LES SEPT
PAROLES
JÉSUS-CHRIST SUR LA
CROIX
SEPTIÈME MÉDITATION.
Alors
Jésus criant à haute voix, dit :
« Père, je remets mon esprit
entre tes mains, » et ayant dit cela il
expira. - Luc XXIII, 46.
Quelle impression éprouvons-nous en
lisant dans les Évangiles la relation des
derniers instants du Sauveur ? Le coeur ne se
serre-t-il pas au récit de tant de douleurs,
de tant d'opprobres, et quand on n'aurait pas le
bonheur de croire, de savoir que ces douleurs, ces
opprobres sont notre salut, que celui qui les
endure est notre Maître, notre meilleur ami,
notre frère, tout de même, et nous
savons que cela eut lieu plus d'une fois, ne se
sentirait-on pas disposé à partager
l'impression de ceux des témoins de cette
scène sanglante qui se retirèrent
en se frappant la poitrine ?
Mais notre coeur oppressé, au récit,
on peu presque dire, à la
vue des souffrances de l'homme de douleurs,
n'est-il pas soulagé, en l'entendant
pousser ce cri de délivrance, ce cri qui
annonce que les douleurs vont finir, que
l'âme de Jésus va se reposer dans le
sein d'un père : Père, je
remets mon esprit entre tes mains.
C'est cette dernière parole de notre
Maître sur la croix, qui doit maintenant
faire le sujet de notre méditation. Et
veuille celui qui l'a prononcée, nous y
faire lui-même puiser les instructions, les
consolations qu'elle peut, qu'elle doit nous
offrir. Veuille-t-il, jusqu'au bout, soutenir,
animer, bénir le travail de son serviteur,
et votre attention, par son St.-Esprit. Amen.
I.
Deux des Évangélistes disent que
Jésus poussa un grand cri, puis qu'il
rendit ou remit son esprit. St.-Luc
est le seul qui nous ait transmis les paroles du
Sauveur : Père, je remets, je
dépose, ou plutôt, mot à
mot : je déposerai,
c'est-à-dire : je vais
déposer mon esprit entre tes mains,
Père... c'est le cri de la confiance,
qui succède à celui de la
terreur, de l'angoisse, presque
du désespoir. Ce n'est plus comme tout
à l'heure, Mon Dieu ! mon
Dieu ! C'est Père !
Maintenant ce n'est plus : Pourquoi
m'as-tu abandonné ? Le moment,
où la colère de Dieu se
déployait sur lui, comme sur le
représentant des pécheurs, ce moment
est passé ; son Dieu est
redevenu son Père, et la main qui le
frappait est redevenue la main paternelle, qui va
recueillir son âme.
Jésus sent que son Dieu ne
l'abandonne plus. Le Père ne
voit plus en lui maintenant que son Fils
bien-aimé, en qui il a mis tout
son bon plaisir. Jésus peut
dire : Le Père m'aime, parce que je
quitte ma vie pour la reprendre. Père, je
remets mon esprit entre tes mains.
Cet esprit, c'est l'âme humaine de
Jésus. Ce n'est pas la Divinité
qui habitait corporellement en lui, qui
devait être remise entre les mains
du Père, dont elle ne pouvait
être, et dont elle ne fut jamais
séparée, puisque Jésus
lui-même a dit : Le père et
moi, nous sommes un.
C'est cette âme humaine, unie au corps
formé dans le sein de Marie, cette âme
qui fut semblable à la nôtre, mais
sans péché ; cette
âme qui a éprouvé toutes les
affections, toutes les infirmités innocentes
de notre nature, la compassion,
la joie, la tristesse, et même le
trouble, la crainte et l'effroi ; cette
âme qui craignit la mort et qui
pourtant s'y rendit obéissante ;
cette âme à laquelle le corps,
cloué sur la croix, communiquait ses
douleurs.
Cette âme, mon esprit, dit-il, je le
déposerai entre tes mains, je te le
remettrai. Je le remettrai ou le
déposerai, expression qui marque bien
ce qu'il y a de volontaire dans cette mort, et ce
qu'en cela même, cette mort a de
différent de la mort des autres enfants
d'Adam.
Nous, quand nous mourons, notre âme
nous est redemandée, dit le
Seigneur lui-même ; nous subissons la
mort, nous n'en fixons pas le moment. Lui, il
expire, en déterminant lui-même le
moment de sa mort, et en l'annonçant. Il
meurt en possession de ses forces et de toutes ses
facultés. Il meurt, parce qu'il le veut. Il
n'a plus maintenant qu'à déposer
son esprit entre les mains de son
Père. Ses travaux, comme ses douleurs
doivent finir. Il a fait toute l'oeuvre que le
Père lui a donnée à
faire ; il vient de le déclarer en
prononçant la sixième,
l'avant-dernière parole de la croix :
Tout est accompli, et maintenant :
Père, je remets mon esprit entre tes
mains.
Tu laisses maintenant aller ton
serviteur en paix, s'était
écrié Siméon, alors que dans
le temple de Jérusalem, il prit
Jésus entre ses bras. Tu laisses
aller, et selon la force de l'original :
Tu délies ton serviteur. Et
pourquoi ?
Mes yeux, disait le pieux vieillard, mes
yeux ont vu ton salut. Siméon ne voyait
le salut que dans le lointain, par la foi. Et
Jésus lui, voit le salut de toutes
les âmes rachetées par son sang
précieux, par ses mérites, par
son obéissance, par ses langueurs ;
nos âmes, a moi qui vous parle et
à vous qui m'écoutez et qui croyez en
lui, nos âmes sauvées, notre
condamnation attachée à la croix,
les Principautés et les Puissances
ennemies des hommes et de leur salut,
qu'il emmène captives, et les
« captifs du
péché » dont il fait
« tomber les fers. »
II peut dire, lui : Mes yeux ont vu ton
salut, oui, mon Père, ton salut
que j'ai opéré, ton pardon, ta
grâce que j'ai conquis pour les pauvres
pécheurs. Oui, tu délies ton
serviteur... ou plutôt Jésus se
délie lui-même ; il coupe
les liens qui le retiennent encore à ce
corps infirme et mortel, à cette terre
maudite qu'il est venu bénir,
Père, je remets mon esprit entre tes
mains. Dernière parole de notre Sauveur,
cri de confiance, de délivrance, chant de
triomphe ; et pour nous
parole d'enseignement, d'espérance,
d'avertissement.
II.
Père, je remets mon esprit entre tes
mains. Ce cri, Jésus l'a poussé,
cette parole, il l'a prononcée, non
seulement pour lui, mais encore pour ses
fidèles disciples. Lui, il sait bien
où il va et nous, nous le savons
aussi ; il n'aurait donc pas besoin de
nous dire à qui il remet son
âme. Mais il veut nous montrer,
où doivent aller les nôtres.
Là où je serai, a-t-il dit,
vous y serez aussi ; là où je
serai, là aussi sera mon serviteur. Son
âme va auprès du Père
déjà avant sa
résurrection ; cette âme,
ensuite unie à son corps glorieux,
y retournera pour y rester jusqu'à son
dernier avènement, à la
résurrection des morts, et au jugement
universel. Ainsi en est-il donc pour tout
serviteur de Jésus, pour tous ceux
qui s'endorment en Jésus. Il viendra
répéter sur leur tombe ce cri
victorieux qu'il fit retentir sur la tombe de
Lazare : Sors de là ; il
viendra accomplir sur leur tombe cette promesse
solennelle : C'est ici la volonté du
Père que je ressuscite ce qu'il m'a
donné ; il
viendra relever leur corps de la
poudre et le rendre semblable à
son corps glorieux, par le pouvoir qu'il a de
s'assujettir toutes choses. Il est destiné
à tous de mourir une fois, après quoi
suit le jugement.
Quand il viendra juger les vivants et les
morts, il mettra les siens à
sa droite ; et quand il leur aura
dit : Venez, les bénis de mon
Père, il les introduira dans le
Royaume qui leur a été
préparé en héritage,
dès la création du monde.
Mais déjà avant la
résurrection et le jugement, bien
auparavant, dès à présent,
heureux les morts qui meurent au Seigneur. Oui
certainement, dit l'Esprit, ils se reposent de
leurs travaux, et leurs oeuvres les suivent.
Ceux qui meurent au Seigneur... ainsi ce n'est
pas seulement son âme, mais les
âmes de ceux qui meurent en
lui, par conséquent de ceux qui croient en
lui, qui sont heureuses dès à
présent, qui se reposent de leurs
travaux... Certainement, dit l'Esprit ;
c'est l'Esprit de Christ, de celui qui a
dit : Père, je remets mon âme
entre tes mains.
Ce n'est pas seulement son âme
qu'il remet entre les mains de son
Père. « II a
pris, » dit notre réformateur
Calvin, « il a mis et compris comme en un
faisceau, toutes les âmes de ses
fidèles, afin qu'elles soient gardées
et sauvées avec la
sienne, » c'est-à-dire
gardées avec la sienne, et sauvées
par la sienne ; et à présent,
c'est à lui-même que ses serviteurs
remettent leurs âmes :
Seigneur Jésus ! dit
Étienne, reçois mon esprit !
C'est à lui qu'ils les remettent,
parce qu'il a dit : Personne ne les
ravira de ma main. Le Père, qui me les a
données est plus grand que tous ;
personne ne peut les ravir de la main de mon
Père. Moi et le Père sommes un.
Voilà, chrétiens, ce que disent
d'abord pour nous ces derniers mots de Jésus
sur la croix : Père, je remets mon
esprit entre tes mains.
Mais le Seigneur Jésus, sur la croix, ne
peut pas arriver tout de suite à cette douce
confiance, avec laquelle il remet son
esprit entre les mains de son
Père. Il dut s'écrier
auparavant, nous l'avons entendu : Mon
Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m'as-tu
abandonné ?
II dut sentir le pesant fardeau du
péché, non des siens, il n'y
eut jamais de péché en lui,
mais des nôtres et de ceux de tout le
monde, dont lui le saint et le juste
était la propitiation.
Il dut sentir la colère de Dieu peser
sur sa tête, l'abandon de Dieu désoler
son âme, au moins quelques instants ;
mais ensuite il s'écrie : C'est
accompli, il se rend témoignage que
la propitiation est achevée,
la rançon
acceptée, la justice de Dieu
apaisée et glorifiée, et alors,
enfin, il s'écrie : Père, je
remets mon esprit entre tes mains.
Et pour nous aussi, chers frères, il y
aura des moments où nous dirons :
Mon Dieu ! mon Dieu ! avant les
moments, ou entre les moments, où nous
pourrons dire : Mon père !
Oui, il y a de tels moments, quelquefois
épars dans toute une vie, quelquefois
ramassés sur une époque de cette vie,
des moments où les nuages nous voilent un
temps le bleu du ciel, et les rayons du soleil
de justice ; des moments, où nous
nous sentons accablés par le fardeau
de nos péchés, où il nous
semble que Dieu nous a
abandonnés.
Mais nous, n'abandonnons jamais
l'espérance. Retenons toujours
ferme notre espérance.
Saisissons-nous des promesses de Dieu en
Christ. En confessant nos péchés,
en pleurant sur nos péchés,
souvenons-nous que Dieu est fidèle et
juste pour nous les pardonner, et pour nous
nettoyer de toute iniquité.
Souvenons-nous que Christ a payé notre
dette, qu'il a tout accompli, et nous
retrouverons par son Esprit, le calme, la
joie, la paix, la force de dire à
Dieu : Abbah, Père ! la
force de nous relever, de recommencer et de
poursuivre notre route.
Ces moments d'angoisse et de
tristesse reviendront peut-être aux approches
de notre heure dernière. L'ennemi des
âmes, voyant avec regret les nôtres
toucher au but, voudra leur tendre encore ce
piège ; il voudra encore nous
cribler, comme on crible le blé ;
mais nous nous souviendrons que Jésus
prie pour les siens, afin que leur
foi ne défaille point.
Nous nous souviendrons qu'il a tout
accompli, afin que tout soit accompli
pour nous, et nous sentirons avec joie, qu'en
effet bientôt tout va être
accompli pour nous.
Nous sentirons l'efficace de la prière de
Jésus, prière toute-puissante et
pleine d'amour, et cette main aussi toute puissante
et pleine d'amour, qui soutint et releva Pierre au
milieu des flots, alors qu'il était
près d'enfoncer. Nous lui crierons
comme son Apôtre : Seigneur,
sauve-moi, et bientôt nous pourrons lui
dire : « Seigneur, tu m'as
sauvé ; » nous pourrons lui
dire avec ses saints : Tu m'as
racheté, ô Dieu de
vérité. Je suis assuré
que ni la mort, ni la vie, ni aucune
créature ne peut me séparer de
la dilection de Dieu en Jésus-Christ.
Comme Jésus-Christ lui-même, nous
pourrons dire d'une voix forte, avec la
force qu'il nous donnera, sa force qui
s'accomplit dans l'infirmité :
Père, je remets mon esprit entre
tes mains. Oui,
Père plein de tendresse et de
compassion ; Père,
réconcilié avec moi par ton Fils,
mon frère premier-né... je remets
mon esprit entre tes mains.
Serais-je eu peine ? serais-je incertain
d'être heureux auprès de toi ?
Ton Fils nous a dit : Le Père
lui-même vous aime ; et je sais
qu'il y a des rassasiements de joie à ta
droite pour jamais...
Père, je remets mon esprit entre tes mains.
Et puis, quand nous aurons ainsi remis entre
ses mains, le salut et le bonheur
éternel de notre âme, ce que
nous avons de plus cher et de plus précieux
ne lui remettrons-nous pas aussi toutes les
pensées de notre esprit, tous les
sentiments, toutes les espérances et tous
les désirs de notre coeur, tout ce qui peut
nous tenir au coeur avec sa permission, tout ce
qu'il nous permet d'aimer, tout ce que nous pouvons
aimer selon lui, tout ce qui peut encore nous
intéresser dans ce bas monde, alors
même que nous n'y serons plus ; le
bonheur, et surtout le vrai bonheur, le bonheur
éternel, le salut de nos parents, de nos
amis, de nos enfants, de nos frères et
soeurs selon la chair, et de nos
frères et soeurs en Christ
« de nos compagnons d'exil et
d'héritage, » que nous devancerons
dans l'éternité ; le sort de
notre pays, qui nous sera cher
encore sur les confins, sur le seuil même de
la vraie et éternelle patrie ; la paix
et la liberté pour l'Église de
Jésus-Christ, et pour les enfants de
Dieu ; l'avancement de son règne
ici-bas, de son beau règne, règne
de justice et de paix.
Avec quelle confiance ne mettrons-nous pas
toutes ces choses, et bien d'autres, et toutes
choses entre les mains de celui qui
a établi son trône dans les cieux,
et qui est plus puissant et plus sage
que tous, comme aussi il est plus
miséricordieux que tous, le seul bon, le
Père de tous, le Dieu et le Père de
notre Seigneur Jésus-Christ, notre Dieu
et notre Père. Père, je remets mon
esprit entre tes mains.
Mais pour qu'il en soit ainsi pour nous, chers
amis, il faut nous être donnés a
Jésus,
il faut l'avoir reçu dans notre coeur par la
foi, après avoir été rendus
sérieux sur le salut de notre âme et
nous être dit avec St.-Paul : C'est
une chose certaine et digne d'être
entièrement reçue, que
Jésus-Christ est venu au monde sauver les
pécheurs, dont je suis le premier.
II faut avoir cherché et trouvé
le pardon de nos péchés au pied de
cette croix, du haut de laquelle il nous parle
maintenant, d'où il nous montre ses pieds
et ses mains percés pour nous,
d'où il nous fait voir
par ses dernières paroles, et désirer
la paix et le bonheur de ceux qui peuvent
s'écrier en lui et alors par lui :
Père, je remets mon esprit entre tes
mains.
Où en êtes-vous à cet
égard, chers amis ? C'est une chose
entre vous et lui, et nous ne pouvons que vous dire
et vous répéter : il n'y a
point de salut en aucun autre ; il n'y a sous
le ciel aucun autre nom qui ait été
donné aux hommes, par lequel nous devions
être sauvés. Crois au Seigneur
Jésus, et tu seras sauvé.
Aujourd'hui, si vous entendez sa voix,
n'endurcissez point vos coeurs.
Tournez-les vers celui qui vous les demande,
vers celui qui vous appelle, peut-être depuis
longtemps, et qui vous appelle encore, vers celui
qui veut vous bénir, vous sauver, vers celui
qui ne rejette aucun de ceux qui vont à
lui ; ou plutôt, joignez-vous
à nous pour lui demander instamment, qu'il
tourne lui-même vos coeurs vers lui, qui est
toujours puissant, pour sauver ceux qui
s'approchent de Dieu par lui ; vers lui,
par lequel seul vous pourrez remettre vos
âmes entre les mains de son
Père devenu le vôtre !
Qu'il n'ait plus sujet, s'il l'a eu jusqu'ici
peut-être, de dire de vous : Ils ne
veulent pas venir à moi pour avoir la
vie ; mais au contraire, puissiez-vous
vous appliquer cette
promesse : C'est ici la volonté de
celui qui m'a envoyé, que quiconque
contemple le Fils, et croit en lui, ait la vie
éternelle ; et qu'ainsi vous vous
prépariez, ou plutôt qu'il vous
prépare lui-même à dire
à votre départ de ce monde, dont le
moment viendra enfin, et plutôt
peut-être, que vous ne le pensez :
Père, je remets mon esprit entre tes
mains.
III.
Mais nous, qui déjà avons cru au
Seigneur Jésus, ses dernières paroles
ne sont-elles pas pour nous aussi, un
sérieux avertissement de le servir avec
fidélité, avec
persévérance ?
Tout est accompli... avait dit le Seigneur
Jésus ; et ensuite, seulement
ensuite : Père, je remets mon esprit
entre tes mains. Il pouvait dire à son
Père et il avait dit en effet : J'ai
achevé l'oeuvre que tu m'as donnée
à faire.
Et nous tous aussi, nous avons à
faire une oeuvre que le Père
nous a donnée, nous en avons une ou
plus d'une qu'il a préparées
devant nous afin que nous y marchions. Il les a
mises devant nous, et en tout cas, si nous
lui demandons sincèrement, ardemment,
constamment, si nous le supplions de
nous montrer sa volonté,
de nous montrer notre chemin, il l'ouvrira devant
nos yeux. Et quand l'un ou l'autre d'entre nous,
nous n'aurions pas d'oeuvre particulière et
personnelle à faire dans la
société, dans la famille, dans
l'église, auprès des ignorants, des
pauvres, des malheureux ; quand nous n'aurions
pas d'autre oeuvre à faire, il en est
une qui ne nous manquera jamais sur cette terre
d'épreuve et de passage, c'est la
patience, souvent plus difficile que
l'action, souvent plus pénible qu'une
oeuvre proprement dite ; au reste elle
est appelée une oeuvre dans la
Parole. Que l'oeuvre, dit St.-Jacques,
que l'oeuvre de la patience soit parfaite.
Et puis, il est pour nous une oeuvre qui
les domine toutes, qui les comprend toutes, et
celle-là même de la patience,
et qui est elle-même une oeuvre de
patience, c'est l'oeuvre de la
sanctification ; c'est la lutte et le
combat que le chrétien doit livrer sans
cesse contre les restes du vieil homme, qui
se débat encore ; contre les mauvais
penchants, les mauvaises habitudes, contre les
passions de la chair qui font la guerre à
l'âme ; la vigilance et la
prière contre les tentations du dehors et du
dedans, contre les pièges de notre propre
coeur, et contre les ruses de l'ennemi qui
rode autour de nous,
comme un lion rugissant, cherchant qui il pourra
dévorer. C'est là sans doute une
oeuvre pénible, difficile, dure
à la chair et au sang.
Mais les enfants de ce siècle
savent bien poursuivre avec ardeur et
persévérance leurs entreprises pour
les choses de ce monde ; ils savent bien
s'imposer un travail pénible dans
l'espérance d'un repos, d'une aisance qu'ils
n'atteindront pas peut-être, et dont ils ne
jouiront, en tout cas, que bien peu de temps ;
et les enfants de lumière, moins sages
en cela que les enfants du siècle,
croiraient pouvoir se reposer sans avoir
suffisamment travaillé, être
couronnés sans avoir combattu
selon les lois, recueillir les fruits sans
avoir cultivé le champ avec beaucoup
de peine !
Sans doute, c'est une oeuvre qui ne sera
pas achevée ici-bas ; mais qu'il
ne nous est pas permis d'abandonner, de suspendre,
d'interrompre, ni de remettre.
Sans doute, nous ne pourrons pas arriver au point
de dire comme notre Maître : J'ai
achevé l'oeuvre que tu m'as donnée
à faire ; mais il faut au moins que
nous puissions dire comme un de ses
serviteurs : J'ai combattu le bon
combat.
Il faut que nous puissions nous rendre le
témoignage, ou plutôt que l'Esprit de
Dieu nous rende le
témoignage, que nous
n'avons pas abandonné l'oeuvre qu'il
nous a donnée à faire, que
nous la poursuivons, que nous voulons la poursuivre
jusqu'à notre dernier souffle.
Mais ce souffle, quand serons-nous appelés
à le rendre ? Ce sera quand il le
voudra. Cette nuit même,
peut-être, notre âme nous
sera redemandée. Nous ne savons ni le
jour, ni l'heure, mais il faut que ce jour,
cette heure, nous trouve prêts
et faisant notre devoir. La nuit
vient, pendant laquelle personne ne peut
travailler. Travaillons donc pendant qu'il
fait jour. Travaillons sous le regard, selon
l'exemple et par la force de celui qui s'est
écrié : Père, je
remets mon esprit entre tes mains.
Le Seigneur a donc permis, chers et
bien-aimés frères, que nous pussions
achever un travail bien faible, bien imparfait,
entrepris toutefois pour la gloire de son nom, et
dans un amour toujours trop faible et trop
imparfait aussi, et pourtant sincère pour
l'Agneau, qui nous a rachetés
à Dieu par son sang.
O qu'il nous donne à tous d'avoir bien
compris, surtout du coeur, ces sept paroles de la
croix, qui forment, à ce
qu'il nous semble, ou du moins qui formeraient,
mieux méditées que nous n'avons pu et
su le faire, un cours complet d'instructions sur
l'Évangile de Jésus-Christ ; ces
paroles qui renferment ou supposent tout ce qui
peut parler à notre coeur et à notre
conscience, l'horreur du péché, la
miséricorde de Dieu en Christ, l'amour de
Jésus pour nous, pauvres pécheurs, et
le plus beau modèle de patience, de
charité, d'humilité, en un mot de
sainteté, dans la personne du
crucifié, de celui qui a souffert, nous
laissant un exemple afin que nous suivions ses
traces.
Puissent ces dernières paroles du Sauveur,
que nous avons méditées ensemble,
être pour nous plus qu'un enseignement,
être pour nous une
expérience !
Puissent-elles être un enseignement et une
expérience pour le pauvre pécheur,
votre pasteur, qui a trouvé une grande
douceur a vous répéter les
dernières paroles du Maître, et qui
voudrait les répéter toute sa
vie !
Ah ! s'il lui a été
donné, comme il le souhaite et le demande
à cette heure, de contribuer en quelque
chose à votre édification, chers
frères et paroissiens, et vous tous, chers
lecteurs, priez pour lui, afin qu'il lui soit
donné à son
dernier jour de dire avec une légitime et
joyeuse espérance : Père, je
remets mon esprit entre tes mains.
Puissent ces paroles être un enseignement
et une expérience pour nous tous, et pour
chacun de nous.
Puissent, chers lecteurs, toutes les paroles et
tous les enseignements de notre Maître vous
amener à son Évangile et au pied de
sa croix ! ou, si nous y sommes
déjà venus, si déjà
nous aimons à nous en tenir près,
puissions-nous toujours plus fortement et plus
doucement attirés par l'amour de Christ et
par ses bonnes promesses, sentir croître tous
les jours et augmenter dans nos coeurs la
foi à cet amour, à ces
promesses ; l'amour pour celui qui nous a
aimés, pour celui gui a fait les
promesses, pour le Chef et le Consommateur
de la foi !
Puissions-nous nous unir toujours plus
étroitement à lui ;
puissions-nous parvenir à une entière
communion avec lui, qui nous fasse dire à
tous, à notre dernier jour, avec confiance,
avec joie, avec une sainte impatience de le voir,
de le trouver dans le Royaume, dans la maison de
son Père : Père, je
remets mon esprit entre tes mains !
Amen.
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