Cyrus commença sa carrière avec
une petite armée de Perses ; non
seulement il succéda à la couronne
des royaumes de Médie et de Perse, qui se
trouvèrent ainsi réunis en lui, mais
les Hyrcaniens se soumirent volontairement à
son autorité. Il subjugua les Syriens, les
Assyriens, les Arabes, les Cappadociens, les
Phrygiens, les Lydiens, les Cariens, les
Phéniciens et les Chaldéens. Il
régna sur les Bactriens, les Indiens et les
Ciliciens, et son empire s'étendit sur la
Perse, la Paphlagonie et sur d'autres nations
encore ; il força les Grecs d'Asie, les
Cypriens et les Égyptiens, à se
soumettre à son autorité ; c'est
ainsi « qu'il terrassa les nations
(64). »
« Voici, je vais susciter contre eux les
Mèdes, qui ne feront aucune estime de
l'argent et qui ne
s'arrêteront point à l'or
(65). »
Celui qui était appelé l'oint du
Seigneur ne connaissait pas l'avarice ;
Xénophon le dépeint comme le
modèle du guerrier sage et
généreux. Ce n'était pas la
possession des richesses de Crésus et des
trésors de Babylone qui relevait le
conquérant, c'était sa
générosité. Il disait que ses
richesses ne lui appartenaient pas plus qu'à
ses amis
(66) ;
il
prouvait que le but de sa vie était de
savoir répandre et non d'accumuler des
trésors, et de pourvoir par là aux
besoins de ses serviteurs. Il faisait si peu de cas
de « l'or et de l'argent » que
Crésus lui fit observer qu'il se rendrait
pauvre à force de libéralités,
au lieu de se rendre riche par ses grands
biens.
Les Mèdes, même à cet
égard, étaient animés de
l'esprit de leur chef, et Xénophon en
raconte un trait remarquable
(67) :
Lorsque Cobryas, gouverneur assyrien dont le fils
avait été tué par le roi de
Babylone, reçut avec hospitalité
Cyrus et son armée, celui-ci, avant de le
quitter, demanda aux chefs des Mèdes et des
Hyrcaniens si, après avoir donné aux
dieux et à l'armée ce qui leur
revenait des trésors de Babylone, il ne
serait pas convenable qu'ils abandonnassent leur
part à Cobryas, en retour de sa
généreuse hospitalité. Un cri
unanime d'approbation fut la réponse qu'il
reçut ; et l'un des nobles
ajouta : « Cobryas a pu penser que
nous étions pauvres parce que nous ne
venions pas chargés de monnaies d'or, et que
nous ne portions pas avec nous des coupes d'or,
mais il apprendra maintenant que l'homme peut
être généreux sans avoir
beaucoup d'or (68). « Ils ne
s'arrêtaient point à
l'or. »
On peut aisément croire
que la reconnaissance, aussi bien que le
désir de la vengeance, porta Cobryas
à marcher contre Babylone, et ce fut lui
qui, plus tard, pénétra le premier
dans le palais du roi. « Les jugements de
l'Éternel sont un abîme mais aussi ne
sont-ils pas toujours justes ? » Sa
main fut du nombre de celles qui immolèrent
le meurtrier de son fils.
À tous les faits que nous venons de citer,
à l'appui de la vérité de la
prophétie relative au siège de
Babylone, il faut en ajouter un autre qui n'est pas
moins remarquable, c'est que, d'après le
portrait qu'ont fait de Cyrus les écrivains
profanes, jamais il n'exista de roi ou de
conquérant, soit avant soit après
lui, qui ait eu plus de
désintéressement et de grandeur
d'âme, et une politique plus saine et plus
morale, un plus haut degré
d'intégrité, ni enfin, si l'on en
excepte sa rigueur à l'égard des
Babyloniens, plus de douceur et de
générosité envers des ennemis
vaincus.
La beauté même de ce portrait a fait
croire à certaines personnes qu'il
était en partie imaginaire. Nous ne sommes
pas de cet avis, vu surtout que le langage de
l'auteur païen à qui nous devons ce
portrait coïncide parfaitement avec les
paroles du prophète.
« Ainsi a dit l'Éternel à
son oint, à Cyrus que j'ai pris par la
main droite ; c'est moi qui ai suscité
celui-ci pour la justice et je conduirai tous ses
desseins. »
Et, aussitôt après, le prophète
ajoute : « Il rebâtira ma
ville, et renverra sans rançon et sans
présents mon peuple qui y avait
été transporté, a dit
l'Éternel des armées
(69) »
En effet, ce fut lui qui publia le premier
édit en faveur de la restauration des Juifs
et de la reconstruction du temple de
Jérusalem.
Et, loin d'exiger une rançon ou des
présents, il donna l'ordre à ses
généraux et aux gouverneurs des
villes limitrophes de la Judée de fournir
aux Juifs tout l'or et l'argent dont ils auraient
besoin pour rebâtir le temple, ainsi que des
bêtes pour les sacrifices ; et cet ordre
fut exécuté à la lettre.
Avant de commencer le siège de Babylone,
Cyrus crut devoir s'assurer de l'appui des nations
qui l'entouraient. Il lui fallut d'abord marcher
contre les Égyptiens et les autres
alliés de Crésus, qu'il vainquit
après une guerre acharnée. Une fois
soumis, les Égyptiens, qui avaient
été les plus vaillants et les plus
opiniâtres de ses ennemis, lui
restèrent toujours fidèles.
L'Éthiopie formait la limite de ses
possessions à l'est.
« Ainsi a dit l'Éternel : Le
travail de l'Égypte et le trafic de Cus, et
les Sabéens, hommes de grande taille,
passeront vers toi et seront à toi :
ils marcheront après toi. » (Esaïe,
45,
14.)
« Ils se prosterneront devant
toi. » Lors de la magnifique marche
triomphale qui eut lieu après la
conquête de Babylone, et où Cyrus
apparaissait pour la première fois en public
à la tête de son armée
rangée en bataille, au milieu d'une
multitude innombrable, au moment où, sur son
char, il eut franchi la porte du palais, tous les
spectateurs, en l'apercevant, se
prosternèrent devant lui pour l'adorer.
Quelques historiens de l'antiquité
prétendent que Cyrus fut le premier homme
objet d'une semblable adoration, et c'est de
là que vint, selon eux, la coutume parmi les
peuples de l'Orient, et surtout chez les
Mèdes et les Persans, de se laisser tomber
ou de se prosterner devant les monarques. Que cette
opinion soit fondée ou non, du moins elle
vient à l'appui de ce qu'il y eut à
la fois de remarquable et de mémorable dans
l'adoration que l'on rendit à
Cyrus.
« Et ils te rendront hommage. »
L'adoration, Dieu seul y a droit ; mais
l'adoration même ne put troubler la
sérénité d'esprit qui
distinguait Cyrus ; sa clémence et sa
bonté brillaient d'un éclat plus vif
encore que celui de son diadème. La plupart
de ceux qu'il avait soustraits au joug du roi de
Babylone, qui, orgueilleux comme Lucifer,
s'était toujours montré sourd aux
cris des opprimés et impitoyable envers ses
prisonniers, vinrent sur son passage, à
travers la foule frappée d'admiration, lui
présenter des suppliques, chacun selon ses
besoins. Ces suppliques étaient en si grand
nombre que ne pouvant y faire droit
simultanément, et voulant allier la
miséricorde à la prudence, la
générosité à la
justice, il fit placer trois porte-sceptre aux
trois côtés de son char, et leur donna
l'ordre de publier, en son nom, qu'il autorisait
tous ceux qui avaient des demandes à lui
faire à s'adresser dans ce but à ses
généraux ou à ses amis. Ces
derniers étaient chargés de lui
soumettre tous les cas dignes de son attention.
Telle fut la première conquête de
Babylone, tel en fut le premier
conquérant ; ainsi s'accomplit ce qui
avait été prédit de l'un et de
l'autre.
« Qui ne retourne point à vide
(70). »
Les murailles de Babylone étaient
incomparablement les plus élevées et
les plus fortes qui eussent jamais
été construites par l'homme. On leur
avait donné cette prodigieuse hauteur afin
qu'il n'y eût pas la moindre
possibilité que Babylone fût prise. Et
cette confiance semblait pleinement
justifiée lorsque, retranchés dans
leurs forteresses, les habitants de Babylone, qui
ne voulaient pas courir la chance d'une bataille,
se moquaient de l'innombrable multitude qui
entourait leur ville, et se
voyaient ainsi hors de l'atteinte de tous les dards
des Parthes. Toutefois, quoique cette orgueilleuse
assurance que la ville ne pourrait jamais
être prise semblât presque devoir se
réaliser, Babylone fut
assiégée plusieurs fois après
la prédiction du prophète, et jamais
sans succès. Il est vrai que d'abord Cyrus
en leva le siège, mais ce ne fut que pour y
revenir « avec les nations qu'il avait
suscitées contre elle ; et il ne
retourna point à vide. »
Cette prophétie se trouve ainsi accomplie
non seulement par lui, mais encore par tous ceux
qui lui succédèrent. Babylone tomba
devant quiconque leva le bras contre elle.
Et cependant sa grandeur ne s'effaça pas, sa
gloire ne disparut pas tout à coup. Cyrus ne
fut pas son destructeur ; il essaya au
contraire de lui conserver, par des institutions
sages, la prééminence parmi les
nations ; il la laissa à son successeur
dans toute sa force et toute sa magnificence. Mais,
après s'être révoltés
contre Darius, les Babyloniens se
préparèrent à soutenir un
nouveau siège et défièrent
toute la puissance réunie de l'empire
perse.
Déterminés à ne pas se rendre,
et résolus à ne pas céder
même à la famine, ils eurent la
cruauté de mettre à mort toutes les
femmes de la ville, à l'exception de leurs
mères et d'une seule femme, la plus
chérie dans chaque famille, pour cuire le
pain. On rassembla toutes les autres et on les
étrangla (71). « Ces
choses
t'arriveront en un moment, en un même jour,
la privation d'enfants et le veuvage ; elles
sont venues sur toi dans tout leur entier, pour le
grand nombre de tes sortilèges et pour la
grande abondance de tes enchantements. Et tu t'es
confiée en ta malice. »
Certes ces choses vinrent sur eux
dans tout leur entier, lorsqu'ils
étranglèrent leurs femmes et leurs
enfants de leurs propres mains. Et ce fut encore
cette fois « subitement, en un même
jour, » que toutes ces victimes
périrent ; le veuvage fut si
général que plus tard il fallut
rassembler des provinces éloignées
50,000 femmes pour remplacer celles qui furent
alors massacrées. La « privation
d'enfants » fut d'autant plus sentie que
ce furent les mères qu'on épargna et
qui restèrent pour les pleurer. Ils se
confièrent en vain « à leur
malice ; » car en devenant ainsi les
instruments de l'exécution d'un des
jugements qui devaient fondre sur eux, ils ne
diminuaient pas la grandeur de leurs
iniquités ; et c'était à
cause de ces iniquités mêmes que
d'autres malheurs allaient fondre sur Babylone.
Les habitants se croyaient en état de
défier la famine. Le stratagème de
Cyrus ne pouvait plus être un piège
pour eux ; il leur était facile de
déjouer un semblable projet ; cependant
ce ne fut « pas en vain » que
Darius assiégea Babylone.
Dans le vingtième mois du siège, un
Perse, couvert de marques de mauvais traitements,
le corps ruisselant de sang, le nez et les oreilles
coupés, se présenta seul devant une
des portes de Babylone ; objet digne de
pitié, il devait être sinon un grand
criminel, du moins la victime d'une affreuse
cruauté. Il s'était
échappé du camp ; ce
n'était pas un déserteur obscur,
qu'on aurait naturellement repoussé loin des
murs de la ville ; c'était Zopyre, un
des principaux seigneurs du royaume de Perse. Il
assura aux Babyloniens qu'il n'avait pas
reçu ce traitement comme châtiment
d'aucun crime, mais que ces blessures dont son
corps était sillonné n'étaient
autre chose que les traces du déplaisir et
de la colère du roi, parce qu'il lui avait
donné le conseil de lever
un siège dont il
considérait la réussite comme
impossible. Cet avis avait, dit-il,
réveillé toutes les craintes et
blessé l'orgueil du monarque, et toute sa
fureur s'était épuisée sur son
fidèle conseiller. Pour un esprit altier
comme le sien, la honte était pire que la
souffrance, et il venait maintenant se joindre aux
rebelles, le coeur brûlant du désir de
la vengeance. « Je viens, leur dit-il,
vous faire un grand bien, et en même temps un
grand mal à Darius, à son
armée et à toute la Perse. L'outrage
que j'ai reçu ne restera pas sans
vengeance ; car je connais ses projets et je
vous les communiquerai. »
Avec de telles promesses et de telles paroles, les
Babyloniens ne songèrent pas à douter
seulement de la sincérité de Zopyre,
ni de son dévouement à leur cause,
puisque cette cause semblait s'identifier à
son espoir de vengeance. Il ne voulait que
combattre contre leurs propres ennemis. Sur sa
demande, on lui confia sans hésitation un
commandement militaire. Ce n'était pas alors
une vertu que de pardonner le mal, et la vengeance
était en honneur.
Zopyre fit espérer aux Babyloniens qu'il
parviendrait bientôt à se venger de
celui qui l'avait si cruellement fait souffrir.
À leur grande joie, dix jours après
son arrivée dans la ville, une occasion
favorable se présenta ; il fit une
sortie par la porte de Sémiramis, tomba sur
un détachement de l'ennemi et lui tua 3,000
hommes ; et, sept jours plus tard, deux fois
autant périrent près de la porte de
Ninias. Les habitants de Babylone sentirent alors
renaître leur courage et leur ardeur.
Les louanges de Zopyre étaient dans toutes
les bouches ; on lui accorda un commandement
supérieur ; mais pendant vingt jours
les Perses, devenus plus craintifs, ne
prêtèrent nulle part
le flanc à une
attaque ; au bout de ce temps Zopyre se montra
digne d'une confiance plus grande encore par une
sortie qu'il fit faire par la porte de
Chaldée, et dans laquelle il tua 4,000
soldats ennemis. Pour le récompenser de
pareils services, et pour prouver la haute estime
qu'on avait pour sa fidélité, sa
bravoure et son habileté, non seulement on
lui accorda le commandement en chef de
l'armée, mais encore on lui confia le poste
le plus important et le plus honorable de Babylone,
celui de gardien des murailles
(72).
Darius, comme pour se mettre à l'abri de ces
surprises et de ces pertes inutiles, se rapprocha
des murs de la ville. On les garnit de troupes
suffisantes pour résister aux attaques, mais
la perfidie de Zopyre, dont les Babyloniens et les
Perses ne se doutaient pas plus les uns que les
autres, se fit alors connaître. À
peine l'ennemi s'était-il approché,
à peine les citoyens étaient-ils
arrivés sur les murailles, que Zopyre,
à qui était confiée la garde
des portes, fit ouvrir celles qu'on appelait
Cissiènes et Bélides, et
auprès desquelles les troupes d'élite
des Perses étaient stationnées
(73). C'était
un piège
préparé d'avance ; Darius en
connaissait seul le secret ; Zopyre l'avait
conçu et c'était de lui-même et
de son plein gré qu'il s'était
mutilé. À la gloire d'un tel
dévouement on ajouta de grands honneurs et
d'immenses richesses ; et on lui accorda le
gouvernement de Babylone exempt de tout tribut.
On avait arrangé d'avance le nombre d'hommes
qu'il fallait sacrifier, la position que les
troupes devaient occuper, et l'intervalle entre les
sorties était aussi fixé. Darius
sacrifia aussi facilement la vie de 7,000 hommes
que Zopyre s'était
infligé des blessures incurables.
« C'est ainsi, dit Hérodote, que
Babylone fut prise une seconde fois. » Et
ce fut ainsi que la parole de Celui qui voit la fin
de toutes choses dès le commencement fut une
seconde fois accomplie contre Babylone :
« Il ne retournera point à
vide. »
Babylone fut prise une troisième fois par
Alexandre-le-Grand. Mazoeus, général
perse, lui rendit la ville, et il y entra à
la tête de son armée rangée en
ordre de bataille
(74).
Encore
une fois elle « fut remplie
d'hommes ; » chacun d'eux
« fut rangé en homme de guerre
contre elle. » Le siège d'une
ville défendue par d'aussi superbes
fortifications (75) aurait été
une
entreprise difficile et pénible, même
pour le conquérant de l'Asie ; mais les
habitants de Babylone se
précipitèrent sur les murailles en
toute hâte pour voir leur nouveau roi, et ils
échangèrent sans lutte le roi de
Perse pour le roi de Macédoine. Babylone fut
ensuite prise par Antigone, par
Démétrius, par Antiochus-le-Grand et
par les Parthes. Ainsi, quel que fût le roi
ou la nation qui marchât contre elle,
« personne ne retourna à
vide. »
Chaque pas de la décadence de Babylone est
l'accomplissement d'une prophétie. Conquise
la première fois par Cyrus
(76), elle
cessa d'être ville impériale et ne fut
plus qu'une ville tributaire. « Descends,
assieds-toi sur la poussière, vierge, fille
de Babylone, assieds-toi à terre ; il
n'y a plus de trône pour la fille des
Chaldéens. »
Après la révolte des Babyloniens
contre Darius, les murs furent baissés et
les portes détruites
(77).
La
muraille même de Babylone est
renversée. »
Xerxès, après sa retraite
ignominieuse de la Grèce, pilla le temple de
Babylone (78), dont
les idoles en or
étaient seules estimées à
500,000,000 de francs, et s'empara en outre de
vastes trésors. « Je punirai aussi
Bel à Babylone et je tirerai hors de sa
bouche ce qu'il avait englouti. »
« Je punirai les images taillées
de Babylone
(79). »
Alexandre-le-Grand entreprit de rétablir
Babylone dans sa gloire première, et eut
l'idée d'en faire la métropole d'un
empire universel; mais pendant que plusieurs
milliers d'hommes étaient employés
à rebâtir le temple de Bélus et
à réparer les quais de l'Euphrate
(80), le
conquérant du monde mourut à la fleur
de son âge et à l'apogée de sa
grandeur. « Prenez du baume pour sa
douleur, peut-être qu'elle
guérira ; nous avons traité
Babylone, et elle n'est point guérie
(81). »
Patrocle, gouverneur de Babylone sous
Séleucus, l'un des successeurs d'Alexandre,
ayant appris que son ennemi Démétrius
s'approchait rapidement à la tête
d'une armée considérable, et n'ayant
lui-même qu'un petit nombre de troupes
à sa disposition, n'osa pas l'attendre, mais
donna l'ordre aux Babyloniens de quitter la ville
et de « fuir au désert
(82). »
De son côté, il alla camper avec son
armée dans les marais de l'Euphrate,
persuadé qu'il y serait plus en
sûreté que derrière les murs de
Babylone. À son entrée dans cette
ville, Démétrius, qui y était
arrivé avec la rapidité d'un torrent
qui se déborde, la trouva
complètement déserte.
« Voici, il montera comme un lion monte,
à cause du débordement du
Jourdain vers la demeure forte,
et en un moment je le ferai courir sur elle
(83). »
Babylone ne tarda pas à revoir ses
habitants, mais le voisinage de la ville de
Séleucie lui fut désormais fatal, en
lui enlevant une partie de sa population. Tel
était en effet, comme Pline le rapporte, et
comme l'ont depuis longtemps observé les
auteurs chrétiens, le but que s'était
proposé le fondateur de Séleucie, et
c'est surtout à la fondation de cette ville
qu'il faut attribuer le déclin de Babylone
(84).
Ptolémée Evergète, qui
étendit ses conquêtes au-delà
de l'Euphrate, fit transporter en Égypte
2,500 idoles, au nombre desquelles il s'en trouvait
plusieurs que Cambyses, roi de Babylone, avait
autrefois enlevées aux Égyptiens
(85).
À une époque plus rapprochée,
environ 130 ans avant l'ère
chrétienne, Phrahates, roi des Parthes,
s'étant vu obligé, comme le rapporte
Justin, de marcher contre les Scythes qui
ravageaient son territoire, délégua
son autorité entre les mains d'un certain
Himère. Cet homme, que sa beauté
seule avait recommandé à la faveur de
Phrahates, oublia son origine obscure et ses
devoirs de gouverneur, et opprima cruellement les
Babyloniens et les autres peuples soumis à
ses caprices
(86).
Phrahates
périt dans son expédition contre les
Scythes, et son oncle, qui lui succéda,
étant mort en combattant les Thogares,
Mithridate-le-Grand, son fils, fut aussitôt
proclamé roi de Parthie.
Diodore de Sicile parle, par inadvertance sans
doute, de Evemère ou Humère comme
d'un roi des Parthes, ajoutant toutefois qu'il
était Hyrcanien de naissance : mais
qu'il rapporte de sa cruauté envers les
babyloniens prouve abondamment que les jugements
prononcés par les prophètes contre
Babylone continuaient de recevoir leur pleine
exécution.
"En méchanceté, dit cet historien, il
surpassa les tyrans les plus cruels : il n'est
pas de supplice imaginable auquel il n'est eu
recours.. Sans la plus légère cause,
il fit charger de chaînes un grand nombre de
Babyloniens, et les envoya avec leurs femmes et
leurs enfants en Médie, ordonnant qu'on
vendit tout ce qu'ils possédaient, et, au
besoin, qu'on les vendit eux-mêmes comme
butin. Il incendia le forum de Babylone ainsi que
plusieurs temples de cette ville dont il
détruisit la plus belle partie
(87) »
« Il n'y a plus de trône pour la
fille Chaldéens, car on ne parlera plus de
ta mollesse et de ta délicatesse. Met la
main aux meules, et fais moudre la farine,
etc. »
Cette prophétie est
également interprétée par
Grotius et Lowth de la manière suivante,
mais que ces deux auteurs fassent
de rapprochement entre le fait de
l'esclavage ou de la servitude des
Babyloniens et la prophétie
elle-même.
« Prépare-toi pour des offices
serviles (88).
De maîtresse de plusieurs royaumes, tu
deviendras une vile esclave ; tes enfants
seront, dans leur captivité, employés
à moudre la farine : et cette
occupation était considérée
comme la plus basse de toutes (voir Exode,
XI ; Juges,
XVI,
21). Elle correspondait
au pistrinum, emploi de celui qui tournait
la meule chez les Romains
(89). »
Himère, le plus cruel des tyrans, qui
exerça toutes les cruautés
imaginables envers les Babyloniens, et qui en
réduisit un grand nombre en esclavage, dut
nécessairement les soumettre aux travaux les
plus vils de cet état. « Je ferai
cesser l'arrogance de ceux qui se conduisent avec
fierté, et j'abaisserai l'orgueil de ceux
qui se font redouter. »
Dans « leur fuite soudaine »
à l'approche de
Démétrius, quelques-uns des habitants
de Babylone quittèrent l'Euphrate et se
réfugièrent au désert ;
d'autres passèrent le Tigre pour se rendre
dans la Susiane. Quant à Patrocle et
à ses soldats, ils trouvèrent leur
salut au milieu des marais, des fossés et
des rivières qu'ils furent obligés de
franchir dans leur retraite
précipitée.
Après avoir réduit un grand nombre de
Babyloniens à l'esclavage, Himère les
exila en Médie, « pays
situé au-delà du Tigre, du Choaspe et
des rivières qui en sont
tributaires ; » mais d'abord il
ordonna que l'on vendît leurs effets
précieux ; aussi bien, les ornements
riches et éclatants de la fille de Babylone
ne convenaient plus à de malheureux
exilés, ni à l'état abject et
aux travaux auxquels ils étaient soumis. Les
ordres de leurs gouverneurs étrangers
recevaient leur exécution ; mais il
avait été depuis longtemps
écrit de la fille des
Chaldéens : « Découvre
tes tresses, déchausse-toi, trousse-toi,
passe les fleuves, etc. Et tu as dit :
« Je serai reine à toujours ;
tellement que tu n'as point mis ces
choses-là dans ton coeur, tu n'as point
pensé à ce qui t'arriverait un jour
(90). »
Xerxès, roi de Perse, dépouilla les
temples de Babylone des idoles qui s'y trouvaient.
Elles étaient en si grand nombre que leur
poids en or s'éleva à 400,000 livres.
Nous avons dit plus haut que Ptolémée
Evergète, ayant étendu ses
conquêtes au-delà de l'Euphrate, en
rapporta à son retour
précipité en Egypte, où il
avait été subitement rappelé,
2,500 idoles.
Lorsque les Babyloniens abandonnèrent leur
ville natale pour s'établir à
Séleucie, qui était à environ
seize lieues de Babylone, et lorsque plus tard ils
se virent obligés de se rendre en
Médie
avec tout ce qu'ils possédaient (),
il
est probable que, malgré
les difficultés du transport, ils ne
laissèrent pas derrière eux leurs
dieux domestiques. On doit supposer au contraire
qu'après avoir vu brûler leurs
temples, les Babyloniens, toujours idolâtres,
et condamnés désormais à un
esclavage et à un bannissement
perpétuels, emmenèrent un grand
nombre de leurs idoles dans le pénible
pèlerinage qu'ils firent vers la terre
d'exil, au pays lointain de leurs ennemis. Aussi
avait-il été écrit :
« Leurs faux dieux ont été
mis sur des bêtes et sur des chevaux ;
les idoles que vous portiez les ont chargés,
elles ont été un fardeau aux
bêtes lassées. Elles ont
« été renversées,
elles sont tombées ensemble sur leurs
genoux, elles n'ont pu éviter d'être
chargées. »
« Et elles-mêmes sont allées
en captivité
(91). »
La Médie fut dès le commencement
appelée à prendre part au
siège de Babylone ; car l'esprit de
Dieu était tourné contre Babylone
pour la détruire. Et quand les temps furent
accomplis, c'est-à-dire 308 ans après
le siège de cette ville, et 582 ans
après la prophétie, les Babyloniens
furent en effet « envoyés
captifs » en Médie.
Himère, natif d'Hyrcanie, et à peine
alors au sortir de l'enfance, dut à sa
beauté (flore pueritiae) d'être
nommé gouverneur pendant l'absence du roi.
Oubliant son origine, il abusa tellement du pouvoir
auquel il avait été subitement
élevé, qu'il surpassa tous les tyrans
en cruauté. Et si, d'un côté,
sa méchanceté raffinée ne
faisait que remplir la coupe d'amertume
préparée de longue date aux
Babyloniens, de l'autre, on peut lui appliquera
lui-même les paroles du
prophète :
« Si les plus petits du
troupeau, dit-il, ne les traînent par terre,
et si on ne détruit leurs cabanes sur eux
(92) ! »
Sa jeunesse et la cause ridicule de son
élévation au pouvoir nous le montrent
indubitablement comme « le plus petit du
troupeau, » et en exécutant
« la résolution que
l'Éternel avait « prise contre
Babylone, » on ne peut nier
« qu'il ne les ait traînés
par terre, qu'il n'ait détruit leurs cabanes
sur eux. »
Il les renvoya de Babylone avec tout ce qu'ils
possédaient. Mais cette émigration
forcée avait été
précédée, comme elle fut
suivie, d'une émigration volontaire de la
part d'un grand nombre de Babyloniens qui
s'établirent à Séleucie, selon
ce qui avait été prédit :
« Tant les hommes que les bêtes se
sont enfuis et s'en sont allés
(93). »
Avant la destruction du temple de Bélus,
bâti dans le principe pour fixer la race
humaine dans les plaines de Shinar, avant que les
temples des dieux et les riches palais des
habitants de Babylone eussent été la
proie des flammes, on conçoit que les
Babyloniens n'aient pu se décider à
s'en éloigner. Mais le jugement de Dieu
devait s'appesantir sur leurs temples magnifiques,
non moins que sur eux-mêmes et sur les vains
objets de leur coupable idolâtrie. Les
devins, les astrologues, ceux qui faisaient des
pronostics mensuels, ne purent détourner des
habitants les calamités qui s'amoncelaient
sur leurs têtes, car le temps était
venu où les temples des Babyloniens ne
devaient plus leur servir de lieux forts et de
retraites, où tous leurs efforts, soit pour
soustraire à leur sort les malheureux
habitants, soit pour sauver leurs demeures,
devaient être aussi inutiles que leur science
était vaine. En effet, il est
expressément
rapporté qu'Himère mit le feu au
forum et à plusieurs temples, et qu'il
détruisit la plus belle partie de la
ville.
« Voici, ils sont devenus comme de la
paille ; le feu les a
brûlés ; ils ne
délivreront point leur âme de la
violence de la flamme
(94).
« Ainsi, a dit l'Éternel, les
peuples auront travaillé pour néant,
et les nations pour le feu, et elles s'y seront
lassées
(95). »
« Je punirai aussi Bel à Babylone,
et je tirerai de sa bouche ce qu'il avait englouti,
et les nations n'aborderont plus vers lui
(96). »
« C'est la vengeance de
l'Éternel ; vengez-vous d'elle,
faites-lui comme elle a fait. »
« Malheur à eux, car le jour est
venu et le temps de leur visitation. On entend la
voix de ceux qui s'enfuient et qui sont
échappés du pays de Babylone pour
annoncer dans Sion la vengeance de l'Éternel
notre Dieu, la vengeance de son temple.
Rendez-lui selon ses oeuvres, faites-lui selon tout
ce qu'elle a fait, car elle s'est
élevée avec fierté contre
l'Éternel, contre le Saint d'Israël
(97).
« Mais je rendrai à Babylone et
à tous les habitants de la Chaldée,
à vos yeux, tous les maux qu'ils ont faits
dans Sion, dit l'Éternel. »
Le Dieu fort des rétributions,
l'Éternel ne manque jamais à rendre
la pareille
(98.)
Les faits relatifs au siège de
Jérusalem et à la captivité
des Juifs se sont, comme nous l'avons vu,
substitués aux prédictions, et nous
pouvons désormais établir un
parallèle entre la conduite des Babyloniens
et le châtiment qu'elle leur attira.
« Et l'Éternel envoya contre lui
des troupes de Chaldéens, et des troupes de
Syriens, et des troupes de Moabites, et des troupes
d'Ammonites, et il les envoya, dis-je, contre Juda
pour « le
détruire
(99). »
Aussitôt que le jour de la rétribution
fut arrivé, la plupart des grandes nations
comprises entre l'Egypte et la mer Caspienne, entre
la Lydie et le golfe Persique, marchèrent
d'un commun accord contre Babylone.
« Nébucadnetzar, roi de Babylone,
vint contre Jérusalem, lui et toute son
armée, et il campa contre elle, et ils
bâtirent des forts tout autour, et la ville
fut assiégée
(100). »
Cyrus, après avoir réuni les nations
de l'Asie contre Babylone, alla camper autour de
ses murailles ; en un mot, il fit le
siège de cette ville qui avait
été si longtemps la terreur des
nations.
« Ils prirent donc le roi, et le firent
monter vers le roi de Babylone à Ribla,
où on lui fit son procès, et on
égorgea les fils de Sédécias
en sa présence... Le prévôt de
l'hôtel emmena aussi Séraja, premier
sacrificateur ; et Sophonie, second
sacrificateur ; et les trois gardes des
vaisseaux. Il emmena aussi de la ville un officier
qui avait la charge des gens de guerre, et cinq
hommes de ceux qui étaient près de la
personne du roi qui furent trouvés dans la
ville ; de plus le secrétaire du
capitaine qui tenait les rôles du peuple, du
pays et soixante hommes d'entre le peuple, qui
furent trouvés dans la ville.
Nebuzar-Adan les mena au roi de Babylone... et le
roi de Babylone les frappa et les fit
mourir. »
Or, pendant la nuit où Babylone fut prise,
le roi fut mis à mort avec un grand nombre
de ses principaux officiers. Et le massacre des
gouverneurs d'Israël fut amplement
vengé par Darius, qui, selon
Hérodote, fit empaler 3,000 des plus
notables habitants de Babylone
(101).
« Et toute l'armée qui
était avec le prévôt de
l'hôtel démolit les
murailles de Jérusalem
tout autour. »
C'est ainsi que plus tard Darius démolit
à son tour les murailles de Babylone.
« Nébucadnetzar emporta aussi
à Babylone des vases de la maison de
l'Éternel, et il les mit dans son temple
à Babylone (102). »
Cyrus, Xerxès et Darius s'emparèrent
successivement des trésors du temple de
Bélus. Ces princes, adorateurs du feu,
furent les instruments de la vengeance
prédite contre le temple de Babylone au
sujet de la destruction de celui de
Jérusalem ; enfin Bel fut
dépouillé de tout ce qu'il contenait
d'objets précieux, ses idoles furent
brisées, et ce qu'il avait englouti lui fut
arraché de la bouche.
« Nebuzar-Adan, prévôt de
l'hôtel, officier du roi de Babylone, entra
dans Jérusalem, et il brûla la maison
de l'Éternel, et la maison royale, et toutes
les maisons de Jérusalem, et il mit le feu
à toutes les maisons des grands
(1). »
Himère, vice-gouverneur du roi des Parthes,
incendia le forum et quelques-uns des temples de
Babylone, et détruisit la plus belle partie
de la ville.
« Ils continuèrent de plus en plus
à commettre de grands crimes... ils se
moquaient des envoyés de Dieu, etc... C'est
pourquoi il fit venir contre eux le roi des
Chaldéens, etc...
il les livra tous entre ses mains
(2). »
Les Juifs captifs « furent les esclaves
du roi des Chaldéens et de ses enfants. On
ne laissa pour labourer la terre et tailler la
vigne que les plus pauvres des habitants du pays,
et eux aussi furent les serviteurs du roi de
Babylone. »
Voyons maintenant ce qui arriva aux
conquérants, après avoir
été eux-mêmes vaincus par
Cyrus.
Ce prince déclara lui appartenir les biens
ainsi que les personnes des Babyloniens.
Après la prise de leur
ville, il exigea qu'ils lui livrassent leurs armes
sous peine de mort. Un autre décret les
obligea à cultiver la terre, à payer
le tribut, à servir ceux dont ils devenaient
la propriété ; et Cyrus voulut
que les Persans et leurs alliés parlassent
en maîtres à leurs nouveaux esclaves.
Dans une allocution qu'il fit à ses
généraux, il maintint que tout leur
appartenait par droit de conquête, comme par
une loi éternelle ; qu'ils pouvaient
par conséquent se considérer comme
les possesseurs légitimes d'un pays vaste et
fertile, et d'un peuple qui le cultiverait à
leur profit.
Après avoir vécu pendant plusieurs
années dans cet état de
dépendance, les Babyloniens finirent par se
révolter contre leurs oppresseurs, et
s'exposèrent de la sorte à un
« esclavage » aussi humiliant
et aussi pénible que celui qu'ils avaient
autrefois imposé à leurs ennemis. Ils
avaient soumis les Juifs « à une
dure servitude, » ils n'en avaient pas eu
pitié, mais « les avaient
asservis. »
Cyrus à son tour, afin de s'assurer de la
soumission des Babyloniens, les réduisit
à l'état le plus misérable. Le
peuple idolâtre avait autrefois exercé
d'indicibles cruautés contre les adorateurs
du Dieu d'Israël, et maintenant de pareilles
cruautés étaient exercées
contre lui par les adorateurs du feu et les ennemis
de l'idolâtrie.
Et si jadis Israël fut traité sans
miséricorde, aujourd'hui c'est Himère
qui n'a « pas de pitié pour les
habitants de Babylone. Babylone qui avait
mené Judas en captivité, qui frappait
avec fureur les peuples de coups qu'on ne pouvait
détourner », devient
elle-même victime de la colère qu'elle
avait provoquée ; elle est sans cesse
frappée de coups, comme l'aire où
l'on bat le blé. Elle continua de
gémir dans cet état, et d'être
l'opprobre des nations pendant les quatre cents ans
qui s'écoulèrent
depuis que Cyrus en fit la conquête, jusqu'au
jour où ses habitants, condamnés
à expier le crime qu'avaient commis leurs
ancêtres en détruisant le temple du
Seigneur, se virent eux-mêmes réduits
à l'esclavage et chassés de Babylone
à la lueur de leurs temples
incendiés.
C'est ainsi que cette ville aux palais
dorés, et qui avait jadis fait la loi
à Jérusalem, fut pendant plusieurs
siècles dans un état voisin de sa
ruine. En vain Cyrus voulut lui rendre son ancien
éclat en y fixant le siège de son
empire ; les rois de Perse, ses successeurs,
préférèrent habiter Suse,
Persépolis ou Ecbatane, villes
situées dans leur propre pays. Les
successeurs d'Alexandre ne s'occupèrent pas
non plus d'achever ce que ce conquérant
avait fait pour rendre à Babylone sa
prééminence et sa grandeur ; et,
après la subdivision de son immense empire,
Babylone se vit préférer
Séleucie, même par les rois d'Assyrie
durant leurs excursions en Chaldée.
C'est ainsi que sous la domination persane et, plus
tard, sous la domination des Grecs, les habitants,
suivant l'exemple de leurs rois,
abandonnèrent la ville de Babylone comme si
vraiment ils se fussent dit :
« Laissez-la et nous en allons chacun
dans son pays, car sa condamnation est parvenue
jusqu'aux cieux et « s'est
élevée jusqu'aux nues. »
(Jér.,
L.)
Mais il y avait des malédictions
prononcées contre la terre de Chaldée
aussi bien que contre sa capitale, et, en examinant
leur accomplissement, nous parviendrons à
connaître toute l'étendue de la
désolation actuelle de Babylone.
« Ils viennent d'un pays
éloigné, du bout des cieux, pour
détruire le pays. Car de grands rois aussi
et de grandes nations les
assujettiront. »
Les Perses, les Macédoniens, les Parthes,
les Romains, les Sarrazins et les Turcs, sont les
principaux peuples qui ont
successivement régné sans
pitié sur la terre de Babylone. Cyrus et
Darius, rois de Perse, Alexandre-le-Grand,
Séleucus, rois d'Assyrie,
Démétrius et Antiochus-le-Grand,
Trajan, Sévère, Julien et
Héraclius, empereurs de Rome, et le
victorieux Omar, successeur de Mahomet, Holagouet
Tamerlan, voilà les grands rois qui ont tour
à tour asservi et détruit tout le
pays, et qui ont exigé un tribut inouï
dans l'histoire des nations de la terre. Plusieurs
de ces peuples n'existaient pas au temps des
Babyloniens, et d'autres étaient
entièrement inconnus à
l'époque de la prophétie ;
cependant il est facile de voir maintenant que la
plupart de ces rois et de ces nations
« sont venus d'un pays
éloigné, du bout des
cieux. »
« Ils sont cruels, ils ne sont que fureur
et ardeur de colère pour réduire le
pays en désolation. »
Les Perses exerçaient à l'envi, avec
les Parthes, leur cruauté contre leurs
ennemis vaincus. Trois mille Babyloniens furent
empalés par l'ordre de Darius. Les
conquérants de Macédoine
n'étaient guère portés
à la miséricorde ; Antigone et
Séleucus se disputèrent longtemps la
possession de la Chaldée ; et
après la longue domination des
Séleucides les Parthes, connus par leur
cruauté, y commirent toutes sortes
d'excès.
Au deuxième siècle de l'ère
chrétienne, les Romains, venus
« d'un pays
éloigné, »
continuèrent à
« réduire le pays en
désolation, » et accomplirent
aussi la parole du prophète.
« Sous le règne de Marcus, les
généraux romains
pénétrèrent jusqu'à
Ctésiphon et à Séleucie. La
colonie grecque les reçut en amis ; ils
attaquèrent en ennemis la capitale du roi
des Parthes ; mais les deux villes subirent le
même sort. Le sac et l'incendie de
Séleucie et le massacre de 30,000 de ses
habitants ternirent la gloire du triomphe.
Séleucie ne se releva plus
après cette chute ; mais trente-trois
ans plus tard Ctésiphon avait
recouvré assez de force pour soutenir un
siège que lui fit l'empereur
Sévère. Ctésiphon fut trois
fois assiégée et trois fois prise par
les prédécesseurs de Julien
(3). »
Et lorsque Julien vint y mettre le siège, sa
colère ne fut pas apaisée, et la
cruauté de son armée ne fut pas
diminuée par la résistance que les
habitants de Ctésiphon firent
éprouvera 60,000 assiégeants.
L'empereur Julien abandonna les champs de l'Assyrie
aux dévastations de la guerre, et le
philosophe se vengea ainsi sur un peuple innocent
de la rapine et de la cruauté que son
orgueilleux maître avait exercées dans
les provinces romaines.
Les Perses purent contempler du haut des murs de
Ctésiphon la désolation de tout le
pays environnant (4). La violence
avec laquelle les
Romains exercèrent leur vengeance contre les
habitants de la Chaldée souleva
« l'ardeur de leur
colère, » et ces deux causes se
réunirent pour rendre la désolation
du pays plus complète et plus
générale. La vaste étendue de
territoire qui se trouve entre le Tigre et les
montagnes de Médie était couverte de
villages et de villes, et le sol
généralement fertile était
encore enrichi par une bonne culture ; mais
à l'approche des Romains cet aspect riant
fut tout à coup changé.
Partout sur leur passage, les habitants,
désertant leurs villages, se
réfugiaient dans les villes
fortifiées ; on chassait le
bétail, on mettait le feu à l'herbe
et au blé déjà
mûr ; et dès que les flammes qui
interrompaient les progrès de Julien eurent
diminué, il ne vit plus autour de lui que le
triste spectacle d'un désert aride et
embrasé (5). Mais
la seconde ville de la
province, grande, populeuse et bien
fortifiée, chercha en vain
à résister à une attaque
violente et désespérée ;
on parvint à faire une large brèche
aux murailles ; les soldats de Julien se
précipitèrent avec
impétuosité dans la ville, et
après que le soldat eut assouvi toutes ses
passions désordonnées,
Périsabor fut réduite en cendres, et
on planta les machines qui devaient servir à
l'assaut de la citadelle sur les murs encore
fumants des habitations des citoyens
(6).
Lorsque, dans la suite, les Romains, sous la
conduite d'Héracliu, arrivèrent
jusque devant la capitale royale de Destagered, et
se répandirent sur toute la Chaldée,
jusqu'à Ctésiphon, ils
incendièrent tout ce qu'ils ne purent pas
emporter, afin de faire subir à
Chosroës le même traitement qu'il avait
si souvent fait éprouver aux provinces de
l'empire romain ; ce qui aurait pu être
juste, dit Gibbon, si cette destruction
s'était bornée aux objets de luxe et
de magnificence royale, et si la haine nationale ,
la licence militaire et le fanatisme religieux ne
s'étaient pas réunis pour
détruire avec une rage égale les
demeures et les temples des habitants innocents
(7).
La race féroce des Abassides, dont le but
principal était partout le meurtre et le
pillage, furent longtemps en possession de la
Chaldée, et Bagdad, sa nouvelle capitale,
située à peu de distance de
Séleucie et de Ctésiphon, fut pendant
500 ans le siège de leur gouvernement et de
leur empire (8) « Leurs
poignards, leurs
seules armes, furent brisés par
l'épée d'Holagou, et excepté
le titre d'assassins il ne reste aucun vestige de
ces ennemis de l'humanité
(9). »
Ainsi de toutes les manières cette parole
s'est réalisée : « Il
en exterminera les méchants
(10). »
Ce furent ensuite les Tartares Mogols qui prirent
possession de la terre de Babylone, et qui
continuèrent cette oeuvre de
désolation.
Après un siège de deux mois, Bagdad
fut prise et saccagée par les Mogols, sous
les ordres de Holagou Khan, petit-fils de Gingis
Khan (11).
Et Tamerlan, autre dévastateur fameux,
soumit à son autorité tout le pays
voisin du Tigre et de l'Euphrate, depuis la source
jusqu'à l'embouchure de ces rivières,
et fit élever sur les ruines de Bagdad une
pyramide de 90,000 têtes
(12).
Enfin, avec une cruauté toujours croissante,
les Turcs, les Sarrazins, les Kourdes et les
Tartares sont devenus « les armes de
l'indignation du Seigneur, tirés de
l'arsenal qu'il avait ouvert, car l'Éternel
des armées avait une entreprise à
exécuter dans le pays des Chaldéens.
Ainsi il a dit : Détruisez et qu'il n'y
ait rien de reste. L'épée est sur les
Chaldéens ; l'alarme est au pays et une
grande destruction. J'allumerai aussi le feu en ses
villes, et il dévorera tous ses
environs. »
« La Chaldée sera
abandonnée au pillage et tous ceux qui la
pilleront seront rassasiés, dit
l'Éternel. L'épée est sur ses
trésors et ils seront pillés. Tu
étais assise sur plusieurs eaux, abondante
en trésors ; ta fin est venue, et le
comble de ton gain
déshonnête. »
Après avoir pris Babylone subitement et par
surprise, Cyrus devint possesseur « des
trésors cachés et des richesses
secrètes. » Lors de son
entrée publique dans Babylone, tous les
officiers de son armée, soit Perses, soit
alliés, portèrent, par son ordre, des
robes magnifiques, celles des officiers
supérieurs étant de couleurs
variées et richement brodées d'or et
d'argent ; ce fut ainsi qu'on déploya
« les richesses
cachées. » Lorsque ensuite les
trésors de Babylone tombèrent entre
les mains d'un autre puissant monarque,
Alexandre-le-Grand, il donna à chaque
cavalier macédonien six mines (ce qui
équivaut après de 400 francs), et
à chaque soldat, et à chaque cavalier
étranger deux mines ou 125 fr. et il accorda
à chaque homme de son armée une
gratification égale à deux mois de sa
paie. Démétrius commanda à ses
troupes de piller Babylone à leur profit
(13).
Mais ce n'est pas seulement à ces deux
époques que tous ceux qui « l'ont
pillée ont été
assouvis. » C'était l'abondance de
ses richesses qui attirait les spoliateurs.
Plusieurs nations vinrent d'un pays
éloigné « et aucune ne
retourna à vide. »
La richesse du sol créait bientôt un
nouveau trésor jusqu'à ce que de
nouveau « l'épée vînt
sur eux, et ses richesses furent
pillées. » Pendant deux
siècles, jusqu'à la mort d'Alexandre,
ce pays fut la proie des Perses et des Grecs ;
ensuite il fut livré au pillage des
Parthes ; et plus tard les Romains,
« nation venue des bouts des
cieux, » prirent à tâche de
le saccager.
Au dire de ces célèbres
conquérants du monde, il ne s'agissait que
de le contraindre à la soumission et de lui
ôter les moyens de commettre des
pillages ; c'était là leur
prétexte et la cause de leur
colère ; du reste il entrait dans leur
politique, à l'égard des provinces de
leur empire, de protéger tous les habitants
vaincus dès qu'ils se soumettaient à
leur joug ; mais la Chaldée, en raison
de son extrême éloignement, ne
s'étant jamais soumise entièrement
à son autorité, et les limites de
l'empire romain ayant été
fixées par Adrien à la rive
occidentale de l'Euphrate, sur les
frontières même de
la Chaldée, ce peuple malheureux n'obtint
jamais leur protection et fut toujours
exposé aux spoliations des Romains.
Lorsqu'il s'agit d'expliquer les paroles de
l'Écriture sainte, le témoignage de
Gibbon est aussi peu suspect que celui des auteurs
païens, et pour employer ses propres
expressions : « Cent mille
prisonniers et un riche butin furent la
récompense des soldats romains, lorsqu'ils
s'emparèrent de Ctésiphon, au
deuxième siècle, sous les ordres des
généraux de Marcus. »
Julien, qui au quatrième siècle se
vit obligé de lever le siège de
Ctésiphon, ne manqua pas de prouver par ses
actes la vérité de cette divine
parole qu'il rejetait ; car il soumit la
Chaldée à sa puissance et en enleva
les trésors. Il abandonna Périsabor
aux flammes ; il fit partager entre ses
troupes l'immense quantité de provisions et
d'armes qui s'y trouvait ; il en
réserva une partie pour le service public,
et fit ensuite jeter dans l'Euphrate ou dans les
flammes tout ce qui lui semblait inutile
(14). Il
récompensa ses soldats en leur donnant
à chacun 100 pièces d'argent, et leur
dit : « Vous voulez des
richesses ? elles sont entre les mains des
Perses ; nous vous proposons leurs
dépouilles comme prix de votre valeur
(15). »
L'ennemi fut vaincu après un rude combat, et
le butin était tel qu'on devait s'y
attendre, d'après les richesses et le luxe
d'un camp oriental : c'étaient
« de grandes quantités d'or et
d'argent, des armes magnifiques, de riches
équipements, des lits et des tables en
argent massif.
(16) »
Lorsque, sous Héraclius, les Romains
ravagèrent la Chaldée, quoique
Dastagered eût été
dépouillé d'une grande partie de ses
trésors, il parait qu'il
en resta cependant assez pour surpasser leurs
espérances et pour assouvir leur avarice
(17).
Ainsi les
actions de Julien et les paroles de Gibbon nous
font bien voir comment « la
Chaldée a été en
désolation » comment
« l'épée a
été sur ses
trésors, » et comment
d'année en année et de
génération en
génération il y a eu un bruit de
guerre et de violence dans le pays, et comment
« tous ceux qui l'ont pillé ont
été assouvis. »
Mais il nous reste encore à donner d'autres
détails sur l'accomplissement de ces paroles
prophétiques ; et, de même que
deux grands peintres peuvent rivaliser par la
beauté du coloris et par la
vérité avec laquelle ils reproduisent
la nature, quoique les traits qu'ils choisissent
soient différents ; de même, dans
la description qu'il fait du sac de
Ctésiphon, Gibbon semble, dans son tableau
historique, rivaliser avec Volney, et vouloir
rendre autant que lui témoignage à la
vérité des prophéties de
l'Écriture. « La capitale fut
prise d'assaut, et le désordre et la
résistance du peuple semblaient aiguiser le
sabre des vainqueurs, qui criaient dans un
transport religieux : « Voici le
palais blanc de Choroës, c'est ici la
promenade de l'Apôtre de
Dieu. »
Les pauvres voleurs du désert se virent tout
à coup « enrichis au-delà
de leurs espérances » ou de leur
imagination. Chaque chambre révélait
un nouveau trésor caché avec soin ou
étalé avec orgueil. La
variété des étoffes et la
splendeur des ameublements dépassaient (dit
Abulféda) tous les efforts de l'imagination,
et un autre historien tâche de définir
ces masses énormes de richesses en disant
qu'on y avait trouvé trois mille milliers de
pièces d'or. Une des chambres du palais
était couverte d'un tapis de soie ayant 90
pieds de long et autant de large.
Il représentait un paradis ou jardin. Les
fleurs, les fruits et les arbrisseaux
étaient représentés par un
tissu d'or et par les couleurs des pierres
précieuses, et le grand carré
était entouré d'une riche broderie
verte nuancée. Le farouche Omar partagea le
butin entre ses frères de Médine. On
détruisit le tableau, mais les
matériaux dont il était
composé avaient un si grand prix que la part
d'Ali fut vendue 20,000 dragmes. Un mulet
chargé de la tiare et de la cuirasse de
Chosroës ayant été surpris par
l'ennemi, ce riche trophée fut
présenté au commandant des croyants,
et le plus grave de ses conseillers se permit un
sourire lorsqu'il vit la vénérable
barbe et la singulière figure du vieillard
couvertes de la dépouille du grand roi
(18).
Le témoignage des voyageurs modernes vient
encore nous prouver que partout où se trouve
un trésor, l'épée de l'ennemi
ne manque pas d'être « sur
lui, » et que le pillage n'a pas encore
cessé dans le pays de Babylone.
À l'occident de Hillah, sont deux villes que
les Perses et les Shiites considèrent comme
consacrées à la mémoire de
deux de leurs plus saints martyrs ;
« ce sont Meshed Ali et Meshed Housein,
enrichies naguère par la dévotion des
Perses, mais maintenant dépouillées
de leurs trésors par les féroces
Wahabis
(19).
Et aujourd'hui qu'après plusieurs
siècles de spoliations les trésors de
Babylone ont eu leur fin, la terre elle-même
ne manque pas de montrer « ses richesses
cachées, » comme preuve de leur
ancienne abondance. Dans les ruines de Houmania,
près de celles de Ctésiphon, on a
découvert par hasard, le 5
mars 1812, des pièces d'argent qui sortaient
des bords du Tigre. Examen fait par des personnes
qu'avaient envoyées dans ce but les
officiers du pacha de Bagdad, il se trouva que
c'était environ 6 à 700 lingots
d'argent, ayant chacun un pied et demi de long, et
qui furent emportés. On trouva aussi un pot
de terre contenant plus de 2,000 pièces de
monnaie grecque, toutes en argent. - M. Rich,
autrefois chargé d'affaires de la Compagnie
des Indes à Bagdad, en acheta plusieurs, et
elles font partie de sa précieuse
collection, dont le gouvernement anglais a depuis
lors fait l'acquisition, et qui est
déposée au Musée Britannique
(20).
Parmi les ruines de Ctésiphon, les habitants
du pays ramassent souvent des pièces d'or,
d'argent et de cuivre qu'ils vendent facilement
à Bagdad ; il paraît même
que quelques riches Juifs et Arméniens, qui
sont chargés de faire des collections pour
des consuls français et allemands, font
fouiller parmi ces ruines et y trouvent souvent des
médailles, des monnaies et d'anciens bijoux.
On m'a assuré que ces fouilles ne sont
jamais sans résultat. Ne semble-t-il pas
vrai que « tous ceux qui la pilleront
seront assouvis ? »
L'histoire ancienne du pays de Babylone peut
être terminée par les paroles
mêmes des prophètes : il n'en
était pas pour eux comme pour les historiens
profanes, qui n'osèrent décrire sa
fertilité, même au commencement de sa
décadence, parce qu'ils disaient qu'elle
surpassait tout ce que l'on pouvait croire. Ceux
qui rapportent les paroles que
« l'Éternel prononça contre
Babylone » le font sans crainte,
quoiqu'il fallait que 2,400 ans
s'écoulassent avant que
cette prédiction fût
entièrement accomplie.
« Je punirai le pays des
Chaldéens, que je réduirai en des
désolations
éternelles. »
- Retranchez de Babylone celui qui sème,
celui qui tient la faucille au temps de la
moisson. »
- « La sécheresse sera sur ses
eaux et elles tariront. »
- « Elle sera la dernière entre
les nations, elle sera un désert, un pays
sec, une lande. Elle ne sera plus habitée
à jamais ; il n'y demeurera personne,
et aucun fils d'homme n'y
« habitera. »
- « J'enverrai contre Babylone des
vanneurs qui la vanneront. La terre en sera
ébranlée et en sera en travail, parce
que tout ce que l'Éternel a résolu a
été exécuté contre
Babylone, pour réduire le pays en
désolation, tellement qu'il n'y ait personne
qui y habite. »
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