UN SAINT DES
TEMPS MODERNES
FÉLIX
NEFF
XVI. - L'écho du Val de
Freissinières
« le
Bienheureux » !
Le christianisme expérimental
était le seul objet de nos
réunions ; jamais des questions de
théologie ne vinrent en troubler la paix, la
simplicité.
Il vaut mieux bâtir et planter
qu'arracher et détruire !
Félix NEFF.
Quand Félix Neff, que l'on appelle encore
là-bas le Bienheureux, visita le Val de
Freissinières, l'émotion des
montagnards, abandonnés depuis si longtemps
à eux-mêmes, dépassa ce que
nous pouvons imaginer.
Benjamin VALLOTTON.
Comment oublier celui qui a tant prié,
tant aimé et tant aidé ! Il fut
pour tous un père, un ami, un guide. Et
voilà pourquoi, aujourd'hui, après
cent ans écoulés, ayant recueilli le
témoignage des ancêtres, les
montagnards de Freissinières touchent l'aile
de leur chapeau, quand ils parlent de Neff. Et ils
l'appellent « le Bienheureux. »
Charles VALLOTTON.
- Vallée ensoleillée
où brille la Durance
- Au seuil de l'Italie et sous le
ciel de France,
- Dans l'éblouissement de
l'horizon alpin
- Des forts de Briançon aux
forts de Mont-Dauphin ;
- - Rochers vêtus de deuil,
quand le soleil s'abaisse,
- Et de pourpre dans l'aube où
murmure la Biaysse
- Reflétant au miroir de ses
flots cristallins
- Les mélèzes
géants et les toits des
Viollins :
- - Neiges qui couronnez le cirque
solitaire
- Où Dormillouse est comme un
flambeau millénaire ;
- - Cascades qui tombez des monts
avec fracas
- Et semblez prolonger les clameurs
des combats ;
- - Grottes où s'abritaient
les martyrs, citadelles
- Altières où jadis
veillaient des sentinelles ;
- - Vous exaltez ensemble un nom
prestigieux,
- Auréolé d'amour, et
partout, sous les cieux
- Infinis et devant les cimes
éternelles,
- L'écho
répète : Ici
vécut le Bienheureux
- Dans l'avalanche ou dans
l'orage,
- Dans les jours les plus
ténébreux,
- Ici rayonne ton image,
- O Félix Neff,
« le
Bienheureux » !
|
XVII. - Les derniers jours de
l'apôtre
Adieu, chers amis, tous les amis que j'aime
tendrement. Adieu ! Adieu !
Je monte vers notre Père eu
pleine paix !
Victoire ! victoire !
victoire !
Par Jésus-Christ !
Félix
NEFF.
(Dernière lettre aux
caractères irréguliers, aux lignes
interrompues, écrite quand il ne voyait plus
qu'avec peine.)
C'est nous qui sommes la cause de votre longue
maladie. Si nous avions été plus
prompts à vous écouter, vous n'auriez
pas eu besoin de tant vous fatiguer dans les neiges
ni d'épuiser toutes les forces de votre
corps. Vous vous êtes oublié
vous-même, comme notre bon Sauveur, peur nous
autres .. Nous pouvons dire, en
sincérité, que si notre sang vous
était utile, nous le donnerions, et nous ne
ferions pas plus pour vous que vous n'avez fait
pour nous. Votre récompense est dans le
ciel : une couronne immortelle vous attend.
Le message de
DORMILLOUSE.
- Devant le bleu Léman il
vient finir sa vie
- Mais il soupire après
l'invisible Patrie
- Qu'il appelle plus haut que les
horizons d'or,
- Plus loin que les tombeaux dans
l'ombre de la mort.
- L'Alpe majestueuse, en son
décor intime
- De silence et de paix, lui
découvre une Cime
- Qu'empourpre la splendeur de ce
Jour sans pareil
- Où brille sans
déclins un éternel soleil
- Avec ferveur il joint ses mains
pour la prière
- En écoutant sonner les
cloches de Saint-Pierre ;
- Sa mère souriait ici sur
son berceau ..
- C'est le pays natal .. Mais le
Ciel est plus beau
- S'il ne doit plus ouïr les
voix familières
- Du peuple montagnard du Val de
Freissinières,
- Il va revoir là Haut ceux
qu'il avait aimés :
- « Ils ne sont pas
perdus, mais nous ont
devancés »...
- Toute son âme
étreint la croix expiatoire.
- En défiant la mort, il
jette un cri :
Victoire »
-
- (*) Ces paroles de l'hymne
d'Alexandre Vinet furent
chantées à la demande de
Félix Neff, autour de son
cercueil, au bord de sa
tombe.
|
XVIII. - La mort d'un Saint
Je demande à Dieu qu'il me fasse la
grâce de trouver en tout temps sa
volonté bonne et parfaite.
C'est ma seule
prière.
J'ai gratté avec les ongles,
dit Neff mourant pour affirmer la solidité
de sa foi affranchie de tout ce qui tient à
l'imagination, j'ai gratté avec les ongles
jusqu'à ce que j'en aie enlevé tout
le sable, tout le mortier, jusqu'à la pierre
vive, mais la pierre est restée.
L'Évangile est vrai, vrai,
vrai ! ajoute l'agonisant d'une voix qui n'est
plus qu'un souffle, Oh ! oui, bientôt,
bientôt je m'en vais vers mon Dieu !
Félix NEFF.
C'est un prolongement sublime que la tombe.
On y monte !
étonné d'avoir cru qu'on y tombe.
VICTOR HUGO.
La mort n'est pas une fin. Non ! Elle est
le seuil d'une vie plus haute !
J.-Henri FABRE.
- Sur lui planait la mort. De son
lit de souffrance
- Il évoque le beau pays de
la Durance,
- Embrun et Briançon,
Guillestre et le Champsaur,
- Les glaciers argentés et
les mélèzes d'or.
- Et tandis que la nuit descend,
que le jour baisse,
- Il écoute, là bas,
dans le chant de la Biaysse,
- Ta cloche familière,
ô temple des Viollins
- Peuplé de souvenirs
maintenant si lointains !
- Il a vu se lever les jours de
délivrance
- Sur un peuple affranchi de sa
désespérance.
- Mais, bien plus haut que les
rochers de Faravel,
- Son regard s'arrêtant sur
le Roc éternel
- Distingue les splendeurs de la
Maison du Père.
- Dans le balbutiement d'un
bonheur qu'on espère,
- Il murmure tout bas :
L'Évangile est vrai...
vrai...
-
- Et la terre était loin,
mais le Ciel était
près !
-
- Oberlin l'accueillait dans la
céleste Église ;
- Les bras tendus vers lui, voici
François d'Assise.
- Et, dominant la tombe,
ébloui de clarté,
- Il contemplait le Christ,
vivante Vérité !
|
XIX. - La leçon d'Assise et de
Dormillouse.
Son actualité
La richesse n'avait jamais absorbé les
hommes comme aujourd'hui.
Guglielmo FERRERO.
Non è amato l'amore. - L'amour n'est pas
aimé !
S. FRANÇOIS
D'ASSISE.
Un saint triste est un triste saint.
S. FRANÇOIS DE
SALES.
Le vrai S. François est l'ami de la
nature, c'est celui du « Cantique des
Créatures », qui voyait dans son
corps non l'Ennemi, mais un frère... Il
donnait l'exemple du travail et surtout de la joie,
égayant tout le monde par ses chants et ses
projets d'avenir.
Paul SABATIER,
Le saint d'Assise accomplit le miracle de la vie
évangélique parce qu'il rejeta tout
esprit de discussion et de controverse et ne se
manifesta que par l'Exemple.
PELADAN.
La distance infinie des corps aux esprits figure
la distance infiniment plus infinie des esprits
à la Charité.
Blaise PASCAL.
- Ainsi que le Poverello
- Dont sa voix prolongea
l'écho
- Ce frère de
François d'Assise
- Incarnait vraiment la
maîtrise
- Du pur Amour. Sur leur tombeau,
- Avec un prestige nouveau,
- Rayonne une douce lumière
- Que bénira la terre
entière.
- O la royauté de
l'Esprit !
- Leur Pauvreté nous
enrichit
- Et ce dévouement qui
s'oublie,
- Jusqu'à la mort, nous
humilie...
- Ils ont vécu
« faisant le
bien ».
- Notre temps positif où
rien
- Ne compte et ne vaut que
l'utile,
- Où l'honneur est au plus
habile
- Qui de l'or fait ample moisson,
- Peut méditer cette
leçon
- Du « Petit
Pauvre » de l'Ombrie
- Et de Neff immolant sa vie.
- Tout l'obscur avenir humain
- Doit s'éclairer de ce
passé chrétien
|
XX. - Le nouveau deuil de
Dormillouse
Tout est à faire dans ces contrées
où durant tant de siècles, pour
échapper à la mort par le fer ou par
les flammes, les habitants vécurent au creux
des gorges sans soleil. Mais qu'importaient la
pauvreté du sol, les alarmes
perpétuelles, les fuites vers les cimes tant
que l'on avait la richesse de l'âme !
Benjamin VALLOTTON.
-
- Si Félix Neff vivait et
pouvait nous parler,
- Contemplant Dormillouse en deuil
sur son rocher Aujourd'hui
délaissé, devant sa
solitude
- Il verserait des pleurs sur
notre ingratitude.
-
- Ce désert, grâce
à lui, naguère à
refleuri.
- Prodige de l'amour !
Miracle de l'esprit !
- L'obsédant cauchemar tant
de fois séculaire,
- Sa main sut l'écarter
ainsi qu'un lourd suaire.
-
- La vie a reparu triomphant de la
mort,
- Transfigurant la cime en ce
nouveau Thabor
- D'où s'élevait
soudain sur un sol granitique
- L'hymne des moissons d'or et
leur joyeux cantique.
-
- Mais nous n'avons pas su
maintenir ce flambeau
- Qu'avait rallumé Neff en
bravant le tombeau,
- Et, dans le triste oubli de sa
trace bénie,
- Redescend sur ces monts le voile
d'agonie
-
- 0 blanche Dormillouse, à
tes nobles sommets
- La vie a dit adieu ; ton
clocher désormais
- Ne sonne que des glas ! Le
grand mort de Genève,
- Soulevant son linceul, hors du
tombeau se lève
-
- Comme un accusateur : Vous
étiez héritiers
- De mon suprême amour du
peuple des glaciers ;
- Je vous avais
légué ma race et ma
lignée..
- 0 Dormillouse ! 0 solitude
abandonnée !
|
XXI. - « Ecce
Homo ! »
- Celui dont Félix Neff fut le
témoin
- C'est Golgotha, c'est le Calvaire,
- C'est le jardin des Oliviers,
- Qui sont mes maisons de prière
- Et mes rendez-vous journaliers.
Félix NEFF.
- Vous qui pleurez, venez à ce Dieu,
car il pleure
- Vous qui passez, venez à lui, car il
demeure !
- Victor HUGO.
Jésus, ce que tu fis, qui jamais le feras ?
A. de MUSSET.
- Et j'en crois des vertus qui se font
adorer !
- Règne à jamais ô Christ,
sur la raison humaine
- Et de l'homme à son Dieu sois la
divine chaîne.
LAMARTINE.
- Ecce Homo, voici l'Homme !
Vers son calvaire,
- Des épines au front, dans
ses mains un roseau,
- Sous un haillon de pourpre. il
s'en va solitaire,
- Montant jusqu'à la croix,
céleste Chemineau !
-
- C'est là que l'univers,
à genoux, le contemple.
- Là, son front retomba
lourdement sur son coeur,
- Succombant sous le poids, car il
portait ensemble
- Et tout l'espoir du Monde et
toute sa douleur.
-
- Voilà le Fils de
l'Homme ! En un geste
suprême,
- Vers les siècles
lointains il ouvrait ses deux bras.
- Son sang nous crie encor :
C'est ainsi que l'on aime !
- - L'amour est éternel et
doit vaincre ici-bas.
|
XXII et XXIII - L'Alpe et
l'auréole de Neff
Croyez-en mon expérience. Le
Christ ! Il n'y a que Lui de solide, il n'y a
que lui de vraiment aimable.
Félix NEFF.
À ma mère. - Le drame
séculaire vécu par sa vallée
dans un décor de rochers bleus de lavande ou
de neige montant au niveau des toits, ce tragique
posé sur les monts, caché dans les
âmes, avait mis en elle un lyrisme spirituel
qui éclatait en images fraîches, en
enthousiasmes tels que les plus jeunes, près
d'elle, semblaient infiniment vieux. Sans cesse,
elle rayonnait ses joies, ses espoirs, ainsi
près de ses morts que des vivants... Quelque
chose s'est passé là, s'est
posé sur vingt générations qui
ne peut se perdre sans laisser de traces. Des
cendres, sans doute, mais des braises, sous ces
cendres.
Benjamin VALLOTTON.
Ces « témoins », on
les évoquait avec tant de passion autour du
foyer, qu'il me semble avoir vécu et
bataillé près d'eux... Car mon pays
est un nid d'aigles où l'on n'est
monté que pour mieux résister.
À quel prix ! Dans les grottes on
entend encore des soupirs... Comme gens et choses
portaient alors la marque du douloureux effort des
siècles. Mais aussi quelle noblesse, quelle
dignité, quels élans dans les
âmes !
Julie VALLOTTON.
À Benjamin Vallotton
qui fut l'animateur du centenaire de F.
Neff
à la mémoire
bénie de sa mère
qui eut l'âme de la
vallée de Freissinières,
ce livre qui n'est qu'un
témoignage.
1° Sur le
Roc
- Sur le Roc ! C'est le divin
mot d'ordre de victoire
- Résumant les exploits
d'une tragique histoire
- Et qui, de cime en cime, emplit
cet horizon
- Où Félix Neff se
lève encor pour l'oraison.
-
- Sur le Roc ! c'est le mot
que chante la Durance
- Au pied des monts où
vînt refleurir l'espérance
- Au pays d'Oberlin, c'est le mot
de la foi
- Qui fit renaître un peuple
au nom de Jésus Roi.
-
- Sur les bords de la Biaysse et
sous le ciel d'Assise,
- De tous les renouveaux c'est la
sainte devise.
- Sur le Roc ! mot vainqueur,
en sa brièveté,
- Bravant la mort et nous ouvrant
l'Éternité.
|
2° En
écoutant le torrent
- 0 Biaysse transparente à
la voix si sonore
- Quand sous l'ardent soleil, le
Val muet se dore,
- Quand la cascade brille ainsi
qu'un arc-en-ciel
- Et jette au vent qui passe un
hymne solennel,
- Biaysse au flot argenté
glissant sous le
mélèze,
- Chantant sous les rochers et
leur haute falaise,
- Tu restes à jamais le
suprême témoin
- De Neff qui dans ces lieux
déserts venait de loin
- Pour dissiper la nuit, bannir la
« malheurance »
- Dans un geste immortel de Semeur
d'espérance
- Ta voix était
l'écho de siècles
tourmentés,
- De légions de fugitifs
épouvantés...
- Félix Neff apparut,
bravant les avalanches,
- La glace, l'ouragan, et sur les
cimes blanches,
- Rouges jadis quand les hameaux
étaient en feu,
- Dans la paix d'aujourd'hui
resplendit le ciel bleu
- Où monte l'hosanna joyeux
d'une rivière
- Qui s'auréole, ô
Neff, de ton nom de
lumière !
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