RAFARAVAVY
MARIE
(1808-1848)
Une
Martyre Malgache sous Ranavalona
1re,
CHAPITRE VI
Nouvelle arrestation
Au début de 1837, M. Johns qui
s'était établi momentanément
à l'île Maurice, écrivit de
cette île une lettre qu'il parvint avec
beaucoup de difficultés à faire tenir
à quelques chrétiens de Tananarive,
leur annonçant son intention de venir passer
quelque temps à Tamatave durant la saison
relativement fraîche.
Quatre membres du petit troupeau
chrétien furent choisis pour aller à
la côte se rencontrer avec le missionnaire et
lui porter une longue lettre où les
persécutés essayaient de
décrire leur situation et leur état
d'âme. La lettre porte la date du 24 Asombola
1837 (juin).
« La Reine n'a pas
changé à notre égard,
disaient-ils, mais nous sommes plutôt moins
poursuivis depuis que vous êtes partis.
Ranavalona ignore toutefois que le meilleur
conducteur, à savoir le St-Esprit, est
encore avec nous...
« Par la grâce de Dieu,
nous marchons dans la vérité et ne
craignons pas ce qui peut nous arriver...
En vous voyant partir, nous avons un
instant redouté de nous voir
abandonnés de Dieu ; mais nous avons
réalisé que la parole divine est
véritable : « Je ne vous
abandonnerai pas, a dit le Seigneur. » Il
est demeuré avec nous, et notre joie a
été grande quand nous avons pu nous
unir dans la prière.
Bible
sauvée de la persécution
« Les Bibles que vous nous avez
laissées sont toutes employées ;
mais beaucoup voudraient des exemplaires complets.
Envoyez-nous-en, imprimées en petits
caractères, pour que nous puissions
facilement les garder avec nous.
Expédiez-nous aussi des exemplaires du
Voyage du chrétien...
« Nous pouvons nous
réunir de temps à autre au
sommet des montagnes pour
chanter et prier ensemble le dimanche, et nous
tenons aussi trois services par semaine
après le coucher du soleil...
« Tous les chrétiens
apprennent à lire aux nouveaux convertis.
Dix lisent sous la direction d'un des nôtres,
six ont été pris par un
deuxième frère, et quatre par un
troisième ; de telle sorte que notre
nombre augmente
progressivement. »
De son côté, Rafaravavy
écrivit une lettre privée à M.
Johns et l'envoya par les mêmes messagers. En
voici la traduction.
« Santé et bonheur
à tous. Saluez vos compagnons. Saluez les
Églises de Londres ; pour nous, par la
grâce de Dieu, nous sommes en bonne
santé et sommes heureux de pouvoir vous en
informer par lettre. En ce qui concerne notre
cercle et nos parents, nous voyons grandir
l'opposition et la malice des ennemis. On nous
répète sans cesse que nous allons
être arrêtés par les porteurs de
Tsitialainga (1),
que nous commettons des crimes
vis-à-vis de la Reine, que nous allons
bientôt recevoir la récompense qui
nous est due. Je leur réponds que chacun
cherche en effet à être honoré,
et que la seule chose qui me peine est de ne pas me
sentir digne de l'honneur qui m'attend. Je me
réjouis de tout ce qui m'arrive. Je me
souviens des paroles du Christ :
« Que celui qui veut me suivre renonce
à lui-même », et de celles
de l'apôtre : « Je
ne compte pour rien ma vie,
pourvu que je poursuive ma course avec
joie. »
« Ne soyez pas en souci, votre
travail n'a pas été vain. Le nombre
des convertis augmente... La puissance de Dieu ne
peut être mise en
échec. »
Elle terminait sa lettre par une
douzaine de passages de la Bible, parlant de
l'assurance possédée par le
croyant.
Les quatre envoyés se
rencontrèrent avec M. Johns au début
de juillet et eurent de longs et émouvants
entretiens avec le missionnaire.
Ils repartirent, emportant avec eux des
lettres et des brochures pour leurs amis qui les
attendaient anxieusement en Imerina.
Durant leur absence de la ville, les
choses s'étaient passablement
gâtées.
Dans les derniers jours de juillet, une
nouvelle accusation contre tout un groupe de
chrétiens fut portée devant les juges
Razery et Rainitiaray par un homme et une femme,
Isafy et Babodotafika. Cette dernière avait
pu se procurer des renseignements assez
précis auprès d'un de ses proches
parents, nommé Andrianantoandro, qui avait
accepté les idées nouvelles. Elle
avait feint de vouloir, elle aussi, abandonner le
culte des idoles. En fait, elle n'avait qu'un
désir, se saisir des dépouilles de
ceux qu'elle espérait faire
condamner.
Les deux dénonciateurs
déclarèrent connaître dix
personnes qui continuaient à se
réunir le dimanche pour prier ce qu'ils
appelèrent le Dieu
Jéhovah-Jésus.
Ils donnèrent le nom de neuf des
coupables, ne se souvenant plus de celui du
dixième, et indiquèrent que la
plupart des réunions se passaient chez
Rafaravavy, qui était l'âme dut groupe
entier.
Les juges portèrent l'affaire
à Ratsimanina, qui jura sur la tête de
sa soeur que tous ces maudits mourraient pour oser
mépriser à ce point les ordres de la
Reine.
Rafaravavy fut aussitôt mise en
état d'arrestation, ainsi que deux des
accusés : Razafitsara et Batiasoa. Le
lendemain, cinq autres furent à leur tour
enchaînés.
Les deux derniers mis en cause
étaient, d'une part, Basoamaka, parti
à Tamatave rencontrer M. Johns, et qui
n'était pas encore revenu, et, d'autre part,
Rafaralahiandrianisa, chrétien dit
Vonizongo, que les dénonciateurs
connaissaient de vue, mais dont ils n'avaient pu
saisir le nom. Ils savaient que c'était un
des aides de camp d'un petit seigneur du Vonizongo,
appelé Andriantsimalia. On envoya chercher
les aides de camp, mais on s'arrangea au Vonizongo
pour ne pas envoyer celui que l'on
soupçonnait, et les accusateurs ne purent,
naturellement, reconnaître leur
victime.
Comme, d'autre part, les juges les
pressaient de désigner le dixième
contrevenant aux lois, ils
dénoncèrent à tout hasard une
des servantes de Rafaravavy, celle qui
précisément avait demandé
à vivre chez elle après l'avoir
dénoncée une première fois. On
l'arrêta. Elle avoua être
chrétienne et fut placée en prison
avec les autres.
Pendant quinze jours, les accusés
attendirent la volonté de
la Reine à leur égard. Tous ceux qui
avaient des parents en ville pouvant se charger de
leur garde et se porter garants de leur maintien
à la disposition de la Reine furent
confiés à leur famille. Rafaravavy
attendit dans sa propre maison. Les messagers de la
Reine vinrent à quatre reprises
différentes chez elle lui demander le nom de
ses compagnons.
« Vous devez bien les
connaître, lui dirent-ils, car on nous a dit
que vous êtes la tête de la
bande.
- Si mes accusateurs vous ont dit cela,
c'est à eux aussi qu'il faut demander ce qui
en est des autres coupables »,
répondit Rafaravavy.
Les émissaires royaux firent
dès le lendemain une deuxième
tentative. Ils arrivèrent cette fois avec
tout l'attirail nécessaire pour
impressionner la coupable. Ils étaient
accompagnés d'aides de camp, des plus hauts
dignitaires, de secrétaires royaux et de
tout un concours de peuple.
Le matin, Rafaravavy, qui était
seule dans la maison avec sa fille, alors
âgée d'environ onze ans, avait
médité sur ce qu'elle
répondrait au cas où les
envoyés du gouvernement reviendraient. Son
attention s'était portée sur la
parole de Pierre, au quatrième chapitre du
Livre des Actes. « Voyez vous-mêmes
s'il est juste devant Dieu de vous obéir
plutôt qu'à Lui. »
Mais quand, en fait, les officiers
furent à sa porte, elle hésita, se
disant qu'il valait mieux se confier
entièrement au Seigneur, sans se lier par
une réponse préparée
d'avance : « Ne vous
préoccupez pas de ce que vous
répondrez, cela vous sera donné
à l'heure voulue. » Cette autre
parole du Seigneur la rassura.
Les officiers entrèrent sur son
invitation, après qu'elle eût
appelé elle-même auprès d'elle
une de ses amies.
Ils réitérèrent
leurs questions au sujet de ses
complices :
« Vous ne priez certes pas
toute seule, lui dirent-ils, car, sans cela,
personne n'aurait pu ni vous voir ni vous
dénoncer. Déclarez toute la
vérité à la Reine, et ne
cherchez pas à la tromper.
- Je n'ai jamais dit que la
vérité, reprit-elle. J'avoue tout ce
que j'ai fait et ne déguise rien ; mais
ne me demandez pas de rien vous dire sur mes amis.
Cela, c'est l'affaire des accusateurs.
- Pourquoi vous obstinez-vous dans vos
mensonges, s'écrièrent les
représentants de Ranavalona.
- Mes mensonges ! Mais où en
découvrez-vous ? Le Dieu que je sers ne
hait rien autant que le mensonge, et je cherche
avant tout à lui obéir. Qu'ai-je dit
de contraire à la
vérité ?
- Mais vous vous refusez à faire
connaître à la Reine ceux qui ont
contrevenu avec vous à ses
lois ?
- Je ne vois pas là ce qu'il y a
de contraire à la
vérité ; je ne dis pas que je
n'ai pas eu de compagnons, je vous prie seulement
de demander leurs noms à mes accusateurs. Je
suis accusée pour avoir prié. J'avoue
tout ce que j'ai fait et je consens à
être mise en pièces par la Reine, si
tel est son bon plaisir. »
Voyant qu'ils n'obtiendraient rien de
plus, les officiers partirent. Mais ils se
concertèrent et imaginèrent un
nouveau plan.
Revenant le lendemain chez Rafaravavy,
ils lui dirent à
brûle-pourpoint:
« Nous connaissons vos
compagnons, mais la Reine vous saura gré de
votre obéissance à son ordre :
elle tient à ce que vous lui
répétiez les noms de ceux qui
étaient avec vous.
- Mais, si vous les connaissez, pourquoi
me les demander ?
- Quel entêtement est le
vôtre ! Pour vous convaincre que nous
savons tout, nous allons vous confronter avec l'une
de vos complices, qui nous a avoué avoir
prié avec vous. »
De fait, on amena Razafitsara. Mais cela
n'ébranla pas la résolution de
Rafaravavy de garder pour elle le secret de leurs
réunions d'édification.
Rasalama, une des chrétiennes,
arrêtées en même temps que les
autres, se laissa prendre aux artificieuses paroles
des envoyés de la Reine et finit par
indiquer quelques-uns de ses compagnons, ce qui
amena l'arrestation de sept nouvelles personnes,
dont Rainitsiheva.
Ce dernier, amené devant les
juges, leur déclara qu'il avait dans chaque
réunion « demandé à
Dieu, source de toute bénédiction, de
le rendre meilleur, et de rendre meilleurs tous les
habitants de l'île, de soutenir la Reine dans
sa tâche, de lui donner le bonheur, de guider
les officiers et les juges, de faire qu'il n'y
eût plus ni brigands ni
menteurs ».
Cette réponse leur fit
impression, et pendant une quinzaine de jours, il y
eut des conciliabules entre les
conseillers de la Reine pour
savoir ce qu'il fallait faire. Puis, soudain, on
annonça au peuple réuni au
marché que Ranavalona abandonnait à
qui voulait les prendre les biens de
Rafaravavy.
Elle-même n'avait reçu
aucun avertissement. On peut juger de sa surprise
en voyant arriver tout à coup dans sa
demeure toute une populace hors d'haleine, se ruant
dans la maison, s'arrachant les objets et ne
laissant rien sur place. En quelques instants, tous
les meubles et ustensiles furent dispersés
et la maison, faite de planches et de poutres
assemblées, fut démolie et
emportée sans qu'il en restât le
moindre vestige.
Tout de suite après, survinrent
quatre hommes, appartenant à la classe des
Tsiarondahy, préposée à la
mort des condamnés.
« Où
m'emmène-t-on ? interrogea la
victime.
- La Reine sait ce qui vous
attend ; pour vous, vous n'avez qu'à
nous suivre », répondirent les
envoyés royaux.
Quittant Ambatonakanga, elle gravit la
colline d'Ambatovinaky. « C'est la
mort », pensait-elle. Pour calmer ses
esprits agités, elle se remémora
à elle-même les belles paroles
d'Esaïe XLI, 10 :
Ne crains rien, car je suis avec
toi,
Ne promène pas des regards
inquiets, car je suis ton Dieu
Je te fortifie, je viens à
ton secours,
Je te soutiens de ma droite
triomphante.
Ainsi que les deux premiers versets du
chapitre XLIII :
- Ainsi parle maintenant l'Éternel
qui t'a créé, ô Jacob
- Celui qui t'a formé, ô
Israël !
- Ne crains rien, car je te
rachète,
- Je t'appelle par ton nom : tu es
à moi
- Si tu traverses les eaux, je serai avec
toi
- Et les fleuves, ils ne te submergeront
point,
- Si tu marches dans le feu, il ne te
brûlera pas,
- Et la flamme ne t'embrasera pas.
Pendant qu'on l'emmenait, on entendit sortir
souvent de sa bouche la prière du martyr
Étienne :
« Seigneur Jésus,
reçois mon esprit. »
Rafaralahy Andrianiazoto, jeune
chrétien décidé, dont il a
déjà été parlé,
la suivit tout le long de la route qu'on lui fit
prendre. Ayant dépassé la place
d'Andohalo, les gardiens firent un crochet et
passèrent à l'ouest de la maison
habitée par M. Laborde. Un moment, la
prisonnière put s'approcher de Rafaralahy et
lui murmurer :
« Suis-moi, afin d'être
témoin de ma fin et de recueillir mes
dernières paroles ; car, si
Jésus m'accorde sa grâce et me permet
de rester ferme jusqu'au bout, il y aura
peut-être là de quoi fortifier nos
amis.
Rafaralahy lui
répondit :
« Je ne me séparerai
pas de toi, chère soeur en Christ, marche et
assure-toi en Celui à qui tu as donné
ton coeur. »
Un parent et deux autres
chrétiens la suivaient aussi. L'un de ces
derniers lui avait dit avant son
départ : « Ne crains
point ; s'il y a des tribulations ici, le
repos est au ciel. »
Prisonniers aux
fers
On ne la mena pas directement à
Ambohipotsy, lieu des exécutions, mais on la
conduisit chez un aide de camp de Rainiharo.
Là, un serrurier s'approcha, portant de
lourdes chaînes de fer, connues sous le nom
de Beranomaso (Longs pleurs). Il s'apprêtait
à les sceller fortement. Mais quelqu'un,
dans la pièce, se tourna vers lui et lui
lança ces mots :
« Ne vous mettez pas en peine,
et n'y mettez pas tant de soin. Cela ne ferait
qu'augmenter votre travail demain matin, quand il
faudra rompre ces liens pour l'exécution,
qui doit avoir lieu dès le premier chant du
coq. »
L'ordre, en effet, avait
été donné par la Reine de
mettre Rafaravavy à mort dès l'aube,
le lendemain.
Rafaravavy s'apprêta donc à
mourir, et passa la nuit en prières,
cherchant la force dans sa foi au Christ.
Mais un événement
extraordinaire vint faire surseoir à son
exécution. Cette même nuit, le feu se
déclara dans le quartier d'Ambohimitsimbina,
contigu à celui où le palais se
dressait. Le sinistre prit vite
d'inquiétantes proportions, trouvant un trop
facile aliment dans les cases de bois et de chaume
qui existaient alors. Des flammèches vinrent
tomber dans la cour du palais. Rainiharo ordonna
alors à toute la population de venir au
secours des sinistrés et de s'employer
à protéger la demeure royale. Il
suspendit en même temps l'exécution de
tous les autres ordres donnés.
Ce fut une agitation et une angoisse
extrêmes dans toute la
ville, au milieu de ces ténèbres et
de l'incendie qu'on n'arrivait pas à
éteindre. Il fallut lutter pendant deux
jours avant d'en venir à bout.
Les Tsiarondahy attendirent le
renouvellement des ordres concernant Rafaravavy. En
réalité, on l'oublia dans
l'excitation générale.
Palais royal
(vue prise du Sud)
Pendant plusieurs jours, Rafaravavy resta dans
la misérable case où on l'avait
jetée, toujours chargée de ses
lourdes chaînes et gardée par des
soldats nuit et jour,
s'attendant sans cesse à être
emmenée au lieu d'exécution.
Elle crut bien une fois que son heure
était venue. Car un des soldats, qui avait
été en ville, revint soudain comme
hors d'haleine disant à ses compagnons que
certainement on allait procéder le jour
même à quelque exécution, car
il avait vu des gens « faisant bouillir
de l'eau a Ambohipotsy ». Rafaravavy
avant entendu lui dit :
« N'est-ce pas de moi qu'il
s'agit ? - On le dit »,
répondit-il.
À peine avait-il dit cela que
quatre Tsiarondahy vinrent voir si les soldats
chargés de veiller sur Rafaravavy
étaient à leur poste. Ce qui ne fit
que persuader davantage gardes et victime qu'il
s'agissait bien de cette dernière. Elle se
prépara donc avec plus d'instance encore
à la mort.
De fait, l'ordre fatal ne vint pas. Il y
eut bien une exécution ce jour-là,
mais ce fut celle d'un malfaiteur de droit
commun.
Des amis vinrent visiter Rafaravavy. Ils
cachaient dans leur ample vêtement un Nouveau
Testament ou un traité. En donnant de larges
cadeaux aux gardes, ils obtenaient la permission de
demeurer une heure ou deux avec la
condamnée, les soldats se contentant de
veiller du dehors. Ces visites contribuèrent
puissamment à soutenir le courage de la
prisonnière.
Elle ne resta pas moins de cinq mois
dans cette situation d'attente angoissante.
Son père et ses parents directs,
sauf son frère, lui-même devenu
chrétien, s'abstenaient de la visiter. Ils
l'aimaient encore, mais considéraient son
cas comme absolument sans espoir, et craignaient
d'irriter la Reine ou ses conseillers en avant
l'air de s'occuper d'elle.
Rafaravavy eut l'occasion, durant ces
longs mois d'emprisonnement, de parler à
quelques personnes et ses gardiens des principes de
la foi chrétienne.
Un des soldats envoyés un jour
pour la garder lui demanda ce qu'elle avait fait
pour être condamnée à mort.
Elle en profita pour lui dire la joie qu'elle
ressentait de souffrir pour la
vérité, puis lui fit une vivante
exposition des enseignements du Christ.
Le soldat lui avoua alors qu'avant
l'édit de la Reine, il avait lu un livre
parlant de ces choses, avant lui-même appris
à lire chez un voisin chrétien, mais
qu'il avait vite abandonné tout cela depuis
l'interdiction royale.
Peu à peu, elle parvint à
persuader à cet homme de chercher de nouveau
le chemin de la vérité.
À l'expiration des cinq mois,
durant lesquels Rafaravavy avait été
ainsi emprisonnée, attendant toujours de
savoir ce que l'on ferait d'elle, l'aide de camp de
Rainiharo, à qui appartenait la case
où elle était, eut besoin de cette
demeure pour préparer un repas a l'occasion
de la fête qui marquait le début de
l'année. Il finit donc par aller demander
à Rainiharo ce qu'il fallait faire de la
condamnée.
La Reine, interrogée, fut toute
troublée. Elle parut voir
dans l'incendie qui avait éclaté et
dans ce long oubli où était
tombée la condamnée comme une sorte
de signe du ciel.
Elle commua la peine en celle de
l'esclavage à
perpétuité.
Ces événements et cette
grâce inattendue accordée à
Rafaravavy firent une grande impression sur ceux
qui en furent les témoins. Certainement,
cela servit à fortifier les
chrétiens, et très probablement
à empêcher les exécutions en
masse.
La Reine eut en quelque sorte
l'impression qu'en allant trop loin elle se
heurterait à un pouvoir mystérieux
avec lequel il lui fallait tout de même
compter. Évidemment, cette impression tendit
à s'effacer à certains moments, et il
y eut des condamnations à mort suivies
d'effet ; l'année 1849, en particulier,
vit 18 chrétiens mourir le même
jour : 14 jetés du haut des rochers
d'Ampamarinana et 4 brûlés vifs
à Faravohitra. Mais la peur d'irriter une
puissance surnaturelle agit longtemps sur la Reine
et fut un heureux frein aux excitations auxquelles
se livraient certains gardiens d'idoles.
Les chrétiens
arrêtés en même temps que
Rafaravavy avaient été vendus
à l'encan : onze furent pris par des
aides de camp de Rainiharo ; on les traita
bien plus durement que les esclaves ordinaires. La
nuit, on les chargeait de chaînes ; on
craignait qu'ils ne voulussent s'enfuir. Rasalama
était parmi eux. Au bout de peu de temps,
elle fit une remarque qui déplut à
son maître ; celui-ci l'accusa de crime
de lèse-majesté
pour avoir dit qu'au jugement dernier tous les
hommes seraient égaux. C'en fut assez pour
la faire condamner à mort. Elle fut
percée de lances à Ambohipotsy et
cette jeune femme de 37 ans fut la première
Malgache appelée à donner sa vie pour
sa foi.
Les martyrs
d'Ampamarinana
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