LA
SENTENCE DE MORT,
ou
SERMON
Sur le II. Liv. des Rois Chap. XX. v. 1.
Colas de la
Treille
1778
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Prononcé
à Rotterdam,
le Lundi matin
premier Janvier 1714.
Dispose de ta
Maison : car tu t'en vas mourir.
JE le hais : car il
ne prophétise
jamais que du
mal, quand il
s'agit de moi.
C'est, mes
Frères, ce que le Roi Achab disait autrefois du Prophète
Michée.
Ce Prince, l'un des
plus méchants et des plus impies qui ait
jamais régné sur Israël, (c'est dire beaucoup) voulait, comme
tous les autres Princes qui lui
ressemblent, être
flatté dans son impiété et
dans ses désordres. Quoiqu'il violât
insolemment les Lois de Dieu, il prétendait
néanmoins, non seulement qu'il n'en devait
point être repris, mais encore qu'il devait
recevoir du Ciel les bénédictions et
les récompenses que le Ciel a promises
à l'obéissance et
à
la
Piété ; et il
trouvait des gens assez lâches pour entrer
dans les sentiments, ou du moins pour faire
semblant d'y entrer.
Non seulement les Courtisans, gens toujours
disposés à adorer les vices les plus
honteux de leur Maître, l'assuraient que
toutes choses iraient toujours au gré de ses
désirs et que, toujours favorisé du
Ciel, nul Ennemi ne pourrait résister
à l'effort de ses Armes ; mais les
Prophètes eux-mêmes, qui, par
là Sainteté de leur caractère
et par les engagements de leur profession,
étaient obligés quand même ils
ne le fussent pas d'ailleurs sentis inspirés
de l'Esprit de Dieu, à lui reprocher ses
crimes et à lui mettre devant les yeux les
Jugements de Dieu qui le menaçaient ;
les Prophètes, oubliant ce qu'ils
étaient, .ou plutôt ce qu'ils devaient
être, l'applaudissaient en
tout, et ne lui promettaient, de la part de
l'ÉTERNEL, que d'heureux succès.
Ainsi a dit
L'Éternel,
tu
prospéreras,
et tu consumeras tous
tes Ennemis, lui
dirent plus de quatre cents d'entre eux, lorsqu'il
fut sur le point de marcher contre
le Roi de Syrie.
Le seul
Michée, plus sincère
et plus hardi, ou plutôt craignant Dieu plus
et plus fidèle, a le courage de combattre
les flatteuses espérances que lui donnaient
tous les autres : il lui prédit que son
Armée sera défaite par les
Syriens, et que
lui-même demeurera (mourra)
dans la Bataille. C'est ce qui fait dire à
ce Prince impie, qui voulait forcer Michée à parler autrement que
L'ÉTERNEL ne lui avait dit : je le hais car il ne prophétise
jamais que du mal quand il s'agit de moi.
Mes Frères, sans vouloir vous comparer
à Achab,
je ne sais si je n'ai
point sujet de craindre que vous ne soyez
aujourd'hui tentés de tenir de nous le
même langage.
Ce jour est un jour de bénédiction
où vous avez coutume de vous souhaiter les
uns aux autres une vie longue et heureuse. C'est le
voeu que le Mari fait pour la Femme, et la Femme
pour le Mari; le Père pour ses Enfants, et
les Enfants pour leur Père ; les Magistrats
pour leurs Peuples, et les Peuples pour leurs
Magistrats. Tous n'ont qu'une même voix pour
s'annoncer et se désirer mutuellement les
biens et de la Terre, et du Ciel.
Au milieu de ces voeux communs, qui retentissent de
toutes parts, pourrez-vous, sans impatience et sans
chagrin, entendre la triste déclaration que
je viens vous faire?
Au lieu des bénédictions que vous
attendez sans doute de moi, je viens vous annoncer
à tous, à tous sans exception
l'Arrêt de votre mort prochaine
; et, par conséquent, je viens
combattre ces voeux flatteurs, par lesquels vous
vous souhaitez mutuellement une longue vie : je
viens dis-je, déclarer à chacun de
vous, qu'il ait à donner promptement ordre
à ses Affaires, parce qu'il ne lui reste
plus que quelques moments à vivre :
Dispose de ta Maison :
car tu t'en vas mourir.
N'est-ce pas là prophétiser du mal
contre vous, mes Frères? N'est-ce pas
là nous exposer de gaieté de coeur
à votre haine dans un temps où,
recevant de tous les autres des témoignages
d'une tendre amitié vous leur donnez,
à votre tour, de sensibles marques d'une
affection réciproque?
Non, mes Frères, j'espère que la
Religion et la Piété vous donneront
d'autres sentiments. Dieu m'est témoin que
je
vous désire tous en
singulière et cordiale affection,
et que
vous êtes dans
mon coeur à mourir
et à vivre. J'espère que vous comprendrez
que la déclaration que je viens vous faire,
quelque affligeante qu'elle soit, je ne vous la
fais, que parce que formant tous les jours des
voeux ardents, non pour la prospérité
seulement de votre vie passagère sur la
Terre ; mais surtout pour le bonheur de votre
éternité dans le
Ciel.
Je dois vous la faire, afin que, par une sainte
préparation à la mort, vous vous
mettiez en état de la posséder un
jour, cette Éternité
bienheureuse.
Au fond, mes chers Frères, qu'est-ce que
je viens vous annoncer aujourd'hui que vous ne
sachiez déjà, et qu'une
infinité de voix vous annoncent tous les
jours, si vous voulez les entendre ?
Ces années, qui s'écoulent avec la
rapidité d'un torrent, et en particulier
l'année qui vient de vous échapper,
ne vous crient-elles pas ; Dispose de ta Maison : car tu t'en vas
mourir.
Cette nécessité, où la Nature
vous met, d'abandonner de temps en temps votre
corps au sommeil qui est une espèce de mort,
comme la mort est une espèce de sommeil, ne
vous crie-t-elle pas ; Dispose de ta Maison : car tu t'en vas
mourir.
Ces maladies qui vous travaillent, ces langueurs
qui vous consument, et que l'on peut regarder
comme des ébranlements avant-coureurs de la
chute prochaine de ce Tabernacle de terre, dans
lequel vous habitez, ne vous crient-elles pas;
Dispose de ta Maison :
car tu t'en vas mourir.
Ce Frère, ce Parent, cet Ami, qui, dans la
fleur de son âge, vient, par un accident
subit et imprévu, d'être couché
dans le Tombeau, ne vous crie-t-il pas ;
Dispose de ta Maison :
car tu t'en vas mourir.
Ces Monuments, attachés
aux parois de ce Temple, et qui sont
consacrés à la mémoire de
plusieurs illustres Défunts dont les cendres
sont ici renfermées, ne vous crient-ils
pas ; Dispose de
ta Maison : car tu t'en vas
mourir ?
Nous ne sommes donc pas les seuls à vous
faire cette déclaration, mes
Frères : notre voix n'est que
l'Écho
d'un grand nombre
d'autres, que la providence ce vous adresse tous
les jours. Puisse-t-elle, en vous rappelant une
Vérité, qui quelque oubliée
qu'elle soit, est néanmoins aussi importante
qu'elle est certaine :
- savoir que vous devez mourir .....
- savoir donner promptement ordre aux affaires de
votre conscience ; Dispose de ta Maison : car tu
t'en vas mourir ?
Ces paroles furent autrefois adressées au
Roi Ézéchias par le Prophète Esaïe ; et ce sera par rapport à
Ézéchias
que nous les
considérerons d'abord. Ensuite, nous les
considérerons par rapport à
nous-mêmes, et nous nous en ferons
l'application. Tel sera le Plan et le partage de ce
Discours.
Grand Dieu, veuilles animer aujourd'hui notre voix
de cette vertu secrète qui
pénètre dans les coeurs, qui les
touche qui les amollit, qui les rend susceptibles
de tes divines et salutaires
impressions ; afin que tous ceux qui doivent
l'écouter en soient émus,
pénétrés, convertis, et
constamment résolus à se disposer par
une sainte vie, à une heureuse mort.
Amen.
I.
PARTIE.
Vous jugez bien, mes
Frères, que, comme les paroles de mon Texte
sont aisées à entendre et ne
renferment aucune difficulté, ce n'est pas
par voie d'Explication que nous devons les
traiter ; mais par voie de
Considérations, ou de Réflexions.
La première roulera sur les circonstances
où se trouvait Ézéchias
lorsqu'il fut
attaqué de la maladie dont le
Prophète vint l'avertir qu'il mourrait. Il
venait d'être miraculeusement
délivré d'un puissant Ennemi, qui
avait tenu pendant quelque temps, Jérusalem assiégée.
Dans une seule nuit, l'Ange de l'ÉTERNEL
avait mis à mort cent quatre-vingt-cinq
mille Hommes de l'Armée de Sennachérib Roi des Assyriens ; et ce Prince infidèle, qui
avait juré qu'il exterminerait toute la
Nation des Juifs,
avait été contraint, après une
telle défaite, de
s'enfuir avec précipitation dans son Pays,
où il fut tué par ses propres
Enfants.
Mais dans le temps (Alors qu') d'Ézéchias
se
réjouissait, avec tout son Peuple, d'une
si glorieuse délivrance, Dieu
permit qu'il tombât dans une dangereuse
maladie, qui le conduisit jusqu'aux portes de la
mort.
C'est ainsi que les douceurs de cette vie sont
toujours mêlées de quelque
amertume.
C'est ainsi que, comme le dit le Sage (Eccl. VII. 14) Dieu a fait le bien et le mal
à l'opposé l'un de l'autre. (Au jour
du bonheur, sois heureux, et au jour du malheur,
réfléchis : Dieu a fait l'un
comme l'autre) comme le jour et la nuit pour se
succéder tour-à-tour, et quelquefois
pour se mêler et se confondre ensemble. C'est
ainsi que les pleurs viennent le matin
prendre dans notre Maison, la place de la joie qui
y avait logé le soir (Psaume XXX :
5.)
(Le
soir arrivent les pleurs, Et le matin
l'allégresse.).
Humainement parlant, en pourrait penser que le
chagrin que conçut Ézéchias
de se voir si
étroitement pressé, par un Ennemi si
redoutable, sans nulle espérance de secours
du côté de la terre, ou les fatigues
qu'il se donna pour défendre sa Capitale
assiégée, contribuèrent
à former le mal dont il se vit
attaqué dans son corps.
Mais nous devons jeter les yeux plu haut, et
regarder ce mal même comme lui étant
dispensé par la sage Providence qui voulait
par là donner, pour ainsi dire une
espèce de contrepoids, au penchant qu'il
pouvait avoir à s'enorgueillir d'une
prospérité si subite, si
complète, et qui portait des traces si
sensibles de la Divine Protection sur lui, et sur
son Peuple.
Tel est en effet le fruit ordinaire des
bénédictions que Dieu répand
sur les hommes Elles les jettent dans une
criminelle
sécurité, qui les
fait jouir de leurs biens, sans penser au
Bienfaiteur de qui ils les ont reçus :
elles donnent à leur coeur une je ne sais
quelle enfleure (vanité), qui les porte non seulement à
s'élever au-dessus des autres hommes, comme
s'ils étaient d'une autre
espèce ; mais encore souvent à
se soustraire à l'Empire de Dieu, comme si
les grâces qu'il leur a faites lui avaient
ôté le droit qu'il a naturellement sur
eux.
Ces mêmes grâces, qui par
elles-mêmes, devaient être de nouveaux
liens pour les attacher de plus en plus à
lui, leur servent souvent d'occasion pour s'en
détacher, et pour l'oublier :
J'ai parlé a
toi durant ta grande
prospérité ; et tu as
dit, je n'écouterai point ta voix
(Jérémie XXII.
21) (Je t'ai parlé dans le temps
de ta prospérité ; Tu
disais : Je n'écouterai pas).
Il
est donc nécessaire que Dieu, parmi les
douceurs de sa bonté envers nous,
mêle quelquefois
les amertumes et les rigueurs de sa discipline,
pour nous retenir dans la juste dépendance
où nous devons être de lui.
C'est dans cette vue qu'il afflige aujourd'hui
Ézéchias
d'une maladie
naturellement incurable et mortelle ; afin que
comprenant par là, que, tout Roi, tout
Victorieux qu'il est, il n'est pas d'une autre
condition que le reste des hommes, que le moindre
de ses Sujets, que le moindre de ses Ennemis, dont
une seule nuit avoir changé le Camp dans un
Aceldama,
un vaste champ de
sang et de carnage ; cette pensée
l'empêchât de s'élever
par orgueil, et le retint dans
les mêmes ferments d'humilité qu'il
avait fait paraître lorsque,
assiégé par ces mêmes Ennemis,
il avait imploré le secours de son Dieu.
Certainement cette Dispensation lui était
d'autant plus nécessaire, qu'on y voit, dans
la suite de ce même Chapitre (voir aussi
2 Chr. XXXII), que Dieu, touché de ses
humiliations et ses larmes, a
rétracté, pour ainsi dire, la
Sentence de mort que le Prophète lui avait
prononcée en son nom, et l'a rétabli
dans sa première santé.
Ce Prince ne parut pas entièrement
guéri du penchant qu'il avait à
l'orgueil, puisque, par une vanité
criminelle, il montra, avec ostentation, aux
Ambassadeurs du Roi de Babylone (2 Rois XX. 13), qui étaient venus le
féliciter sur sa Convalescence, tous ses
Trésors, son or, son argent, son Arsenal, et
tout ce qu'il y avait de plus riche et de plus
magnifique dans sa Maison, et dans Cour !
Vanité que le même Esaïe lui reprocha vivement de la part de
Dieu, et dont il lui dénonça que la
punition se fera bientôt.
De là, naît une seconde
Considération.
On demande comment la Déclaration que Dieu
fait faire ici par son Prophète à
Ézéchias
de sa mort prochaine,
peut s'accorder avec la santé qu'il lui
rendit ensuite, et avec les quinze années
qu'il ajouta à sa vie, comme il parait dans
les versets suivants ?
Je réponds que cette Déclaration doit
être regardée comme exprimant
simplement la nature de son mal, qui, mortel en
lui-même, ne pouvait être guéri
par une autre main que par celle de Dieu : ou,
si vous voulez, comme renfermant une condition, ou
une restriction, qui, bien que non exprimée,
doit néanmoins être
sous-entendue : Tu t'en vas mourir, à moins que, par de profondes
humiliations et par d'ardentes prières, tu
ne m'engages à te rendre la vie.
C'est ainsi que Dieu dit à Abimélec qui avait enlevé Sara :
Tu es mort, à
cause de la femme que tu as prise : car elle
est mariée à un autre (Gen. XX. 3.), c'est-à-dire,
tu es
mort, à moins
que tu ne laisses cette Femme sans la toucher, et
que tu ne la rendes à son Mari.
C'est ainsi encore qu'il est dit dans le Livre
d'ÉZÉCHIEL : Méchant, tu
mourras de mort (Ezéch. III. 18.),
savoir, à moins que tu ne te
détournes de ton iniquité.
C'est ainsi encore qu'il est dit dans le Livre de
JONAS : Encore
quarante jours,
et Ninive sera
renversée (Jonas III. 4), où il faut
nécessairement sous-entendre, à moins
qu'elle ne se convertisse, et qu'elle ne fasse
pénitence. Car l'événement
justifia que cette Déclaration
n'était que conditionnelle ; puisque la
Conversion des Ninivites empêcha leur entière
destruction.
En un mot, les menaces de Dieu, aussi bien que les
Promesses, bien que souvent elles paraissent
énoncées
absolument, si je puis m'exprimer ainsi, doivent
néanmoins presque toujours être
regardées comme faites sous certaines
conditions (s'accomplir sous
conditions).
Cela ne renferme aucune difficulté :
aussi je passe à une troisième
Réflexion.
Vous voyez ici, mes Frères, que le
Prophète ne flatte point... Ézéchias, tout Roi qu'il est : il ne
cherche point d'adoucissements pour diminuer
l'horreur de la fatale nouvelle qu vient lui
annoncer : Dispose de ta Maison : car tu
t'en vas mourir, lui
dit-il, sans détour.
O qu'il serait à souhaiter que cette
conduite fut aujourd'hui imitée par ceux qui
approchent des Malades ! Mais, tout au
contraire, on leur cache, le plus longtemps qu'il
est possible, l'extrémité où
ils se
trouvent ; on les entretient dans l'espoir
d'un retour de santé. Les Parents, les Amis
du Malade, par une fausse tendresse pour lui ou
cherchant à charmer leur propre douleur, le
flattent toujours de cette pensée et s'en
flattent eux-mêmes.
En vain le Médecin le
condamne ;
en vain le Pasteur
met en devoir de lui dire qu'il s'en va
mourir : Ah ! dit-on, il ne faut pas
l'effrayer : cela pourrait augmenter son mal.
Cependant ce mal redouble, surmonte tous les
remèdes ; voilà le Malade
à l'agonie. Alors ce ne sont que cris, que
pleurs, que lamentations : on se met
tumultueusement en prières ; on demande
à Dieu qu'il fasse
miséricorde. Mais disons les choses comme
nous les pensons, (malheur à nous si nous
vous dissimulions une Vérité si
importante)
comment Dieu
ferait-il miséricorde à un
Pécheur, à moins qu'il ne se soit mis
en état de la recevoir ?
Je vous exhorte donc, ô vous, qui, par les
Relations du sang et de la proximité, ou par
les engagements de votre Profession, êtes
appelés à converser avec les Malades,
à leur parler avec la même
liberté que fait ici le Prophète au
Roi de Juda,
et de leur
dire : Mettez ordre à votre Conscience,
et au plutôt ; car la mort n'est pas
loin.
Mais en même temps j'exhorte aussi chacun de
vous, mes chers Frères, lorsque Dieu vous
visitera de quelque maladie, de vous défaire
de cette délicatesse, également folle
et dangereuse, qui fait qu'alors vous ne pouvez
souffrir qu'on vous parle de la mort, comme si cela
hâtait sa venue.
Je vous exhorte à faire choix, pendant
même que vous êtes en santé, de
quelque pieux Ami, qui, dans le temps de votre
maladie, s'élevant au-dessus des sentiments
d'une Amitié mondaine et charnelle, vienne
fidèlement vous avertir du danger où
vous êtes, afin qu'au moins, ces derniers
moments vous puissiez les employer à vous
détacher du Monde que vous quittez, et
à réfléchir sur cette
Éternité heureuse ou malheureuse dans
laquelle vous allez passer.
Ma dernière Réflexion, c'est que
le Prophète, en disant à
Ézéchias : Dispose de ta Maison : car tu
t'en vas mourir, a
sans doute d'abord essayer d'obliger ce Prince
à régler ses Affaires temporelles,
pour qu'après sa mort, comme il était
alors sans Enfants, (Manassé, son Fils aîné, ne naquit
que trois ans après cette maladie), il n'y
eût point de division entre ceux qui
pouvaient prétendre lui
succéder ; ce qui aurait causé
de grands désordres et de grandes confusions
dans l'État, donnant ainsi l'occasion aux
Peuples voisins, toujours jaloux de cette Nation si
visiblement protégée du Ciel, de
l'envahir et de l'opprimer.
Mais il ne faut pas borner à cela
l'expression dont il s'agit (se limiter à
cette expression). On
peut aussi regarder comme un avis que le
Prophète donnait à Ézéchias, qu'il eût à
disposé d'une autre maison, de la maison
spirituelle de sa Conscience, de cette maison dans
laquelle comme l'a dit quelqu'un, l'Homme de bien
se retire, et se met à couvert des traits de
la calomnie, lorsqu'on les lance contre lui.
C'est, mes Frères, à cette
dernière idée que nous avons dessein
de nous arrêter. Il est assez peu
nécessaire d'avertir les Hommes qu'ils
doivent, avant de mourir, régler leurs
Affaires temporelles : c'est quoi (ce dont) ils manquent rarement.
Nous sommes tous mortels, leur entend-on dire tous
les jours, nous ne savons combien de
temps
Dieu nous laissera sur la Terre : il est donc
de la prudence de faire de bonne heure notre
testament, afin de prévenir toutes les
difficultés, tous les Procès qui
pourraient s'élever, après nous,
entre nos Parents et nos Héritiers.
À Dieu ne plaise que je condamne cette
Pratique, qui est ici recommandée au Roi
Ézéchias, et qui fut observée par
Abraham,
lorsque, se voyant devenu vieux, il donna ses
ordres à son Serviteur, touchant la conduite
qu'il devait tenir avec son Fils, et la Femme qu'il
voulait faire épouser (Gen. XXIV).
Qui fut aussi
observée par Jacob,
lorsque, prêt à rendre son Âme
fidèle à Dieu, il fit venir tous ses
Enfants et, en leur donnant sa
bénédiction, leur déclara
qu'elles étaient ses dernières
volontés (Gen. XLIX).
Qui fut observée par le Sauveur
lui-même, lorsque, sur le point de quitter le
Monde pour retourner à son Père, il
assigna à chacun de ses Disciples ses
Fonctions dans le Royaume qu'il était venu
établir, et chargea l'un d'entre eux de
servir de Fils à sa Mère.
Mais ce que je déplore, c'est que des gens,
si prudents pour les Affaires de cette vie, le
soient si peu pour les Affaires de
l'Éternité.
Je puis mourir à toute heure,
dites-vous ;
cela est vrai :
je dois donc disposer au plutôt des Affaires
de ma Maison cela est vrai encore, la
conséquence est juste ; je
loue votre prudence. Mais pourquoi de ce que
(parce
que) vous pouvez mourir
à toute heure n'en
concluez-vous pas aussi que vous devez donc, au
plutôt, mettre ordre aux Affaires de votre
conscience ?
Est-ce que les intérêts de
l'Éternité sont moins importants que
les intérêts de la vie
présente ?
Est-ce que le délai y est moins
dangereux ?
Est-ce que vous aurez moins de peine à votre
lit de mort, à mettre votre conscience en
état d'aller comparaître devant Dieu,
que vous n'en aurez alors à déclarer
vos dernières intentions à vos
Héritiers ?
Est-ce. que vous craignez plus les
Différents qui pourraient s'élever
entre vos Proches, après votre mort, que
vous ne craignez le Procès, le terrible et
redoutable Procès que votre Âme, votre
propre Âme pourra avoir alors avec
Dieu ?
Ah mes Frères, il est bon de ne pas
négliger la première de ces deux
choses : mais il est encore infiniment plus
nécessaire de faire l'autre aussi. C'est
pour vous y porter que je passe à ma seconde
Partie, où je me suis proposé de vous
faire une plus particulière application des
paroles de mon Texte.
II.
PARTIE.
Mes Frères, l'Histoire
rapporte qu'un Empereur des derniers Siècles
(Charles Quint), après avoir
régné pendant plusieurs années
avec beaucoup de gloire, mais
toujours au milieu des troubles et des agitations
de la Guerre ;
s'étant enfin
volontairement démis de l'Empire,
dépouillé de toutes les Grandeurs
mondaines, et retiré dans une Solitude, pour
penser plus tranquillement à sa conscience,
et mettre par là, disait-il, quelque espace
entre le Monde et l'Éternité, voulut,
afin d'imprimer plus fortement dans son esprit
l'idée de la mort, faire faire ses propres
Funérailles.
On le mit dans une Bière, comme si
effectivement il eût rendu l'esprit : on
le porta au Tombeau : un nombreux Convoi le
suivit dans cet état, et fit paraître,
pour mieux répondre à ses intentions,
cette contenance morne et triste qui accompagne
d'ordinaire les Pompes funèbres : on
pratiqua, en un mot, toutes les
cérémonies qu'on a coutume de
pratiquer dans ces sortes d'occasions.
Mais, mes Frères, il n'est pas
nécessaire de pousser les choses jusque
là. Si l'Emblème de notre mort peut
contribuer à nous y faire penser et à
nous y préparer, il y a un moyen plus
facile, et plus sérieux. C'est de nous
imaginer que les funérailles, que nous
voyons tous les jours, sont nos propres
funérailles : ou plutôt, sans
attendre les funérailles, car alors il n'est
plus temps d'y penser et il n'y a plus de retour,
c'est de nous imaginer que cette maladie mortelle,
dont nous voyons si souvent
tantôt un de nos Parents, tantôt un de
nos Amis attaqué, nous en sommes
attaqués nous-mêmes.
Mettons-nous, par exemple, aujourd'hui à la
place d'Ézéchias : supposons que nous sommes malades
à la mort, et qu'on vienne nous dire :
Dispose de ta
Maison,
car tu t'en vas
mourir ; et
puis, demandons-nous à nous-mêmes dans
quelles dispositions nous nous trouverions,
à l'ouïe de cette fatale
déclaration. Rien ne peut être plus
propre à nous faire vivement sentir la
nécessité où nous sommes de
travailler, au plutôt, avec crainte et tremblement à
notre propre Salut. (Philip. II. 12.)
Ici, mes Frères, je distingue trois sortes
de Chrétiens,
1. Les
Pécheurs de professions et d'habitude, qui
ont constamment fait le métier de
l'iniquité, et pour qui les plus grands
crimes n'ont eu nulle horreur.
2. Les Pécheurs ordinaires, qui, parmi un
grand nombre de vices qu'ils ont chèrement
entretenus, ont aussi eu quelque vertu, quelque
sentiment de conscience, quelque soin de ne pas
s'abandonner aux plus grands excès.
3. Enfin les véritables Fidèles, qui
ont fait, de l'ouvrage de leur Salut, leur
principale occupation, et dans le coeur desquels la
crainte de Dieu a tenu le premier lieu.
Suivant ces trois sortes de
Chrétiens, la Déclaration de mon
Texte, s'ils étaient dans les
circonstances où se
trouvait alors Ézéchias, serait aussi pour eux de
différentes impressions.
Et premièrement, pour les Pécheurs
consommés, si je puis les appeler ainsi,
avec quelles transes, avec quelle horreur, avec
quel désespoir ne l'entendraient-ils
pas ?
Je vais mourir ;
c'est-à-dire,
je vais me voir éternellement privé
de tout ce que j'aime, de tout ce que je
désire, de tout ce qui peut me rendre
heureux, de tout ce que je possède :
Biens, Maisons, Héritages, Dignités,
plaisirs, objets si chéris de mon
attachement, vous allez m'échapper, et
m'échapper pour toujours.
Je vais mourir ;
c'est-à-dire,
je vais rendre compte à un Juge, qui, bien
différent des Juges de la Terre, lesquels
j'ai si souvent trompés par mes artifices,
ou corrompus par mes Présents, ne s'en
laisse point imposer, ne tient jamais le coupable pour
innocent, pénètre dans le fond des
coeurs : je vais lui rendre compte de tous mes
crimes, de toutes mes obliquités
(mon
manque de droiture), de
toutes mes injustices, de toutes mes violences, de
toutes mes calomnies, de toutes mes
impuretés, de toutes les horreurs de ma
vie.
Je vais mourir ;
c'est-à-dire,
je vais tomber entre les mains d'un Dieu qui est
un feu
consumant,
(Héb. XII, 29.)
porter tout le poids
de son
indignation et toute
l'ardeur de sa colère, être
éternellement l'objet de sa plus
sévère Vengeance. Car à quoi
bon m'exhorter à mettre
ordre à ma conscience ? Ai-je le temps,
ai-je les moyens, ai-je la force, puis-je
même avoir sincèrement la
volonté de le faire, ou même d'y
penser ?
Non, non, il n'y a plus pour moi de S.
Esprit
pour m'aider à
vouloir
et à
parfaire :
(Philip. II. 13.)
il n'y plus pour moi
de JÉSUS-CHRIST, pour expier mes crimes, et
pour me servir d'Intercesseur et d'Avocat
auprès de son Père : il n'y a
plus pour moi de Miséricordes en Dieu :
il n'y a plus pour moi, d'espérance ni de
Salut. Inutiles regrets, perçants remords,
cruels Vautours qui commencent à me ronger
le coeur et qui le rongeront, qui le
déchireront dans tous les Siècles des
Siècles ;
flammes
dévorantes, tourments éternels,
désespoir affreux : voilà ce qui
m'attend, voilà quel va être mon
funeste Sort ! Ah ! comment pourrai-je
séjourner avec
le feu dévorant ? (Esa. XXXIII. 14.) Comment pourrai-je supporter
les ardeurs
éternelles ? Il le faut pourtant ; me
voilà prêt à y être
jeté. Périsse, pour jamais, le jour auquel je naquis ! Que ne
suis-je mort dès la matrice ? Que ne
suis-je expiré aussitôt que je suis
sorti du ventre de ma Mère ?
(Job III. 3-11.)
Mes Frères, vous direz peut-être que
tous les Pécheurs, dont je parle, ne meurent
pas dans ces sentiments : qu'il y en a qui
paraissent assez tranquilles, et qui se confient
même en la Miséricorde de
Dieu.
Je l'avoue.
Mais s'ils paraissent tranquilles, croyez-vous
qu'ils ne soient pas intérieurement
agités ? Croyez-vous qu'ils ne se
sentent pas intérieurement
déchirés, d'un côté, par
les reproches qu'ils se font d'avoir fait un si
mauvais usage de la vie, et d'avoir laissé
échapper le Salut ; et, de l'autre, par
la crainte ; que dis-je ? par la
certitude qu'ils ont d'être, dans peu de
moments, la proie du feu qui ne s'éteint
point ?
Ils font
paraître d'autres sentiments. je le
veux : c'est-à-dire qu'ils se mettent
un bandeau devant les yeux pour ne point voir
l'horreur de leur état, ou qu'ils se
couvrent le visage d'un Masque pour se
déguiser et aux autres, et à
eux-mêmes : c'est-à-dire qu'ils
se flattent, ou qu'ils ont auprès d'eux des
gens qui les flattent mal à propos j qui
leur crient Paix,
Paix, (I Thes. V. 3.) dans le
moment que la
destruction vient
fondre sur eux.
Mais, après tout, si ce ne sont pas
là leurs sentiments, je ne crains pas de le
dire, ..... je ne vois pas sur quelle
Déclaration de l'Évangile ils
pourraient fonder la confiance qu'ils ont en la
Miséricorde de Dieu.
Je viens au second ordre de Chrétiens. Ce
sont ces Pécheurs ordinaires, qui
tantôt se laissent aller à
l'iniquité, parce que le torrent du monde,
ou la force et l'impétuosité de leurs
passions, ou le penchant même de leur coeur
corrompu les y
entraîne ;
tantôt ils se
portent à (tournent vers) la justice, parce que la
considération des Lois de Dieu, et les
impressions de leur propre conscience ont encore
quelque pouvoir sur
eux. Ceux-ci sont le
plus grand nombre : car il ne faut pas
s'imaginer qu'il y ait beaucoup de ces
Pécheurs déterminés, dont je
viens de parler. Il n'est pas si facile de se
défaire de toute crainte de Dieu, et de se
dépouiller de tout sentiment de Religion.
Pour parvenir à ce degré
d'endurcissement, il faut un fond de corruption,
qui semble ne pouvoir s'acquérir que par de
grands efforts, dont tout le monde n'est pas
capable.
Mais il est assez naturel qu'on se trouve dans cet
état de mélange, où je suppose
que se trouvent la plupart des Chrétiens,
parce que c'est là, en quelque
manière, l'état dans lequel nous
naissons. Nous apportons au Monde un violent
penchant pour le péché, et ce
penchant se fortifie, à mesure que nous
commettons de nouveaux actes d'iniquité.
Mais, en même temps, nous y apportons aussi
de claires idées du Vice et de la Vertu,
nous y apportons une certaine impression du bien et
du mal, qui suffit pour nous faire comprendre,
qu'il faut éviter ce dernier, et se porter
à l'autre : et cette impression, ces
idées deviennent plus vives et plus fortes
par les réflexions de la Conscience et de la
Raison, et, surtout, par les Déclarations
que Dieu nous fait, dans
l'Écriture, de sa volonté.
Voilà ce qui fait que la vie de la plupart
des Chrétiens est si mêlée, si
diversifiée, et qu'on y voit ce confus
assemblage de vices et de vertus, de
péchés et de bonnes oeuvres ; si
tant est qu'on puisse appeler bonnes oeuvres ou
vertus des actions ou des dispositions qui se
trouvent alliées avec tant de vices, ou qui
partent d'un coeur esclave de tant de criminelles
habitudes.
Tels sont, je le répète encore
à la honte du Christianisme qui fait si peu
d'effet au milieu de nous, tels sont la plupart des
Chrétiens de nos jours. Que l'on vienne dire
à ces gens-là ; Dispose de ta Maison car tu t'en vas
mourir ; d'abord
ils se trouveront, et ils doivent naturellement se
trouver saisis des mêmes transes et des
mêmes frayeurs, à peu près, que
les premiers.
Mais néanmoins dans la suite ces semences de
piété, qui étaient comme
ensevelies dans le fond de leur coeur, peuvent se
réveiller, se développer, et leur
donner, au milieu de leurs craintes, quelque
raisons d'une douce espérance.
Il faut mourir :
à cette
parole, Masque trompeur, qui me déguisais
les Créatures, tu tombes à mes yeux,
et je découvre l'illusion et la
vanité de ce que tu me cachais.
Retirez-vous, objets autrefois si chéris,
qui occupiez toutes mes pensées, qui
possédiez toutes mes
affections, retirez-vous pour jamais.
Paraissez, au contraire, approchez, objet jusqu'ici
si négligé, Loi de mon Dieu,
Règle de mes Devoirs ; que je puisse
examiner en combien de manières je vous ai
violée.
Ouvre-toi, ma Conscience ; et me
représente tous mes crimes, avec toutes les
circonstances qui peuvent m'en faire sentir
vivement toute l'horreur.
Que vois-je, ô mon Dieu ?
Quel entassement de
désobéissances, de rébellions,
d'infidélités, de noires
ingratitudes !
Que de pensées mauvaises, que de paroles
injurieuses ou scandaleuses, que d'actions
déréglées !
Que de péchés commis directement
contre Dieu, que de péchés commis
contre le Prochain, que de péchés
commis contre moi-même !
Que de péchés commis dans ma
jeunesse, que de péchés commis dans
un âge plus avancé, que de
péchés commis dans les
différentes relations et dans les
différents états de ma vie !
Comme Particulier, comme personne publique, comme
Supérieur, comme égal, comme
inférieur : soit que j'aie
été ou Marchand, ou Magistrat, ou
Pasteur, ou riche ou pauvre, ou malade ou en
santé, ou dans l'affliction ou dans la
joie !
Que de péchés, dis-je, commis contre
les déclarations expresses de la Loi, contre
les protestations mille fois faites à Dieu,
contre les mouvements et les suggestions de ma
propre Conscience, contre les
inspirations et les directions du
Saint-Esprit ! Grand Dieu !
à toi
appartient la Justice, et
à moi la honte et la confusion de face. J'ai
horreur de moi-même : je me repens sur
le sac et sur la cendre. (Daniel IX, 7. Job XLII. 6.)
Oui, ô mon Dieu ! je reconnais mes
péchés, je les condamne, je les
déteste. O que ne puis-je voir prolonger mes
jours pour les réparer ! Dès
à présent, si j'ai fraudé
quelqu'un, je lui fais restitution : si j'ai
calomnié quelqu'un, je lui fais
réparation : si j'ai été
offensé par quelqu'un, je lui
pardonne : si j'ai offensé quelqu'un,
je le conjure de me pardonner. Mais c'est à
toi, surtout, Juge de
toute la Terre,
Souverain Arbitre de mon éternelle
destinée, c'est à toi que je dois
m'adresser pour obtenir le pardon. C'est
contre
toi, proprement que j'ai
péché. O DIEU, aie pitié de moi selon
ta gratuité : selon la grandeur de tes
compassions,
efface mes forfaits.
(Psaume LI)
Au défaut de ma justice, j'ai recours
à celle de ton Fils, qui, par le Sacrifice
de soi-même, a expié les
péchés de tous les Hommes. Je
l'embrasse comme mon unique
Rédempteur ; je mets en lui toute ma
confiance : couvert de son Mérite, que
je puisse remporter ta bénédiction,
ô mon Père céleste ! Mon
Âme a été rachetée par
son sang précieux : ne la rejette
point, lorsque, au sortir de cette
vie, elle ira se jeter entre tes
bras.
C'est ainsi, mes Frères, que les
Pécheurs donc je parle se disposent à
la mort. Demandez-vous, après cela, si l'on
peut compter sur une telle Conversion ? Je
réponds que si, comme Ézéchias, Dieu vous ramène à la
vie, après vous avoir conduits jusqu'aux
portes de la mort, et que cette vie vous l'employez
effectivement à réparer vos
dérèglements passés, et
à observer les Lois de Dieu, en un mot,
à faire des fruits dignes de cette
repentance que vous venez de
témoigner : oui, mes Frères,
vous pouvez compter sur votre Conversion :
elle est sincère, elle est agréable
à Dieu.
Mais si vous mourez dans cet état, et avant
que d'avoir justifié la
sincérité de vos résolutions
par une sainte conduite, je vous abandonne au
Jugement de Dieu ; je n'ose vous, promettre ni
la Grâce, ni la Gloire. Pourquoi ?
Parce que mille fois j'ai vu des Pécheurs,
qui en avaient fait autant que vous, reprendre leur
premier train, et ne plus se souvenir de leurs
précédentes résolutions,
lorsque Dieu leur a rendu la santé.
Mais, mes Frères, puisque ce n'est qu'une
simple supposition que je fais ici, et que,
grâces au support de Dieu, vous avez du temps
encore ; profitez-en, et travaillez à
vous procurer cette assurance si consolante, et si
douce. Entrez, dès ce moment, dans les
dispositions que je viens de
vous représenter : faites, dès
aujourd'hui, ce que vous voudriez avoir fait,
lorsque votre dernière heure sera
venue : réconciliez-vous avec Dieu, et
servez-le fidèlement désormais. C'est
le seul moyen de ne plus trembler, lorsqu'il vous
faudra mourir. Par-là, vous vous mettrez
dans l'état où se trouveront les
Chrétiens du premier ordre, je veux dire les
véritables Fidèles.
Ah ! mes Frères, il semble qu'il ne
soit pas nécessaire de dire à
ceux-ci, lorsqu'on voit la mort venir à
eux ; Disposez de
votre Maison : cela est déjà fait.
Déjà ils ont fait leur paix avec
Dieu.
Déjà ils ont eu soin de purifier leur
conscience des oeuvres
mortes.
Déjà
ils ont travaillé à orner leur
Âme de toutes les vertus que le Fils de Dieu
veut trouver en elle, pour l'épouser
à toujours.
Déjà ils ont troussé
(ceint)
leurs reins et allumé leurs lampes, pour
aller au-devant de leur céleste
Époux.
Ils se sentent encore des imperfections et des
défauts, il est vrai ; et c'est ce qui
les oblige à se tenir toujours dans une
profonde humilité : mais en même
temps ils savent aussi qu'ils ont à faire
à un bon Père, et c'est ce qui les
remplit d'une sainte confiance. Ils
s'écrient, avec Saint Paul, J'ai combattu le bon
combat,
j'ai achevé ma
course,
j'ai gardé la
Foi : quant au reste, la Couronne de justice
m'est réservée, laquelle le
Seigneur Jésus
me donnera dans cette
Journée-là. (2 Tim. IV. 7-8)
Ils s'écrient
comme le Seigneur Jésus
lui-même : Je t'ai
glorifié sur la
Terre,
j'ai achevé
l'oeuvre
que tu m'avais
donné à faire : Et maintenant
glorifie-moi,
toi Père,
envers toi-même, de la
gloire que tu m'as
destinée, avant
que le Monde fut fait. (Jean XVII. 4-5.)
Voici, voici enfin le
jour de ma délivrance. Je vais sortir de
cette Vallée de larmes : je vais me
voir affranchi de tant de disgrâces,
auxquelles la vie de l'Homme est exposée sur
la Terre : je vais échapper à
cet Ennemi, qui me persécute si
cruellement ;
à cet autre,
qui me calomnie si indignement ; à cet
autre, qui cherche à m'opprimer si
injustement : je vais dans le Sein de mon Dieu
jouir de lui-même, qui est mon Souverain
Bien.
La voici l'heureuse journée, la Journée que l'ÉTERNEL a faite,
égayons-nous ; et nous
réjouissons en elle. Viens promptement, Seigneur JÉSUS : oui Seigneur JÉSUS, viens. (Ps. CXVIII. 24. Apoc. XXII, 20)
Telles font, mes Frères, selon les
différentes sortes de Chrétiens, les
différentes impressions que la
déclaration de leur mort prochaine devrait
faire sur eux. Nous avons eu dessein, en vous
traçant ces divers Portraits, de vous faire
sentir, d'une manière plus vive, la
nécessité où vous êtes
de vous préparer à ce dernier
délogement, d'où vous devez aller
occuper une Demeure éternelle, soit dans le
Séjour de la
Gloire, soit dans le
Lieu du tourment.
Peut-être quelques-uns de vous diront-ils,
qu'en cela nous ne leur avons rien appris de
nouveau et qu'ils savaient déjà,
aussi bien que nous, les Vérités que
nous venons de leur représenter.
Et moi je leur dis : Si vous saviez ces
Vérités, pourquoi donc vos Moeurs,
vos Discours, toute votre Conversation
répondent-elles si peu à cette
connaissance ?
Et moi je leur dis,
que ce sont les Vérités les plus
communes, qui sont les plus importantes, et qui,
par conséquent, doivent être, le plus
fréquemment et le plus fortement, mises
devant les yeux des Chrétiens, afin qu'elles
fassent sur eux l'impression qu'elles sont
destinées à y faire.
Présentement je vous demande, mes
Frères, dans laquelle de ces trois
différentes Classes de Chrétiens vous
devez être rangés ? Ah ! il
y en a sans doute ici de toutes les sortes. Il y a
des Pécheurs consommés, il y a des
Pécheurs qui s'arrêtent à un
certain degré de corruption, il y a de
véritables Fidèles. Mais qu'il est
à craindre que cette dernière Classe
ne soit la moins nombreuse !
Je vous réunis néanmoins ici tous
ensemble, mes très chers Frères, et
je vous exhorte, par l'intérêt de
votre Salut éternel, à vivre tous
comme des Gens qui savent non seulement qu'ils
doivent mourir, mais
qu'après leur mort ils doivent recevoir,
dans leur corps
et dans leur
Âme, selon ce
qu'ils auront fait, fait bien, fait
mal. (2 Cor. V. 10.)
Un sage Païen disait autrefois, que la
Philosophie n'était qu'une
perpétuelle méditation de la mort.
C'est ce que nous pouvons dire avec d'autant plus
de vérité du Christianisme qui a mis
dans une pleine lumière les peines et les
récompenses d'une autre Vie, que la
Philosophie n'a jamais bien connues.
On cherche aujourd'hui, pour apprendre les
Sciences, des Voies abrégées :
en voici une pour apprendre la Science du
Salut ;
préparez-vous à la mort.
Ce Précepte
comprend tout : connaissance de Dieu, de
nous-mêmes, de nos Devoirs,
détachement du monde, éloignement de
toutes sortes de péchés, pratique de
toutes sortes de vertus.
Remettre, pour apprendre à mourir, au temps
de la maladie, c'est être aussi
insensé que le serait un Pilote qui
attendrait, pour apprendre à conduire un
Vaisseau au milieu des Rochers et des
Écueils, qu'il fallût mettre à
la Voile : ou que le serait un Soldat qui
attendrait, pour apprendre à manier les
armes, que l'Ennemi fût prêt à
fondre sur lui.
Je finis, mes Frères : mais pourrais-je
le faire, sans que, de l'abondante affection dont
notre coeur est rempli, notre bouche
n'éclatât en Voeux et en
bénédictions pour
vous, et pour les
vôtres ? Vénérables
Magistrats, qui aimez notre Nation, et qui nous
faites trouver, tout Exilés que nous sommes,
sous votre juste et équitable Gouvernement,
une seconde Patrie mille fois plus douce que ne le
fut jamais la première, recevez les justes
actions de grâces que nous vous devons pour
tant de Bienfaits. Dieu seul peut vous en
récompenser dignement : veuille-t-il le
faire par son infinie Bonté !
Veuille-t-il vous garder de tout mal, vous
répondre favorablement au jour que vous
criez à lui, accomplir tous vos justes
Desseins, dissiper les Machinations de vos Ennemis,
faire fleurir votre RÉPUBLIQUE, vous
diriger, vous conduire tellement dans toute votre
Administration, qu'à l'heure de votre mort,
car enfin vous mourrez comme les
autres ;
lors, dis-je, que le
moment si fatal à vos Familles, à
cette Ville, à cette Église, à
cet État sera venu, chacun de vous puisse
dire, avec autant de vérité
qu'Ézéchias
autrefois :
Souviens-toi, Seigneur, que j'ai cheminé en
sincérité et en
intégrité de coeur devant
toi, et que j'ai fait ce qui t'était
agréable.
Mes très honorés Frères et
Collègues, soit dans le Ministère de
la Parole Évangélique, soit dans la
Conduite de ce Troupeau, nous demandons aussi
à Dieu, du fond de notre coeur, qu'il vous
conserve encore longues
années pour
amener plusieurs à la justice,
(Dan. XII.
3) pour prévenir et
éloigner les vices et les scandales qui
pourraient s'élever au milieu de nous, et
pour recréer de jour en jour les entrailles
des Pauvres, que notre Divin Maître nous a si
fortement recommandés.
Dieu veuille vous animer toujours d'un saint
zèle pour sa Gloire, et vous faire la
grâce de remplir si fidèlement les
grands Devoirs de votre Vocation, que lorsque le
grand Pasteur et Évêque de nos
Âmes jugera à propos de vous appeler,
vous puissiez lui remettre ce Troupeau plus
purifié des souillures du Siècle,
plus avancé dans la Sanctification, plus
rempli de toutes sortes de vertus, qu'il ne
l'était lorsque vous fûtes
établis pour le paître et pour le
conduire,
et qu'alors chacun de
vous puisse entendre de sa bouche cette Sentence,
dont la seule pensée est si propre à
vous soutenir et à vous consoler
aujourd'hui, dans les amertumes et dans les
traverses auxquelles votre Ministère
même vous expose : C'est
bien fait, bon
Serviteur ; tu as été
fidèle en peu de chose, je
t'établirai sur beaucoup : entre dans
la joie de ton Seigneur. (Math. XXV. 21.)
Enfin, mes très chers Frères, qui
composez cette Assemblée Chrétienne,
je me tourne aussi vers vous, ou plutôt je me
tourne vers Dieu, qui est le Père de
notre Seigneur
JÉSUS-CHRIST, et je le supplie, avec toute
l'ardeur dont je suis capable, qu'il vous remplisse, qu'il vous comble tous de ses plus saintes
Bénédictions.
Dieu veuille bénir votre Commerce, et
ramener, au Port, vos Vaisseaux chargés de
Richesses !
Dieu veuille vous épargner des fléaux
terribles dont il a frappé, depuis plusieurs
années, un grand nombre d'autres
Nations !
Dieu veuille écarter de dessus vos
têtes, ces affreux nuages qui semblent
s'épaissir de jour en jour.
Femmes veuves, Dieu veuille être votre Mari.
Enfants orphelins, Dieu veuille être votre
Père.
Chrétiens affligés, de quelque
manière que ce soit, Dieu veuille être
votre Consolateur. Dieu veuille sur tout vous
donner les yeux de
votre entendement illuminés, (Eph. I. 18) et vous faire bien comprendre
quelle est
l'espérance de votre
vocation,
et quelles sont les
abondamment excellentes richesses de
l'Héritage qu'il vous destine dans les Lieux saints.
Dieu veuille vous
faire la grâce de vous conduire dignement,
comme il est convenable à la haute vocation
à laquelle vous êtes
appelés.
Vous Riches, Dieu veuille vous faire la grâce
d'être pauvres en esprit.
Vous Pauvres, Dieu veuille vous faire la
grâce d'être riches en Foi et en bonnes
oeuvres.
Vous Riches, Dieu veuille vous faire la grâce
de ne point mettre votre
confiance dans l'incertitude des
richesses.
Vous Pauvres, Dieu veuille vous faire la
grâce de trouver, dans les entrailles des
Riches, de la consolation et des secours contre
votre pauvreté.
Vous tous, mes chers Frères, Dieu veuille
vous apprendre à compter tellement vos jours,
que vous puissiez en acquérir un coeur sage
(Ps. XC.
12), détrompé des
vanités du monde, sincèrement
attaché à Dieu et
à
vos Devoirs. Dieu
veuille vous prendre
tous par la main droite, vous
conduire tous par son conseil ;
(Ps. LXXIII. 23-24)
et, lorsque l'heure
en sera venue, vous introduire tous dans sa Gloire. Amen.
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