Non seulement les ruines de différentes
villes et l'état actuel de plusieurs
contrées attestent encore aujourd'hui la
vérité des prophéties qui les
concernaient, mais de plus nous voyons s'accomplir
sous nos yeux une autre prophétie qui date
du déluge, alors qu'une seule famille
composait le genre humain. Et comme le sort des
Juifs et des Arabes a confirmé les unes
après les autres les prédictions
relatives aux descendants d'Isaac et d'Ismaël,
de même certains faits contemporains, faits
importants dans l'histoire du monde, confirment les
prophéties relatives aux enfants de
Noé.
Le manque de respect de Cham pour son vieux
père et les égards que lui
montrèrent ses deux autres fils Sem et
Japhet, furent l'origine de la prédiction
faite à leur postérité, sans
que leur conduite soit assignée comme la
cause du sort réservé à leurs
descendants :
« Maudit soit Canaan, il sera serviteur
des serviteurs de ses frères. Béni
soit l'Éternel, Dieu de Sem, et que Canaan
leur soit fait serviteur. Que Japhet loge dans les
tabernacles de Sem
(30) »
Quelle que soit cette cause, cherchons la
vérité de la prophétie dans
son accomplissement. La partie historique de la
Bible, en décrivant en
détail les
établissements respectifs des descendants de
Noé, nous met à même de
vérifier la prédiction dont il vient
d'être question, et de nous assurer si les
postérités de Sem, de Cham et de
Japhet, par qui furent peuplées les
différentes régions de la terre,
conservent encore le caractère qui leur est
attribué prophétiquement par le
patriarche.
« Les îles des nations, »
ou pays situés au-delà de la
Méditerranée, en d'autres termes les
îles de l'Europe furent partagées
entre les fils de Japhet.
Les descendants de Cham s'établirent en
Afrique et dans la partie sud-ouest de l'Asie.
« Les familles des Cananéens se
sont dispersées, et les limites des
Cananéens furent depuis Sidon
(31). »
Tyr fut surnommée la fille de Sidon, et
Carthage, la plus célèbre des villes
de l'Afrique, fut peuplée par une colonie
tyrienne.
Enfin les habitations des fils de Sem furent
à l'est, c'est-à-dire en Asie.
On voit que le lot qui échut aux trois
frères, « selon leurs familles et
leurs langues, leurs terres et leurs nations
(32), »
est distinctement spécifié. Et bien
que ces différentes nations se soient
amalgamées à la suite d'une
série de révolutions,
néanmoins les trois grandes divisions de la
terre subsistent toujours et sont en la possession
des descendants respectifs de chacun des fils de
Noé.
Les premiers commentateurs s'accordaient tous
à ce sujet, longtemps avant l'existence des
faits qui ont jeté le plus grand jour sur la
prophétie en question. Ces faits, du reste,
sont si connus et d'une application si facile que
nous nous contenterons de les indiquer.
Avant la propagation du christianisme, qui le
premier vint annoncer la paix à la terre,
qui enseigna la loi de l'amour universel et appela
tous les hommes frères,
avant cette époque l'esclavage était
partout, et la plus grande portion du genre humain
naissait et mourait dans cet état. L'homme
maintenant peut revendiquer son droit de naissance.
Mais, bien que banni depuis longtemps de presque
toute l'Europe, l'esclavage subsiste toujours en
Afrique. C'est, avant tous les autres, le pays de
l'esclavage.
Esclaves chez eux et vendus à
l'étranger comme esclaves, les pauvres
Africains, les descendants de Cham, sont les
serviteurs des serviteurs, ou esclaves des autres
hommes. Ce fait était tout à fait en
dehors des prévisions humaines ; bien
plus, on sait que, pendant plusieurs siècles
après l'époque où
s'arrête l'histoire de l'Ancien Testament,
les habitants de l'Afrique disputèrent aux
Romains l'empire du monde. Mais Annibal, qui fut un
moment presque le maître de Rome, fut
à la fin vaincu, et Carthage dut subir son
sort (33).
« Dieu bénira Japhet et celui-ci
logera dans les tabernacles de Sem. »
Quelques-uns des plus doctes et des plus anciens
interprètes des prophéties crurent
voir l'accomplissement de cette prophétie
dans les conquêtes des Macédoniens et
des Romains en Asie, et dans la propagation de la
véritable religion parmi les nations de
l'Europe, suivant la promesse de
bénédiction faite à Japhet,
promesse qui se trouverait ainsi
vérifiée dans un sens
métaphorique. Mais à l'époque
où nous vivons, il ne reste plus de doute
à cet égard et la prophétie
s'est accomplie dans son sens littéral.
Quels sont en effet les rapports qui existent
actuellement entre les habitants de l'Europe et de
l'Asie, entre les descendants de Japhet et ceux de
Sem ? Ne peut-on pas dire à la lettre
que les premiers vivent dans les tabernacles des
seconds ? Et par quelle autre comparaison la
simplicité des premiers
âges pouvait-elle mieux dépeindre les
nombreuses et vastes colonies des Européens
en Asie ?
Combien la postérité de Japhet
n'a-t-elle pas été multipliée
dans les régions échues en partage
à la postérité de
Sem ?
Combien de ses anciennes villes sont maintenant en
la possession des enfants de Japhet ?
Combien de colonies ceux-ci n'ont-ils pas
fondées en Asie, tandis que les descendants
de Sem n'occupent pas en maîtres un seul
point de l'Europe ? Et, par rapport à
l'Angleterre et à l'immense étendue
de ses possessions en Asie, n'est-il pas vrai de
dire que les habitants des « îles
des gentils vivent dans les tabernacles de
l'Orient ? »
D'où pouvait donc émaner une
semblable prophétie, sinon de l'inspiration
de Celui dont la présence et la prescience
ne sont bornées ni par l'espace ni par le
temps ?
Les prophéties font la
révélation d'événements
futurs, sans jamais sanctionner en principe
l'iniquité ou le mal. Les mauvaises passions
des hommes accomplissent les décrets de la
Providence, mais elles n'en sont pas moins
criminelles, bien qu'elles tournent à la
louange de Dieu.
C'est en vain que l'on s'appuierait sur
l'accomplissement de la prophétie dont nous
venons de parler pour défendre ou justifier
l'esclavage, ou le droit de propriété
de l'homme sur son semblable.
Nabuchodonozor fut le coupable instrument de la
justice divine, alors même qu'il ne croyait
travailler que pour son intérêt ou
pour sa gloire personnelle, et, après avoir
subjugué un grand nombre de nations, il se
vit chassé d'entre les hommes et
réduit à aller vivre au milieu des
bêtes sauvages. Jamais jugements ne furent
plus clairs que ceux qui pèsent encore sur
les Juifs, et cependant quiconque les blesse,
blesse la prunelle de son oeil, et, avec
l'année de la miséricorde pour Sion,
viendra le jour de la vengeance
du Seigneur ; en ce jour il entrera en
jugement avec tous les hommes en faveur de son
peuple et de son héritage.
Que si de tels exemples ne suffisent pas pour
prouver à certaines personnes qu'elles
interprètent la Bible à leurs risques
et périls, en cherchant à justifier
l'esclavage par le fait que Canaan fut le serviteur
des serviteurs de ses frères ; que ceux
au moins qui ont la prétention d'invoquer
les saintes Écritures à l'appui du
droit de propriété qu'ils s'arrogent
sur leurs semblables, que ceux-là se
rappellent que bien que Jésus-Christ ait
été livré entre les mains de
ses ennemis « selon la volonté
déterminée et selon la prescience de
Dieu, » néanmoins ce furent les
mains des méchants qui le
crucifièrent et le tuèrent.
C'est « d'un seul sang que Dieu a fait
naître tout le genre humain. » Et,
si l'Évangile était mieux et plus
généralement compris, il n'y aurait
d'autre lien parmi les hommes que celui de la
fraternité chrétienne.
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