DOROTHÉE
TRUDEL
QUATRIÈME PARTIE
Les méthodes de quelques
guérisseurs par la foi
II
Les guérisseurs anglais
Dans un entrefilet paru cette année, vers
le mois de mars un des collaborateurs du journal la
Dépêche parlait du « Trust
de la prière », comme l'on parle
maintenant du « Trust de
l'Océan », et se moquait de ces
gens qui, refusant les secours médicaux,
n'emploient comme seul remède à leurs
maux que la prière et affirment bien haut
qu'il suffit de prier pour être guéri.
Il faut dire que ce journaliste avait surtout en
vue les guérisseurs anglais.
La faute en revient, avouons-le, à la
grande majorité des guérisseurs
anglais eux-mêmes, qui n'ont pas mis de frein
à leurs
exagérations aussi
fausses que dangereuses. Ce n'est pas nous qui nous
chargerons ici de les défendre.
Cependant, comme nous désirons
apporter des faits, il nous parait utile de faire
connaître brièvement les
théories et les méthodes les plus
avancées de ces guérisseurs, afin de
faire sentir où se trouve l'erreur, et de
retenir dans le juste milieu ceux qui seraient
tentés de les suivre, en se fondant sur une
mauvaise exégèse biblique, aussi
funeste pour la foi que pour
l'incrédulité.
Le principe faux d'où découle
toute la théorie de ceux que nous
appellerons les guérisseurs anglais
(1), se trouve
dans leur affirmation que la maladie n'a pas
été voulue de Dieu, qu'elle est,
comme la mort, une conséquence de la chute,
et que Jésus-Christ, dans son oeuvre de
Rédemption est venu pour nous
en délivrer, de
même qu'il nous délivre du
péché qui en a été la
cause. En un mot, péché et maladie
marchent de pair, sainteté et santé
font de même.
Il est certain que le péché
peut être parfois la cause de la souffrance,
la maladie un châtiment du
péché. Nous ne saurions affirmer le
contraire, puisque les faits ont déjà
parlé. Il n'y a, en effet, qu'à se
rappeler ces malades que Dorothée Trudel vit
se rétablir lorsqu'ils lui eurent
confessé leurs fautes, leurs
péchés les plus graves
(2).
Mais de cette constatation à
l'affirmation des guérisseurs anglais, il y
a une exagération dangereuse qui ne s'appuie
que sur une interprétation biblique
absolument fausse et dont on ne sait vraiment
comment arrêter l'influence néfaste
quand on pense aux innombrables brochures
(3) qui la
répandent.
Avant la chute du premier homme, la maladie,
la souffrance, la mort même étaient
là.
- Là ? puisque Dieu dit à
l'homme : « Si tu manges du fruit de
l'arbre de la connaissance du bien et du mal, tu
mourras de mort » ; ne fallait-il
pas que l'homme sut ce que c'était que la
mort ?
- Là ? puisque Dieu dit à
la femme : « J'augmenterai ta
douleur » ; preuve que la douleur
avait déjà fait son apparition. Le
mal physique existe donc avant la chute. Il ne
dépend pas de l'homme de l'empêcher.
Ce qui dépend de lui, c'est de se
préserver du péché et de
garder ainsi, pur de toute souillure, le berceau de
l'humanité. Quant au mal physique, il n'est
qu'une des conditions de l'épreuve morale,
but dernier de l'existence terrestre.
Donc sainteté et santé ne sont
pas deux termes corrélatifs. « La
santé n'est pas plus la conséquence
nécessaire de la sainteté que la
sainteté n'est la condition indispensable de
la santé (4). »
Trop d'exemples tirés de
notre Bible nous le rappellent
du reste, pour que nous puissions encore fermer les
yeux et soutenir pareille théorie.
(5)
Dorothée Trudel ne nous semble pas
avoir atteint cette exagération. Pour elle,
la maladie ne parait pas avoir été la
punition méritée d'un ou de plusieurs
péchés. Cependant elle attirait
volontiers l'attention de ses auditeurs sur le fait
que, dans bien des cas, le péché
pouvait entraîner la douleur, et l'assurance
du salut provoquer une joie intérieure qui,
se propageant à travers l'être
physique lui-même, diminuerait
l'intensité de la souffrance. Le fait
qu'elle ne promettait à personne la
guérison, vient appuyer, ce nous semble,
cette opinion. (6)
Après s'être fondés sur
un principe faux, les
guérisseurs anglais ne purent qu'en tirer
des conséquences également fausses.
On s'étonne pourtant de ne pas les voir
abandonner le principe devant les dangers de ses
conséquences.
L'une des premières
conséquences, c'est qu'on commande à
Dieu de guérir les corps. Dieu, dit-on, veut
guérir tous les malades, puisqu'il veut
sauver tous les pécheurs. Donc il ne faut
plus employer la formule :
« Guéris-moi, si c'est ta
volonté ! » mais
celle-ci : « Guéris-moi, car
c'est ta volonté, ! »
Ce « car » qui remplace
le « si », c'est là
porte ouverte aux supplications les plus hardies,
les plus téméraires, aux
prières les plus volontaires, par
conséquent aussi, celles où l'on sera
le moins porté à l'humiliation,
à la soumission, à l'amour. Est-ce
ainsi que pria Jésus ? Lui, qui resta
soumis jusque sur le Calvaire, qui en toutes choses
s'inclina devant la volonté du Père
et put Lui dire toujours : « Non pas
ce que je veux, mais ce que tu
veux ? » Est-ce ainsi que
prièrent les apôtres ?
- Quand saurons-nous joindre à la foi
persévérante cette soumission pleine
de confiance sans laquelle nos prières ne
seront pas efficaces ! Car nous ne pouvons pas
nous targuer de connaître la volonté
du Père céleste. Affirmer que Dieu
veut nous guérir, c'est être
présomptueux, c'est déjà
redescendre vers l'orgueil spirituel qui
arrête et détruit en nous l'oeuvre du
Saint-Esprit.
Dorothée Trudel sut rester dans la
juste mesure. Jamais on ne vit prières plus
ardentes et soumission plus résignée,
foi plus sincère, plus héroïque
et confiance plus absolue. Elle se
réjouissait des exaucements du Père
céleste, mais n'en tirait aucune vaine
gloire. Au contraire, cela l'humiliait davantage,
et sa foi en était purifiée.
Si nous revenons à nos
guérisseurs anglais, nous nous trouvons en
présence d'une seconde conséquence,
qu'entraîne logiquement avec lui le principe
faux qui unit sainteté et santé comme
deux termes corrélatifs.
puisque sainteté et
santé, nous dit-on, sont deux termes
corrélatifs, comme il a y une correspondance
exacte entre l'état du corps et celui de
l'âme, la guérison suivra une marche
proportionnée aux progrès que le
malade réalisera dans la foi et dans la
sainteté. Si le malade n'est pas du tout
délivré de son affection corporelle,
c'est qu'il ne possède pas la
« vraie vie en Jésus »,
au moins dans son degré
supérieur ; s'il ne l'est qu'à
moitié, c'est qu'il ne la possède
qu'à moitié.
On devait s'y attendre. N'est-ce pas tout
à fait logique ? - Et pourtant,
l'exagération est si forte qu'il suffit
presque de l'énoncer devant un esprit sain
et réfléchi, pour qu'il la
considère aussitôt comme
téméraire et dangereuse.
N'est-il pas, en effet,
téméraire et dangereux de dire
à un malade : « Si tu as une
foi ferme et une conscience pure, tu seras
infailliblement guéri par l'invocation du
nom du Christ et l'imposition de mes mains. Si tu
n'es pas guéri, c'est qu'il manque quelque
chose à la fermeté
de ta foi ou à la pureté de ta
conscience. »
Téméraire ? parce que
vous ne savez pas ce que Dieu réserve
à ce malade, qu'il se peut bien qu'il
guérisse sans être converti, ou qu'il
ne guérisse pas bien qu'ayant la foi
nécessaire. « La maladie, dit M.
Chaponnière, n'est qu'une des nombreuses
épreuves qui pèsent ici-bas sur
l'humanité déchue, et il n'y a pas de
raison pour que les croyants et les saints en
soient exemptés plus infailliblement qu'ils
ne le sont, par exemple, de l'insuccès ou de
la pauvreté
(7). »
Dangereux ? parce qu'il nous semble
qu'un tel langage présente un double
péril que M. Chaponnière
résume très bien lorsqu'il
écrit
(8) :
« Si le malade guérit, ne
risquera-t-il pas d'aller échouer sur le
récif de l'orgueil spirituel, de se croire
arrivé à un degré de
sainteté tout à fait
extraordinaire ? S'il
demeure au contraire malade, ou
s'il rechute, n'ira-t-il pas se briser contre
l'écueil du décourageaient moral, du
désespoir religieux, ne se croira-t-il pas
fatalement voué à la
réprobation divine
(9) ? »
Est-il utile d'ajouter que Dorothée
Trudel ne tomba jamais dans cette
exagération, puisque jamais elle ne promit
la guérison à un malade, fut-il
même converti ? Son point de vue resta
toujours : « Si tu as la foi, la
prière peut te guérir ; le
Seigneur en décidera. »
« Le Seigneur en
décidera », voilà le vrai
point de vue. Malheureusement, les
guérisseurs anglais oublièrent
totalement que Dieu est libre de faire ce qui lui
semble bon et qu'il peut lui sembler bon de
prolonger la souffrance physique dans
l'intérêt de l'épreuve morale.
Du même coup, ils enchaînèrent
l'homme à une méthode unique,
invariable, obligatoire et la conséquence
dernière ne se fit pas attendre.
Cette troisième conséquence
s'est transformée en principe chez une secte
spéciale connue sous le nom de Peculiar
People (Peuple particulier) et qui soutient que le
chrétien ne doit jamais consulter de
médecin ni prendre de remèdes, mais
qu'il doit recourir, en cas de maladie, à
l'onction d'huile et à l'imposition des
mains des anciens de l'Eglise.
Cette erreur, depuis son apparition, a fait
beaucoup de chemin et s'est glissée partout,
dans tous les milieux, dans toutes les classes de
la société, non pas seulement en
Angleterre ou en Amérique, mais encore en
Allemagne, en Suisse et en France. Il semble donc
que médecin et guérisseur doivent
rester toujours deux adversaires, remède et
prière deux moyens inconciliables entre
lesquels il faille choisir.
Même Dorothée Trudel ne
paraît pas avoir été exempte de
cette exagération-là. N'est-ce
pas le, manque d'hygiène
et l'absence de médecins qui ont fait que,
dans les maisons de Maennedorf,
l'épidémie meurtrière qui a
emporté la pieuse directrice
elle-même, a pu se développer
prodigieusement
(10) ? Et
cependant, Dorothée Trudel n'eut pas sur ce
sujet une règle fixe, invariable. Elle
appelait les médecins dans les cas les plus
graves et n'empêchait jamais malades ou
parents de les faire venir s'ils le
désiraient
(11).
Il faut d'ailleurs avouer que, plus la
maison de Maennedorf fit d'expériences, plus
elle devint circonspecte et modérée
dans la pratique des guérisons par la
prière. Et M. Zeller est, sous ce rapport,
beaucoup plus sobre que ne l'était
Mütterli. On peut en dire autant de
l'établissement du pasteur Blumhardt
à Boll, et de celui de M. Stockmayer, un
imitateur de Dorothée Trudel, à
Hauptweil.
Quoi qu'il en soit, ce que nous
désirons faire remarquer,
c'est le danger de cette troisième erreur,
introduite par les guérisseurs anglais avec
leur principe inexact. Car cette idée fausse
peut conduire aux plus lamentables
aberrations.
C'est ainsi que, si, d'un côté,
les membres, de la secte Peculiar People se font
gloire de plusieurs cas de guérisons
survenues d'une manière soudaine, à
la suite de leurs prières, d'autre part,
leurs voisins citent un plus grand nombre encore de
cas de morts naturelles qui se sont produites au
sein de ces familles et qui auraient pu être
prévenues par des soins médicaux. Et
ne raconte-t-on pas la triste histoire de ce
missionnaire qui aima mieux mourir de la
fièvre au milieu du grand désert
d'Afrique, plutôt que de contrevenir à
ses principes en prenant une dose de quinine
(12) ?
Au lieu d'en arriver à de tels
désastres, reconnaissons que notre Bible ne
nous défend nullement l'emploi des
remèdes et que bien souvent elle nous
rapporte des guérisons qui ont
été accompagnées de l'emploi
de moyens humains. Reconnaissons que ce n'est pas
faire preuve d'une insuffisance de foi, d'un manque
de confiance à l'égard de Dieu que de
se servir de remèdes que Dieu lui-même
permit à notre intelligence de
découvrir et d'appliquer, après leur
avoir assigné dans sa création pleine
de sagesse, une place à occuper, un but
à atteindre. Reconnaissons enfin que Dieu
est libre de guérir comme il lui
plaît, de guérir directement par un
effet de sa miséricorde et de sa puissance,
mais aussi de guérir indirectement par
l'intermédiaire des causes secondes,
comme l'emploi des
remèdes ou le recours au médecin.
Dieu est libre dans le choix du mode et des
conditions de son intervention. Nous adopterons
donc la conclusion de M. Chaponnière qui
écrit dans son intéressant article
« Sainteté et
Santé » :
« Notre principe, à nous,
le voici. Si nous sommes malades, nous devons
employer les remèdes que les hommes de l'art
nous prescrivent, sauf dans deux cas, celui
où Dieu refuse de les mettre à notre
portée, et celui où
l'expérience nous démontre leur
complète inefficacité.
En dehors de ces deux cas, le rejet
systématique des moyens naturels de
guérison nous semble condamné, par la
réponse que le Seigneur fit au démon,
qui lui suggérait de se jeter du haut en bas
du temple en s'en remettant aux bras des anges pour
le porter : « Il est
écrit : Tu ne tenteras point le
Seigneur ton Dieu
(13). »
Et nous nous souviendrons aussi de la
parole d'Ambroise Paré,
si souvent redite, mais toujours vraie :
« Je le pansay, - Dieu le
guarit ! »
En résumé, ne pas
reconnaître les progrès de la science
et en faire fi ; - rejeter la liberté
divine et enchaîner Dieu à un
déterminisme qui l'oblige à
guérir les uns et à refuser tout
secours aux autres ; - forcer l'homme enfin
à considérer la maladie comme un
péché et la foi comme un gage certain
de la guérison du corps, - c'est souvent
tuer son corps, dissoudre sa foi, perdre son
âme, - c'est en tout cas amener les
incrédules à se moquer, les
journalistes à dénigrer le
Christianisme et les âmes simples à
douter.
Aux guérisseurs anglais à
refaire leur exégèse, à
comprendre mieux leur Bible et à supprimer
de leurs systèmes ces exagérations
dangereuses, qui nuisent plutôt à
l'avancement du règne de Dieu, qu'elles n'y
contribuent.
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