Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



AU SERVICE DU MAÎTRE

Soeur Sophie de Pury





LUTTES ET VICTOIRES.
JOIES ET LABEURS.

La nouvelle ouvrière du Seigneur se mit au travail avec courage et fidélité, mais non sans verser bien des larmes. Quel contraste entre son doux foyer domestique et la vie, les règlements austères de la Maison des Diaconesses ! Le mal du pays, son inexpérience lui rendaient la tâche particulièrement difficile, et sa conscience scrupuleuse faisait pour elle d'une étourderie, d'un petit accident un sujet d'humiliation et de douleur ! Ce noviciat fut rude, mais que de bénédictions en résultèrent dans la suite, lorsque, devenue Soeur directrice, forte de ses souvenirs des jours d'épreuve, elle eut à consoler, encourager et guider les nouvelles venues !

L'ouvrage ne l'effrayait pas, elle tint à passer par tous les différents stages qui font l'éducation complète de la diaconesse : soin des malades, entretien des chambres, pharmacie, cuisine même, elle entreprit avec vaillance tous les services possibles et, à mesure qu'elle s'y perfectionnait, elle croissait dans l'estime de ses supérieurs et devenait plus apte à se charger des responsabilités qui lui furent dévolues plus tard. Lors de son entrée dans l'oeuvre, elle avait pris vis-à-vis d'elle-même l'engagement d'envisager tout ordre de ses supérieurs, toute décision prise par le comité, comme venant du Seigneur Lui-même, et elle demandait chaque jour à Dieu la force d'y persévérer, ce qui lui épargna bien des difficultés. Appelée dans la suite à diriger elle-même, elle admettait d'emblée les mêmes dispositions chez ses subordonnées, et cette confiance implicite dans leur soumission, fruit de celle qu'elle avait pratiquée elle-même, lui facilitait singulièrement les choses. Sa distinction native, rehaussée et mise en lumière par une consécration de plus en plus profonde de tout son être, impressionnait vivement tous ceux qui l'approchaient et restera gravée dans la mémoire de ceux qui l'ont connue plus particulièrement, et cette distinction ne se démentait jamais, soit qu'elle obéît, soit qu'elle se fit obéir.

Le 21 novembre 1856, Soeur Sophie revêtit le costume de novice et resta jusqu'à sa réception comme soeur agrégée, le 25 juin 1858, attachée au service immédiat des malades. Le texte qui lui était échu à cette occasion se lit à la deuxième épître aux Thessaloniciens (3, 3) « Le Seigneur est fidèle, qui vous affermira et vous préservera du mal. »

Et c'est sur cette fidélité de Dieu qu'elle comptait avec une foi absolue, en se donnant de son côté à sa tâche avec une fidélité humble et oublieuse d'elle-même. Son ministère de garde-malade fut particulièrement béni. Sa chaude sympathie, la part profonde et affectueuse qu'elle prenait aux maux de ceux que lui étaient confiés faisait autant de bien que ses soins empressés. Elle souffrait de leurs souffrances et priait avec eux et pour eux ; la santé de leur âme lui tenait à coeur plus encore même que celle de leur corps.

Un savant naturaliste, ayant demandé à être admis pour un long traitement dans une chambre de première classe, c'est à elle qu'incomba la charge du nouvel arrivant. Après avoir demandé à Dieu courage et sagesse, elle dit à l'éminent professeur qu'il était d'usage dans la maison de faire un culte chaque jour auprès des malades. « Faites, ma soeur, d'après votre habitude », répondit-il d'un ton peu encourageant, et, déployant un grand journal, il se mit à lire de son côté, pendant que la jeune diaconesse commençait son culte à haute voix. Jour après jour, avec fidélité et sous le regard du Seigneur, elle continua son oeuvre si ingrate en apparence ; lorsque, levant les yeux un matin, elle s'aperçut que le journal ne bougeait plus dans la main de celui qui le tenait, et qu'il servait seulement d'écran pour cacher la figure du malade. Ce premier succès encouragea la fidèle servante du Sauveur, et elle reçut enfin la récompense tant désirée, en voyant ce savant, esprit fort, arriver peu à peu à la foi et mourir dans la paix de Jésus.

La Maison des Diaconesses de Strasbourg n'admet ses Soeurs à la consécration définitive qu'après sept ans révolus de service. Son fondateur s'est évidemment conformé en ceci à l'exhortation de Saint-Paul à Timothée : « N'impose les mains à personne avec précipitation. » Cette disposition laisse aux Soeurs le temps de mûrir intérieurement de fournir la preuve qu'elles se sont laissé revêtir par Christ des vertus qui étaient en Lui, et qu'elles ont reçu l'onction d'En-haut. Cette onction, Soeur Sophie de Pury la possédait dans une large mesure, lorsque, élue Soeur diaconesse, elle reçut la consécration le 19 juillet 1863.

Trois ans auparavant déjà, elle avait vu se réaliser un de ses voeux les plus chers, celui de pouvoir se rendre utile dans sa patrie. Après avoir été initiée tour à tour au soin des malades, à la tenue de la pharmacie, aux travaux de la cuisine, lesquels se trouvèrent être fort au-dessus de ses forces, ce qui fit abréger considérablement ce dernier stage, elle fut désignée en juin 1860 pour Neuchâtel, où elle devait remplacer successivement plusieurs Soeurs qui allaient en vacances, et se mettre ainsi au courant de l'organisation des différents services.

Ce ministère dans son lieu natal qui, au début de sa carrière, lui avait semblé si désirable, fut pour elle une source inattendue de difficultés et de luttes intérieures. L'expérience, que c'est dans les chemins que notre coeur a choisis que nous trouvons le plus d'épines, ne devait pas être épargnée à cette âme d'élite, et elle apprit à ses dépens que le voeu qu'elle avait cru devoir énoncer dans sa demande d'admission était de ceux dont le Seigneur a dit : « Vous ne savez ce que vous demandez. » Ce fut un rude apprentissage pour la chère servante du Seigneur de devoir côtoyer journellement le paradis de son enfance et de sa jeunesse, en détournant les yeux pour ne voir que l'austère chemin du devoir, de sentir ses bien-aimés si près et de devoir se refuser les doux et constants rapports qui faisaient autrefois le charme de sa vie. Ce fut une suite ininterrompue de douloureux renoncements, et il est probable que ce fut à cette époque de sa vie qu'elle écrivit sur la première page de sa Bible les paroles de David à Arauna (2. Sam. 24, 24) : « Je n'offrirai pas à l'Éternel, mon Dieu, des holocaustes qui ne me coûtent rien. » Mais ce n'étaient pas là ses seules difficultés, comme il ressort d'une lettre de son guide spirituel en date du 9 septembre 1860:

« J'ai été souvent préoccupé, lui dit-il, du poste difficile que tu occupes dans la salle des hommes à l'hôpital Pourtalès ; mais à tous mes soupirs le Seigneur répondait par l'assurance qu'Il te porterait à travers les difficultés, et que les tribulations présentes seraient pour toi, dans la suite, un sujet d'actions de grâce. Il nous est bon, à nous autres serviteurs et servantes du Christ, d'être placés parfois en face d'une tâche qui nous fait peur ; cela nous stimule à la prière, et lorsque nous nous soumettons patiemment, nous faisons l'expérience que la force de Dieu est puissante dans notre faiblesse, et que le Seigneur agit par le moyen de ses faibles instruments au-delà de tout ce que nous pouvons demander et penser. (Rom. 5, 1-5.) Vers la fin de ce mois j'espère venir à Mulhouse et t'y rencontrer pour apprendre de vive voix comment le Seigneur t'a soutenue. Nous nous prosternerons alors en commun devant ce fidèle Sauveur pour le remercier de t'avoir permis de réaliser ce que dit la parole qui t'est échue (2. Thess. 3, 3: Le Seigneur est fidèle, qui vous affermira et vous préservera du mal). Que ce qu'Il a fait pour toi jusqu'à présent, te soit une source de courage et de joie de plus en plus intenses. Oh oui, la vie d'une diaconesse sûre de sa vocation est une vie bienheureuse ! Celle que le Seigneur y a appelée a bien lieu de se dire :

Pourquoi suis-je l'objet, Dieu, de ta préférence ?
Comment jamais m'en rendre digne ?

Was hat dich, Herr, bewogen,
Dass du mich vorgezogen,
Bin ich auch jemals dessen wert ?

Que nos coeurs le glorifient pour son amour et sa fidélité ! »
Au mois d'octobre de la même année, Soeur Sophie revenait en Alsace, d'abord à Mulhouse et ensuite à Strasbourg. À partir de ce temps il se passa une série d'années sans qu'elle retournât dans sa patrie chérie autrement que pour y passer ses vacances, et chaque année cette perspective remplissait d'avance son coeur d'espérance et de joie durant de longues semaines ! Elle partait, chargée de présents à faire, de volumes à lire, d'ouvrages à terminer, ne se disant point que le temps passerait bien vite et ne suffirait pas à la moitié de ses projets ; elle oubliait chaque fois les leçons de l'année précédente, et ses plans recommençaient, radieux et innombrables.

Voici sa ville natale baignant ses pieds dans les flots bleus du lac et la ceinture argentée des Alpes neigeuses ! Voici le Val-de-Travers si verdoyant, où elle a passé tant d'heureux jours chez sa bien-aimée aïeule maternelle et chez ses bonnes tantes ; voici enfin sa montagne, Monlézi ! et sa famille est là qui l'attend ; sa mère, sa mère chérie ! Que de bonheur ! En fallait-il du temps pour tout entendre, tout revoir ! Puis il fallait de longues nuits pour se reposer des veilles, et pourtant, quel dommage de perdre ainsi une partie de ces instants si précieux ! Pour se délasser de ses fatigues, elle inventait d'autres fatigues, reprenant les courses aventureuses d'autrefois, s'égarant dans les chemins même les plus connus, ne calculant ni le temps, ni la distance. Les bons fou-rires de jeunesse qu'on reprenait alors, et comme les siens étaient heureux de la retrouver telle qu'ils l'avaient possédée autrefois ! Mais quand le moment du départ sonnait, bien trop tôt pour tous, comme elle tâchait de reprendre vaillamment le chemin du devoir en leur répétant « Je suis une prisonnière du Christ ! »

Mais ce n'était pas seulement pendant les vacances qu'elle était accessible à toutes les joies pures et bonnes et qu'elle les savourait avec reconnaissance, sa faculté d'admirer et de jouir de tout ce qu'il y a au monde de bon et de beau était en elle une source de force intarissable, une vraie fontaine de Jouvence. Un rayon de soleil, une fleurette, une belle oeuvre humaine la réconfortaient, elle y sentait une émanation de la beauté divine, quelque chose qui lui faisait comme toucher du doigt l'amour du Père, sa grandeur, sa toute-puissance. Elle possédait le secret de boire au torrent du chemin et de toujours de nouveau relever la tête (Ps. 110, 7), et il lui fallait si peu de choses pour se désaltérer à grands traits aux sources divines. Un jour qu'elle allait en vacances, elle vit au moment du départ une dent-de-lion dorée tout épanouie entre les rails de la station. Aussitôt elle eut comme une vision de toutes les chères fleurettes qui attendaient sur la montagne qu'elle vînt les cueillir, et, pleine d'un joyeux empressement, elle s'empara de sa précieuse trouvaille en s'écriant : « Quel bonheur ! nous allons commencer un bouquet ! »

La légende lui attribuait une préférence marquée pour les fleurs jaunes. Il est vrai que d'aucuns prétendaient que cette préférence était due principalement au peu de sympathie dont elles jouissent en général dans le monde, et qu'en leur prodiguant sa faveur spéciale, Soeur Sophie ne faisait qu'obéir à l'instinct qui la portait vers tous les déshérités de la vie. Cela est fort possible, mais, comme il arrive facilement en pareille occurrence, les petites déshéritées avaient fini par s'insinuer pour de bon dans ses bonnes grâces, et elle leur avait voué une tendresse véritable. C'était fort heureux, car elle en était souvent débordée, et d'ailleurs leurs gerbes dorées se détachaient fort avantageusement sur le vert foncé de son ameublement.

Ce besoin qu'elle avait de se repaître le coeur et les yeux de belles choses, de choses aimables et dignes de louanges (Phil. 4, 8) a été parfois pour elle une source de difficultés, comme il ressort de la lettre suivante que M. Hoerter, à qui elle s'en était ouverte, lui écrivait à la date du 15 septembre 1864:

« Bien que tu n'attendes aucune réponse de ma part, j'éprouve le besoin de te dire que ta confiance filiale me touche vivement ; dis-moi tout ce qui te trouble et ne crains pas de m'affliger. Notre vie est une lutte, une mort de tous les jours (1 Cor. 15, 31). Mais nous ne sommes pas seuls, car Lui, notre Emmanuel, est avec nous tous les jours jusqu'à la fin du monde, et parce qu'Il est notre vie, la mort nous est un gain ! - Aussi nous consentons à mourir à nous-mêmes, puisqu'il y a tout à y gagner et rien à y perdre.

Ce que nous quittons pour le nom de Jésus n'est point perdu pour nous, Il nous le réserve et nous le rendra rayonnant de céleste beauté, comme Jésus Lui-même le dit : Matth. 19, 29. Mais n'oublions pas qu'il est dit : à cause de mon nom ! c'est-à-dire à cause de son nom de Sauveur et parce qu'Il est notre Sauveur. - Où en es-tu à cet égard ? Peux-tu dire : Quel autre que toi ai-je au ciel ? et je n'ai pris plaisir sur la terre qu'en toi (Ps. 73, 25). Si c'est là notre position vis-à-vis du Christ, nous ne regarderons pas avec une indifférence stoïque telle gracieuse fleur qui s'épanouit au bord de notre chemin, nous y verrons un message de Celui qui nous aime, destiné à embellir et à adoucir notre pèlerinage à travers le désert ; mais nous ne nous y arrêterons pas, car nous tendons vers le but, nous aspirons plus haut. Dans les jardins de notre patrie céleste il y a des fleurs impérissables d'une beauté qui dépasse tout ce que nous pouvons imaginer, car Dieu a préparé à ceux qui l'aiment des choses que l'oeil n'a point vues, que l'oreille n'a point entendues et qui ne sont point venues dans l'esprit de l'homme ». (1 Cor. 2, 9.)
O ma Soeur, le Seigneur te rendra en bénédictions surabondantes la bonne volonté que tu as mise à tout quitter ; si nous n'avions rien qui nous fût précieux, nous n'aurions rien à Lui offrir. C'est à Celui qu'on aime par-dessus toutes choses, qu'on donne ce qu'on aime par-dessus toutes choses ! »

Après sa consécration en 1863, Soeur Sophie passa trois ans à la Maison-Mère et s'occupa successivement de la lingerie, du ménage et de l'éducation des novices. Au mois de septembre 1866, pendant qu'elle était en vacances à Neuchâtel, elle eut le doux et triste privilège d'assister sa mère dans sa dernière maladie. Plusieurs lettres de M. Haerter à notre Soeur sont datées de cette époque. En voici une qu'il lui écrivit d'Ottersweyer, où il passait ses vacances.

Ma chère Soeur en Jésus-Christ,

Ayant été hier à Strasbourg, j'ai appris par ma fille que tu es retenue à Neuchâtel par la maladie de ta chère mère. J'en augure que ces vacances, loin d'être un repos pour toi, sont un temps d'affliction et d'angoisse. Aussi je m'empresse de t'apporter les consolations qui pourront t'aider à voir les choses à la lumière d'en-haut.

Lorsqu'au dernier soir de sa vie terrestre Jésus vint s'asseoir parmi ses bien-aimés disciples, Il leur dit : « Vous êtes maintenant dans la tristesse, mais je vous verrai de nouveau, et votre coeur se réjouira, et personne ne vous ravira votre joie. » Et ils l'ont revu et leurs yeux le contemplent éternellement ; ceux qui croyaient en Lui et le servaient ici-bas dans leur infirmité sont maintenant revêtus de force, ils sont rois et sacrificateurs dans son sanctuaire. Mais ce n'est pas Lui seul qu'ils voient, ils ont retrouvé tous leurs bien-aimés que le Père a donnés à son Fils, car Lui, le tout-puissant Fils de Dieu, a dit : « Père, mon désir est que là, où je suis, ceux que tu m'as donnés y soient aussi avec moi, afin qu'ils contemplent la gloire que tu m'as donnée, car tu m'as aimé avant la création du monde. »

Ces paroles du Christ donnent aux siens l'assurance qu'un joyeux revoir leur est réservé devant le trône de sa gloire. Je suis sûr que ta chère mère est de ceux qui lui ont été donnés, comme aussi Mad. Passavant, cette noble femme, à laquelle elle ressemble tant. Sachons nous réjouir de tout coeur pour celle que nous aimons, de la voir délivrée des souffrances présentes et admise dans les demeures de la maison paternelle. Il serait égoïste à nous de vouloir la retenir, lorsque sonnera pour elle l'heure du repos ; que la pensée de la joie qui sera son partage adoucisse pour nous la douleur de la courte séparation. Ceci a été ma consolation au lit de mort de mon amie, Mad. Passavant, ce sera la tienne, ma chère fille, lorsque le Seigneur rappellera ta mère pour lui assigner sa place parmi la phalange des élus qui, revêtus de robes blanches, des palmes à la main, chantent d'une voix forte : « Hosanna ! Le salut vient de Dieu, qui est assis sur le trône, et de l'Agneau ! »

Ce sera pour ta mère la fin de toute tribulation, car « Il fera toutes choses nouvelles ». Quellejoie pour elle, lorsque les esprits bienheureux viendront à sa rencontre avec la couronne et la parole de bienvenue : « Ta foi t'a sauvée ! »

Encore un peu de temps, et nous aussi nous entrerons dans le repos du peuple de Dieu, quand notre tâche sera achevée. - O ma chère Sophie, ne perds pas de vue le but, réjouis-toi d'appartenir au Sauveur par qui toutes choses nous sont données.
Veuille transmettre à ta mère bien-aimée et à tous les tiens ce message de ma part : « Dieu essuiera toute larme de leurs yeux. »

Ton père en Christ,

F. HARTER.

Après la mort de cette mère tant aimée, le fidèle pasteur écrivit à notre Soeur, le 17 octobre 1866:

MA CHÈRE FILLE,

La nouvelle du départ de ta mère m'est parvenue. J'avais souvent demandé à Dieu de lui accorder une douce fin, et ma prière a été exaucée : elle a pu s'en aller, paisiblement comme elle a vécu, vers son Sauveur et vers ceux de ses bien-aimés qui l'avaient devancée....

Tu nous manques beaucoup ici, ma fille ; tes soeurs entoureront ta grand'mère de leurs soins affectueux, tu peux la quitter sans crainte. Reste tant que ton devoir te réclame ; mais n'oublie pas qu'à Strasbourg tu as un père qui t'attend et qui compte les jours et les heures de ton absence. Ne te fais point de scrupule, si ta présence est désirable, mais lorsque tu te sentiras libre d'aller, ne tarde point. »

Soeur Sophie se rendit promptement à cet appel ; mais déjà au cours de l'année suivante nous la retrouvons chez elle, rappelée par sa famille, auprès de sa grand'mère très âgée et devenue aveugle. À cette époque elle reçut de M. Haerter la lettre suivante, datée du 8 février :

Te voilà tout-à-coup disparue du milieu de nous, et tu as laissé derrière toi un grand vide. Je ne songe pas à t'en faire un reproche, je sais que tu l'as fait pour remplir un devoir filial ; je t'approuve pleinement et je voudrais que tu ne te tourmentes en aucune façon. Tu reviendras quand tu pourras. En attendant, ne néglige pas ta santé et évite autant que possible les veilles. Je porte toujours sur moi et je relis souvent les lignes que tu m'as adressées le 1er janvier et qui commencent par ces mots : « 0 mon Sauveur, donne-moi la foi et l'obéissance d'Abraham. » Oui, Abraham a accompli un acte d'obéissance, en quittant sa famille et sa patrie pour aller dans le pays destiné à être dans la suite des temps le berceau du Sauveur, et combien cette obéissance a été bénie ! - À nous aussi, le Seigneur veut nous rendre an centuple ce que nous quittons pour Lui.

Tu dis dans ces mêmes lignes : « Je t'abandonne de tout mon coeur, ô Jésus, mon Sauveur, ce que j'ai de plus cher. » Ne crains rien, ma chère enfant, rien n'est perdu de ce qu'on Lui donne, Il nous dédommage à profusion de tout ce dont nous nous privons pour Lui. Il nous le tient en réserve et nous le rendra purifié et sanctifié, là où aucune séparation ne déchirera plus nos soeurs. »

Peu de temps après, Soeur Sophie reprit son activité à la Maison-Mère ; mais au mois d'octobre 1869 une maladie l'obligea à partir pour le Midi. Son amie, Soeur Sophie B., étant tombée malade en même temps, les deux Soeurs caressaient le doux espoir d'aller ensemble faire un séjour à Menton, mais au dernier moment le médecin en décida autrement, l'état de Soeur Sophie B. lui interdisant les fatigues et les émotions d'un voyage si long et si compliqué. Ce fut un rude désappointement pour les deux chères convalescentes, mais le verdict du docteur fut confirmé par les événements ; grâce à Dieu, l'une et l'autre furent conservées à notre Oeuvre. Soeur Sophie trouva tous les soins que réclamaient son état dans la famille de son frère également en séjour à Menton. Elle y resta jusqu'au printemps et se remit entièrement, à la grande joie de ses Soeurs, que sa maladie avait profondément alarmées. Elle put, en revenant, se charger de la direction de l'hôpital bourgeois de Neuchâtel, et elle fut à même alors de constater que sa vocation s'était bien affermie depuis le temps de sa première activité dans sa ville natale, car les luttes qu'elle avait traversées à cette époque lui furent désormais épargnées.

La semence divine semée dans son coeur par les soins de sa mère et sous l'influence de cette vie religieuse dont sa patrie était un foyer ardent, avait mûri, grâce aux soins vigilants de son guide spirituel et avait porté un fruit permanent de force et de paix. Après les luttes inévitables de ses débuts dans l'oeuvre, le Seigneur lui avait donné en sus de la certitude inébranlable de sa vocation qu'elle possédait déjà alors, une pleine consécration à son service et la grâce de pouvoir compter sur Lui pour toutes choses. C'est dans le sentiment de cette force que le Seigneur tenait à sa disposition qu'elle put écrire aux membres du comité qui la chargeait de ces nouvelles fonctions : « J'ai la profonde conviction que je suis appelée à cet emploi par le Seigneur, et j'espère, par Son secours tout-puissant, le glorifier et le servir dans cette importante tâche. Je sens vivement mon impuissance, mais je sens tout aussi vivement que Celui qui m'y a appelée m'ouvrira ses trésors de force, de lumière et de grâce, et je me fonde uniquement sur ses promesses. »

C'était l'année terrible : tandis que le bombardement faisait rage autour de la Maison de Strasbourg et que la petite communauté traversait des temps difficiles, Neuchâtel, de son côté, n'était pas épargnée. L'expulsion des Allemands domiciliés à Paris y amena des flots de malheureux, privés de tout moyen de subsistance et apportant avec eux des germes d'infection. Bientôt la fièvre typhoïde sévit avec violence, et Soeur Sophie en fut atteinte.
De longs mois se passèrent avant que les communications entre Neuchâtel et Strasbourg fussent rétablies, on était sans nouvelles les uns des autres. Ce ne fut que le 14 octobre, lorsqu'à Neuchâtel on était en voie de se remettre des suites de cette lugubre immigration, et que Soeur Sophie, rétablie assez promptement, grâce à Dieu, était de nouveau en pleine activité, que lui parvinrent les premières nouvelles des tribulations par lesquelles avait passé la Maison-Mère. M. Haerter qui, le lendemain de la capitulation, était allé chercher à Ottersweier, dans le pays de Bade, un asile où il pût se remettre quelque peu des terribles émotions et des privations endurées pendant le siège, lui écrivait :

« Tu as été malade pendant que j'étais enfermé dans Strasbourg deux mois durant, et il me tarde de savoir quel a été ton mal et comment tu te portes à l'heure qu'il est. Tu auras appris quels épouvantables malheurs ont frappé notre ville. Que se passe-t-il à Neuchâtel ? M. Godet s'est employé de son mieux pour notre pauvre Strasbourg : pendant qu'on bombardait la ville, il a intercédé pour nous auprès de la grande-duchesse de Bade. Louise Büchsenschütz est restée au Bon-Pasteur avec Soeur Emma Arlenspach, et à elles deux elles ont veillé sur la maison pour prévenir l'incendie. Beaucoup de gens, qui avaient tout perdu dans les flammes, ont été heureux de se réfugier dans les pièces vides du rez-de-chaussée. Dieu bénisse nos deux Soeurs pour leur fidélité ! »

Bientôt une seconde invasion de malheureux fit irruption en Suisse, c'étaient les débris de l'armée licenciée de Bourbaki, qui harassés, demi-morts de faim et de froid, venaient demander asile. Jour et nuit les diaconesses de l'hôpital de Neuchâtel les entourèrent de leurs soins et, grâce à Dieu, sa chère directrice, à peine remise de sa maladie, subit ce nouveau choc de pied ferme. Elle resta trois ans à son poste, et lorsqu'elle revint à la Maison-Mère le 3 novembre 1873, elle avait réussi à enrôler une aide précieuse pour la maison d'éducation du Bon-Pasteur nouvellement fondée, en la personne de sa soeur cadette, auteur d'une biographie de notre Soeur Sophie, à laquelle nous avons emprunté bien des détails intéressants.

On confia d'abord à Soeur Sophie la direction de la Maison de Santé, puis, trois ans plus tard, celle de la Maison de Retraite, et chacun de ces postes fut pour elle une école bénie, où le Seigneur put continuer en elle son oeuvre de sanctification, la transformer à sa ressemblance et opérer en elle ce que St. Paul demande pour les chrétiens de Colosse : « elle fut de plus en plus remplie de la connaissance de sa volonté, de toute la sagesse et de toute l'intelligence spirituelle ». Elle agissait vraiment « pour plaire au Seigneur en toutes choses, fructifiant par toutes sortes de bonnes oeuvres ». (Col. 1. 10.)

Les lignes suivantes, qui datent de cette époque, nous révéleront le secret de sa force et de sa croissance spirituelle ; puissent-elles être en bénédiction à bien des âmes !


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