'existe pas.
Tirons de là les
conclusions :
Puisque Dieu est tout et tout est Dieu, tout
ce qui parait exister en dehors de lui, est
irréel et n'est qu'une illusion de
l'esprit.
Pour ce qui est de la création, elle
n'est pas une réalité, car Dieu n'a
rien pu créer, étant le seul
principe, la seule existence véritable.
Et le péché n'est aussi qu'une
illusion, une erreur de l'esprit mortel. L'esprit
mortel, quand il croit au péché,
croit à la désharmonie de l'univers,
laquelle est impossible, puisque Dieu est tout et
que Dieu est spirituellement bon. Le
péché, en d'autres termes, c'est
justement de croire au péché.
Puisqu'il n'y a pas de péché,
à quoi bon soutenir encore l'expiation par
le sang, de Jésus, le pardon, le
jugement ! Point n'est besoin d'un Sauveur.
Pourra-t-on parler de résurrection
des corps ? Nullement, puisque le corps c'est
de la matière, donc n'existe pas.
Et si le corps n'existe pas, il ne pourra ni
souffrir ni mourir. La souffrance, la mort sont des
aberrations de l'esprit.
En résumé, c'est donc à
l'esprit qu'il faut s'attaquer pour guérir
les corps. Puisque c'est l'esprit qui est malade et
se trouve la cause des souffrances imaginaires du
corps, c'est lui qu'il faut guérir. Comment
le guérir ? par des moyens spirituels.
Il faut guérir l'esprit par l'esprit.
« Un changement de croyance modifie tous
les symptômes physiques. »
Mais quelles sont les méthodes
recommandées par Mme Eddy pour convaincre
l'esprit de son erreur ?
Le seul remède vraiment utile et
efficace, c'est le livre que Mme Eddy a
publié en 1875, intitulé
« Science et Santé »
(Science and Health) avec une « Clef des
Écritures ». Ce
livre, supérieur à
notre Bible, puisqu'il l'explique et la rend
intelligible, ce livre saint pour les scientistes
chrétiens, n'est qu' « un amas
confus de matérialisme, de bouddhisme, de
criticisme moderne, de christianisme, de
théosophie et de bien d'autres choses,
encore
(3) ».
Il est vrai que tous les efforts d'imagination
qu'il renferme ne coûtent pas beaucoup de
peine au cerveau de la prophétesse :
« Je n'ai, dit-elle, qu'à tremper
ma plume dans mon coeur ! »
« Science et
Santé », voilà le seul
remède vraiment efficace. Achetez-le au prix
fabuleux de 17 fr. 50 ou de 22 francs (250 pages)
et vous pourrez compter sur la guérison,
rien qu'en le lisant. Le livre de 22 francs, cela
va de soi, est beaucoup plus efficace que celui de
17 fr. 50.
Mme Eddy n'ose pourtant pas recommander la
lecture de son livre comme unique moyen de
guérison. Il en existe quelques autres,
moins importants.
On peut suivre les cours de Mme Eddy ou d'un
de ses disciples dans un des nombreux
collèges métaphysiques qui couvrent
les États-Unis. Ces cours, divisés en
classe primaire de douze leçons, en classe
normale de six leçons, en cours
d'obstétrique métaphysique et de
théologie scripturaire de six leçons
chacun, reviennent, à l'étudiant qui
désire devenir disciple, à 800
dollars (quatre mille francs).
On peut se rendre dans les magnifiques
églises des scientistes chrétiens,
particulièrement dans l'
« Église Mère » ou
« de la Mère
(4) »,
construite dans le quartier fashionable de Boston,
au prix de deux millions et demi, et dont Mme Eddy
est le pasteur depuis 1881. Ou n'y entendra aucune
prédication. Le culte se réduit
à la lecture d'une portion de
la Bible et à celle d'un
ou de plusieurs chapitres de « Science et
Santé ».
On peut aussi se soumettre à l'action
persuasive d'un des nombreux disciples de Mme Eddy.
Mais Mme Eddy refuse de visiter les malades et de
donner des consultations médicales.
On peut encore se servir de bien des moyens.
L'important, c'est que l'on arrive à se
persuader, envers et contre tout, que l'on n'est
pas malade. Il faut dire à son corps
rebelle : « Qu'es-tu, toi ? Tu
n'as aucun pouvoir sur moi ; tu n'es qu'une
enveloppe qui m'a été donnée
pour le moment présent ; c'est une
erreur de supposer que je sois malade. »
Il faut dire à son esprit :
« Esprit, tu n'es pas malade, tu ne peux
pas être malade, car tu es immortel et fait
à l'image de Dieu. Je crois à cette
vérité, donc il ne reste plus de
place pour l'erreur, car deux choses ne peuvent
occuper un seul et même espace ; l'erreur ne
peut subsister en même, temps que la
vérité, donc l'erreur
n'existe pas, donc je ne suis
pas malade
(5) ».
Après ces affirmations, aussi ridicules
qu'étranges, si l'on n'est pas guéri,
c'est que l'on ne s'est pas assez persuadé.
L'esprit n'a pas été convaincu. Il
faudra donc recommencer.
Tels sont le principe, les conclusions et
les méthodes de la Science
chrétienne.
On se demande vraiment ce qu'il y a encore
de chrétien dans un tel système.
Dieu n'est plus le Dieu personnel et vivant
qui, dans sa bonté créatrice, a voulu
former des êtres libres et moraux ; ce
n'est plus le Dieu de la création, le Dieu
de Jésus-Christ, le Dieu vivant et vrai qui
s'occupe de ses créatures,
s'intéresse à leur sort, exauce leurs
prières. C'est un principe, l'Être
suprême, la sainte Réalité, la
Vérité et autres termes semblables,
auquel on adresse des prières dans le genre
de la Suivante
(6) :
Prière pour un dyspeptique :
« Sainte
Réalité ! nous croyons en
toi ; nous, croyons que tu es partout
présente. Nous le croyons réellement.
Réalité bénie, nous ne
prétendons pas croire, nous ne pensons pas
croire, mais nous croyons que nous croyons. Nous
croyons. Croyant que tu es partout présente,
nous croyons que tu es dans l'estomac de ce malade,
dans chaque fibre, dans chaque cellule, dans chaque
atome, que tu es la seule, l'unique
Réalité de cet estomac.
Céleste sainte Réalité, nous
voulons essayer de ne plus être des
hypocrites et des infidèles en affirmant
tous les jours notre croyance en toi, et puis en
disant immédiatement après que nous
sommes malades, oubliant ainsi que tu es Tout, et
que tu n'es pas malade et que, par
conséquent, rien dans cet univers n'a jamais
été malade, n'est malade à
présent et ne peut devenir malade.
Pardonne-nous les péchés que nous
avons commis en ce jour en parlant de nos douleurs
de dos, en disant à nos
voisins que notre nourriture
nous avait fait mal, en faisant allusion, devant un
visiteur, au poids que nous avions sur l'estomac,
en gaspillant le temps précieux que nous
aurions dû passer à ton service en
vaines inquiétudes pour notre estomac, en
désobéissant à ta loi divine
par la pensée qu'une médecine
quelconque pourrait nous être salutaire...
Brillante et glorieuse Vérité,
nous reconnaissons ce fait grand et splendide, que
du moment où nous croyons à la
Vérité, la maladie cesse de nous
troubler, qu'aussitôt ce qui nous semblait
une maladie, n'est plus qu'une croyance fausse, un
parasite, une excroissance haïssable, et que
ce qui arrive à notre corps n'est que
l'ombre du mensonge abrité par notre
âme. Seigneur, aide-nous à croire que
tout mal est absolument irréel, qu'il est
ridicule d'être souffrant, absurde
d'être malade, coupable de se plaindre, que
c'est de l'athéisme de dire :
« Je suis malade ». Aide-nous
à affirmer hautement, avec notre main dans
ta main, avec nos yeux fixés sur toi, que
nous n'avons pas de dyspepsie,
que nous n'aurons jamais de dyspepsie, qu'il n'y a
pas de chose semblable, qu'il n'y en a jamais eu,
qu'il n'y en aura jamais. Amen ».
Christ, notre Christ historique, et notre Christ
glorieux, Christ le Sauveur, le Messie, le Roi de
nos âmes n'est plus que l'homme normal, sans
péché, sans maladie, celui qui a su
libérer son esprit des
préjugés du monde et de la
chair.
Tout ce qui fait le christianisme, est
saccagé, rejeté,
ridiculisé : la foi - confiance est un
aveuglement mental ; la prière -
demande n'est qu'un exercice spirituel ou une sorte
de méditation qui ne peut être
exaucée ; et l'on ne peut même
pas dire que les scientistes chrétiens
possèdent cette charité qui se donne
et se dévoue, sans laquelle, d'après
saint Paul, tout le reste n'est que vanité.
On dirait, au contraire, qu'ils s'efforcent
d'étouffer la vérité qu'ils
affirment avoir découverte, en l'exploitant
à leur profit.
De son côté, Mme Eddy
refuse de mettre au service de
quelqu'un le pouvoir surnaturel qui semble lui
avoir été
conféré.
Enfin, notre Bible n'a jamais eu
d'interprétation plus fausse et plus
profane. L'homme le plus subtil ne pourra jamais
trouver son chemin à travers la Bible vers
la nouvelle doctrine, sans « la Clef des
Écritures » qui accompagne
« Science et Santé ».
C'est là seulement qu'on peut apprendre que
quand la Bible veut dire feu, elle dit peur ;
quand elle dit peur, elle veut dire chaleur, ou
ignorance, ou désir (7)
et quand il lui arrive de dire
éventail, elle entend
« séparateur entre la fable et le
fait réel ; ce qui donne de l'action
à la pensée. » On ne
s'étonnera donc plus si sa manière
d'entendre le texte paraît paradoxale au
premier moment. Nous en offrirons seulement un
exemple. Dans le passage du
chapitre
III de la Genèse (v.
13) :
« le serpent m'a trompé
et j'en ai mangé », il a
généralement été admis
qu'Eve cherchait à rejeter la faute de son
péché sur le serpent ;Mme Eddy
pense tout autrement :
« La femme dit-elle, est la
première à confesser sa
faute » et voici les déductions
lointaines qu'on en tire : la femme, par cette
parole, montre qu'elle a déjà compris
que Satan est la matière, « elle
abandonne la première croyance à
l'origine matérielle de l'être humain
et discerne la création spirituelle. Ceci
rend capable la femme d'être la mère
de Jésus. » Ce n'est pas
tout ; Mme Eddy profite de l'occasion pour
sanctionner aux yeux du monde étonné
sa propre mission : « Ceci fait que
c'est une femme qui est la première à
interpréter les Écritures dans le
vrai sens
(8). »
Après un tel amas de
panthéisme, de mensonges et de profanations,
on ne peut que dire la parole du psalmiste :
« Les fous disent qu'il n'y a point de
Dieu. »
Et cependant, nous n'en avons pas encore
fini avec la Science chrétienne ; car
il nous serait tout aussi facile de prouver qu'elle
n'est pas plus scientifique que
chrétienne.
C'est Mme Eddy qui, faisant fi des lois
de la nature, écrit : « Les
saisons viendront et passeront avec leurs
changements de temps et de marées, de chaud
et de froid, de latitude et de longitude.
L'agriculteur verra que ces changements ne peuvent
affecter sa moisson. Le marin exercera sa
domination sur l'atmosphère et la mer
profonde (litt. : « la grande
profondeur »), sur les poissons de l'eau
et les oiseaux de l'air. L'astronome ne regardera
plus en haut vers les étoiles, il regardera
depuis les astres même sur l'univers, et le
fleuriste trouvera sa fleur épanouie avant
qu'il en ait seulement vu la graine
(9). »
C'est Mme Eddy qui nous donne les
règles principales dont doit se
pénétrer le médecin pour la
pratique de son art. « L'anatomie, la
physiologie, les livres de
médecine - et d'hygiène ne sont pas
les causes de la maladie. C'est en
présentant à l'esprit humain l'image
de la souffrance et du désordre que les
médecins font naître cette souffrance
et ce désordre chez leurs patients ;
ils travaillent ensuite à détruire
leur propre oeuvre. S'il y avait moins de
médecins, si l'on s'occupait moins de
questions sanitaires, aurait pas tant de malades
(10). »
C'est Mme Eddy qui déclare
superflue la propreté, cette pierre de
l'angle de l'hygiène sociale et
individuelle. « Les ablutions
quotidiennes d'un enfant, dit-elle quelque part, ne
sont pas plus nécessaires et naturelles
qu'il le serait de prendre un poisson hors de l'eau
une fois le jour et de le couvrir de boue, en sorte
de le faire prospérer plus vigoureusement
après dans son élément naturel
(11). »
Enfin - cela n'aura plus le don de nous
étonner - c'est Mme Eddy
qui espère supprimer la faim,
« les plaisirs du goût
n'étant qu'une illusion
sensuelle », supprimer aussi la
vieillesse et ses infirmités et enfin
terrasser la mort.
Voilà le beau programme
anti-scientifique de Mme Eddy.
Et si vous lui demandez pourquoi elle
continue à se nourrir, pourquoi ses cheveux
sont devenus blancs (on dit même qu'elle est
malade et paralysée), pourquoi enfin elle ne
peut affirmer qu'elle ne mourra pas, elle vous
répondra que nous sommes « encore
trop profondément encrassés dans la
croyance de la matière » pour que
l'erreur cède le pas et que,
particulièrement, les trois notions de
nourriture, de vieillesse et de mort sont trop
universellement admises depuis longtemps, pour que
ses disciples et elle-même puissent se
débarrasser entièrement de leur
hérédité.
La réponse est si faible et la
théorie si
foncièrement ridicule en
soi, que nous n'aurions jamais pensé aborder
ce sujet, que nous l'aurions en tout cas
considérablement abrégé, - si,
hélas ! on ne sait pas pourquoi ni
comment, la Science chrétienne n'avait fait
de nombreux adeptes convaincus et militants. En
1898, elle comptait en Amérique 70.000
membres et 10.000 pasteurs. Et, selon les
assertions de la presse, le nombre des membres de
l'Eglise, qui ne doit pas être confondu
à ce celui des adhérents,
s'élevait à près d'un
million.
Ce n'est pourtant pas là que se
trouve la vraie raison de ce long chapitre. Si la
Christian Science ne s'était
développée qu'en Amérique,
nous aurions pensé que les Américains
seuls étaient capables d'adhérer
à une théorie aussi étrange.
Mais le Dowiéisme a paru ; il a fait et
fait encore en Allemagne des ravages terribles,
après avoir à peu près
échoué en Angleterre. Passera-t-il
maintenant sur les peuples de langue
française ?
L'avenir nous le dira. Quant à
nous, nous le craignons
(12).
Aussi, pour prévenir le danger,
il nous a paru utile d'étaler au grand jour,
devant la raison, devant la foi, devant la
conscience, des hommes sincères, tout ce que
renferme de faux, d'anti-scientifique et
d'anti-évangéliques la Christian
Science, dont Dowie n'est qu'un des nombreux
disciples par trop zélés.
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