RAFARAVAVY
MARIE
(1808-1848)
Une
Martyre Malgache sous Ranavalona
1re,
CHAPITRE V
Première arrestation
Bientôt, Rafaravavy ne se contenta pas
d'un rôle purement passif. Du sein même
de sa méditation, elle entendit comme une
voix qui la poussait à sortir de chez elle
et de ses préoccupations personnelles et a
s'en aller fortifier par l'exemple de sa foi ceux
qui pouvaient être dans une phase plus
critique que la sienne.
Se défiant d'ailleurs en partie
d'elle-même, elle pensa qu'une bonne
méthode serait d'aller chercher de l'appui
auprès d'amis sûrs et connus par leur
fidélité. Non loin d'elle habitaient
Rainitsiheva et sa femme, tous deux
chrétiens décidés. Elle alla
les voir. Ils causèrent ensemble de la
terrible situation où ils se trouvaient,
s'encouragèrent l'un l'autre,
demandèrent ensemble à Dieu le
courage nécessaire et
décidèrent de se mettre à la
recherche de leurs compagnons pour les
réunir et les aider. Peu à peu, ils
rassemblèrent un bon noyau de
chrétiens, et d'intimes réunions
de prières
s'organisèrent à tour de rôle
chez Rainitsiheva et chez Rafaravavy.
Voici ce qu'a raconté à ce
sujet un des chrétiens survivants de la
persécution, Rasoalambo :
« Au début, nul n'avait
osé se réunir pour prier mais une
femme, Rafaravavy Marie, fortifiée par
l'Esprit Saint, ne put supporter cette situation.
Elle alla trouver Rainitsiheva, Ratsilainga,
moi-même et beaucoup de nos compagnons et
nous dit : « Chers frères en
Christ, allons-nous cesser de prier le
Seigneur ? » En même temps,
elle nous montra sa Bible avec un geste à la
fois triomphant et attristé. Tous nos coeurs
furent saisis d'une émotion extraordinaire.
Nous tombâmes à genoux ; ce fut
une vraie Pentecôte. »
C'est que la parole de Rafaravavy avait
une force toute particulière.
Andrianimanava, un des douze jeune gens choisis par
les missionnaires comme
élèves-maîtres, s'était
donné au Seigneur, mais, dans un moment de
faiblesse et par peur, avait paru renier sa foi. Sa
maison était juste au-dessus de celle de
Rafaravavy. Un jour, Andrianimanava et sa famille
cueillaient des épis de maïs et se
plaignaient de ce que les épis avaient belle
apparence, mais peu de grains. Par hasard,
Rafaravavy leva la tête et les vit.
« Ce maïs est
décevant, lui dit Andrianimanava
s'approchant ; ses feuilles sont superbes, ses
tiges merveilleuses de hauteur, ses barbes
extrêmement longues, mais quand on
l'épluche, il est comme vide !
- Mon frère, lui dit Rafaravavy
d'un ton affectueux, mais la
gorge serrée par ses larmes, puisses-tu
rentrer en toi-même. Ce maïs, c'est ton
image. Dieu t'a donné une grande mesure de
sagesse et de savoir ; tu te dressais au
milieu des autres comme une tige
élevée et couverte de feuilles, mais
quand le Seigneur est venu pour y cueillir du
fruit, il n'a trouvé que du
feuillage. »
Ces paroles étaient dures ;
celui à qui elles étaient
adressées aurait pu s'en scandaliser, mais
au contraire, elles trouvèrent le chemin de
son coeur : il baissa la tête et versa
des larmes. Il revint peu après a sa ferveur
première et mourut dans les chaînes,
après avoir souffert toutes sortes de maux
pour Christ. Andrianimanava fut, en effet, sur les
douze premiers instituteurs malgaches formés
par la Mission, le seul à subir le
martyre.
Pendant les premiers temps de la
persécution, au moins tant que cela leur fut
matériellement possible, les
chrétiens se réunirent presque chaque
nuit pour prier ensemble. Ils allaient dans une
maison du quartier d'Ambatonakanga et se trouvaient
souvent 40 ou 50. Tandis que Tananarive dormait et
que les veilleurs s'entre-répondaient dans
le silence de la nuit, quelques chrétiens se
glissaient le long des maisons, dans les ruelles
désertes et tortueuses et presque
impraticables, afin d'aller à la rencontre
de leur Dieu.
Un de ceux qui eurent le
privilège d'assister à ces
réunions déclarait que jamais il ne
jouit d'une telle paix et d'une telle
félicité qu'à ce
moment-là.
Aussitôt après la
proclamation royale interdisant
les pratiques chrétiennes
aux Malgaches, et surtout après les
confessions assez nombreuses qui eurent lieu le
dimanche d'après, il y eut comme un moment
d'accalmie. La Reine avait dégradé un
certain nombre d'officiers et de nobles et avait
distribué ensuite des amendes soit
individuelles, soit collectives, qu'on
s'était empressé de payer.
Les conseillers de Ranavalona ayant
assisté à quelques-unes des
séances plus ou moins ridicules qui avaient
marqué les confessions faites par des gens
qui avaient directement ou indirectement
approché les chrétiens, en avaient
conclu un peu rapidement que la terreur avait
dompté tous les sujets de la Reine et que
c'en était fini de la tentative de
christianisation à peine esquissée en
Imerina.
Ce répit dura environ un an,
durant lequel les missionnaires anglais durent s'en
aller les uns après les autres : MM.
Freeman (auquel nous devons une relation des plus
vivantes de toute cette période), Cameron,
un de ceux qui contribuèrent le plus
à la civilisation des Malgaches, auxquels il
enseigna une foule d'arts utiles, et Chick, artisan
habile, durent partir dès juin 1835 ;
MM. Johns et Baker parvinrent, à force
d'insistance, à demeurer jusqu'en juillet
1836, et employèrent tout leur temps et
toute leur activité à terminer
l'impression de la traduction malgache de la Bible,
qu'ils purent laisser comme un témoignage et
comme une consolation aux chrétiens
malgaches.
Rafaravavy Marie fut une des
premières à acheter un des volumes
prohibés par la loi humaine, mais
où elle savait devoir
puiser la force nécessaire aux tribulations
qui l'attendaient.
Bible malgache
sauvée des persécutions
Déjà, au début de 1836, la
police gouvernementale recommença à
s'inquiéter des allées et venues de
quelques-uns des disciples des missionnaires, et
apprit que la victoire des gardiens d'idoles et des
conseillers de la Reine n'était pas aussi
complète qu'on l'avait cru. Une surveillance
étroite s'établit. Il devint à
peu près impossible aux chrétiens de
se réunir en groupe un peu important, comme
ils l'avaient fait jusque là.
Ils prirent tout d'abord leurs
précautions pour se reconnaître entre
eux et dépister les espions chargés
de les rechercher et de les dénoncer. Ils
convinrent d'une sorte de mot de passe, et voici la
méthode à laquelle
ils s'arrêtèrent. À intervalles
plus ou moins réguliers, on choisit un
passage de l'Écriture dont celui des deux
interlocuteurs qui saluait le premier devait dire
le début et le salué la fin. On prit
par exemple un texte de
Jérémie, chap. 38, vers.
5, commençant ainsi :
« Et Jérémie
répondit à
Sédécias : Quand je t'aurai
déclaré cela, ne me feras-tu pas
mourir... », et se terminant par cette
autre phrase : « Le roi
Sédécias jura en secret disant :
L'Éternel est vivant ! Je ne te ferai
pas mourir et je ne te livrerai pas entre les mains
de ceux qui cherchent ta vie. »
On décida, en second lieu,
d'avoir plusieurs endroits de réunions
où on n'irait qu'en petit nombre. Il y eut
ainsi des séances intimes chez Rainitsiheva,
chez Rasoalavavolo, chrétien très
décidé, et chez Rafaravavy.
Mais on finit par s'apercevoir que
même cela était assez dangereux. Les
demeures de ces amis étaient trop en
ville.
Un jeune chrétien, Rafaralahy
Andriamazoto, qui avait eu un instant de faiblesse
après la proclamation royale et avait
donné un ou deux livres en sa possession aux
enquêteurs gouvernementaux, s'était
vite ressaisi et avait repris ses relations avec
ses anciens compagnons.
Il possédait une maison à
Anjanahary. C'était alors un village
isolé à une certaine distance au nord
de la ville qui, dans cette direction, n'allait
guère au delà d'Andohalo. La maison
était à peu près à
l'endroit où se trouve
actuellement l'hôpital militaire. Elle
était fort isolée. Il l'offrit comme
lieu de réunion. On accepta. Elle
répondait en effet aux conditions
requises.
Peu à peu, d'ailleurs, on
s'habitua à se rencontrer la nuit. On
fermait hermétiquement les portes et les
fenêtres ; ou allumait une modeste
chandelle à demi cachée dans un coin
de la pièce, de façon que la
lumière n'en pût filtrer au dehors. Si
le temps était beau et qu'on pût
craindre l'indiscrétion de passants
éventuels, on se contentait de lectures et
de prières ; on ne chantait pas de
cantiques. Parfois, un des assistants jouait l'air
d'un hymne religieux sur la valiha et les auditeurs
se remémoraient mentalement les
paroles.
Si la pluie faisait rage, on pouvait
être assuré d'être à
l'abri et on entonnait à haute voix les
chants sacrés qui contribuaient à
entretenir l'enthousiasme commun.
Rafaravavy eut la joie, pendant cette
période, d'amener à ses idées
quelques membres de sa tribu.
Ces succès l'enhardirent. Elle
osa parler du Dieu unique à des gens de sa
famille et à une ou deux des servantes de sa
maison. C'était peut-être aller un peu
loin. En tout cas, elle fut rapidement victime de
son zèle.
Au début de juillet 1836, elle
était allée rendre visite pour la
dernière fois à M. Johns. Elle
était venue le soir par des sentiers
détournés, en s'arrêtant
fréquemment pour ne pas être vue par
quelque espion. Elle portait d'ailleurs une
corbeille avec du riz, comme si
elle allait simplement vendre cette denrée
à l'Européen. Elle savait que le
missionnaire allait partir, quelques jours
après, avec son ami, M. Baker, que
désormais les chrétiens malgaches
n'auraient plus aucun appui européen et
qu'il leur faudrait compter uniquement sur
eux-mêmes et sur le secours de Dieu.
Dès l'aube, le lendemain, elle
repartit pour aller voir les siens. Elle avait
prié une partie de la nuit et était
toute remplie de l'idée de sa
responsabilité, en tant que disciple du
Christ, vis-à-vis de tous ceux qui
l'entouraient.
Arrivée chez ses parents, elle
s'assit dans un coin de la chambre et prit en mains
un Nouveau Testament, don du missionnaire qu'elle
était allée voir. Elle en lut d'abord
silencieusement quelques passages. À un
moment donné, une des servantes, qu'elle
connaissait de longue date, entra dans la
pièce. Elle l'appela et se mit à lui
lire des paroles de Jésus-Christ, puis, avec
instance, lui parla de son âme, du
péché et du seul chemin vers la
vérité.
Surprise, la servante ne savait que
dire. Dans l'après-midi, elle ne put
s'empêcher de parler de la scène et de
l'excitation de sa maîtresse à des
compagnes de service.
Pendant la semaine, trois de ces
dernières se concertèrent : il
leur semblait qu'elles pourraient profiter de la
circonstance pour obtenir certains avantages de
part des conseillers de la Reine. Et le dimanche 17
juillet, elles se rendirent auprès d'un
d'entre eux, Rajery, le propre
frère de Rainiharo, premier ministre et
époux de la Reine, afin d'accuser leur
maîtresse.
On ne les laissa pas entrer dans la
maison du juge. Elles transmirent à un aide
de camp de Rajery le message qu'elles
désiraient apporter. Elles
racontèrent ce qui s'était
passé dans la maison des parents de
Rafaravavy. Elles ajoutèrent un autre
détail important, qu'elles avaient appris
par l'indiscrétion de quelque autre
serviteur : à savoir que leur
maîtresse avait la coutume, quand elle
était en ville, de se réunir à
neuf autres compagnons, principalement le dimanche,
afin de lire les livres interdits par la Reine, et
de prier les ancêtres des
Européens.
« Si vous ne nous croyez pas,
ajoutèrent les esclaves, vous n'avez
qu'à aller chez elle, dans le quartier
d'Ambatonakanga, et vous pourrez, au début
de la nuit, les surprendre. »
L'aide de camp qui avait reçu
l'accusation ne se pressa pas de la faire parvenir
à son chef. Dans le fond de son coeur, il
trouvait les mesures prises contre les
chrétiens à la fois peu conformes aux
coutumes judiciaires d'autrefois et beaucoup trop
sévères.
Il répondit aux servantes qu'on
ferait une enquête. Et, de fait, il se rendit
à la maison indiquée. Ce
soir-là, Rafaravavy était seule.
D'ailleurs, nous avons déjà dit
qu'elle commençait à se méfier
et que les réunions chez elle-même se
faisaient plus rares. Elle avait passé une
partie de la soirée à lire, puis,
fatiguée, s'était retirée dans
une autre pièce.
L'aide de camp écouta assez
longtemps, mais n'entendit rien.
Il était extrêmement
embarrassé. Ne rien dire à Rajery,
c'était risquer gros, car les servantes ne
se taisaient pas, et tout finirait par se savoir
quand même. Il pouvait, heureusement,
déclarer n'avoir personnellement rien vu de
suspect. Par précaution, il fit
prévenir un ami de Rafaravavy de ce qui
s'était passé.
D'ailleurs, on se serait sans cela
douté de quelque chose chez cette
dernière, ou du moins chez ses parents. Car
les trois esclaves n'osèrent pas rentrer
chez leurs maîtres, mais restèrent
chez Rajery.
Rafaravavy, à la première
information, courut de nouveau chez M. Johns,
qu'elle n'avait plus pensé revoir. Elle
avait besoin de conseils et d'exhortations ;
de plus, elle voulait déposer en lieu
sûr quelques-uns de ses livres.
Le lendemain matin, l'aide de camp,
découvrant parmi les servantes de Rajery la
présence des esclaves d'Andrianjaza se
rendit compte qu'il ne pouvait plus tarder à
transmettre à son chef ce qu'il avait
appris.
Rajery était, vis-à-vis
des chrétiens, d'un tout autre sentiment que
son subordonné, et, malgré la
façon dont ce dernier lui rapporta
l'affaire, et malgré le résultat
négatif de la visite faite au domicile de
Rafaravavy, il décida d'agir
immédiatement. Les ordres donnés par
la Reine étaient trop formels, et les
circonstances trop critiques pour qu'on pût
tergiverser.
L'aide de camp essaya encore de
détourner de la tête de Rafaravavy le
coup qui la menaçait.
« Faut-il, hasarda-t-il
timidement, faire tellement attention à
cela ? Car, en somme, ce ne sont que des
paroles d'esclaves que nous avons
aujourd'hui. »
D'après les règles
édictées par Andrianampoinimerina,
une accusation d'esclave était en effet
irrecevable. Très peu de temps auparavant,
un certain Ratsimanina, dénoncé par
ses domestiques comme concussionnaire, n'avait pas
été inquiété et n'avait
été l'objet d'aucune enquête,
la Reine ayant ordonné d'exécuter sur
le champ les esclaves qui avaient osé se
poser en accusateurs de leur maître. Mais
tout cela n'empêcha pas Rajery d'accepter
l'accusation portée contre Rafaravavy par
ses esclaves. On fit appeler Andrianjaza, son
père.
« Votre fille, lui dit-on,
continue, parait-il, à prier et cela en
compagnie de neuf autres personnes ; il vaut
mieux qu'elle s'accuse elle-même,
plutôt que de se voir dénoncée
par d'autres. Qu'elle indique aussi le nom de ses
compagnons, si elle veut avoir la vie
sauve. »
Rafaravavy apprit le jour même
l'accusation dont elle avait été
l'objet, et grande fut son émotion. Il lui
fallait choisir entre la mort ou le reniement de
son Maître.
Elle s'en alla dans un endroit
retiré, afin de voir clair en son âme.
Elle implora le secours d'en haut, et il lui sembla
distinctement entendre en son coeur résonner
la parole de Jésus :
« Quiconque me reniera devant les hommes,
je le renierai devant mon Père qui est dans
les cieux ». Durant toute la nuit qui
suivit, elle continua à prier avec ferveur,
demandant avec instance à Dieu de lui donner
la force de supporter toutes les épreuves
qu'il Lui plairait de lui envoyer.
Église
commémorative construite par la Mission de
Londres au sommet de la falaise
d'AmbohipoIsy
Le lendemain matin, elle partit pour aller au
bas de Faravohitra (un des quartiers au nord de la
ville), dans une maison appartenant à ses
parents, afin d'y attendre la mort. Elle avait
peine à se faire à l'idée
d'être tuée à Ambohipotsy
(1).
En chemin, elle rencontra des
chrétiens qui la ramenèrent chez
elle, lui persuadant que c'était mieux et
plus digne, puisqu'elle n'avait pas l'intention de
fuir.
Elle était à peine
revenue, qu'arriva son père qui venait de
voir Rajery.
« Eh bien, qu'entends-je, on
me dit que tu continues à
prier !
- C'est vrai, père, oui, je prie
toujours. »
La colère et la douleur se
peignirent à la fois sur les traits du
pauvre père :
« Comment peux-tu m'avouer une
chose pareille sans même que les muscles de
ton visage tressaillent ? »
- Que veux-tu : c'est un fait que
je prie, pourquoi le nierais-je ?
- Les bras m'en tombent, continua le
père. Comment, tout le peuple d'Imerina
réuni a eu toutes les peines du monde
à obtenir grâce pour la
première fois, et toi seule tu
prétends t'opposer aux ordres de la
Reine ! Dis-moi quels sont tes
compagnons.
- Demande-le à ceux qui m'ont
dénoncée, répondit
la jeune femme, car il m'est
impossible de les dévoiler.
- Mais vraiment recherches-tu la mort,
pour manifester une semblable
obstination ? »
Rafaravavy sentait ses forces diminuer
au milieu de ce douloureux entretien, et, cherchant
à le terminer, elle dit
brusquement :
« Mais enfin, qui donc
désire-t-on me faire
accuser ?
- Tu le sais bien, ceux qui viennent
chez toi, reprit le père.
- Ceux qui viennent chez moi ? Mais
vous seriez les premiers à être dans
la liste, car qui vient ici plus souvent que
vous ?
- Mais non, car nous, nous n'y venons
pas pour prier ceux que la Reine ne veut pas qu'on
prie. »
La conversation en resta là car,
juste à ce moment, un envoyé de
Rajery se présenta. Il entendit les derniers
mots de l'entretien.
« C'est inutile d'insister,
dit-il ; je n'ai jamais vu plus
entêté que ces faiseurs de
baptêmes. Vous couperiez votre fille en
morceaux que cela ne changerait en rien sa
résolution. Mieux vaut vous hâter de
faire ce que vous pourrez pour
elle. »
C'était évidemment un
surcroît de douleur pour Rafaravavy que de se
trouver obligée de résister de cette
manière à ses parents. Mais elle ne
pouvait faire autrement : la
vérité devait passer avant toute
autre chose.
Andrianjaza se dépêcha donc
d'aller frapper à la porte de Rajery, et,
à peine entré,
s'écria :
« Nous venons, Seigneur, nous
accuser humblement
nous-mêmes, comprenant la gravité de
nos actes, et implorant à genoux la
miséricorde de notre souveraine à
laquelle nous promettons obéissance
complète. »
Rajery interrogea le malheureux
père sur les véritables sentiments de
sa fille. Andrianjaza dut reconnaître qu'au
moins sur ce point, il n'avait rien pu
obtenir ; il n'y avait pas eu moyen de lui
faire prononcer le nom d'aucun de ses
complices.
Rajery fit alors un rapport à la
Reine. Celle-ci fut extrêmement
irritée.
« Est-il possible,
s'écria-t-elle, qu'il y ait ainsi parmi mes
sujets des individus si audacieux, osant ainsi me
braver ? Est-il possible surtout de voir
pareille attitude chez une femme ? C'en est
trop ! Qu'on la mette à
mort ! »
Toutefois Rajery, qui avait vu la
douleur d'Andrianjaza, ainsi qu'une femme de haut
rang très influente auprès de la
Reine, Rasendrasoa, intervinrent en sa faveur,
rappelèrent les grands services rendus par
Andrianjaza, ainsi que par le frère de
Rafaravavy, ex-général dans
l'armée, rétrogradé de dix
honneurs quatre après l'édit royal
pour avoir suivi sa soeur à une
réunion religieuse. Rainiharo lui-même
prêcha la clémence à son
auguste épouse.
La Reine consentit alors à
prendre quelques heures de réflexion et
arrêta l'envoyé qui allait porter
l'ordre fatal.
Rafaravavy pendant ce temps attendait
chez elle, sûre de voir arriver les
émissaires royaux
dépêchés pour
l'emmener à la mort. Parmi les petits
traités qu'elle avait gardés sur
elle, le jour où elle était
allé déposer ses livres chez le
missionnaire, s'en trouvait un sur le Saint-Esprit.
Elle le lut avec attention et y trouva un vrai
réconfort.
Le soir passa toutefois sans incident
pour elle. Elle ne dormit guère cette
nuit-là. Elle se rappela soudain que
c'était ce jour-là que MM. Johns et
Baker devaient quitter la capitale pour s'en aller
définitivement.
À trois heures elle fut sur pied,
se glissa dehors et arriva à la maison
où les voyageurs, éveillés
eux-mêmes par leurs derniers
préparatifs et l'agitation causée par
la solennité de l'heure, s'unissaient dans
une prière ardente pour le petit troupeau
chrétien qu'ils étaient forcés
de laisser en pleine tempête. L'apparition de
Rafaravavy, sur laquelle planait la menace d'une
mort imminente, augmenta singulièrement
l'émotion de tous.
On trouve dans une lettre écrite
peu de jours après par Madame Johns, une
allusion à cette rencontre.
« Je n'oublierai jamais,
dit-elle, la sérénité et la
douceur avec lesquelles elle nous assura de sa
confiance dans les promesses divines. En nous
quittant, sûre que bientôt elle aurait
à confirmer son témoignage par le
martyre, elle nous pria de transmettre ses voeux
aux chrétiens d'Europe et de leur demander
d'intercéder en faveur des pauvres brebis
malgaches dispersées. »
Ce jour-là même, la Reine
se décida à commuer la peine
prononcée précédemment. Elle
envoya dire à Rafaravavy
par quelques-uns des aides de camp de Rajery, qu'en
raison des hauts services rendus au gouvernement
par son père et son frère, elle
voulait bien cette fois user de bienveillance, mais
qu'elle la condamnait à la perte d'une
partie de ses biens. Il lui fallait payer comme
amende une somme équivalente à la
moitié du prix d'une esclave, à
savoir sept piastres, plus la moitié de tout
ce qu'elle possédait en espèces ou en
biens fonciers. Johns lui envoya lui-même
douze piastres pour l'aider en cette
circonstance.
Les envoyés royaux
ajoutèrent qu'en cas de récidive,
elle ne pourrait plus compter sur la
clémence royale.
Les esclaves qui l'avaient
dénoncée avaient
espéré, soit obtenir la
liberté, soit être largement
récompensées. Elles avaient
compté sans le mépris profond de
Rajery pour elles, et sans le ressentiment
d'Andrianjaza.
Une fois la question de sa fille
réglée, ce dernier revint chez
Rajery, et s'entendit avec lui pour qu'on lui
renvoyât les trois servantes qui
s'étaient en somme échappées
de sa demeure. Il les fit ensuite mettre aux fers.
Rafaravavy l'apprit et n'eut de cesse
jusqu'à ce qu'elle les eût fait
délivrer. Cet acte de
générosité fit une impression
profonde surtout sur l'une d'entre elles qui
demanda à être spécialement
attachée à celle qui lui avait si
entièrement pardonné. Elle finit,
sous l'influence de sa maîtresse, par devenir
à son tour une chrétienne
décidée.
À partir du jour de cette
première condamnation. Rafaravavy fut
étroitement surveillée par son
père et ses amis. Il lui devint à peu
près impossible de se rencontrer de nouveau
avec ses coreligionnaires.
Elle finit par prendre la
résolution de vendre sa maison
d'Ambatonakanga et d'en acheter une autre aux
confins de la ville. Elle put alors y recevoir de
temps à autre certains amis, en particulier
quelques chrétiens venant du Vonizongo,
province située de 60 à 100
kilomètres au nord-ouest et qui fournit un
grand nombre de confesseurs de la foi.
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