Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



LE TEMPS EST COURT

Félix Neff

1858

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MÉDITATION SUR CES PAROLES :

Mais voici ce que je dis, mes frères, c'est que le temps est court désormais. Que ceux qui ont une femme soient comme s'ils n'en avaient point ; ceux qui pleurent, comme s'ils ne pleuraient point ; ceux qui sont dans la joie, comme s'ils n'étaient point dans la joie ; ceux qui achètent, comme s'ils ne possédaient rien ; et ceux qui usent de ce monde, comme s'ils n'en usaient point ; car la figure de ce monde passe. I Corinth. VII. 29-31.

Celui qui est de la terre parle comme issu de la terre (Jean III. 31) Mais le chrétien est citoyen du ciel ; et s'il est souvent obligé de s'occuper des objets périssables, tel qu'un plongeur qui vient respirer à la surface de l’eau, on le voit revenir aux choses divines, son élément naturel. Ainsi dans le chapitre d'où nous avons tiré notre texte, l'apôtre, après avoir traité d'une manière assez détaillée les convenances du célibat et du mariage, et les devoirs de ce dernier état, comme s'il craignait d'avoir fixé trop longtemps sur la terre nos regards et les siens, s'interrompt tout à coup, et considérant son sujet dans ses rapports avec l'éternité, nous montre toutes ces choses sous le vrai point de vue : Mais voici ce que je dis, mes frères, le temps est court désormais. Que ceux etc.

Oh ! combien, en effet, les sujets ordinaires de la tristesse, de la joie, des désirs et des affections du mondain nous paraîtront vains et petits, envisagés des hauteurs de l’éternité ! C'est de là seulement, qu'appréciant chaque objet à sa juste valeur, nous verrons quelle place il doit occuper dans notre esprit et dans notre coeur.

Vivement frappé de l'excellence de cette leçon de la sagesse divine, nous désirons en faire aujourd'hui le sujet de notre méditation, en suivant simplement, et dans leur ordre naturel, les paroles de l'apôtre. Puisse l'Esprit qui les a dictées les graver profondément dans nos coeurs et nous donner de les mettre en pratique pour notre paix et pour sa gloire. Amen !

I


Le temps est court..
.
Que d'instructions renferment ces paroles ! Que cette pensée est sérieuse : le temps est court I Le temps de la patience de Dieu, le temps de la repentance accordé par grâce aux rebelles, temps, hélas ! si mal employé, ce temps est court !

Car le Juge est à la porte (Jacques V. 9), le jour du Seigneur vient, ardent comme une fournaise (Malach. IV. 1), ce jour de terreur et d'angoisse qui surprendra le monde incrédule quand ils diront paix et sûreté (1 Thess. V. 3).
Hâtez-vous donc, vous qui voudriez éviter la colère à venir. Cherchez l'Éternel pendant qu'on le trouve I Invoquez-le tandis qu'il est près ! Marchez tandis que vous avez la lumière (Jean XII. 35) ; car déjà l'ange de l'Éternel a levé la main, et bientôt, bientôt il aura juré qu'il n'y a plus de temps (Apoc. X. 5. 6) !

Le temps est court pour la gloire et les délices de ce monde. La gloire de l'homme est comme la fleur d'un champ ; la figure de ce monde passe, bientôt la voix des chanteurs, la harpe et la trompette ne seront plus entendues, le bruit de la meule cessera et la lampe ne luira plus dans cette Babylone (Apoc. XVIII. 22. 23). Puis donc que toutes ces choses doivent se dissoudre par l'ardeur du feu (2 Pierre III. 11) n'y mettez point votre coeur, mais que votre trésor soit dans le ciel ; cherchez les choses qui sont en haut et regardez aux choses invisibles qui sont éternelles...

Le temps est court pour les afflictions auxquelles les héritiers du royaume de Dieu sont exposés dans cette vie.
Encore un peu de temps et celui qui doit venir viendra, et il ne tardera point (Hébr. X. 37) ; levez vos yeux en haut, disciples souffrants de Jésus, le temps de votre délivrance approche (Luc XXI. 28. Rom. VIII. 18) ; notre affliction ne fait que passer, et bientôt la gloire éternelle sera révélée en nous (2 Cor. IV. 17). Les jours seront abrégés pour l'amour des élus (Matth. XXIV. 22). Encore quelques soupirs, encore quelques nuits de tristesse, et nous verrons ce que nous avons cru, et nous recevrons la couronne de justice que le Seigneur a préparée à tous ceux qui auront aimé son avènement (2 Timoth. IV. 8).

Le temps est court
pour accomplir notre oeuvre. Le temps est court et la tâche est grande, travaillons donc tandis qu'il est jour, car la nuit vient où personne ne peut travailler (Jean IX. 4). Faisons du bien à tous pendant que nous en avons le temps (Gal. VI. 10). Répandons la semence dès le matin et ne laissons point reposer nos mains le soir (Ecclés. XI. 6).
Rachetons le temps.
Rendons témoignage au nom de Jésus. Sonnons du cor en Sion et de la trompette en Israël ; car nous n'aurons pas achevé le tour des villes de Juda que le Seigneur sera venu (Matth. X. 23)

Le temps est court, enfin, le temps de repos temporel dont nous pouvons jouir à cette heure ; et c'est ici probablement le sens littéral des paroles de l'apôtre, qui avait en vue les prochaines persécutions. Nous dormons et nous sommeillons, mais l'ennemi s'approche ( Matth. XXVI. 45. 46; nous n'avons qu'une courte trêve et non la paix avec le monde. Préparons-nous donc, s'il le faut, à souffrir avec joie la perte de nos biens (Héb. X. 34), à oublier notre patrie, à nous cacher peut-être dans les cavernes de la terre comme cette nuée de témoins qui nous ont précédés (Héb. XI. 15. 38. XII. 1). Préparons-nous à quitter, s'il le faut, pour l'amour de Christ, père, mère, femme et enfants, et à suivre Jésus chargés de nos croix (Marc X. 29. 30. VIII. 34). Que ceux donc qui ont une femme soient comme s'ils n'en avaient point...

II

Celui qui n'est pas marié a soin des choses du Seigneur, cherchant à plaire au Seigneur ; mais celui qui est marié a soin des choses du monde, cherchant à plaire à sa femme ( I Cor. VII. 32. 33. Luc XIV. 14-26).

Si le chrétien (et combien plus encore l'homme du monde !) est exposé à négliger l'oeuvre du salut pour l'amour de sa femme, nous pouvons en dire autant de toutes les affections légitimes et des devoirs qui s'y rattachent.
Celui qui aimera plus que moi, et même qui ne hait pas, pour l'amour de moi, père, mère, femme et enfants, frères et soeurs, et sa propre vie, n'est pas digne de moi (Matth. X. 37).

Et pourtant ce même Évangile, comme la loi et la conscience, ordonne au chrétien d'honorer son père et sa mère, d'aimer sa femme, d'avoir soin de ceux de sa famille ; et le chrétien obéit avec joie à ces commandements. Oui, le disciple de Christ, comme l'homme irrégénéré, aime ceux de sa famille ; mais il ne les aime pas de là même manière. Le dernier les aime d'une affection toute charnelle. Il en fait ses idoles. Il y met son bonheur et sa gloire ; car l'orgueil entre pour beaucoup dans l'affection que l'on porte aux siens. S'il les perd, il murmure, il se désespère, le temps seul pourra fermer la plaie de son coeur. Il est jaloux de leur amour, de leur approbation.
Qu'il les craigne ou les aime, leur plaire est toujours à ses yeux son premier devoir, et jamais la force de ces liens ne se fait mieux sentir que quand il s'agit de l'oeuvre de Dieu.
Est-il invité aux noces de l'Agneau ? il a épousé une femme, ainsi il ne peut y aller (Luc XIV. 20).
Est-il appelé à suivre Jésus ? il doit auparavant ensevelir son père ou prendre congé de ceux de sa maison (Luc IX. 59. 60), et il prend ainsi conseil de la chair et du sang (Gal. I. 16).
« J'entendrais volontiers telle prédication, » dit-on ; « Je voudrais fréquenter de vrais chrétiens, abandonner les vanités du monde, sanctifier le jour du Seigneur ; mais mon mari..., mais ma femme..., mais mes parents !... »
Un autre ne trouvera pas chez les siens d'opposition proprement dite, et cependant pour l'amour d'eux il négligera son âme immortelle. « Je suis époux, je suis père, je dois conserver mon emploi, mes chalands, mes protecteurs. Il faut avant tout élever ma famille, et si je m'adonnais à la piété, si je me chargeais de l'opprobre de Christ, je risquerais d'en perdre les moyens. »

Le chrétien fidèle, au contraire, met avant tout l'amour de son Dieu, la gloire de son Dieu, la volonté de son Dieu. Il aime ses parents, sa femme, ses enfants ; il respecte les premiers, il a soin de tous. Il cherche à leur plaire, aussi longtemps que sa conscience n'y est pas compromise.
Mais faut-il choisir entre ses devoirs de chrétien et ses affections de famille ? Il ne connaît plus personne selon la chair (2 Cor. V. 16) ; il sait quitter, s'il le faut, père et mère, femme et enfants, et si quelqu'un d'entre eux veut le conjurer d'avoir pitié d'eux et de lui, et l'engager à aimer sa vie en ce monde, quand le Seigneur l'appelle à la haïr (Jean XII. 25), il les repousse comme Jésus repoussa Céphas (Math. XVI. 23) : et, comme Paul, il est prêt non seulement à être lié, mais aussi à mourir pour le nom du Seigneur Jésus ( Act. XXI. 18).
Et dans le cours habituel de la vie, lorsqu'on pourrait croire qu'il n'est appelé à aucun sacrifice de ce genre, il se rappelle que toute chair est comme l'herbe, que la vie de l'homme s'évanouit comme une vapeur légère, et qu'il ne doit attacher son coeur qu'aux choses qui sont permanentes. Il a donc une femme comme n'en ayant point, des enfants comme n'en ayant point. Que la mort vienne et les lui ravisse, il s'y était préparé d'avance et se soumet sans murmurer, bénissant, comme Job, le nom du Seigneur, qui les avait donnés et qui les a ôtés. Il se rappelle, au milieu de son affliction, que le chrétien doit pleurer comme s'il ne pleurait point.

III

Ce n'est point à une insensibilité affectée que l'Évangile nous appelle, les larmes ne sont pas interdites aux chrétiens (Jean XI. 35), quand l'Éternel appesantit sa main sur lui et le visite par l'affliction.
Souvent il y a plus d'orgueil que de soumission, dans la fermeté que quelques-uns font paraître au milieu des épreuves.

Le chrétien frappé peut pleurer, mais non pas comme ceux qui n'ont point d'espérance. Les larmes du mondain sont amères. Son partage est dans cette vie ; sa beauté, sa force, sa santé, sa réputation, son honneur, sa fortune, sa famille, sa patrie, sa liberté, et souvent des objets bien moins dignes de ses affections, possèdent tout son coeur ; y toucher, c'est transpercer son âme ; son bonheur fragile peut être anéanti d'un instant à l'autre, et sa douleur est un désespoir.

Le chrétien, animé par la foi, a placé dans les cieux son trésor et son coeur. Il n'a point ici-bas de cité permanente, et n'y cherche point son repos. Il tourne ses regards vers les biens célestes, et comparant ses afflictions d'un jour au poids éternel d'une gloire infiniment excellente, il les appelle et les trouve légères (2 Cor. IV. 17).
Souffre-t-il un revers de fortune ? est-il précipité du haut des grandeurs ? Le Seigneur lui apprend à être content de l'état où il se trouve, soit dans la disette, soit dans l'abondance, soit dans l'honneur, soit dans l'ignominie (Philipp. IV. 11. 12. 2 Cor. VI. 8). Il se rappelle que Jésus n'eut pas où reposer sa tête, s'étant fait pauvre pour l'amour de nous, et s'étant abaissé jusqu'à prendre la forme d'un serviteur. Il se console donc et peut même supporter avec joie la perte de ses biens, en se répétant qu'il a dans les cieux un héritage incorruptible.

Doit-il s'éloigner du toit paternel, abandonner son pays natal ? Il sait qu'il est étranger et voyageur sur la terre, que sa vraie patrie est la Jérusalem d'en haut, que nul ne peut l'en bannir.
Est-il privé de sa liberté, chargé de chaînes, séparé de tout ce qu'il aime sur la terre ? Son âme n'est jamais liée, et son Dieu, qui brise les portes d'airain, est avec lui dans sa captivité. Il est l'affranchi du Seigneur, et, sous le joug de la plus dure servitude, il peut chanter sa délivrance et jouir de la liberté glorieuse des enfants de Dieu.

Est-il méprisé, calomnié par les méchants, méconnu par ses frères même ? Il se console en contemplant l'Agneau de Dieu, qui fut chargé d'outrages et n'ouvrit point la bouche, et qui s'est laissé mettre au rang des malfaiteurs. Il sait que dans peu de temps la vérité sera manifestée et l'iniquité confondue, et que son droit sortira comme l'aube du jour.
En attendant, il se réjouit de ce qu'il est rendu digne de souffrir des opprobres pour le nom de Jésus, et de ce qu'on dit faussement contre lui toute sorte de mal (Matth. V. 11. 12).

Doit-il, enfin, voir son corps s'affaiblir et se consumer par la maladie et les infirmités ? il sait que ce corps de péché doit retourner en poudre, pour que l'esprit revêtu d'un corps incorruptible puisse entrer dans la gloire. Il dit avec St. Paul : L'homme extérieur dépérit, mais l'intérieur se renouvelle de jour en jour (2 Cor. IV. 16). II considère ses douleurs comme une épreuve salutaire, et se glorifie dans les afflictions (Rom. V. 3). Il attend que ce corps mortel soit absorbé par la vie, et aux approches du dernier combat, loin de frémir devant la mort, ce roi des épouvantements, il la salue comme un libérateur, ou la brave et lui crie : O mort, où est ton aiguillon ! ô sépulcre, où est ta victoire I En toutes choses nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés (1 Cor. XV. 55. 57. Rom. VIII. 37).

IV

Mais ce n'est pas dans l'affliction seulement que le chrétien doit posséder son âme. S'il doit pleurer comme ne pleurant point, il doit aussi se réjouir comme n'étant point dans la joie ; et tandis que les enfants du monde se livrent pour des choses de néant aux transports d'une joie insensée, qui bientôt sera changée en tristesse, le chrétien ne voit rien ici-bas qui soit capable de satisfaire ses désirs et de remplir son coeur.

Il sait que la gloire de l'homme est comme la fleur des champs, que les richesses sont un piège, et que, si les biens abondent à quelqu'un, il n'a cependant pas la vie par ces biens (Luc XII. 15).
Il n'estime donc pas que la possession de ces choses soit un grand bonheur, et il craindrait plutôt, loin de le souhaiter, l'embarras des richesses et des honneurs, qui sont des empêchements sur la route du Royaume du ciel.

Le sentiment de la fragilité et du néant des choses terrestres doit également modérer sa joie dans d'autres circonstances. Au jour des épousailles, à la naissance d'un premier-né, au retour d'un parent chéri, il pense aux jours de deuil et craint d'attacher son coeur à ce qui doit bientôt finir.
Au milieu même des transports de la vraie joie que l'Esprit du Seigneur excite dans son âme, le chrétien doit se souvenir que ce n'est point ici le temps ni le lieu du repos. D'ailleurs le sentiment de ses propres misères et de celles du peuple de Dieu, et le triste aspect d'un monde plongé dans le mal, n'affligeront que trop son coeur et mêleront bien des soupirs à ses chants de triomphe et d'actions de grâces.

Mais c'est surtout dans les soins, les occupations et les travaux relatifs à notre existence temporelle, qu'il est important de bien saisir l'esprit de l'Évangile. Examinons donc attentivement cette partie de notre texte : Que ceux qui achètent soient comme s'ils ne possédaient rien.

V

L'homme naturel, qui n'entend point les choses de Dieu, croit voir à chaque instant des contradictions entre les divers préceptes de l'Évangile. Il ne peut surtout accorder l'ordre que Dieu nous donne de travailler, avec les nombreux passages où les soucis de cette vie sont mis au rang des péchés.
« Dieu, » disent-ils, « m'a imposé des devoirs ; il m'a donné une tâche pénible à remplir : il ne peut exiger maintenant que je les néglige pour prier sans cesse, pour lire constamment sa Parole, pour fréquenter assidûment le culte, pour rechercher des conversations religieuses. »
« Qui travaille prie en un mot, » vous répondront, sans songer qu'ils blasphèment, ces gens si fort occupés, si vous les conjurez de penser à leur âme.
« Faut-il donc tout abandonner, laisser nos champs incultes, fermer nos fabriques ou nos magasins, résigner nos emplois et ne plus faire que prier Dieu et que penser à nos âmes ? » vous répliqueront souvent ceux à qui vous lirez la parabole des noces, ou celle de l'homme qui fit un grand souper (Luc XIV. 16. etc.), ou ce que Jésus dit en parlant des temps de Noé et de Lot, et tant d'autres passages où l'Écriture semble interdire et condamner les soins de cette vie (En paraissant interdire les soins de cette vie, l'Écriture n'interdit en réalité que les soucis et les soins inutiles ou excessifs.).

Eh bien ! mes frères, l'un et l'autre sont vrais. Le même Dieu qui dit à l'homme : Tu mangeras ton pain à la sueur de ton visage (Gen. III. 19), dit ailleurs : Ne travaillez pas pour l'aliment qui périt, mais pour celui qui demeure en vie éternelle (Jean VI. 27). Regardez les oiseaux de l'air, ils ne sèment ni ne moissonnent, ni n'amassent rien dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit (Luc XII. 24). Dans tout cela l'Esprit-Saint est toujours vrai, toujours sage, toujours d'accord avec lui-même, et si cette sagesse paraît folie au mondain, elle est justifiée par ses enfants (Luc VII. 35) ; car l'enfant de Dieu sait faire ces choses-ci, et ne point négliger celles-là (Luc XI. 42).

Je pourrais répéter ici ce qu'on a dit tant de fois à ceux qui prétendent « n'avoir pas le temps » de travailler à leur salut : c'est qu'ils savent bien trouver du temps pour toute autre chose ; et que quand ils ont un procès à suivre, une affaire importante à terminer, ils savent bien prendre le temps nécessaire pour s'en occuper, ils y pensent beaucoup et en parlent à tout le monde sans abandonner pour tout cela leurs travaux ordinaires.
Mais nous devons surtout nous occuper de la différence des dispositions que le chrétien et le mondain apportent au travail.

C'est par le principe que le travail du chrétien diffère de celui du mondain. Le mondain travaille ; mais c'est souvent pour lui une dure nécessité, à laquelle il ne se soumet qu'en murmurant et en enviant le sort de ceux qui peuvent s'en dispenser. S'il est beaucoup de ces derniers qui continuent à se donner plus ou moins de fatigue, c'est bien plutôt par l'amour de l'or, par ambition, par le désir de satisfaire à des besoins de luxe, de sensualité ou d'orgueil toujours croissants, que par un véritable amour du travail ; et certes les exemples ne sont pas rares de ceux qui, possédant une fortune, ne se font aucun scrupule de passer dans la dissipation ou l'oisiveté leur inutile existence.

Le chrétien, au contraire, doit travailler par un principe d'obéissance. Car Dieu a soumis tous les hommes à la sentence prononcée contre Adam : Tu mangeras ton pain à la sueur de ton visage. Tu travailleras six jours et tu feras toute ton oeuvre (Gen. III. 17-19. Exod. XX. 9).
Et dans le Nouveau Testament, St. Paul nous déclare que si quelqu'un ne veut pas travailler, il ne doit pas non plus manger (2 Thess. III. 10). C'est donc par un principe de conscience que le chrétien travaillera ; s'il est pauvre, pour n'être pas à la charge de la société ; s'il est riche, pour lui être utile, sachant qu'il doit payer non seulement de ses biens, mais de sa propre personne, et qu'un homme, quel qu'il soit, riche ou pauvre, est coupable envers ses semblables, s'il refuse de se rendre utile par quelque travail de l'esprit ou du corps.

De cette différence dans le principe résultera nécessairement une différence dans les dispositions que le mondain et le chrétien apporteront au travail.
Le premier, n'ayant que soi-même en vue et ne travaillant que pour ses besoins réels ou factices, y met tout son coeur et surtout toute sa confiance, attendant tout de soi, comme il rapporte tout à soi. Il s'inquiète du succès de son travail. Il est agité de mille soucis, et si enfin ses soins et ses peines n'aboutissent à rien, il éclate en murmure ou s'abandonne au désespoir.
Le chrétien, au contraire, travaillant pour Dieu et devant Dieu, n'a garde de mettre sa confiance dans ses talents, son industrie ou son activité. Il regarde toutes ces choses comme des moyens, des intermédiaires que Dieu emploie pour lui procurer sa subsistance, n'oubliant jamais que c'est son Père céleste qui le nourrit et lui donne son pain quotidien, et que c'est la bénédiction de Dieu qui enrichit.
Il travaille avec confiance et tranquillité d'esprit ; et si, malgré ses soins, son travail ne réussit pas, il s'y soumet avec résignation, sachant que son Père céleste a mille autres moyens de venir à son aide.
Il a obéi à son Dieu ; sa tâche est accomplie, son véritable but est atteint.

Ainsi, tandis que le mondain travaille comme un propriétaire dont l'existence dépend du succès de son entreprise, le chrétien travaille comme un serviteur fidèle et zélé qui donne consciencieusement son temps et ses soins aux troupeaux et aux champs d'un maître riche et bienfaisant, mais qui n'attend point sa nourriture du résultat immédiat de son travail ; car si la vigne qu'il cultive, le blé qu'il a semé ou le troupeau qu'il soigne, ne donnent pas leur fruit cette année, il sait que son maître a d'abondantes provisions et que personne chez lui ne manquera du nécessaire.

L'enfant de Dieu peut donc, au milieu de la vie la plus active, des soins les plus multipliés, comprendre et pratiquer ces commandements du Sauveur : Ne soyez point en souci, disant : Que mangerons-nous ? que boirons-nous ? ou de quoi serons-nous vêtus ? Ne soyez point inquiets pour le lendemain : à chaque jour suffit sa peine. Ce sont les païens qui recherchent toutes ces choses ; et votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez donc avant tout le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par-dessus (Matth. VI. 31-34). Le vrai chrétien conserve son coeur libre au milieu du travail, dans la prospérité comme dans les revers, et lui seul sait travailler, vendre et acheter comme ne possédant rien.

Mais il y a plus encore, et je crois devoir ajouter pour ceux qui craignent que la piété ne rende paresseux, comme pour ceux qui pourraient négliger les devoirs de leur vocation sous prétexte de piété, qu'elle doit rendre et rend en effet beaucoup plus actif quand elle est sincère et bien entendue.
Car tandis que le mondain, ne travaillant que pour lui, mesure ses travaux sur ses besoins ou sur ses désirs, et s'arrête aussitôt que la peine lui paraît dépasser les avantages, le chrétien, qui travaille pour la gloire de Dieu et le bonheur de ses semblables, ne se croira jamais en droit de s'arrêter aussi longtemps qu'il y aura du bien à faire. Travaillez de vos propres mains, dit St. Paul, d'abord afin de fournir à tout ce qui vous est nécessaire et pour n'être à charge à personne (I Thess. IV. 11. Act. XX. 34. 2 Cor. XI. 9. 2 Thess. III. 8), et ensuite, afin d'avoir de quoi, non pas satisfaire à vos convoitises ou mettre en réserve pour l'avenir, mais de quoi secourir ceux qui sont dans le besoin (Eph. IV. 28).
Le chrétien peut donc travailler, épargner, spéculer avec autant de soin et de vigilance que le mondain le plus intéressé ; mais ce sera pour être riche en bonnes oeuvres, pour être comme Job en état de retirer l'orphelin dans sa maison, et de couvrir, comme Dorcas, ceux qui manquent de vêtements ; pour rompre du pain à ceux qui ont faim et visiter les malheureux dans leurs afflictions (I Timoth. VI. 18. Actes IX. 36-39. Esaïe LVIII. 7. Jacques I. 27; pour répandre autour de lui l'instruction, l'industrie, et surtout la connaissance de l'Évangile, et faire parvenir jusqu'aux bouts de la terre la bonne nouvelle du salut qui est en Jésus.

VI

Que ceux qui usent de ce monde soient comme s'ils n'en lisaient point.
Ces paroles comprennent sommairement les devoirs détaillés dans les versets précédents. Le mot grec traduit dans ce verset par user signifie tout à la fois abuser et user ; mais les pages qui précèdent nous autorisent suffisamment à le prendre dans ce dernier sens. Car ne pas abuser du monde est une maxime tout humaine, et qu'un païen avouerait comme un chrétien ; mais en user comme n'en usant pas, c'est là le secret et le privilège d'un coeur affectionné aux choses de l'Esprit.

Cependant des chrétiens peu disposés à un véritable renoncement au monde ont souvent pris ces paroles, même dans le dernier sens, comme autorisant les commodités, les délicatesses et le luxe d'une vie sensuelle et mondaine.
Mais prenons-y bien garde, si le sens de ce passage ne paraît pas déterminé, il l'est de fait par cent autres passages et par l'esprit de l'Évangile, et ne peut jamais anéantir ni même affaiblir les commandements qui nous appellent à renoncer au monde et aux choses de ce monde, à mortifier, à crucifier le vieil homme et à n'avoir pas soin de la chair pour satisfaire ses convoitises (Rom. VI. 6. VIII. 13. XIII. 14. Col. III. 5. Gal. V. 24. VI. 8). Il est expliqué surtout par l'exemple de Jésus-Christ, qui étant riche s'est fait pauvre pour nous, et qui nous a donné dans toute sa vie un modèle de renoncement et d'humilité pratique qui devrait nous faire rougir de notre mollesse.

Non, ce n'est bien certainement pas en parlant des superfluités de la vie que l'apôtre nous dit : Usez du monde ; mais c'est des choses les plus nécessaires qu'il veut que nous usions comme n'en usant pas.
Qu'est-ce que le monde pour le chrétien, sinon un triste désert qu'il passe en soupirant comme un voyageur ? Et que sont pour lui les besoins de son faible corps, sinon des misères et des entraves dont il lui tarde d'être délivré ?
Il ne fera donc pas de ces besoins la source de ses jouissances, en les multipliant, en les augmentant pour les satisfaire avec recherche et volupté. Il prendra soin sans doute de ce corps dans lequel il habite (2 Cor. V. 6. I Tim. V. 23) ; mais en même temps il s'estimera heureux de s'en occuper le moins possible.

Et ne dites pas qu'entouré de la pompe et des délices du monde, votre coeur y demeure étranger, et que vous en usez comme n'en usant pas. Si vous n'attachiez, en effet, aucune importance à ces superfluités, pourriez-vous en jouir si paisiblement, tandis qu'un si grand nombre de vos frères manquent du nécessaire (Luc XVI. 19. 20) ?
Si vous n'aimiez pas le monde et ses jouissances, vous n'auriez pas besoin de le dire : on le verrait.... Mais en admettant que d'après ce passage et sans sortir de l'esprit de l'Évangile, chacun puisse, dans une certaine mesure, jouir des avantages de sa position, il restera toujours vrai que bien loin d'en être l'esclave, le chrétien doit être disposé à y renoncer sans regret, aussitôt qu'il y sera forcé par les circonstances, ou appelé par ses devoirs ; et j'ajouterai encore que ce dernier cas se présentera fréquemment, s'il est attentif à la voix de l'Esprit de Dieu.

VII

Et d'ailleurs la figure de ce monde passe.
C'est là une de ces vérités dont retentissent les carrefours, et que le mondain le plus distrait et le plus léger confessera encore volontiers, alors qu'il arrêtera ses yeux sur cette ravine d'eau (Ps. XC. 5 - V. D. Martin), sur ce courrier rapide, emblème de nos jours qui s'en vont. Et cependant c'est peut-être de toutes les vérités la plus méconnue et celle de la réalité de laquelle on est le moins convaincu.
La figure de ce monde passe, s'écrie le mondain : et il n'en continue pas moins à vivre comme il a toujours vécu ; à poursuivre les plaisirs, les honneurs et les richesses de ce monde passager ; à être guidé par la convoitise des yeux, par la convoitise de la chair et par l'orgueil de la vie (I Jean II. 16).
Si parfois il s'arrête pensif au bord de l'éternité, de cet abîme qui engloutit incessamment le rapide courant de ses années, il tourne aussitôt la tête vers les distractions qui se trouve en foule autour de lui, et il oublie entièrement les pensées sérieuses qui l'occupèrent un instant.
Il vit à côté du sépulcre comme s'il ne devait jamais y descendre, à la porte de l'éternité comme s'il ne devait jamais la franchir, en face du jugement de Dieu comme si lui seul n'avait pas à y comparaître, et que la figure de ce monde ne passât point.
Vient enfin le jour où lui-même doit subir le sort des choses du monde et passer à son tour. Mais, hélas ! toujours aveuglé, il s'imagine pouvoir transporter au delà du tombeau et apporter au tribunal de Dieu, comme un titre à la possession de l'héritage céleste, sa vie et ses vertus mondaines, oubliant encore à l'heure de la mort que, nées du monde et de motifs mondains, ces choses sur lesquelles il s'appuie seront trouvées légères et passeront aussi pour ne plus revenir.
Et ainsi dépouillé de tout, parce que tout a passé, il arrive entièrement nu (2 Cor. V. 3. Apoc. III. 17) devant le redoutable tribunal de l'Agneau.

C'est ici que la différence qui existe entre le chrétien et le mondain, se montre dans tout son jour ; car tandis que celui-ci vit ici-bas comme s'il y devait toujours rester, celui-là traverse cette vallée comme un voyageur cherchant sa patrie (Hébr. XI. 4).

La figure de ce monde passe, dit le chrétien détaché du monde ; et chaque jour il recherche ses voies et se dispose à rendre compte de son administration ( Luc XVI. 4).
Les choses de ce monde, quelque utiles, quelque intéressantes qu'elles soient, quelques soins qu'elles exigent de sa part, n'en sont pas moins pour lui des choses dont la figure passe et auxquelles il ne doit s'attacher qu'avec la perspective de les quitter d'un moment à l'autre. S'il fixe ses regards sur sa fin prochaine, il les y arrête avec complaisance, souvent même il retient un soupir, une larme d'impatience, qui lui échappent.
Cette éternité est aux yeux de sa foi un rassasiement de gloire à la droite du Seigneur pour jamais, le poids éternel d'une gloire souverainement excellente (2 Cor. IV. 17). Y entrer, c'est être introduit dans ce repos bienheureux dont jouissent déjà tous ceux qui sont morts au Seigneur.
Le sépulcre n'a plus sur lui de victoire, la mort plus d'aiguillons (1 Cor. XV. 55), et il entend ces paroles touchantes du haut du tribunal de Dieu : Venez, les bénis de mon Père, et possédez en héritage le royaume qui vous a été préparé dès la fondation du monde (Math. XXV. 31).

Tel est le chrétien qui marche dans la lumière (1 Thess. V. 2-5) au-devant du jour qui ne saurait le surprendre comme le larron, et qui attend l'heure où le monde et ses convoitises passeront pour lui.
L'instant arrive enfin, où il quitte cette tente, qui le charge ; il passe à son Dieu, non pas nu, mais vêtu (2 Cor. V. 3. 4) de la justice de Christ, et appuyé sur cette Parole du Seigneur qui demeure éternellement (I Pier. I. 25).

Et tandis que le mondain passe des vanités, des erreurs, des faux biens et des mensonges de ce monde, au terrible jugement de la grande journée, le fidèle passe du travail, de la tristesse, des larmes et du deuil, au repos, à la joie, à la gloire et au bonheur éternel.... Il est bienheureux, non pas comme les mondains le disent, mais selon que la Parole de Dieu nous le déclare : Oui pour certain, dit l'Esprit, car il se repose de ses travaux et ses oeuvres le suivent (Apoc. XIV. 13).


C'est ainsi que, si nous vivons en présence de l'éternité et si nous ne jugeons des choses de ce monde qu'à la lumière des cieux, la contemplation de ce que ces choses ont de passager nous ramène bientôt à cette même éternité, où tout est permanent et immuable.
Tel doit être le chrétien, ne vivant ici-bas dans sa chair mortelle que par la foi au Fils de Dieu, gui l’a aimé, et marchant dans le sentier étroit, les yeux fixés sur le Chef et le Consommateur de la foi (Hébr. XII. 2), et les regards arrêtés en haut, où Christ est assis à la droite de Dieu (Colos. III. 1).

Maintenant, cher lecteur, permettez-moi de vous demander, au nom du Seigneur, si votre coeur peut, dire amen à tout ce que vous venez de lire, et si vous pouvez vous reconnaître au portrait que nous avons tracé du véritable chrétien.
Sentez-vous la réalité de ces choses ? En faites-vous une expérience habituelle ? Avez-vous effectivement une famille comme n'en ayant point ? Pouvez-vous, dans vos afflictions, pleurer comme ne pleurant point, et, dans la plus grande prospérité, vous réjouir comme n'étant pas dans la joie i Savez-vous vendre et acheter comme ne possédant rien, et user de ce monde comme n'en usant point ?

Si ces principes vous paraissent exagérés, si vous avez de la peine à croire qu'on puisse les mettre en pratique, et si vous ne sentez pas que c'est à cela que vous êtes appelé, permettez-moi d'en conclure que vous n'avez point encore reçu ce nouveau coeur et cet esprit nouveau donnés à tous les vrais disciples de Jésus-Christ ; que vous êtes encore conduit par la chair et affectionné aux choses de la chair (Rom. VIII. 5), et par conséquent encore étranger à l'alliance et aux promesses.

S'il en est ainsi, cher lecteur, hâtez-vous d'aller à Jésus, le Sacrificateur éternel, qui est venu chercher et sauver ce qui était perdu, et qui maintenant vous fait supplier en son nom d’être réconcilié avec Dieu par lui (2 Cor. V. 20).
Demandez la lumière dont vous avez besoin pour reconnaître le véritable état de votre âme, et quand, affamé et altéré de la justice et soupirant sous le poids de vos chaînes, vous aurez imploré et obtenu sa grâce, quand vous aurez reçu son Esprit d'adoption, vous éprouverez que celui que le Fils affranchit est véritablement libre, et que tout en lui est renouvelé (Jean VIII. 36. 2 Cor. V. 17). Quand vous aurez trouvé cette perle de grand prix, vous vendrez tout pour l'acheter (Matth. XIII. 46).

Et vous, ô mes bien-aimés frères, qui avez trouvé ce trésor, vous qui faites profession d'être voyageurs sur la terre et de chercher la cité permanente, poursuivez constamment la course qui vous est proposée, rejetant tout fardeau et toute enveloppe (Hébr. XII. 1).
Souvenez-vous que nul qui va à la guerre ne s’embarrasse des affaires de cette vie, afin qu’il puisse plaire à celui qui l’a enrôlé pour la guerre, et que celui qui lutte use entièrement de régime pour obtenir la couronne (2 Timoth. II. 4. I Cor. IX. 25).
Prenez donc garde à vous-mêmes, de peur que vos coeurs ne soient appesantis par la sensualité et par les inquiétudes de la vie (Luc XXI. 34. VIII. 14).
Soyez sobre et veillez (I Pier. I. 13. V. 8).
Que vos reins soient ceints et vos lampes allumées (Luc. XII. 35).
Veillez et priez, .... et que le Dieu de paix veuille vous sanctifier lui-même parfaitement, et que tout ce qui est en vous, l’esprit, l’âme et le corps, soit conservé irrépréhensible pour le jour de l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ. Celui qui vous a appelé est fidèle, et il fera ces choses en vous (I Thess. V. 23. 24).
À lui soit gloire aux siècles des siècles. Amen !

 

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