LE LANGAGE DU
CHRÉTIEN,
ou
SERMON
Sur le Ps. XIX. v. 15.
Pierre Butini
Ministre du Saint Évangile.
1786
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Que les paroles de ma bouche et
la médition de mon coeur te soient
agréables, ô Éternel mon Rocher
et mon Rédempteur.
Reçois
favorablement les paroles de ma bouche Et les
sentiments de mon coeur, O Éternel, mon
rocher et mon libérateur ! (Ps. XIX. 15)
Mes Frères,
Dans nôtre Action précédente,
(03) nous
vous avons fait remarquer, en vous expliquant une
partie de ce Texte, que l'on pouvait entendre du
Cantique même dont il est et en
général, des pieuses
dispositions que nous devons
apporter au saint exercice de la prière.
Nous vous avons dit, que le Prophète, par
une humble défiance (méfiance) sur les
mouvements de son coeur, prend la sage
précaution de demander à Dieu, qu'il
daigne supporter avec indulgence les défauts
et les imperfections, qui auraient pu infecter le
sacrifice de ses lèvres, son attention mal
soutenue, des distractions frivoles, des
pensées mondaines, une froideur
languissante, l'amour des biens terrestres,
plutôt qu'une ardeur empressée
à obtenir d'eux de la grâce.
Voyons maintenant quelles doivent être les
expressions de nôtre bouche, afin que nos
prières soient exaucées et
agréables à nôtre Père
céleste. Que les paroles de ma bouche,
que la méditation de mon coeur te soient
agréables, ô Éternel, mon
rocher et mon Rédempteur !
Il semble d'abord que les paroles sont inutiles
dans la prière. Dieu ne peut-il pas
développer lui-même les mouvements de
nôtre coeur, sans qu'il soit
nécessaire que nous les
exprimions ?
N'est-il pas vrai que l'Éternel ne regarde
point ce à quoi l'homme regarde,
qu'il va droit au coeur, qu'il
cherche là nos véritables sentiments,
qu'il connaît et nos désirs et nos
intentions, avant que nôtre bouche les
exprime ? Un soupir ardent, une componction
(un repentir) vive,
une sincère amertume répandue dans
nos âmes, de vifs transports de
reconnaissance, une confusion salutaire ;
Voilà ce qui fléchit sa
colère ! Voilà ce qui fait
tomber la foudre de ses mains ! Voilà
ce qui émeut en nôtre faveur les
entrailles de ses compassions, et qui attire et sur
nos personnes et sur nos soins les
bénédictions célestes.
J'avoue, Mes Frères, que la Divinité
n'a pas besoin du secours de nos paroles, pour
s'instruire de nos nécessités, et des
sentiments de nôtre âme. Mais il ne
s'ensuit pas de là, qu'en elles-mêmes,
elles soient inutiles.
Elles fixent nôtre attention, elles animent
nôtre zèle, et elles nous engagent
à consacrer à la dévotion un
espace de temps plus considérable. Il est
très difficile d'attacher nôtre esprit
à ce qui ne frappe pas nos sens, qui ne
flatte pas nos passions, qui ne réveille pas
nos convoitises. Nôtre application se
relâche et se dissipe, nôtre
imagination s'égare, nos
pensées pieuses s'évanouissent, des
rêveries frivoles, et souvent criminelles en
prennent la place, et une méditation, qui
aura commencé par des mouvements, par des
réflexions toutes Chrétiennes, finira
quelquefois par des extravagances toutes charnelles
et profanes, sans que l'on se soit aperçu
comment a pu se faire une révolution si
étrange et si soudaine.
Telle, est nôtre déplorable faiblesse,
tel est nôtre peu d'attachement, et pour la
gloire de nôtre Dieu, et pour la
sanctification de nos âmes.
Telle est la pente qui nous ramène sans
cesse vers la terre, lors même que nous
cherchons le plus à nous en éloigner,
et à nous tourner du côté du
Ciel par des pensées, par des vues toutes
saintes, et toutes célestes. Au lieu que les
paroles qui donnent, si on peut le dire, du
corps à nos pensées, semblent
très propres à empêcher ces
dissipations, ces égarements si
inconcevables. Il est impossible qu'en priant, nous
mêlions des expressions profanes, parmi de
saintes et de pieuses, à moins que
nôtre raison ne se trouble
et ne s'égare, Et il
est bien malaisé, que des paroles qui ne
respirent que la dévotion, que la
repentance, n'excitent pas dans nos âmes, des
mouvements et des idées qui y
répondent.
Il est vrai que souvent le coeur demeure
éloigné de Dieu, tandis qu'on s'en
approche des lèvres. Toutefois, cela est
moins facile et plus rare, que si destitués
du secours des paroles, nous nous abandonnions
entièrement à nôtre
méditation et à nos pensées,
qui ne manqueraient pas de s'égarer
insensiblement, et de nous emporter bien loin du
premier objet de nos réflexions.
Combien de gens encore, qui sont presque incapables
de penser d'eux-mêmes, qui ne savent presque
pas ce qu'ils doivent demander à Dieu, qui tout
remplis de leurs besoins temporels et de leurs
sollicitudes mondaines, borneraient leurs voeux
à demander les biens et les douceurs de
cette vie, si la lecture ou la récitation
d'une prière bien conçue,
n'élevait leurs désirs vers les biens
précieux ; et de la grâce et de
la gloire ; qui soupirant seulement après les
richesses périssables, après les délices du
présent siècle, négligeraient
entièrement de demander à Dieu la
sanctification de leurs âmes, et la
grâce de la repentance.
Mais quelles doivent être les paroles de
nôtre bouche, afin que Dieu les
agrée ? des paroles humbles,
respectueuses, vives, il faut que de l'abondance
de nôtre coeur, nôtre bouche
parle. II faut y imprimer un caractère
de vénération, d'empressement,
d'affection qui se ressente des pieux mouvements,
dont nôtre âme est
pénétrée. Nôtre amour
s'enflamme, nôtre zèle s'anime encore
davantage, à mesure que nous lui donnons
effort par des paroles pleines d'ardeur.
L'attention se soutient, le coeur
s'échauffe ; et nos
prières en sont plus appliquées, et
plus ferventes.
Mais il est surtout nécessaire d'exprimer
les mouvements et ses désirs par des
paroles, lors qu'il s'agit d'édifier
l'Église par des témoignages
solennels de son zèle et de la
reconnaissance ; lorsqu'il s'agit d'inspirer
aux autres, les sentiments dont on est
pénétré soi-même
lorsqu'il s'agit d'exciter dans leur
âme les saints transports
dont on se sent animé ; lors
qu'il s'agit d'élever tous ensemble son
coeur, ses mains pures au Ciel, pour obtenir
miséricorde.
C'est surtout les Ministres de l'Évangile
qui doivent demander à Dieu, que les paroles
de leur bouche lui soient agréables. Il ne
suffit pas que nous ayons dans le fond du coeur les
dispositions saintes dont la prière des
fidèles doit être
accompagnée ;
- II faut que nous les portions dans celui des
autres,
- il faut que nous y allumions le feu
céleste, qui enflamme nos désirs et
qui les épure ;
- il faut que nous réveillions par des
expressions vives et animées, leur attention
trop assoupie dans les fonctions du culte
Évangélique,
- il faut que nous touchions leurs coeurs
endurcis, et que nous arrachions de leurs yeux les
larmes d'une componction amère,
- il faut que nous brisions leur orgueil et :
que nous les forcions à s'humilier devant le
Trône de leur Juge ;
- II faut que nous leur fassions comprendre et la
grandeur de leurs fautes, et la noirceur de leur
ingratitude, afin que leur
repentance y soit proportionnée ;
- II faut que nous leur fassions de nobles
peintures des grandeurs du Maître du monde,
afin de les porter efficacement à
s'anéantir en sa présence ;
- il faut que nous étalions ses bienfaits
à leurs yeux de la manière la plus
touchante et la plus propice à les
pénétrer d'une gratitude sans
bornes ;
- il faut que nous animions leurs voeux
languissants, et que nous leur fassions
goûter les douceurs, le prix de la
grâce, que nous levions le voile épais
et impénétrable à nos faibles
regards, qui nous dérobe la vue des
merveilles de la gloire, afin de les faire soupirer
après leurs possessions, avec une ardeur
vive ; afin de répandre dans nos
prières une véhémence toute
sainte, qui ouvre le Ciel en leur faveur, et qui
attire sur eux une abondante mesure de toutes
sortes de grâces temporelles et
spirituelles.
Il nous est impossible de nous-mêmes de tirer
la louange de Dieu de ces bouches stupides et
muettes, il faut qu'il nous inspire par son Esprit
des expressions et des mouvements capables
d'amollir ces coeurs de pierre, et d'y allumer les flammes d'une
dévotion fervente. Que les paroles de ma
bouche te soient agréables.
Une autre condition, qui nous est prescrite par le
Seigneur Jésus lui-même, c'est que
nous n'usions pas de vaines redites dans les
prières que nous adressons à
Dieu.
Vous diriez que l'on se défie de sa
pénétration et de ses
lumières, que ses oreilles sont appesanties,
qu'il faut rappeler les choses plus d'une fois,
afin de les lui faire entendre. C'est un effet de
nôtre impatience ; nous ne
saurions attendre tranquillement le jour du
Seigneur ; le moindre délai nous
inquiète, nous rebute, et il semble
à certaines gens, qu'à force de
réitérer les mêmes demandes,
elles seront plus promptement et plus facilement
exaucées.
Erreur absurde et qui fait voir que les hommes se
forment bien souvent des idées fausses et
ridicules de la Divinité, et que
malgré toutes les lumières que
l'Évangile leur donne, ils ne sauraient
s'empêcher de la transformer en leur
ressemblance.
Ainsi Moïse frappe plus d'une fois le rocher,
comme si le second coup eût
dû faire plus d'impression que le premier sur
cette pierre.
Ainsi les Païens ne composaient leurs
prières, que de répétitions
superflues et ennuyeuses. Ainsi les Juifs
d'aujourd’hui affectent de redire cent fois
les mêmes choses dans leurs prières,
comme si elles devaient en être plus
prenantes et plus efficaces.
Nous avons, Mes Frères, un excellent
modèle de nos Oraisons dans celle que le
Sauveur du monde nous a dictée de sa
propre bouche. Elle est fort courte, afin de
ménager nôtre faiblesse, de peur que
nôtre attention fatiguée ne se
relâche, et que nôtre zèle ne se
ralentisse : et elle ne dit rien d'inutile, ce
qui est plus respectueux, et qui témoigne
plus de confiance.
Mais ne bornons pas, Mes Frères, le sens de
nôtre Texte aux expressions qu'il faut
employer dans la prière, afin qu'elle soit
agréable à nôtre bon
Père. Étendons-le
généralement à toutes les
paroles de nôtre bouche. Rien n'est plus
indispensable que de demander à Dieu qu'il
les règle. Les fautes que nous commettons
à cet égard, semblent la plupart
légères ; mais
elles sont aussi très
fréquentes ; elles reviennent presque
à tous moments. L'on peut dire même,
qu'il nous arrive rarement d'ouvrir la bouche sans
qu'il y ait quelque chose à reprendre aux
paroles qui en sortent.
On peut prendre des précautions plus
sûres contre les péchés d'un
autre genre, on ne les commet pour l'ordinaire
qu'après de longues réflexions, et
une délibération tranquille.
Un vindicatif qui songe à nuire, ne trouve
pas d'abord l'occasion de satisfaire son
ressentiment, il faut qu'il cherche avec
application les moyens de donner effort à la
fureur qui le possède.
Mais pendant ce temps-là, il peut rentrer en
lui-même, faire de sages réflexions
sur le funeste état de son âme,
comprendre toute la noirceur du crime qu'il cherche
à commettre, calmer les fougues
impétueuses de la passion qui le transporte,
et la sacrifier enfin à sa raison et aux
maximes de l'Évangile.
Un homme qui cherche à s'enrichir, par
toutes sortes de voies, roule souvent dans sa
pensée mille funestes projets avant que d'en
former qui soient avantageux et praticables,
et ce n’est qu'à
force de rêver sur les moyens de faire sa
fortune au préjudice d'autrui, qu'il
découvre à la fin les artifices qu'il
doit mettre en oeuvre les pièges qu'il peut
tendre.
Tout cela laisse à la conscience le temps de
se réveiller, de l’émouvoir par
ses remords et par ses reproches, et de
l’empêcher de mettre dans sa maison un
interdit qui ne manquerait pas d'attirer sur lui la
vengeance céleste.
Mais les paroles nous échappent, avant que
nous ayons eu le loisir de peser ce que nous allons
dire, et d'en prévoir les
conséquences, souvent même sans que
nous y fassions la moindre attention, sans que nous
nous en apercevions nous-mêmes. Les
fautes d’une autre espèce ont un
caractère d'atrocité qui fait que
l'on s'y accoutume avec peine ; mais nous
verrons tous les jours une infinité de gens
qui tombent sans cesse dans les mêmes
péchés de la parole ; avec
autant de tranquillité que si leurs discours
étaient entièrement conformes
à la charité et à la
pureté Chrétienne.
Combien de paroles indiscrètes ?
Combien de railleries piquantes ? Combien de
médisances
empoisonnées ?
Combien de jurements profanes et
inutiles ?
Combien de faussetés et de
mensonges ?
Combien d'expressions
déshonnêtes ?
Combien de maximes relâchées, et
propres à séduire ceux qui les
entendent ?
Combien de discours oisifs qui ne tendent ni
à la gloire de nôtre Dieu, ni à
l'édification, ni à l'avantage
temporel de nos Frères et de
nous-mêmes ?
Examinons sérieusement nôtre conduite,
et nous découvrirons à nôtre
honte, que presque toutes nos conversations ne sont
qu'un tissu continuel de ces paroles que
l'Écriture Sainte condamne !
Quel prodigieux entassement de fautes de cette
espèce ! Et quand elles seraient
en effet légères et pardonnables, ne
formeraient-elles pourtant pas à la fin des
masses énormes et accablantes ?
Je frémis, Mes Frères, et je me
trouble, quand je pense qu'il n'y en a aucune dont
nous ne devions rendre compte. De mille articles
qu'on nous proposera, nous ne saurions
répondre à un seul.
Et ce qui nous rend plus inexcusables, c'est
que nous sommes à cet égard d'une
nonchalance, d'un
relâchement
incompréhensible ; c'est que nous ne
pensons point du tout à sanctifier
nos paroles, et à les rendre à force
de soins, plus pieuses et plus
édifiantes.
D'ailleurs un mot, un seul mot peut avoir des
suites terribles. Les haines les plus implacables,
les plus cruelles, les vengeances outrées et
funestes n'ont souvent point d'autre principe. L'on
pardonnera plus aisément un préjudice
considérable qu'on aura pu causer à
nôtre fortune ; ou par des motifs
d'intérêt, ou par des vues
ambitieuses, qu'une raillerie mortifiante, qui
semblera partir d'un fonds de mépris, et
avoir un caractère d'insulte.
C'est là, ce qui laisse dans le fond de
l'âme des plaies profondes et mortelles.
C'est la source la plus fréquente de ces
divisions irréconciliables, qui rendent la
vie si amère !
C'est là ce qui excite avec le plus de
force, le ressentiment et la rage de ceux que l'on
attaque, que l'on blesse d'une manière si
outrageante.
Cependant, qui est-ce qui résiste à
la tentation de se divertir, et de donner effort
à sa malice aux dépens des autres,
surtout quand on peut ; le faire
avec quelque esprit, et s'attirer
par là, de ces louanges pernicieuses, qui
servent de pâture à la
malignité, qui l'entretiennent, et qui la
rendent plus hardie ?
Oui, la plus légère marque
d'approbation que nous puissions donner aux
pernicieuses faillies de ces langues
empoisonnées, nous rend les complices de
leur faute.
Cependant il n'y a rien sur quoi on se croit moins
obligé de se contraindre, et dont on se
fasse moins de scrupule. On s'en ferait
peut-être de relever soi-même avec
malice, les défauts et le ridicule du
prochain ; Mais on se croit fort
autorisé de se réjouir des traits
perçants, que d'autres lui portent avec une
pernicieuse adresse ; et il ne faut
pourtant qu'un mot, que dis-je, qu'un air de
satisfaction et de joie, pour animer leur malice,
et pour se rendre, par conséquent, coupable
des funestes suites qu'elle peut avoir, et des
désordres qu'elle cause,
Qu'on juge par là avec quelle
précaution nous devons observer tous les
mouvements de nôtre langue, afin qu'il ne lui
échappe rien d'opposé aux
préceptes de
l'Évangile. De quoi dépend la
réputation la plus entière, la mieux
établie ? D'une médisance qui la
noircira ou qui au moins la rendra suspecte. En
vain aura-t-on vécu dans l'innocence, en
vain aura-t-on ménagé tous les
dehors, même d'une manière à ne
donner aucune prise. Le moindre relâchement
sur de simples apparences, dont on ne saurait tirer
aucune conséquence légitime, par
rapport au fond de la conduite, donnera lieu
à des jugements téméraires, et
souvent ridicules. Mais qui répandus, ou
avec affectation, ou par imprudence, qui
goûtez et reçus avec cette
avidité maligne, qui fait croire sans examen
tous ces bruits désavantageux, fussent pour
décrier la personne du monde la plus
réglée, la plus vertueuse, et pour la
couvrir à jamais, de confusion et
d'opprobre.
Quel compte, quel terrible compte n'aura-t-on pas
à rendre ? Non seulement les
premiers auteurs de ces iniquités seront
responsables devant Dieu, de ce qu'ils auront dit
eux-mêmes, ils le seront encore de tout ce
qu'ils auront donné lieu de dire,
toutes les médisances dont ils
seront comme la source, leur seront sans doute imputées. Et tous ceux qui
contribuent à les répandre, quoique
peut-être moins coupables, n'en seront pas
traitez avec beaucoup plus d'indulgence !
Comment échapperons-nous donc, si nous ne
mettons dans la suite un frein à nôtre
langue, si nous ne parlons toujours avec une
circonspection, avec une retenue
extrême ? Car qui est-ce de nous qui n'a
pas à se reprocher un million de fautes de
cette nature ? Oh que Saint Jacques connaissait
bien à cet égard, et nôtre
vanité et nôtre faiblesse ! Qu'il
avait fait de sages réflexions, sur les
divisions, sur les désordres, dont
nôtre malignité ou nôtre
indiscrétion peut être le principe
quand il disait
(Jacq. ch. 3. v. 5-9) :
La langue se vante de grandes choses,
elle est un feu, même un monde
d'iniquité, c'est un mal qui ne se peut
réprimer, et elle est pleine de venin
mortel. Par elle nous bénissons notre
Dieu, nôtre Père ;
par elle nous maudissons les hommes qui sont
faits à l'image de Dieu.
Il est très rare que l'on porte
l'excès jusqu'à
blasphémer le saint Nom de Dieu, ou à
commettre des parjures. Ces crimes sont trop
affreux, trop exécrables pour ne pas
inspirer de l'horreur à ceux qui ont le
moins de délicatesse.
C'est insulter la Divinité ; mais d'une
manière directe et
immédiate.
C'est fouler aux pieds avec une
impiété inouïe ce qu'il y a de
plus sacré et de plus
vénérable.
Mais parlons-nous toujours de la Divinité
d'une manière assez respectueuse ?
Ne mêlons-nous point ce Nom auguste parmi
des bagatelles, et des discours
criminels ?
Ne prenons-nous pas souvent cet Être
suprême à témoin pour des
choses vaines, et qui ne sont d'aucune
conséquence ?
Ne nous arrive-t-il point de faire sur
l'Écriture sainte des railleries toutes
profanes, ou de les tordre à notre
perdition, par des jeux d'esprit et par de
mauvaises plaisanteries ?
Ces langues qui ne nous ont été
données, pour glorifier nôtre Dieu, et
pour édifier nos Frères, les
employons-nous à un si légitime
usage ? Ses perfections, ses bienfaits, ses
lois, ses promesses, est-ce là ce qui
fait le sujet de nos
conversations les plus
ordinaires ? Nous excitons nous les uns les
autres, et par de sages exhortations, et par de
mutuels exemples à respecter Dieu, à
pratiquer ses ordres, à soupirer
après ses promesses, à avoir pour un
si bon Maître l'amour le plus vif, le plus
tendre, et à être
pénétrés pour sa bonté,
de la reconnaissance la plus parfaite ?
Faisons-nous toute nôtre joie de nous
entretenir de la tendresse incompréhensible
que le Seigneur Jésus, nous a
témoignée, de ses souffrances, de son
ignominie, et de l'obligation indispensable
où nous sommes, de lui offrir nos corps en
sacrifice, de lui immoler nôtre vieil homme,
et de charger nôtre croix pour le
suivre ?
Au contraire ; nos jours entiers se
passent, sans que la Divinité et ses
grâces, sans que Jésus-Christ, et tout
ce qu'il a fait pour nôtre salut, ait aucune
part à nos conversations et à nos
pensées.
Les choses de ce monde sont les seules qui nous
occupent. Ce qui flatte nos passions et qui les
anime ; voilà ce qui fait le sujet de
nos entretiens les plus fréquents, les plus
agréables. Et il ne faut
que les tourner sur des
matières de Religion, pour causer
bientôt un ennui et une langueur universelle.
Qu'on juge après cela, si nous aimons
véritablement nôtre Dieu, et si
nous sommes tant soit peu touchés de ses
faveurs les plus signalées.
Quand nous avons pour une personne un attachement
vif et sincère, quand nous lui avons des
obligations essentielles, trouvons-nous de plaisir
plus pénible que de nous en entretenir,
même jusqu'à devenir importuns, et
à en fatiguer les autres ?
C'est là l'effet le plus naturel, et de
l'amour et de la reconnaissance, et c'en est le
caractère le plus sur, le moins
équivoque.
Cependant à l'égard de Dieu, on
consacre tout au plus une heure ou deux toutes les
semaines à entendre représenter (parler de) ses augustes
perfections, et les bontés infinies et
inénarrables : encore le fait-on avec
une froideur, avec une nonchalance extrême.
Nous remarquons souvent, que dans le temps
même que l'on traite les sujets les plus
touchants, et les plus propres à
réveiller l’attention, c'est alors que
l'on semble les plus distraits,
et plongés dans un assoupissement tout
à fait criminel. Au lieu de
célébrer les louanges de Dieu par de
saints Cantiques, lorsque l'on est appliqué
à des ouvrages qui ne remplissent pas
l'esprit, ou de les interrompre même de temps
en temps pour s'acquitter de ce devoir
indispensable, on chantera plutôt des
chansons frivoles et vaines, souvent même,
peu séantes. Tant il est vrai que l'on pense
peu à offrir à la Divinité le
sacrifice de ses lèvres.
Bien loin de nous instruire les uns les autres de
nos devoirs ; bien loin de nous exhorter
réciproquement à les mettre en
pratique avec toute l'exactitude dont nous sommes
capables ; de mettre souvent devant les yeux
dans nos entretiens les grands motifs qui nous y
engagent, de nous faire des peintures attrayantes
des célestes délices et de la gloire
qui nous est destinée, de nous
dépeindre aussi les peines
épouvantables dont l'impénitence sera
suivie ; on débite souvent, au
contraire, des maximes très pernicieuses et
une Morale tout aussi relâchée ;
on se flatte les uns les autres
sur ses défauts, et l'on se plonge par ce
moyen dans une sécurité funeste.
La médisance passe pour un moyen fort
innocent d'animer la conversation, et de la rendre
plus enjouée.
Des désordres plus criminels encore :
« il les faut, dit-on, pardonner à
la jeunesse, dont les passions sont plus
fougueuses, et la raison encore peu formée.
Pourquoi se distinguer par des scrupules, par une
réserve affectée ? c'est le
moyen de se rendre ridicule, et de se faire
soupçonner d'hypocrisie. La
miséricorde de Dieu n'a point de bornes, ses
compassions sont sans nombre, il aura pour les
faiblesses qui nous sont communes avec tous les
autres hommes, une indulgence de Père ;
il ne nous traitera pas à la rigueur de sa
justice, et il n'exige pas de nous une
sainteté accomplie. »
Voilà les pernicieuses leçons que les
mondains se donnent les uns aux autres !
Voilà comment ils cherchent à
s'autoriser eux-mêmes par une malheureuse
condescendance (complaisance) pour les
fautes du prochain
Voilà comment ces aveugles, mais ces
aveugles volontaires, opiniâtres,
entraînent d'autres
aveugles qui s'abandonnent à leur
direction.
On regarde comme un jeu, comme une bagatelle les
vices les plus opposés à l'esprit et
aux maximes de l'Évangile au lieu d’en
parler avec des marques d'indignation et d'horreur,
on s'accoutume peu à peu à les
regarder de sang froid, et à se les
permettre enfin presque sans peine et sans
répugnance.
Voilà le poison mortel que l'on avale
à longs traits dans le commerce des gens du
monde ;
Voilà les maximes profanes que l'on
débite souvent soi-même, ou par
erreur, ou par une complaisance lâche et
impie !
Voilà comment nous avons bien besoin de
demander à Dieu qu'il sanctifie les paroles
de nôtre bouche, et qu'il les rende plus
conformes à ses lois. Que les paroles de
ma bouche te soient agréables.
Rien n'est plus commun que d'entendre des discours
qui choquent la modestie et la bienséance
Chrétienne. Que des Païens stupides et
abrutis par les voluptés les plus honteuses
fissent gloire de leurs désordres et ne
marquassent dans leurs discours, ni retenue, ni
délicatesse c’est ce
qu'il est aisé de comprendre. Mais que des
Chrétiens, que des Disciples de Jésus
qui a été la pureté
même, que des gens nourris dès leur
enfance dans les préceptes de
l'Évangile se plaisent à dire des
choses indécentes, et ne s'en fassent aucune
peine, c'est ce qui n'est pas concevable.
Quoi de plus exprès là-dessus que les
exhortations des Apôtres ?
(Éphés. IV. v. 29 ;
Ch V. 3-4) Que nulle
parole impure ne sorte de votre bouche, dit S.
Paul, mais ce qui est son à l'usage
d'édification, afin qu'il donne grâce
à ceux qui vous écoutent ;
que toute impureté et que toute souillure
ne soit pas même nommée entre vous, ni
parole folle qui ne sont pas des choses
bienséantes, mais que ce soient plutôt
des actions de grâces.
Quoi de plus honteux, quoi de plus
méprisable que ce
caractère ?
Quoi de plus indigne et de la qualité
d'enfants de Dieu, et du titre de Chrétiens,
et de la grandeur de nos destinées, et de la
noblesse de nos espérances, et de
l'excellence de nôtre nature, et de
l'immortalité de nôtre
âme ? N'est-ce pas profaner le saint Nom
de Dieu, que de le prononcer ensuite
avec des langues aussi
impures et aussi souillées ? Et de quel
front (affront) de lui
adresser des prières avec des bouches ainsi
infectées par une honteuse
licence ?
Nous n'avons naturellement que trop de penchant au
libertinage, sans chercher encore à le
réveiller par des discours, qui enflamment
les passions et qui irritent les convoitises. Nous
devrions bannir avec soin de nôtre esprit
toutes les idées qui y ont le moindre
rapport, bien loin d'en faire le sujet de nos
entretiens ordinaires.
Et quand on serait soi-même à
l'épreuve de ces tentations, de ces
pièges, fait-on les impressions funestes que
peuvent faire dans le coeur des autres les
libertés que l'on se donne ? Sait-on si
on ne scandalisera point quelque bonne âme,
quelque personne pieuse ? Sait-on si on n'exposera point l'Évangile
à l'opprobre, et aux reproches des
incrédules ? On peut avoir mille
raisons de cette nature d'être modeste et
retenu dans ses paroles, et quand on n'en aurait
pas d'ailleurs, il suffit que nôtre devoir,
que les préceptes des Apôtres nous y
obligent d'une manière indispensable.
Après cela i il n'y a plus
ni de réplique ni d'excuse qui nous
autorise. Tout cela nous contraint, nous
gêne, nous coûte, tout cela se trouve
opposé, peut-être, à des
habitudes et longues et
invétérées. Mais demandons
à Dieu avec ardeur, qu'il nous en corrige
par un effet puissant de sa grâce,
disons-lui, avec le Psalmiste, Que les paroles
de ma bouche te soient agréables.
Mais ce qui doit surtout nous effrayer, c’est
que le Seigneur Jésus assure, que
(Matt. ch. XXII. v. 36.) nous
rendrons compte, même d'une parole,
inutile.
Sentence terrible sans doute, mais qui sera
pourtant exécutée, puisque la
Vérité même nous l'assure de sa
propre bouche.
Qui est-ce qui s'examine sérieusement sur
l'observation de ce précepte ?
Les plus scrupuleux se contentent : de n'avoir
pas à se reprocher des discours criminels,
qui blessent le prochain, qui le scandalisent, ou
qui marquent peu de respect pour la
Divinité, et on est fort satisfait de
soi-même, quand il n’est rien
échappé de cette nature. Mais de
bagatelles dont on s'occupe, tant
de vices dont on fait le sujet de ses entretiens
ordinaires, on ne s'avise pas de se condamner
là-dessus, et on se les permet durant la vie
entière, sans réflexion et sans
scrupule. Si elles ne choquent pas la
Divinité d'une manière formelle,
elles la font oublier pourtant, et elles n'ont
aucun rapport, ni à l'amour que nous lui
devons, ni à l'avancement de sa gloire. Si
elles ne nuisent pas aux autres, elles les
distraient au moins des méditations plus
importantes et plus sérieuses, et elles ne
contribuent ni à les toucher, ni à
les instruire. Ainsi elles nous font manquer
à des devoirs très essentiels, que
nous devrions avoir en vue, non-seulement dans
toutes nos actions, mais encore dans toutes nos
paroles.
Il ne faut pas croire pourtant qu'il y ait du crime
à ne pas s'entretenir sans cesse de choses
pieuses. Nôtre esprit n’est pas capable
d'une attention longtemps soutenue, il a besoin de
temps en temps de relâche, et un
honnête délassement dans des
conversations moins graves n'a rien que de
très légitime. Les entretiens
même qui contribuent à
rendre à nôtre
esprit sa première force, à nous
mettre plus en état de nous appliquer avec
une nouvelle ardeur à des occupations
importantes, ne doivent pas passer pour inutiles.
De même que le temps que nous donnons au
repos, n'est pas un temps qu'il faille regarder
comme perdu, puisque nous en avons
indispensablement besoin, et que nous ne saurions
soutenir une fatigue continuelle.
Quand est-ce donc que les paroles commencent
à devenir oisives ?
C'est lors que nous mettons un temps trop
considérable à nous entretenir de
choses indifférentes, et inutiles.
C'est lorsque nous ne nous bornons (limitons) pas à en
parler autant (plus)
que nous en avons absolument besoin pour rendre
ensuite nôtre attachement aux oeuvres de
nôtre vocation plus fort et plus durable, de
même que le repos
dégénère, en une criminelle et
honteuse paresse lorsqu'on s'y abandonne mollement,
et qu'on y perd un temps précieux dont on
pourrait faire un meilleur usage.
Il n'y a point de devoir plus négligé que
celui-ci, On ne saurait être engagé
tant soit peu dans le monde,
sans y manquer très fréquemment, et
sans se rendre par conséquent fort
coupable.
On ne peut pas toujours se rendre maître de
la conversation, on est comme obligé de se
conformer au goût et à l'exemple des
autres. On passerait pour ne pas savoir vivre, ou
pour avoir une dévotion mal placée et
mal entendue, si l’on voulait interrompre la
suite de ces discours frivoles, afin de les rendre
plus Chrétiens et plus utiles.
Ainsi, mes Frères, le seul moyen de ne pas
se rendre complices des vains amusements du monde,
c'est que ceux qui ont à coeur leur salut,
doivent éviter ce commerce autant qu'il leur
est possible, et faire leur occupation la plus
ordinaire, la plus agréable, de penser, et
à l'amour que Dieu nous témoigne, et
au bonheur immense qu'il nous destine.
Mais pour cela le secours d'en-haut nous est
indispensablement nécessaire. II n'y a que
l'Esprit Saint, qui puisse nous inspirer un
goût vif et attachant pour les choses
célestes, nous y faire trouver mille
charmes, rendre ces idées si
consolantes toujours
présentes à nôtre esprit, et
nous faire regarder au contraire comme ennuyeux et
comme fades, tous les amusements du présent
siècle.
Pour cela, il faut nous refondre en quelque
manière, il faut changer cette pente
charnelle qui nous attache avec tant de force
à ce qui frappe nos sens, à ce qui
flatte nos convoitises.
Il faut répandre une amertume salutaire sur
les joies de la terre, qui nous en
dégoûte.
II faut allumer dans nôtre coeur un feu tout
céleste, et qui éteigne celui de nos
passions vicieuses.
Il faut inspirer (aspirer
à) une extrême
délicatesse sur ce qui peut déplaire
à nôtre Souverain Juge, afin de
l’éviter avec une scrupuleuse
exactitude. Que les paroles de ma bouche,
que la méditation de mon coeur te soient
agréables.
Nôtre Prophète joint les
pensées du coeur aux paroles de la bouche,
à cause de la parfaite conformité qui
doit se trouver entre les unes et les autres. Nos
pensées doivent être, et la
règle, et la source des paroles, soit
à l'égard du grand devoir de la
Prière, dont nous avons parlé au
commencement de ce Sermon, soit
à l'égard de tous nos autres
discours.
Dans nos prières nous ne devons rien
demander à Dieu, que ce que nôtre
âme désire. Combien de fois pourtant
n'implorons-nous pas son secours de la
manière en apparence la plus vive et la plus
pressante, quoique nous ne souhaitions que
faiblement que nos demandes soient
exaucées ?
Vous diriez que la grâce du
Très-Haut comble nos coeurs d'une joie plus
touchante que tous les biens, que tous les plaisirs
du monde ! Et cependant à peine en
sentons-nous la nécessité, à
peine songeons-nous à l'obtenir. Nôtre
bouche parle sans que le coeur, sans que de
sincères intentions l'animent. Souvent
même (tel est le dérèglement
naturel de l'homme) il est si fort
possédé par ses passions vicieuses,
il sent tant de plaisir à les satisfaire, il
s'en figure si peu dans la pratique de la vertu
qu'il croit languissante et chagrine ; il
s'imagine que la tranquille satisfaction d'une
bonne conscience est si peu de chose, qu'il serait
peut-être fâché que la
Grâce le dégoûtât des
attraits du vice, sans lequel la
vie lui deviendrait ennuyeuse et
insupportable.
Nous demandons à Dieu que sa volonté
soit faite, et nous sommes tout résolus
à avoir pour nos faiblesses, des
complaisances aveugles, à les entretenir,
à les satisfaire, à les rendre tous
les jours plus vives et plus indomptables ;
ou, au moins, nous ne songeons point à
les combattre, a les réprimer et à
les vaincre.
Nous croupissons actuellement dans de mauvaises
habitudes, et nous ne daignons pas faire le moindre
effort pour y renoncer par un amendement
sincère. Peut-être serions-nous bien
aise que Dieu nous sanctifiât, sans qu'il
nous en coûtât ni application, ni
peine ! Peut-être est-ce de cette
manière que nous lui demandons
l’accomplissement de ses ordres ? Mais ce
n’est pas aux tièdes, aux lâches
et aux timides qu'il accorde son esprit et ses
grâces.
Nous prions nôtre Souverain Juge qu'il nous
pardonne nos offenses, comme nous pardonnons
à ceux qui nous ont offensé ;
mais nous lui adressons nos voeux le coeur rempli
de haine et d'animosité, dans l'intention de
venger à la rigueur les injures
qu'on nous aura faites, ou de
conserver au moins pour nos ennemis une aversion ou
des froideurs immortelles. De bonne foi, dans ces
occasions, les pensées de nôtre coeur
s'accordent-elles avec les paroles de nôtre
bouche ? N'y-a-t-il pas dans nos expressions
un déguisement trompeur et une noire
hypocrisie ?
Nous n'employons qu'une demande de l'Oraison
Dominicale à prier Dieu de nous donner les
choses dont nous avons besoin pour la vie
présente, et c'est pourtant ce que nous
désirons avec le plus d'ardeur : c'est
le principal motif de nos prières les plus
ferventes !
Et les grâces spirituelles, qui remplissent
seules tout le reste de cette excellente
prière, sont ce qui nous tient le
moins à coeur, c'est ce que nous ne
demandons presque que pour la forme, tant il est
vrai que nos empressements extérieurs n'ont
pas leur source dans les sentiments de
l'âme.
Si nous prétendons tromper en quelque
manière la Divinité par de fausses
apparences, combien plus dans nos discours
ordinaires abusons-nous de la
crédulité et de l'ignorance des
hommes par des paroles
dissimulées ?
Combien de faux dévots qui tiennent les
discours du monde les plus édifiants, qui
semblent être tout
pénétrés de leurs devoirs, des
bontés de leur Créateur, de
l'excellence de l'Évangile, et de celle des
biens ineffables qu'il fait espérer aux
Fidèles, et qui dans le fond de l'âme
sont vicieux, fourbes, intéressés,
sensuels, orgueilleux, et capables presque de tout,
lorsqu’ils peuvent cacher leurs
désordres ?
Combien de gens qui font paraître sur les
défauts et les faiblesses du prochain, une
sévérité excessive ?
qui sont impitoyables ? que l'on
croirait rongés du zèle de la gloire
de Dieu, à la vue des
dérèglements qui couvrent la face de
la terre, et qui s'en permettent en secret d'aussi
criants et d'aussi atroces ?
Que les paroles de nôtre bouche soient
donc à tous égards, sincères,
conformes aux mouvements de nos coeurs, et qu'elles
en découlent comme d'une source pure, Que
les paroles de ma bouche et la méditation de
mon coeur te soient agréables O !
Éternel, mon Rocher et mon
Rédempteur,
Oui, mes Frères, nôtre grand but doit
être de plaire à Dieu, c'est par ce
principe et dans cette vue que nous devons agir,
c'est ce qui doit animer et nos paroles et nos
démarches. Nous pourrions ne rien nous
permettre qui fut contraire aux Lois de
l'Évangile, et le faire par des motifs tout
étrangers, qui n'auraient aucun rapport avec
ce que nous devons à nôtre Juge et
à nôtre Maître. Ce n'est pas le
moyen de lui devenir agréables, et il ne
faut pas nous flatter qu'il nous tienne compte de
ce que nous faisons par des principes de cette
nature.
On s'abstiendra du mensonge, parce qu'il est en
soi-même honteux, méprisable, parce
qu'on y a attaché dans le monde une
idée de bassesse et d'infamie, parce que
cela empêcherait qu'on eût en nous
aucune confiance. Ce n'est pas pour être
agréable à Dieu que l'on est
sincère, c'est pour attirer l'estime des
hommes, ou afin d'éviter l'opprobre dont la
mauvaise foi est accompagnée. On ne dira
rien qui puisse blesser la modestie la plus
délicate. Mais ce n'est pas parce que
l'Évangile nous
défend les paroles
déshonnêtes ; ce sera afin de
passer pour avoir de la politesse, pour
connaître les bienséances, pour savoir
ménager la délicatesse de ceux
à qui l'on parle ; c'est pour le monde
que l'on se gêne, et non pas par
déférence et par soumission pour les
ordres de nôtre grand Maître.
On ne médira de personne, afin de s'attirer
une réputation de bonté, de peur de
se faire des ennemis qui puissent nuire, afin de se
conserver l'affection de tout le monde par des
égards, et par politique, ou parce que l'on
manque de talents pour relever avec adresse le
ridicule du prochain ; autre retenue où
la Divinité n'a aucune part et qui n'a point
d'autre motif que nôtre intérêt,
nôtre défiance.
Enfin on évite avec soin de railler les
autres, de peur de s'attirer à son tour
quelque mortification chagrinante, de peur de se
voir attaqué par les endroits où l'on
donne prise. Modération apparente, vertus
trompeuses, et qui n'ont que l'écorce l
C'est, mes Frères, parce que nous parlons
devant Dieu, c'est de peur de
violer ses Lois, d'attirer sa
haine, et de perdre sa bienveillance, que nous
devons faire sur nos paroles une attention
sérieuse et continuelle, et non pas pour
nous conformer au goût du monde afin de nous
ménager sa faveur et son approbation.
Et ce qu'il y a de plus déplorable, c'est
que cette même contrainte à laquelle
nous nous soumettons avec facilité, avec
joie, lorsque le monde nous y engage, nous ne
saurions presque gagner sur nous, de nous y
soumettre, quand il s'agit de pratiquer les ordres
de nôtre Père Céleste.
On mentira avec impudence, on emploiera sans peine
les fourberies les plus odieuses, lorsqu'on se
flatte de ne pouvoir pas en être convaincu
devant les hommes ; on insultera avec une
fierté brutale ceux dont on n'a pas lieu de
craindre le ressentiment, quoi que l'on sache assez
qu'un Dieu vengeur les protège, et que nos
artifices les plus cachés n'échappent pas
à sa connaissance.
Mes Frères, appliquons-nous avec plus de
soin à nous rendre agréables à
nôtre Créateur ; mille motifs
tous pressants, tous indispensables nous y
obligent. Nous devons le faire
par respect : nous ne saurions avoir pour lui
une vénération assez profonde, une
déférence assez humble. Nous devons
le faire par des principes d'attachement, de
tendresse. Quoi de plus digne de l'amour le plus
vif, le plus ardent, qu'un Être tout bon,
tout miséricordieux, tout sage, en un mot
qui possède dans un degré
suprême toutes les perfections
imaginables ?
Nous devons le faire par reconnaissance ; le
nombre de ses grâces nous confond, nous ne
saurions en faire le compte, et elles font outre
cela d'un prix immense et inestimable.
Nous devons le faire afin de nous rendre
souverainement heureux ; la
félicité qu'il promet aux Saints est
infinie et n'aura point de bornes. Nous devons le
faire, pour éviter les supplices affreux qui sont destinés au crime, à ces langues
menteuses ; venimeuses, qui seront punies, aux
siècles des siècles sans
adoucissement, sans consolation, sans
espérance, sans pouvoir obtenir une goutte
d'eau qui éteigne les ardeurs dont elles
seront dévorées.
Quel ne ferait donc pas nôtre endurcissement,
si tant de motifs ne
fléchissaient nôtre
coeur avec une efficace victorieuse ? Ne
faudrait-il pas que nous fussions des monstres
d'insensibilité et
d'obstination ?
Au nom de Dieu, Mes Frères, ne soupirons
qu'après le bonheur sans égal de
plaire à nôtre Souverain Juge, et de
nous attirer pour jamais sa faveur et sa
bienveillance. Elle ne sera pas infructueuse et
vaine comme l'est souvent l'affection des hommes.
Elle sera accompagnée dès cette vie
des consolations les plus douces et les plus
touchantes, des bénédictions les plus
précieuses, et elle nous introduira
après la mort dans le brillant séjour
de l'immortalité et de la gloire, où
nous serons éternellement occupés
à chanter les louanges de nôtre Dieu,
avec les Anges et les Saints, où toutes les
paroles de nos bouches seront véritablement
agréables à Dieu nôtre Rocher
et nôtre Rédempteur.
Ainsi soit-il.
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