HISTOIRE DE
LA TERRE
SEPTIÈME JOUR.
Et s'achèvent les cieux et la terre et
toute leur armée. Et Dieu achève au
septième jour ses oeuvres qu'il a
faites ; et il se repose au septième
jour de toutes ses oeuvres qu'il a faites.
Et Dieu bénit le septième jour, et
il le sanctifie, parce que en ce jour il
s'est reposé de toutes ses oeuvres que Dieu
a créées les faisant (ou pour les
faire).
Telles sont les origines des cieux et de la
terre quand ils furent créés.
Le septième jour n'a ni soir ni matin. Et
aussi ne pouvait-il ressembler à cet
égard aux précédents ;
car la terre venait d'être
déclarée très bonne ;
elle ne devait donc plus être
bouleversée par une nouvelle invasion des
forces désordonnées du chaos. Et le
sixième jour a fait place au suivant sans
qu'aucune crise violente, aucun fait physique ait
marqué la fin de l'un et le commencement de
l'autre.
Les six premiers jours étant de longues
périodes, le septième doit
pareillement embrasser plusieurs siècles. Il
date du Paradis, il dure encore, il ne cessera
qu'avec l'humanité et la terre. C'est le
temps du repos du Dieu créateur, du simple
développement des êtres physiques et
du travail de l'homme.
Cependant le repos de Dieu n'est pas de
l'oisiveté : il achève ses
oeuvres pendant toute la durée du
septième jour. Paroles d'une grande
portée, qui nous autorisent à
admettre que l'action créatrice de Dieu n'a
pas complètement cessé depuis
l'apparition de l'homme
(1), et
qu'elle pourrait d'un instant
à l'autre se déployer de nouveau, si
elle y était appelée par quelque
circonstance particulière, telle que les
ravages qu'a produits le péché sur la
terre.
En effet, le péché d'Adam, dont la
vision cosmogonique fait complètement
abstraction, a jeté une grande perturbation
dans le repos divin du septième jour. Non
seulement l'Éternel, pour punir le mal et le
réprimer, a lâché de nouveau la
bride aux puissances dévastatrices de
l'antique abîme, et livré la nature
à vingt fléaux différents.
Mais il a modifié son oeuvre des six
jours : il a changé la forme du
serpent, qui, avant d'avoir séduit
Ève, ne rampait pas encore dans la
poussière ; il a
créé après la chute les
ronces et les chardons.
Cette création, que motive le
péché, s'est-elle bornée
à ces plantes-là ? Nous
serait-il peut-être permis de
l'étendre à ces
végétaux, à ces animaux qui
distillent un poison mortel, à toutes les
bêtes féroces de la terre ferme ?
Ou comment expliquer l'apparition, après le
Déluge, de certaines flores et faunes
particulières, sans avoir recours à
l'hypothèse d'une action créatrice de
Dieu qui se prolongerait fort avant dans le
septième jour ?
Au moins est-il certain que sans le
péché il n'y aurait point eu de
Déluge, que ce cataclysme a
été, comme nous le
démontrerons plus loin, non point une simple
inondation, mais une destruction et une
transformation de la terre entière, et qu'il
a été suivi pendant plusieurs
siècles de nombreuses révolutions
locales. Saint Pierre va jusqu'à
déclarer qu'il faut être un moqueur
aveuglé par ses propres convoitises,
pour prétendre que toutes choses sont
demeurées dans le même état
depuis la création, et qu'il y a
péché volontaire à
ignorer que la terre première a
péri dans les eaux du déluge.
Poursuivons donc jusqu'à sa destruction au
sein des flots l'histoire de
cette terre que nous avons vue sortir des eaux du
chaos.
Adam et Ève quittent leur jardin à
regret. Dieu, les en fait sortir ; ils
tardent, et il les en chasse, sans doute en
faisant trembler le sol sous leurs pieds
(2) ; et
l'apparition des Chérubins avec leur
épée de feu a probablement
été accompagnée de quelque
révolution physique, qui aura
bouleversé la contrée du Paradis, et
dont la géologie retrouvera un jour la trace
en étudiant la vallée de l'Araxe
supérieur.
Caïn est meurtrier. La terre le maudit en
lui retirant sa force
(Gen. IV, 12) et ses fruits.
Cette force est celle qu'elle a reçue
lors du chaos, quand elle a été
vivifiée par l'Esprit de Dieu, celle qui lui
a fait pousser son jet au troisième jour,
celle qui circule à sa surface et y
maintient la fécondité. Quand cette
force abandonne le sol que l'homme cultive, et
qu'elle se replie dans les entrailles de la terre,
de vastes contrées deviennent
stériles, ou du moins les récoltes
manquent, la famine éclate, les peuples
périssent. La menace faite à
Caïn par la terre s'est accomplie sous son
arrière-petit-fils Méhujaël,
dont le nom signifie détruit de Dieu.
Sa génération a été
en majeure partie enlevée par une effroyable
sécheresse, que nous avons vue jouer un des
premiers rôles dans toutes les mythologies
païennes
(3). Elle a
duré, d'après les traditions
lydiennes, au moins dix-huit ans,
quarante d'après les Védas. C'est ce
fléau du feu mentionné dans
Sanchoniathon, chanté par Nonnus,
personnifié en Chine par Tchi-Yéou,
en Égypte par Typhon, fils du Soleil, en
Grèce par Phaëthon, chez les Arcadiens
par Cérès Furie, chez les
Éoliens par de jeunes filles éprises
de Neptune.
C'est chez les Perses le combat de Taschter et
d'Epéoscho ; chez les Hindous, celui
d'Indra et des Asouras ; chez les
Phéniciens, celui du Ciel et de
Saturne ; chez les Grecs, celui de Jupiter et
des Titans.
Ce sont les nuées dérobées par
Vritra ou par Mercure. C'est la faim insatiable de
Lityersès ou d'Erysichton.
La Genèse, qui nous fait connaître la
cause morale du fléau, nous en donne aussi
l'explication physique : la vapeur qui seule
arrosait la terre lors de la création
d'Adam, aura diminué de plus en plus depuis
la chute sans être immédiatement
remplacée par la pluie, et la transition de
l'état primitif de l'atmosphère
à l'état subséquent aura
été marquée par un temps d'une
aridité inouïe et d'indicibles
angoisses.
Les mythes païens s'accordent d'ailleurs
à célébrer la pluie unique qui
a mis fin au fléau, et qui était une
vraie crise de la nature terrestre : c'est le
sang du Ciel qui tombe sur la terre, c'est celui de
Méduse qui produit Pégase (le symbole
des sources) ; c'est Jupiter tombant en pluie
dans la prison de Danaë ; c'est la pluie
extraordinaire qui termine le combat des Asouras et
celui d'Epéoscho ; c'est la naissance
d'Agdestis, d'Erichtonius, d'Orion.
Cette première pluie a ouvert une nouvelle
ère de fécondité. Sous les
fils de Lémec, les Caïnites ont eu un
temps de grande prospérité et de
gloire. On dirait cependant, à entendre les
plaintes du père de Noé, que la
malédiction que l'Éternel
avait prononcée contre la terre
rendait très pénible le
travail du laboureur
(Gen. V, 29)
Cette malédiction devait se manifester
spécialement par l'apparition des ronces et
des chardons, qui représentent la flore des
terres stériles ou des déserts. Les
déserts, les steppes, ne peuvent avoir pour
habitants que des nomades, et comme le monde
antédiluvien a eu ses nomades, qui
avaient pour père Jabal (Gen.
IV, 20), nous devons en conclure que du
vivant de ce fils de Lémec existaient
déjà des steppes. Peut-être
s'étaient-ils formés pendant le
fléau du feu.
De la chute au Déluge, le règne
animal, d'après la Genèse, s'est
modifié, s'est altéré comme le
règne végétal, comme
l'atmosphère et comme la contrée du
Paradis.
Le serpent qui a séduit Ève avait, au
dire des mahométans, une tout autre forme
que celle qu'il a maintenant, et une beauté
extraordinaire ; c'était probablement
quelque reptile à quatre pieds, quelque
saurien d'une espèce inconnue. On a voulu
faire de lui un serpent ailé ; mais le
texte le range parmi les bêtes des champs
et non parmi les habitants de l'air. Il a
été condamné à
manger, lécher la
poussière : expression
figurée qui indique simplement le dernier
degré de l'humiliation, comme le prouvent
les passages suivants :
Psaumes LXXII, 9 et
CII, 10 ;
Esaïe XLIX, 23
(4). Nous avons
vu que le serpent conservera au millénium sa
forme maudite
(5).
Avant le Déluge toute chair avait
corrompu sa voie sur la terre
(Gen. VI, 12). Par le terme de
toute chair le texte sacré entend,
dans le récit du Déluge, les hommes
et les animaux
(Gen. VI, 13,
17, 19 ;
VII, 15, 16,
21 ;
VIII, 17 ;
IX, 11, 13,
16, 17.).
Les animaux eux-mêmes participaient donc
à la corruption qui avait envahi
l'humanité entière. Mais des
êtres dépourvus de raison ne peuvent
pécher à la façon de l'homme.
On ne peut pas même dire que les instincts
sanguinaires des carnassiers étaient alors
parvenus à leur dernier degré de
développement ; car l'instinct est
toujours le même. Nous devons donc entendre,
ce nous semble, ce passage, d'une excessive
prépondérance que les bêtes
féroces auraient acquise sur les animaux
herbivores.
L'histoire physique de l'homme pendant la
période antédiluvienne nous offre
trois énigmes à
résoudre : sa nourriture, sa
longévité et sa taille.
Avant la chute, nous l'avons dit, l'homme ne se
nourrissait que de fruits. Pécheur, il dut
labourer la terre, et les céréales
devinrent son principal aliment, auquel s'ajouta
bientôt, sans aucun doute, le lait des
troupeaux. Ce n'est que depuis le Déluge que
l'homme a reçu la permission de se nourrir
de la chair des animaux
(Gen. II, 16 ;
III, 19 ;
IX, 3).
Mais les Caïnites avaient-ils attendu cette
permission pour le faire ? La grande
sécheresse de Méhujaël ne les
avait-elle pas contraints à recourir
à tous les genres possibles de
subsistance ?
Les traditions païennes ne laissent aucun
doute sur ce point : ainsi Sanchoniathon fait
les pêcheurs et les chasseurs plus anciens
que le Déluge. Il paraît même
qu'alors on mangeait parfois de la viande crue et
qu'il y avait des anthropophages
(6).
Créé à l'image de Dieu, Adam
ne devait pas mourir, mais être simplement
transformé. Il pèche : le
salaire du péché c'est la mort ;
et désormais tout homme mourra. La loi
nouvelle de la mort est l'abolition d'une loi
primitive de la vie, qui est la
loi fondamentale et véritable. C'est en
vertu de cette loi qu'ont eu lieu l'ascension
d'Hénoc et celle d'Élie : ce qui
nous semble un miracle inadmissible, une
monstrueuse exception, est donc, au contraire, la
règle, et le vrai miracle, l'exception
réellement monstrueuse, c'est la mort
(7). Aussi
voyons-nous l'ordre de choses primitif
reparaître à la fin des temps, et
à la seconde venue de Christ, tous les vrais
fidèles échapper à la mort par
une transformation instantanée
(1 Thessal. IV, 14-17). C'est ainsi
que tout s'enchaîne dans l'intuition
biblique.
Mais poursuivons. L'homme créé pour
l'immortalité pèche et doit mourir.
Le péché qui produit la mort lutte
contre une nature pleine de sève et de vie,
et n'achève son oeuvre de destruction
qu'après huit et neuf siècles. De
là l'extraordinaire longévité
des Antédiluviens, des Caïnites, aussi
bien que des Sethites. Mais une vie si longue donne
au péché une trop grande
puissance : Dieu
décrète de réduire les jours
de l'homme à cent vingt ans
(Gen. VI, 3) et, en effet, cette
réduction s'opère après le
Déluge, du temps des fils de Noé
à celui d'Abraham et de Moïse. Lors du
rétablissement de toutes choses, l'homme
vivra de nouveau plusieurs siècles, et
après la résurrection il entrera dans
cette vie éternelle en vue de laquelle il
avait été fait au commencement. On
peut rejeter la Bible entière, mais ce qu'on
ne doit pas se permettre, c'est de tronquer sa
doctrine de la vie et de la mort, en niant, par
exemple, la longévité des patriarches
Sethites, qui est la conséquence
nécessaire de prémisses sur
lesquelles repose toute l'économie du
salut.
On a prétendu que les années du monde
primitif étaient d'un mois. À ce
taux-là, le déluge a eu lieu cent
trente-huit ans après la création,
Keinan a été père avant six
ans, et les trois fils de Noé étaient
âgés de huit ans et quelques mois
quand ils entrèrent dans l'arche avec leurs
femmes ! Au reste le récit du
Déluge ne laisse aucun doute sur la vraie
durée de l'année de la primitive
humanité.
Les traditions des païens confirment
d'ailleurs la longévité des
Antédiluviens. L'historien Josèphe
s'appuie sur les témoignages de plusieurs
écrivains, dont un seul, Hésiode,
s'est conservé jusqu'à nous. Or, ce
poète grec parle d'un temps où
l'homme, à cent ans, était à
peine sorti de l'enfance
(8).
Une croissance de plus d'un siècle suppose
une taille plus haute que la nôtre. La preuve
biblique de ce fait se trouve dans le mot
hébreu RÉPHAÏM, qui signifie
à la fois ombres et géants,
parce que les premières ombres qui aient
peuplé le Schéol, ont
été les Antédiluviens à
la taille gigantesque. Au milieu de cette race
colossale se distinguaient les
Néphilim, dont la stature dépassait
encore la mesure moyenne. Toutefois nous ne devons
pas prendre à la lettre les paroles des
espions hébreux, qui, pour épouvanter
le peuple au désert, comparent les
Hanakins d'Hébron à des
Néphilim auprès desquels ils
ne paraissaient que comme des sauterelles
(Nombres XIII, 32, 33).
D'ailleurs Baruc rappelle l'existence des
géants antédiluviens, et les dix rois
chaldéens, qui sont les patriarches
sethites, passaient pareillement pour des
géants (9).
Les traditions des païens
concordent en plein avec celles des Hébreux
sur la haute taille de la primitive humanité
(10). Si les
païens ont attribué à leurs
géants une stature démesurée,
c'est qu'ils prenaient pour des ossements humains
les débris fossiles des animaux monstrueux
qui ont vécu avant l'homme.
Tels sont les détails que la Genèse
nous donne sur l'histoire de l'homme physique et de
la terre avant le Déluge. Nous ferons de ce
cataclysme le sujet d'une étude
spéciale. Il nous suffit ici de savoir qu'il
a détruit la terre primitive et que la terre
actuelle est sortie de ses eaux.
En géologie, la dernière
révolution universelle est le diluvium, qui
clôt la période des terrains
tertiaires et ouvre celle des terrains quaternaires
et des temps historiques.
Le diluvium doit donc nécessairement
être identique avec le déluge
biblique. Il ne peut exister sur ce point de doute
qu'autant qu'on fait du déluge de Noé
une simple inondation, ce qui équivaut
à en nier la réalité, car il
n'est le Déluge qu'à la condition
d'être une crise de la nature entière
et la plus grande de toutes celles qu'a subies
notre globe. La terre, depuis sa création
au premier jour, jusqu'à
sa conflagration future, n'a été et
ne sera détruite qu'une seule fois, au temps
de Noé
(11)
.
Cependant nous avons vu que les premiers animaux
sont, d'après la Genèse comme
d'après la géologie, les habitants de
la mer, et que le cinquième jour paraissait
correspondre aux terrains de transition.
II résulte de là que les trois
périodes géologiques des terrains de
transition, secondaires et tertiaires, sont
comprises dans le cinquième jour, le
sixième et la partie du septième qui
se termine par le Déluge.
Or, nous avons cru retrouver les animaux marins,
les amphibies et les oiseaux de la grauwacke et de
la houille, des roches triasiques, de l'oolithe et
de la craie, dans les êtres
créés au cinquième jour. Il ne
nous reste donc pour le sixième jour et la
période antédiluvienne que les
terrains tertiaires avec leurs trois époques
éocène, miocène,
pliocène.
II y a sans doute une disproportion choquante dans
ce partage, qui donne à un seul jour
génésiaque cinq immenses
époques géologiques, et trois
époques fort courtes seulement à un
jour et demi. Mais dans l'état actuel de nos
connaissances nous ne saurions faire mieux.
Le sixième jour commence par la
création des animaux terrestres,
c'est-à-dire des quadrupèdes, avec
une partie des reptiles.
Les premiers quadrupèdes que connaît
la géologie (si l'on néglige l'animal
équivoque de Stonefield) apparaissent dans
les plus anciens terrains tertiaires :
l'époque éocène est celle des
grands pachydermes herbivores dont les
espèces sont aujourd'hui éteintes,
pateothères, anoplothères,
lophiodons, etc. Ajoutons que les
phénomènes plutoniques ont
été très fréquents dans
ce temps-là. L'époque
éocène sera donc la première
partie du sixième
jour.
Les espèces de mammifères
créés alors ont subsisté
jusqu'au diluvium, dont le terrain renferme de
leurs ossements. M. Buckland, partant de
l'idée erronée que Noé avait
recueilli dans l'arche tous les quadrupèdes
qui existaient de son temps, et ne retrouvant pas
de palaeothères et de lophiodons dans les
terrains quaternaires et sur la terre actuelle,
avait conclu de la présence de ces animaux
dans le terrain diluvien à la non
identité du diluvium avec le déluge
biblique. Mais ce fait s'explique à notre
point de vue de la manière la plus simple,
et on ne l'aurait pas constaté par
l'observation directe, que nous aurions pu le
deviner. Car le sixième jour n'est
séparé du septième par aucun
soir cosmogonique, par aucune catastrophe
générale, et les espèces
créées au commencement du
sixième jour devaient donc subsister encore
au temps du Déluge, à moins toutefois
qu'elles n'habitassent une région peu
étendue et qu'une révolution locale
ne les eût détruites.
L'époque miocène diffère peu
de la précédente. Les pachydermes y
prédominent encore. Les mammifères
qui lui appartiennent en propre sont les plus
anciennes formes de nos genres actuels,
mastodontes, rhinocéros, tapirs, etc., avec
quelques ruminants, et avec le premier singe, qui
annonce la prochaine venue de l'homme. Nous pensons
que les deux époques éocène et
miocène correspondent à la partie du
sixième jour qui a
précédé l'apparition
d'Adam.
Adam aurait donc été
créé à l'entrée de
l'époque pliocène que clôt le
Déluge. Les arbres du paradis que Dieu avait
fait pousser des terres au moment de former
l'homme, et le blé qui apparaît dans
le récit à propos de la chute,
appartiendraient à la flore pliocène,
qui se distingue entre autres par les
premières céréales et qui ne
possède pas de vigne.
La faune de cette époque, qui se compose
des mêmes genres que la
nôtre, et d'espèces qui ne
diffèrent de nos espèces que par de
plus grandes dimensions, comprendrait entre autres
ces quadrupèdes et ces oiseaux qui ont
été créés quand Adam
habitait déjà le Paradis ; ce
sont eux qui lui ont donné ses animaux
domestiques, qui ont peuplé les
contrées de la zone tempérée
où sa postérité s'est
répandue, et qui, après avoir
traversé dans l'arche le Déluge, ont
été les souches de notre faune
historique. La haute taille des animaux
pliocènes est en harmonie avec celle des
Antédiluviens leurs contemporains, et la
stature des uns aura diminué comme celle des
autres pendant l'époque diluvienne ou
quaternaire. Ajoutons que l'on ne connaît pas
de serpents antérieurs au diluvium, et nous
avons vu que le serpent du Paradis n'était
point l'animal qui porte aujourd'hui ce nom et qui
rampe sur le ventre. Enfin, la terre
antédiluvienne subsistait au milieu de
l'eau, et à l'époque
pliocène nos continents n'avaient point
encore leurs limites actuelles, de vastes
régions étant recouvertes par les
mers.
Mais si la corrélation que nous
établissons entre l'époque
pliocène et la terre antédiluvienne,
est bien fondée, il faut que nous
retrouvions dans la série des terrains
tertiaires la distinction entre le sixième
jour qui fait partie des temps de création,
et le septième qui est un temps de
repos.
Or cette distinction, les géologues
eux-mêmes l'ont faite à leur insu
quand ils ont divisé les terrains tertiaires
en terrains inférieurs formés par
voie chimique, qui offrent dans certaines
localités des couches de trente pieds
d'épaisseur, toutes composées d'un
nombre infini de céphalopodes
microscopiques, qui donnent une idée
vraiment saisissante de la puissance de la vie
tellurique aux temps de création ; et
en terrains supérieurs formés par
voie mécanique, et qui ne sont que des amas
non cimentés de débris d'autres
roches préexistantes.
Reste la grave et difficile question des
quadrupèdes et oiseaux carnivores, et de la
terre très bonne de la fin du
sixième jour.
Cette très grande bonté de la
terre, nous croyons avant tout la retrouver dans le
temps de calme qui s'est écoulé entre
l'époque éocène, pendant
laquelle ont eu lieu de fréquentes
injections de roches plutoniques, et
l'époque pliocène, dont la fin
surtout a été signalée par de
violentes éruptions volcaniques. Les
premiers de ces phénomènes
appartiendraient au sixième soir
cosmogonique, les seconds seraient une des
conséquences de la malédiction dont
la terre a été frappée
après la chute d'Adam.
Mais ce qui constituerait surtout la très
grande bonté de la terre, ce serait
la prépondérance des
mammifères herbivores pendant les deux
époques éocène et
miocène. Cette prépondérance
est d'autant plus extraordinaire qu'elle est
précédée du règne des
sanguinaires sauriens de la période
oolithique, qui sont les monstres du
cinquième jour, et suivie de la domination
tout aussi cruelle des grands chats et des
hyènes de l'époque pliocène,
de cette époque où, d'après la
Genèse, toute chair avait corrompu sa
voie sur la terre.
C'est ainsi que, des deux parts, l'esprit
infernal de carnage triomphe d'abord dans les mers,
où de nos jours encore il est très
puissant, est ensuite entièrement vaincu sur
la terre ferme à l'apparition des premiers
quadrupèdes, et reprend de nouveau le dessus
ayant le Déluge avec un redoublement de
violence et de férocité.
Sa première victoire se rattache aux soirs
cosmogoniques et aux ténèbres du
chaos ; sa défaite, qui aurait dû
être sa totale destruction, marque le temps
où la terre s'apprêtait à son
état de relative perfection et où
l'homme a été
créé ; sa seconde victoire ne
peut être qu'une conséquence de la
chute.
Lors donc que Dieu donnait aux bêtes de la
terre et aux oiseaux des cieux pour nourriture des
végétaux, et qu'il les faisait tous
venir devant Adam, il n'y avait encore parmi eux
aucune espèce Carnivore. Les grands
carnassiers qui caractérisent
l'époque pliocène, auront
été créés
immédiatement après la chute, et
peut-être à une grande distance du
pays d'Eden.
Cette supposition concilierait certainement la
Révélation et la géologie.
Toutefois, et nous sommes les premiers à le
déclarer, ce ne sont là que les
préliminaires de la paix
définitive.
D'un côté, en effet, la Genèse
fait comparaître devant Adam tous les
quadrupèdes, et ne contient aucune allusion
à une création de bêtes
féroces postérieure à la
chute.
De l'autre, l'époque miocène compte
déjà quelques grands chats, et
l'époque éocène, des ours et
des chiens. Il faut donc laisser à la
géologie le temps de résoudre
elle-même par de nouvelles découvertes
ces difficultés, qui ne portent au reste que
sur des détails, et qui ne peuvent
détruire les grandes harmonies que nous
avons signalées.
Avant de poursuivre notre marche et
d'étudier le Déluge universel et sa
longue époque de révolutions locales,
arrêtons-nous quelques instants pour jeter un
regard sur le champ que nous venons de
parcourir.
Moïse avait transcrit en tête de son
livre le récit inspiré de la Vision
des sept jours. C'était un tableau
général de la création du
monde, mais un tableau divin, et l'homme s'obstina
de siècle en siècle à
l'interpréter comme il fait ses propres
ouvrages. Dieu nous y parlait, nous le savions, et
pourtant nous expliquions son langage par le
nôtre. Nous le rabaissions de toutes nos
forces à notre niveau, ne nous souvenant pas
que la simplicité de Dieu
est la sublimité de l'homme, et que pour la
comprendre il faut recourir à une sainte
audace et se livrer à une divine folie. Car
les pensées de l'Éternel ne sont pas
nos pensées ; nous ne pouvons les
deviner à l'avance, et quand elles nous sont
connues, c'est tout ce que nous pouvons faire que
d'en entrevoir confusément le sens.
D'ordinaire elles nous font peur par leur
hardiesse, et nous croyons leur rendre service en
les rendant quelque peu triviales. C'est ainsi que
l'on voulait que les jours de Dieu dans la Vision
fussent, comme les nôtres, de vingt-quatre
heures.
Les Pères de l'Église
eux-mêmes, les théologiens des
derniers siècles,
persévérèrent la plupart dans
cette grave erreur, jusqu'à ces derniers
temps, où les savants qui voulaient, les uns
attaquer la Genèse, les autres la justifier
(12), se mirent
à interroger la terre elle-même sur
son histoire.
Sa première réponse fut de leur
étaler les myriades d'ossements et de
débris organiques que recèle sa
surface : « L'humanité, leur
dit-elle, vit sur un cimetière. »
Ils crurent d'abord que c'était celui du
déluge de Noé, mais en le voyant
s'étendre par couches superposées
jusqu'à d'immenses profondeurs, ils
comprirent que ces étages de morts
étaient les feuillets où était
écrite l'histoire de la vie de la terre, et
ils se mirent à les déchiffrer.
Par une erreur opposée à la
première, ils prétendent maintenant
que la page du déluge de Noé leur
manque et n'existe pas ; mais ils se
raviseront certainement
bientôt.
Les découvertes qu'ils firent étaient
de continuels sujets d'admiration. C'étaient
des couches pétries d'ossements, des roches
de trente pieds de hauteur et d'une étendue
indéterminée, formées de
squelettes d'infusoires dont quarante millions
seraient contenus dans un pouce cube.
C'étaient des plantes inconnues, des animaux
marins de figures étranges, des sauriens
d'une taille gigantesque, des mammifères
dont plusieurs, au contraire, semblaient tout
pareils aux nôtres. C'était, au milieu
de bien des faits contradictoires, un certain
progrès des animaux les plus imparfaits
à l'homme. C'était une longue
succession de cataclysmes et de temps de repos,
d'époques de mort et d'époques de
vie. C'était toute une vaste
épopée qui embrassait des myriades
d'années, et dont les héros
étaient des dynasties de
vertébrés, les uns sanguinaires, les
autres doux et pacifiques, qui montaient les uns
après les autres sur le trône
où l'homme devait enfin s'asseoir.
Tout cela était si bizarre, si grandiose, si
mystérieux, que la terre reprit un peu de
son ancien crédit, dont l'avait
dépouillée l'astronomie. Cette
science traitait alors avec un souverain
mépris ce corpuscule planétaire qui
avait la prétention d'avoir
été visité par le Fils de
Dieu ; et elle le balayait dans la
poussière des mondes.
La géologie est venue le venger de ces
outrages. Elle lui a fait des destinées
telles qu'il en devient à nos yeux un monde
extraordinaire, et l'histoire de sa formation s'est
trouvée si étrange, que les annales
de l'humanité, qui font suite à
celles de la terre, doivent avoir, elles aussi,
leurs mystères. Un temple ne peut être
plus petit et plus humble que le portique qui en
décore l'entrée.
La géologie est ainsi devenue l'introduction
obligée à l'histoire de l'homme. Elle
jette en même temps de vives lumières
sur les plus hautes questions de la
philosophie.
À la vue de ces lacunes qui s'offrent
à vous quand vous réduisez en un
ordre systématique les espèces
d'animaux actuellement vivantes, et que viennent
peu à peu combler tous ces genres, tous ces
ordres éteints qui ont disparu de la terre
depuis des milliers d'années, comment ne pas
reconnaître l'existence d'une Intelligence
éternelle qui avait conçu tout le
plan du règne animal avant même d'en
avoir commencé l'exécution, et qui le
réalisait par fragments d'une période
à l'autre ?
Mais si le géologue triomphe aisément
du matérialiste, peut-il lui-même
rester simple déiste en présence de
tant de cataclysmes, de ruines et de cadavres, de
tant d'animaux carnivores, qui lui rappellent sans
cesse l'insondable question du mal physique ?
La religion naturelle, qui n'a pour résoudre
ces énigmes que le mot sans vertu
d'imperfection de la créature, n'est-elle
pas forcée dans ses derniers
retranchements ? Et ces vieilles roches qui
résonnent sous le marteau du
géologue, ne lui parlent-elles pas du Dieu
de la Bible et de sa lutte incessante contre le
péché ?
La géologie, en effet, a, comme toute autre
science, une intime affinité avec la Bible.
Elles s'attirent l'une l'autre, comme le fer et
l'aimant, elles se complètent, et en
dépit de leurs passagères bouderies,
elles s'aiment sincèrement.
Qu'est-ce que la géologie fait d'autre que
d'écrire à son insu un commentaire de
la Genèse, bien plus littéral et bien
autrement original que tous ceux que les docteurs
de l'Église avaient composés dans
leurs cabinets d'étude ? Comme elle
explique bien par ses périodes et par ses
cataclysmes les jours et les soirs de la
Vision ! Comme elle dessine bien les figures
secondaires et les mille détails des deux
derniers jours ! Quelle ampleur elle donne
à cette oeuvre des six jours, que Moïse
avait écrite tout
entière sur une seule page ! Bien plus,
elle croit ne reconstruire que l'histoire de la
terre, et il se trouve que son époque
pliocène est celle des Sethites et des
Caïnites ! Elle nous donnera dans peu de
temps la carte de leur patrie ; et
déjà nous devons associer dans notre
esprit ces Antédiluviens qui vivaient
près de mille ans, les Néphilim, les
géants, avec ces pachydermes et ces
carnassiers de haute taille dont les ossements se
retrouvent dans les dépôts
diluviens.
La Genèse, de son côté ;
révèle aux géologues le Dieu
vivant, dont ils reconnaissent l'existence,
entrevoient les perfections et ignorent les
décrets. Elle leur enseigne les
premières origines de la terre, où
leurs recherches ne peuvent atteindre. Elle leur
propose des périodes autres que les
leurs ; elle éveille leur attention par
les questions qu'elle leur adresse ; elle les
avertit de leurs erreurs quand ils se trouvent en
contradiction avec ses enseignements, et ce n'est
que d'elle qu'ils peuvent attendre quelque
lumière sur la grande énigme du mal
physique.
Enfin, si nous comparions l'histoire de la terre
à celle de l'humanité, les plus
frappantes analogies ne tarderont pas à
frapper nos regards. La terre, à son
origine, est informe, vide,
ténébreuse,
désordonnée : l'humanité
à son berceau se plonge volontairement dans
les sombres abîmes du
péché.
D'une part, trois jours d'une lumière
pâle et diffusa, avant la formation du
soleil ; d'autre part, quarante siècles
sur lesquels le Verbe, invisible dans les cieux,
répand une douce clarté, jusqu'au
moment où il se révèle dans
tout son éclat au monde sous le nom de
Soleil de justice. Là, la race
privilégiée des poissons, puis celle
des sauriens, et enfin celle des mammifères,
marchent à la tête des autres
animaux ; ici le sceptre de l'empire, le
flambeau de la civilisation, passe d'un peuple
à l'autre depuis les rives de l'Euphrate
à celles de
l'Atlantique.
La terre tend à l'homme, l'homme tend au
règne du Christ qui est le vrai homme, et
à l'organisation des nations ; des deux
parts il y a progrès, et le progrès
parcourt, dans le monde de la nature et dans celui
de la liberté, les mêmes phases de
formation, de constitution, de production, de
perfection relative, de repos, de renouvellement et
de perfection finale. Mais des deux parts aussi, il
est interrompu par quelques grandes et universelles
catastrophes qui détruisent tout un monde,
et entre deux de ces temps de ruine, par une
multitude de petits cataclysmes ou de
révolutions locales. Surtout le
progrès est d'une excessive lenteur et ne
conduit au but que par de grands
détours : la terre, pendant six
immenses périodes, a soupiré
après son roi, qui n'est venu
qu'après les plantes, qu'après le
soleil, qu'après les animaux marins et les
oiseaux, qu'après les
quadrupèdes ; l'homme pareillement a
attendu quatre mille ans le Messie, et il attend
depuis bientôt deux autres mille ans
l'avènement de son règne de
gloire.
De telles harmonies entre l'histoire de la nature
et celle de l'humanité,
n'éveillent-elles pas dans nos coeurs la
conviction que le Dieu de la
Révélation est aussi celui de la
géologie ?
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