Oeuvres de
Rabaut-Saint-Etienne
LE VIEUX
CÉVENOL
CHAPITRE III.
Embarras
d'Ambroise.
Ambroise avait
déjà près de quinze ans, et il
ne savait point de métier. Il lisait et
écrivait très-bien, grâces aux
soins de sa mère et aux attentions de son
oncle. On lui avait appris à craindre Dieu,
et à faire du bien aux hommes. Il
était droit, franc, généreux;
sa physionomie prenait déjà un
caractère intéressant, on y lisait la
bonté de son coeur. Avec de telles moeurs et
les talents qu'il annonçait, il n'y avait
pas d'état honnête qu'il ne put
embrasser; il en
était temps, et il y pensa lui-même.
Mais il était embarrassé sur le
choix; cependant, comme il avait souvent entendu
dire que son aïeul avait été un
avocat très-célèbre, et que
cet état donne de la considération,
surtout dans les petites villes, il se
décida d'abord pour cette profession. Il
alla donc trouver un praticien de sa connaissance,
pour lui faire part de sa résolution et le
consulter: il voulait l'engager à le prendre
chez lui, et à lui donner les premiers
principes de son art. Le praticien lui
témoigna beaucoup d'amitié; mais il
lui dit que la profession d'avocat était
interdite aux protestants (1), et que par
conséquent il perdrait à
étudier cette profession un temps
précieux, qu'il pourrait employer à
quelque autre chose.
Le jeune homme, étonné, et surtout
très-affligé de voir ses projets
détruits, répondit que, s'il ne
pouvait pas être avocat, il voudrait du moins
être procureur ou notaire, qu'il avait
toujours eu du goût pour la pratique, et
qu'il espérait de pouvoir entrer chez lui
pour y faire son apprentissage. Le praticien lui
dit que cela ne se pouvait pas non plus; qu'il y
avait quatre ou cinq déclarations du roi qui
interdisaient tous les procureurs protestants
(2); que, d'ailleurs,
il ne pourrait pas le prendre pour
clerc, vu
qu'il y avait une autre déclaration du roi
(3) qui
défendait à tous les gens de palais
de prendre aucun clerc
protestant, à peine de mille livres
d'amende.
« Mon ami, lui dit-il enfin, renoncez à
entrer dans le palais, et à revêtir la
robe noire; les lois ne vous permettent pas
même d'être huissier, sergent, archer
ni recors(4): le sanctuaire
toujours pur de la justice ne doit point être
souillé par l'odieuse
hérésie.»
Ambroise, qui avait beaucoup
de jugement pour son âge, trouva si singulier
que les opinions des protestants fussent une raison
de les exclure de l'étude de la chicane, que
tout chagrin s'évanouit, et qu'il sortit de
chez le praticien en riant de toutes ses
forces.
« Allons, dit-il, trouver un médecin;
il vaut encore mieux employer sa vie à
guérir les maladies des hommes, qu'à
s'occuper de leurs querelles et de leurs
folies.»
Arrivé chez le
médecin, Ambroise, qui riait encore, lui
raconta son aventure, et lui dit qu'il s'estimait
heureux d'être ainsi repoussé par les
déclarations du roi, puisque cela le
conduirait à embrasser une profession
infiniment plus noble et plus utile. Le
médecin convint avec lui que son
état était le plus honorable de tous:
il lui fit observer que le premier médecin
avait été déifié, et
qu'on l'adorait à Épidaure sous la
figure symbolique d'un serpent.
« L'univers, ajouta-t-il, répète
les noms immortels d'Hippocrate, de Galien, de
Celse, de Rasés, de Boerhaave. Parmi les
modernes, il en est sans doute auxquels la
postérité rendra
la même justice; et tel que sa
modestie empêche de se louer
lui-même, en sera bien
dédommagé par les éloges de
nos neveux. C'est nous, mon ami, qui donnons
l'immortalité par l'étude des plantes
et des secrets de la chimie; toute la nature est
contrainte par notre art a se réduire
à ses premiers principes; les trois
règnes fournissent à nos
opérations, et le grand monde se
décompose en nos mains, pour conserver
l'harmonie du microcosme, ou petit monde, qui est
l'homme.
D'où je conclus qu'un grand médecin
est l'homme le plus utile dans un état;
aussi en a-t-on vu plusieurs qui ont
été admis à la table des rois.
Darius mangeait avec son médecin;
Métrodore menait à sa suite tous les
malades qu'il avait guéris, et
plusieurs d'entre eux portaient la couronne. Voyez
si un avocat peut se glorifier de rien de
semblable. Mais plus notre profession est noble et
relevée, et plus on doit en écarter
avec soin de misérables
hérétiques, qui souilleraient, par
leurs opinions erronées, la pure
vérité, l'âme de la
médecine; aussi le Père
Lachaise et monseigneur de Louvois ont-ils
ordonné que pour être bon
médecin, il fallait être
catholique.»
Ambroise lui demanda si
Esculape, Hippocrate et Galien l'avaient
été.
« Non, lui répondit le docteur; ils
étaient païens, et je ne sais comment
Dieu permit qu'ils devinssent aussi habiles:
mais cela arriva du temps
des miracles; et comme il ne s'en fait plus
aujourd'hui, il est clair qu'il n'y a que les
catholiques qui puissent être
médecins.
- Il y a donc aussi, monsieur, quelque
déclaration du roi qui défend de
recevoir des médecins protestants?
- Oui, mon ami; elle est du 6 août 1685
; et c'est
là une preuve admirable de la sagesse du
Père Lachaise; car, entre nous, je
ne vois pas qu'un protestant ne puisse fort
bien exercer la profession d'avocat; pour juger si
une cause est bonne ou mauvaise, peu importe la
religion que l'on professe. Mais un médecin
pro testant est une peste dans la
société; s'il y en avait encore
ici, ce serait la source de deux maux:
1° je travaillerais peut-être moins, ce
qui serait très-pernicieux au
public;
2° la profession d'avocat vous étant
interdite, le nombre des médecins de la
religion prétendue réformée
augmenterait si considérablement, que peu de
catholiques s'attacheraient à cette belle
science (5); et il est
aisé de voir que cela serait dans la
suite très-préjudiciable au salut de
nos malades, parce que les médecins de la
religion prétendue réformée ne
se mettraient guère en peine de les avertir
de l'état où ils se
trouveraient, pour recevoir les sacrements. Le R.
Père Lachaise prétend que les
hérétiques doivent recevoir les
sacrements, quoiqu'ils n'y croient point, et veut
pourvoir ainsi au salut des
incrédules: il ne songe pas aux
biens temporels (ce ne fut
jamais le but des jésuites), mais c'est au
ciel, où il veut vous pousser malgré
vous. Quant à moi, j'approuve de tout
mon coeur cette déclaration du roi:
avant elle je mourais de faim; il y avait ici trois
vieux radoteurs qui faisaient tout; ils sont
passés en Angleterre ou en Hollande;
ils se sont associés avec Boerhaave et
Sidenham. Me voici seul, il faut bien qu'on
vienne à moi...»
Ambroise admirait comment les lois, qui ne sont
réellement bonnes qu'autant qu'elles font le
bonheur général, ne le paraissent
cependant à chacun de nous, qu'à
proportion de ce qu'elles favorisent notre
intérêt particulier; et il admirait
encore davantage, qu'il fallût être
catholique pour avoir la permission de
guérir.
« Si j'étais malade, disait -il,
je ne demanderais pas de quelle religion est mon
médecin; je demanderais seulement s'il est
habile; mais le Père La chaise a ses raisons
pour penser autrement.»
Tout en ruminant là-dessus, Ambroise sortit
de chez le docteur; et comme sa tête
était remplie des belles choses qu'il avait
dites sur l'excellence de la médecine, il
lui prit envie de se faire apothicaire.
« Ici, dit-il, je ne trouverai pas les
mêmes difficultés; les
apothicaires ne sont pas consultés par
les malades, et par conséquent ne
peuvent pas empêcher qu'on ne leur
porte les sacrements. La vente des drogues et
la distribution des remèdes n'influent en
rien sur la foi et sur le salut; et les
jésuites, qui sont si zélés
pour le bonheur éternel des
âmes, ne nous auront pas dé
fendu cette modeste
profession. Il est vrai qu'elle a n'est pas aussi
honorable, et que j'aimerais mieux sans doute
donner des ordonnances que les exécuter;
mais enfin ma religion m'exclut des honneurs, et il
faut se soumettre à sa
destinée.»
Il finissait à peine
ces réflexions, qu'il se trouva devant la
boutique d'un apothicaire. Son parti était
pris; il entra, et se présenta au
maître avec une douceur tout-à-fait
intéressante. On lui demanda ce qu'il
souhaitait; il le dit avec franchise, et ne manqua
point de raconter son embarras, et comment ne
pouvant être ni avocat, ni procureur, ni
notaire, ni assesseur, ni opinant, ni huissier, ni
sergent, ni archer, ni médecin, il venait
demander s'il serait possible qu'il fût
apothicaire. Il exposa, avec une innocence
enfantine, les raisons qui lui faisaient
croire qu'un protestant pouvait vendre de la casse,
sans exposer le salut de ses voisins; mais on le
convainquit bientôt qu'il se
trompait.
« Encore une déclaration du roi !
s'écria le pauvre Ambroise!
- A peu près, mon ami; c'est un édit
du roi, du 15 septembre 1685 , qui
défend à tous chirurgiens et
apothicaires de la religion prétendue
réformée de faire aucun exercice de
leur art (6).
- Mais quelle peut être la raison de cette
défense ?
- C'est que les apothicaires, étant
appelés cinq ou six fois dans
l'année à aller voir les
malades, ayant fait des études de
théologie, pourraient détourner les
protestants d'embrasser la religion catholique.
Ainsi il est prudent, pour le
salut des maudits malades, qu'il n'y ait que des
catholiques qui les approchent.»
Ambroise, qui ne s'était pas douté de
ce motif, lui répartit:
« Si cela est ainsi, il faut donc que tous
ceux qui environnent un malade soient catholiques;
que ses domestiques le soient
aussi?
- Sans doute, dit l'apothicaire: aussi y a-t-il une
déclaration du roi qui défend
à ceux de la R. P. « R. d'avoir
d'autres domestiques que des catholiques
(7) ; et c'est sagement
fait, parce que ce sont là autant
d'espions, qui sauront tout ce qui se passera
dans vos maisons, et qu'ils en instruiront le
révérend Père
Lachaise.
- Encore le Père Lachaise! dit Ambroise; et
c'est donc lui qui dresse toutes ces
déclarations ?
- Oui, mon ami, c'est par zèle pour le
salut de nos âmes, qu'il prend tant de soins
et de précautions pour
détruire l'hérésie et
persécuter les hérétiques.
C'est pour cela aussi que toutes les sages-
femmes protestantes sont interdites de leurs
fonctions par une déclaration du roi
(8). Il est vrai qu'en
plusieurs en droitsil n'y en a
point d'autres, et que beau coup de femmes en
couches sont mortes sans secours; mais elles
ne sont mortes que de la mort temporelle, ce qui
n'est pas un grand mal pour l'état. Il
y a, comme vous voyez, du monde de reste en France,
puisque l'on en tue et que l'on
en bannit une si grande quantité.
Autrefois l'on croyait que la force d'un empire
consistait dans sa population; mais on est bien
revenu de cette folie, et les jésuites
ont prouvé qu'un état ne peut manquer
de prospérer, tant qu'il sera peuplé
par eux et par leurs adhérents.
- En sorte, dit Ambroise, que le royaume
d'Angleterre doit nécessairement
périr, et que les Anglais ne
nous battront jamais?
- Ils nous battent à la
vérité quelquefois, dit
l'apothicaire; mais c'est pour nous punir de nos
péchés, et pour nous empêcher
de nous livrer à l'orgueil, qui marche
à la suite de la victoire, que Dieu trouve
à propos de leur
donner; et les jésuites nous assurent
que s'ils triomphent sur la terre, nous
triompherons dans le ciel.»
Ambroise, qui avait couru
toute la journée, était
extrêmement fatigué; son esprit,
rempli de toutes les difficultés qu'il avait
rencontrées, était si
préoccupé, qu'il n'écoutait
plus ce qu'on lui disait: il tira sa
révérence de moins bonne grâce
qu'il ne l'avait fait en entrant, et retourna chez
lui très-embarrassé du parti qu'il
pourrait prendre.
« Enfin, disait-il, il ne faut pas se
décourager; peut-être reste-t-il
encore deux ou trois professions à exercer;
qui sait s'il n'y a pas quelque moyen de
vivre en France, sans être
médecin, chirurgien,
accoucheur, apothicaire, avocat, procureur,
notaire, huissier, sergent, recors, fermier du roi,
directeur, contrôleur, commis, garde,
employé, fermier des gens d'église,
féodiste, expert, libraire, imprimeur,
orfèvre, etc., etc., etc.(9)?»
CHAPITRE
IV
Parti que prend
Ambroise
Notre jeune Cévenol
dormit très-peu cette nuit- là, il la
passa tout entière à chercher quel
état il pourrait embrasser. Après
avoir parcouru ceux qui lui restaient, il
s'arrêta à l'étal militaire. Sa
mère était à peine
levée, qu'il entra dans sa chambre; et
après lui avoir raconté toute sa
fâcheuse journée de la veille, et son
embarras sur le choix d'un état, il lui
demanda ce qu'elle pensait de celui du service, et
si, avec de la sagesse et du courage, il ne pouvait
pas y faire son chemin: du moins, ajouta-t- il, il
n'est pas interdit aux protestants.
« J'espère, mon fils, lui dit alors sa
mère, que, dans le choix d'un état,
vous ne ferez rien sans me consulter. Je veux
vous laisser libre, sans doute, mais vous avez
besoin de mon expérience; ce sont des
conseils, et non des ordres, que je veux vous
donner. Il est vrai, mon fils, que la profession
militaire n'est pas directement interdite aux
protestants; mais le roi s'est expliqué,
en déclarant que ses grâces ne
seraient réservées qu'aux seuls
catholiques; or, comme les grâces d'un prince
ne doivent être que des actes de justice et
des récompenses, c'est comme s'il
avait déclaré qu'il ne
récompenserait point les
services de ses sujets
protestants(10). Vous voyez
donc qu'il n'y a point d'avancement à
attendre pour vous; et en effet, les officiers
protestants languissent tous dans les emplois
subalternes: l'on est parvenu à les
dégoûter de leur état; ce
qui, avec les persécutions, a beaucoup
contribué à en faire sortir un grand
nombre du royaume; ils ont passé dans
les pays étrangers, où l'on en a
composé plusieurs régiments
(11).
Vous ignorez d'ailleurs, mon cher fils, les
désagréments qu'ils ont à
essuyer avec leurs camarades, et les disputes qu'il
faut avoir sur la religion; car l'imprudence qu'a
eue le gouvernement de persécuter les
protestants, a rallumé l'esprit
d'animosité qui était presque
éteint. Il se joint à cela un
intérêt personnel, en ce que ces
officiers cherchent à s'avancer
à votre préjudice, et qu'il leur
importe que vous soyez mis de
côté.
Enfin, mon fils, si vous
prenez le parti du service, il faudra vous
résoudre à exécuter un jour
vous-même les horreurs sous lesquelles
nous avons gémi, et qui ont
jeté la désolation dans notre
malheureuse famille. Vous voyez les troupes du roi
inonder cette province; un jour viendra où
vous serez mis en garnison dans ces cantons
désolés; un supérieur
barbare prendra plaisir à vous charger
d'ordres sévères contre vos propres
frères; vous ne pourrez les
exécuter sans gémir. Vous, brave
homme, vous serez envoyé contre des gens
dés armés; vous ferez la fonction
d'exécuteur et d'archer; vous verrez vos
soldats, qui ne devraient être
employés qu'à repousser les ennemis
de la patrie, s'acharner contre des vieillards, des
femmes et de petits enfants. Spectateur
forcé de ces barbaries, vous
détournerez la tête en
soupirant, et vous direz:
C'est ainsi
qu'autrefois j'ai vu tourmenter ma pauvre
famille ! voilà les maux auxquels mon
vénérable père a lui
même succombé !....»
Ambroise ne put soutenir cette image, cruelle; il
jette un cri de douleur, et prie sa mère de
ne lui en pas dire davantage, l'assurant qu'il
renonçait absolument au service.
« Conseillez-moi, lui dit-il, vous voyez mon
embarras. Plusieurs fois j'ai désiré
de quitter mon ingrate patrie; mais la
pensée de vous laisser seule dans cette
terre proscrite m'en a toujours
détourné; mes maux me semblent
plus doux lorsque je les associe aux
vôtres.»
« Vous sentez-vous, lui dit alors sa
mère, ce courage si nécessaire aux
infortunés, et croyez-vous que toute
profession soit honorable, lorsqu'on s'y conduit en
honnête homme?
- J'entends, dit Ambroise, il faut descendre de
mon état; il m'en coûtera, sans
doute: mais que je conserve ma religion et ma
conscience, j'aurai tout gagné. Des
infortunés comme nous ne peuvent pas se
repaître de projets ambitieux; que je vive
pour vous consoler, voilà désormais
à quoi tendra toute mon ambition.
- Je m'attendais à cette réponse.
Oui, mon fils, il faut prendre un
métier; et, dans le choix, il faudra
consulter notre conscience et notre infortune.
Allez, vous connaissez M. de S...., il est de
nos amis, demandez-lui des conseils; et, quoi qu'il
arrive, ne perdez jamais de vue ce que vous devez
à Dieu et à la plus tendre des
mères.»
Ambroise sortit pour aller
consulter son ami. Celui-ci l'étonna
beaucoup, en lui apprenant qu'il n'y avait aucune
profession noble qui ne fût interdite aux
protestants; qu'ils ne pouvaient encore être
ni imprimeurs, ni libraires, ni orfèvres
(12); et que, quant aux
métiers manuels, ils leur étaient
indirectement interdits; qu'il aurait de la peine
à trouver des artisans qui voulussent le
prendre pour apprenti, parce que les ordonnances,
très-sévères en ce point,
défendaient aux artisans protestants de
prendre des apprentis de leur secte (13),
et qu'apparemment il
aurait bien de la peine à entrer chez un
maître catholique.
« Expliquez-moi, je vous prie (lui dit
Ambroise), la cause de ces lois injustes. Je ne
puis pas croire que le roi soit instruit de ces
iniquités, et qu'il se plaise à
donner des déclarations qui gênent la
liberté de ses sujets, les réduisent
à la mendicité, et les forcent
à abandonner leur patrie.
- Je vous le dirai, répartit son ami.
Le roi ignore en effet une partie des
cruautés que l'on commet en son nom, et
peut-être ferme-t-il les yeux sur l'injustice
du reste. Il est malheureux pour lui qu'il
connaisse si mal les véritables
intérêts de ses peuples, et qu'il ne
sente pas qu'en leur faisant des violences
inutiles, il déshonore la fin d'un des plus
beaux règnes dont l'histoire fasse
mention, et fait passer sa richesse et sa
gloire chez ses ennemis. Mais ce qu'il y a de plus
déplorable, c'est que, tandis que
l'Europe entière voit bien que les
jésuites sont les auteurs de toutes ces
vexations, plus pour leurs intérêts
que pour ceux de la France, notre roi soit assez
aveugle pour ne pas s'en
apercevoir.»
Ambroise déplora avec son ami la faiblesse
des rois et le malheur des peuples.
« Cependant, disait-il, pour que les
jésuites obtiennent l'empire de tout le
monde connu, faudra-t-il que je n'aie aucun
métier, et que je meure de faim
?
-Toutes les ressources ne vous sont
pas fermées, lui dit son ami; la voie
du commerce vous est ouverte: monseigneur de
Louvois n'a point songé à cet
article, et je prévois que
les protestants, si ruinés
et si malheureux aujourd'hui, feront un jour
fleurir les villes et les provinces qu'ils
habiteront. Le commerce est un état
honnête et utile; peut-être pourrez
-vous y réparer un jour les pertes qu'une
dure persécution vous a
occasionnées.»
Ambroise profita du conseil de son ami, il entra
chez un marchand, comme garçon de
boutique et il s'en fit chérir par son
application et par ses moeurs.
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