AU SERVICE
DU MAÎTRE
Soeur Sophie
de Pury
LUTTES ET VICTOIRES.
JOIES ET LABEURS.
La nouvelle ouvrière du Seigneur se mit
au travail avec courage et fidélité,
mais non sans verser bien des larmes. Quel
contraste entre son doux foyer domestique et la
vie, les règlements austères de la
Maison des Diaconesses ! Le mal du pays, son
inexpérience lui rendaient la tâche
particulièrement difficile, et sa conscience
scrupuleuse faisait pour elle d'une
étourderie, d'un petit accident un sujet
d'humiliation et de douleur ! Ce noviciat fut
rude, mais que de bénédictions en
résultèrent dans la suite, lorsque,
devenue Soeur directrice, forte de ses souvenirs
des jours d'épreuve, elle eut à
consoler, encourager et guider les nouvelles
venues !
L'ouvrage ne l'effrayait pas, elle tint
à passer par tous les différents
stages qui font l'éducation complète
de la diaconesse : soin des malades, entretien
des chambres, pharmacie, cuisine même, elle
entreprit avec vaillance tous les services
possibles et, à mesure qu'elle s'y
perfectionnait, elle croissait dans l'estime de ses
supérieurs et devenait plus apte à se
charger des responsabilités qui lui furent
dévolues plus tard. Lors de son
entrée dans l'oeuvre, elle avait
pris vis-à-vis
d'elle-même l'engagement d'envisager tout
ordre de ses supérieurs, toute
décision prise par le comité, comme
venant du Seigneur Lui-même, et elle
demandait chaque jour à Dieu la force d'y
persévérer, ce qui lui épargna
bien des difficultés. Appelée dans la
suite à diriger elle-même, elle
admettait d'emblée les mêmes
dispositions chez ses subordonnées, et cette
confiance implicite dans leur soumission, fruit de
celle qu'elle avait pratiquée
elle-même, lui facilitait
singulièrement les choses. Sa distinction
native, rehaussée et mise en lumière
par une consécration de plus en plus
profonde de tout son être, impressionnait
vivement tous ceux qui l'approchaient et restera
gravée dans la mémoire de ceux qui
l'ont connue plus particulièrement, et cette
distinction ne se démentait jamais, soit
qu'elle obéît, soit qu'elle se fit
obéir.
Le 21 novembre 1856, Soeur Sophie
revêtit le costume de novice et resta
jusqu'à sa réception comme soeur
agrégée, le 25 juin 1858,
attachée au service immédiat des
malades. Le texte qui lui était échu
à cette occasion se lit à la
deuxième épître aux
Thessaloniciens
(3, 3) « Le Seigneur est
fidèle, qui vous affermira et vous
préservera du mal. »
Et c'est sur cette
fidélité de Dieu qu'elle comptait
avec une foi absolue, en se donnant de son
côté à sa tâche avec une
fidélité humble et oublieuse
d'elle-même. Son ministère de
garde-malade fut particulièrement
béni. Sa chaude sympathie, la part profonde
et affectueuse qu'elle prenait aux maux de ceux que
lui étaient confiés
faisait autant de bien que ses soins
empressés. Elle souffrait de leurs
souffrances et priait avec eux et pour eux ;
la santé de leur âme lui tenait
à coeur plus encore même que celle de
leur corps.
Un savant naturaliste, ayant
demandé à être admis pour un
long traitement dans une chambre de première
classe, c'est à elle qu'incomba la charge du
nouvel arrivant. Après avoir demandé
à Dieu courage et sagesse, elle dit à
l'éminent professeur qu'il était
d'usage dans la maison de faire un culte chaque
jour auprès des malades. « Faites,
ma soeur, d'après votre
habitude », répondit-il d'un ton
peu encourageant, et, déployant un grand
journal, il se mit à lire de son
côté, pendant que la jeune diaconesse
commençait son culte à haute voix.
Jour après jour, avec fidélité
et sous le regard du Seigneur, elle continua son
oeuvre si ingrate en apparence ; lorsque,
levant les yeux un matin, elle s'aperçut que
le journal ne bougeait plus dans la main de celui
qui le tenait, et qu'il servait seulement
d'écran pour cacher la figure du malade. Ce
premier succès encouragea la fidèle
servante du Sauveur, et elle reçut enfin la
récompense tant désirée, en
voyant ce savant, esprit fort, arriver peu à
peu à la foi et mourir dans la paix de
Jésus.
La Maison des Diaconesses de Strasbourg
n'admet ses Soeurs à la consécration
définitive qu'après sept ans
révolus de service. Son fondateur s'est
évidemment conformé en ceci à
l'exhortation de Saint-Paul à
Timothée : « N'impose les
mains à personne avec
précipitation. » Cette disposition
laisse aux Soeurs le temps de mûrir
intérieurement de fournir
la preuve qu'elles se sont laissé
revêtir par Christ des vertus qui
étaient en Lui, et qu'elles ont reçu
l'onction d'En-haut. Cette onction, Soeur Sophie de
Pury la possédait dans une large mesure,
lorsque, élue Soeur diaconesse, elle
reçut la consécration le 19 juillet
1863.
Trois ans auparavant déjà,
elle avait vu se réaliser un de ses voeux
les plus chers, celui de pouvoir se rendre utile
dans sa patrie. Après avoir
été initiée tour à tour
au soin des malades, à la tenue de la
pharmacie, aux travaux de la cuisine, lesquels se
trouvèrent être fort au-dessus de ses
forces, ce qui fit abréger
considérablement ce dernier stage, elle fut
désignée en juin 1860 pour
Neuchâtel, où elle devait remplacer
successivement plusieurs Soeurs qui allaient en
vacances, et se mettre ainsi au courant de
l'organisation des différents
services.
Ce ministère dans son lieu natal
qui, au début de sa carrière, lui
avait semblé si désirable, fut pour
elle une source inattendue de difficultés et
de luttes intérieures. L'expérience,
que c'est dans les chemins que notre coeur a
choisis que nous trouvons le plus d'épines,
ne devait pas être épargnée
à cette âme d'élite, et elle
apprit à ses dépens que le voeu
qu'elle avait cru devoir énoncer dans sa
demande d'admission était de ceux dont le
Seigneur a dit : « Vous ne savez ce
que vous demandez. » Ce fut un rude
apprentissage pour la chère servante du
Seigneur de devoir côtoyer journellement le
paradis de son enfance et de sa jeunesse, en
détournant les yeux pour ne voir que
l'austère chemin du devoir, de sentir ses
bien-aimés si près
et de devoir se refuser les doux et constants
rapports qui faisaient autrefois le charme de sa
vie. Ce fut une suite ininterrompue de douloureux
renoncements, et il est probable que ce fut
à cette époque de sa vie qu'elle
écrivit sur la première page de sa
Bible les paroles de David à Arauna
(2. Sam. 24, 24) :
« Je n'offrirai pas à
l'Éternel, mon Dieu, des holocaustes qui ne
me coûtent rien. » Mais ce
n'étaient pas là ses seules
difficultés, comme il ressort d'une lettre
de son guide spirituel en date du 9 septembre
1860:
« J'ai été
souvent préoccupé, lui dit-il, du
poste difficile que tu occupes dans la salle des
hommes à l'hôpital
Pourtalès ; mais à tous mes
soupirs le Seigneur répondait par
l'assurance qu'Il te porterait à travers les
difficultés, et que les tribulations
présentes seraient pour toi, dans la suite,
un sujet d'actions de grâce. Il nous est bon,
à nous autres serviteurs et servantes du
Christ, d'être placés parfois en face
d'une tâche qui nous fait peur ; cela
nous stimule à la prière, et lorsque
nous nous soumettons patiemment, nous faisons
l'expérience que la force de Dieu est
puissante dans notre faiblesse, et que le Seigneur
agit par le moyen de ses faibles instruments
au-delà de tout ce que nous pouvons demander
et penser. (Rom. 5, 1-5.) Vers la fin de ce mois
j'espère venir à Mulhouse et t'y
rencontrer pour apprendre de vive voix comment le
Seigneur t'a soutenue. Nous nous prosternerons
alors en commun devant ce fidèle Sauveur
pour le remercier de t'avoir permis de
réaliser ce que dit la parole qui t'est
échue
(2. Thess. 3, 3: Le Seigneur est
fidèle, qui vous affermira
et vous préservera du mal). Que ce qu'Il a
fait pour toi jusqu'à présent, te
soit une source de courage et de joie de plus en
plus intenses. Oh oui, la vie d'une diaconesse
sûre de sa vocation est une vie
bienheureuse ! Celle que le Seigneur y a
appelée a bien lieu de se dire :
- Pourquoi suis-je l'objet, Dieu, de ta
préférence ?
- Comment jamais m'en rendre
digne ?
Was hat dich, Herr, bewogen,
- Dass du mich vorgezogen,
- Bin ich auch jemals dessen
wert ?
Que nos coeurs le glorifient pour son amour et
sa
fidélité ! »
Au mois d'octobre de la même
année, Soeur Sophie revenait en Alsace,
d'abord à Mulhouse et ensuite à
Strasbourg. À partir de ce temps il se passa
une série d'années sans qu'elle
retournât dans sa patrie chérie
autrement que pour y passer ses vacances, et chaque
année cette perspective remplissait d'avance
son coeur d'espérance et de joie durant de
longues semaines ! Elle partait,
chargée de présents à faire,
de volumes à lire, d'ouvrages à
terminer, ne se disant point que le temps passerait
bien vite et ne suffirait pas à la
moitié de ses projets ; elle oubliait
chaque fois les leçons de l'année
précédente, et ses plans
recommençaient, radieux et
innombrables.
Voici sa ville natale baignant ses pieds
dans les flots bleus du lac et la ceinture
argentée des Alpes neigeuses ! Voici le
Val-de-Travers si verdoyant, où elle a
passé tant d'heureux jours chez sa
bien-aimée aïeule maternelle et chez
ses bonnes tantes ; voici
enfin sa montagne, Monlézi ! et sa
famille est là qui l'attend ; sa
mère, sa mère chérie !
Que de bonheur ! En fallait-il du temps pour
tout entendre, tout revoir ! Puis il fallait
de longues nuits pour se reposer des veilles, et
pourtant, quel dommage de perdre ainsi une partie
de ces instants si précieux ! Pour se
délasser de ses fatigues, elle inventait
d'autres fatigues, reprenant les courses
aventureuses d'autrefois, s'égarant dans les
chemins même les plus connus, ne calculant ni
le temps, ni la distance. Les bons fou-rires de
jeunesse qu'on reprenait alors, et comme les siens
étaient heureux de la retrouver telle qu'ils
l'avaient possédée autrefois !
Mais quand le moment du départ sonnait, bien
trop tôt pour tous, comme elle tâchait
de reprendre vaillamment le chemin du devoir en
leur répétant « Je suis une
prisonnière du
Christ ! »
Mais ce n'était pas seulement
pendant les vacances qu'elle était
accessible à toutes les joies pures et
bonnes et qu'elle les savourait avec
reconnaissance, sa faculté d'admirer et de
jouir de tout ce qu'il y a au monde de bon et de
beau était en elle une source de force
intarissable, une vraie fontaine de Jouvence. Un
rayon de soleil, une fleurette, une belle oeuvre
humaine la réconfortaient, elle y sentait
une émanation de la beauté divine,
quelque chose qui lui faisait comme toucher du
doigt l'amour du Père, sa grandeur, sa
toute-puissance. Elle possédait le secret de
boire au torrent du chemin et de toujours de
nouveau relever la tête
(Ps. 110, 7), et il lui fallait si
peu de choses pour se désaltérer
à grands traits aux
sources divines. Un jour qu'elle allait en
vacances, elle vit au moment du départ une
dent-de-lion dorée tout épanouie
entre les rails de la station. Aussitôt elle
eut comme une vision de toutes les chères
fleurettes qui attendaient sur la montagne qu'elle
vînt les cueillir, et, pleine d'un joyeux
empressement, elle s'empara de sa précieuse
trouvaille en s'écriant :
« Quel bonheur ! nous allons
commencer un bouquet ! »
La légende lui attribuait une
préférence marquée pour les
fleurs jaunes. Il est vrai que d'aucuns
prétendaient que cette
préférence était due
principalement au peu de sympathie dont elles
jouissent en général dans le monde,
et qu'en leur prodiguant sa faveur spéciale,
Soeur Sophie ne faisait qu'obéir à
l'instinct qui la portait vers tous les
déshérités de la vie. Cela est
fort possible, mais, comme il arrive facilement en
pareille occurrence, les petites
déshéritées avaient fini par
s'insinuer pour de bon dans ses bonnes
grâces, et elle leur avait voué une
tendresse véritable. C'était fort
heureux, car elle en était souvent
débordée, et d'ailleurs leurs gerbes
dorées se détachaient fort
avantageusement sur le vert foncé de son
ameublement.
Ce besoin qu'elle avait de se
repaître le coeur et les yeux de belles
choses, de choses aimables et dignes de louanges
(Phil. 4, 8) a été
parfois pour elle une source de difficultés,
comme il ressort de la lettre suivante que M.
Hoerter, à qui elle s'en était
ouverte, lui écrivait à la date du 15
septembre 1864:
« Bien que tu n'attendes
aucune réponse de ma part,
j'éprouve le besoin de te dire que ta
confiance filiale me touche vivement ; dis-moi
tout ce qui te trouble et ne crains pas de
m'affliger. Notre vie est une lutte, une mort de
tous les jours
(1 Cor. 15, 31). Mais nous ne sommes
pas seuls, car Lui, notre Emmanuel, est avec nous
tous les jours jusqu'à la fin du monde, et
parce qu'Il est notre vie, la mort nous est un
gain ! - Aussi nous consentons à mourir
à nous-mêmes, puisqu'il y a tout
à y gagner et rien à y perdre.
Ce que nous quittons pour le nom de
Jésus n'est point perdu pour nous, Il nous
le réserve et nous le rendra rayonnant de
céleste beauté, comme Jésus
Lui-même le dit :
Matth. 19, 29. Mais n'oublions pas
qu'il est dit : à cause de mon
nom ! c'est-à-dire à cause de
son nom de Sauveur et parce qu'Il est notre
Sauveur. - Où en es-tu à cet
égard ? Peux-tu dire : Quel autre
que toi ai-je au ciel ? et je n'ai pris
plaisir sur la terre qu'en toi
(Ps. 73, 25). Si c'est là
notre position vis-à-vis du Christ, nous ne
regarderons pas avec une indifférence
stoïque telle gracieuse fleur qui
s'épanouit au bord de notre chemin, nous y
verrons un message de Celui qui nous aime,
destiné à embellir et à
adoucir notre pèlerinage à travers le
désert ; mais nous ne nous y
arrêterons pas, car nous tendons vers le but,
nous aspirons plus haut. Dans les jardins de notre
patrie céleste il y a des fleurs
impérissables d'une beauté qui
dépasse tout ce que nous pouvons imaginer,
car Dieu a préparé à ceux qui
l'aiment des choses que l'oeil n'a point vues, que
l'oreille n'a point entendues et qui ne sont point
venues dans l'esprit de l'homme ».
(1 Cor. 2,
9.)
O ma Soeur, le Seigneur te rendra en
bénédictions surabondantes la bonne
volonté que tu as mise à tout
quitter ; si nous n'avions rien qui nous
fût précieux, nous n'aurions rien
à Lui offrir. C'est à Celui qu'on
aime par-dessus toutes choses, qu'on donne ce qu'on
aime par-dessus toutes
choses ! »
Après sa consécration en
1863, Soeur Sophie passa trois ans à la
Maison-Mère et s'occupa successivement de la
lingerie, du ménage et de l'éducation
des novices. Au mois de septembre 1866, pendant
qu'elle était en vacances à
Neuchâtel, elle eut le doux et triste
privilège d'assister sa mère dans sa
dernière maladie. Plusieurs lettres de M.
Haerter à notre Soeur sont datées de
cette époque. En voici une qu'il lui
écrivit d'Ottersweyer, où il passait
ses vacances.
Ma
chère Soeur en Jésus-Christ,
Ayant été
hier à Strasbourg, j'ai appris par ma fille
que tu es retenue à Neuchâtel par la
maladie de ta chère mère. J'en augure
que ces vacances, loin d'être un repos pour
toi, sont un temps d'affliction et d'angoisse.
Aussi je m'empresse de t'apporter les consolations
qui pourront t'aider à voir les choses
à la lumière
d'en-haut.
Lorsqu'au dernier
soir de sa vie terrestre Jésus vint
s'asseoir parmi ses bien-aimés disciples, Il
leur dit : « Vous êtes
maintenant dans la tristesse, mais je vous verrai
de nouveau, et votre coeur se réjouira, et
personne ne vous ravira votre joie. » Et
ils l'ont revu et leurs yeux le contemplent
éternellement ; ceux qui croyaient en
Lui et le servaient ici-bas dans
leur infirmité sont maintenant revêtus
de force, ils sont rois et sacrificateurs dans son
sanctuaire. Mais ce n'est pas Lui seul qu'ils
voient, ils ont retrouvé tous leurs
bien-aimés que le Père a
donnés à son Fils, car Lui, le
tout-puissant Fils de Dieu, a dit :
« Père, mon désir est que
là, où je suis, ceux que tu m'as
donnés y soient aussi avec moi, afin qu'ils
contemplent la gloire que tu m'as donnée,
car tu m'as aimé avant la création du
monde. »
Ces paroles du
Christ donnent aux siens l'assurance qu'un joyeux
revoir leur est réservé devant le
trône de sa gloire. Je suis sûr que ta
chère mère est de ceux qui lui ont
été donnés, comme aussi Mad.
Passavant, cette noble femme, à laquelle
elle ressemble tant. Sachons nous réjouir de
tout coeur pour celle que nous aimons, de la voir
délivrée des souffrances
présentes et admise dans les demeures de la
maison paternelle. Il serait égoïste
à nous de vouloir la retenir, lorsque
sonnera pour elle l'heure du repos ; que la
pensée de la joie qui sera son partage
adoucisse pour nous la douleur de la courte
séparation. Ceci a été ma
consolation au lit de mort de mon amie, Mad.
Passavant, ce sera la tienne, ma chère
fille, lorsque le Seigneur rappellera ta
mère pour lui assigner sa place parmi la
phalange des élus qui, revêtus de
robes blanches, des palmes à la main,
chantent d'une voix forte :
« Hosanna ! Le salut vient de Dieu,
qui est assis sur le trône, et de
l'Agneau ! »
Ce sera pour ta
mère la fin de toute tribulation, car
« Il fera toutes choses
nouvelles ». Quellejoie
pour elle, lorsque les esprits bienheureux
viendront à sa rencontre avec la couronne et
la parole de bienvenue : « Ta foi
t'a sauvée ! »
Encore un peu de
temps, et nous aussi nous entrerons dans le repos
du peuple de Dieu, quand notre tâche sera
achevée. - O ma chère Sophie, ne
perds pas de vue le but, réjouis-toi
d'appartenir au Sauveur par qui toutes choses nous
sont données.
Veuille
transmettre à ta mère
bien-aimée et à tous les tiens ce
message de ma part : « Dieu essuiera
toute larme de leurs
yeux. »
Ton père en
Christ,
F. HARTER.
Après la mort de cette mère tant
aimée, le fidèle pasteur
écrivit à notre Soeur, le 17 octobre
1866:
MA
CHÈRE FILLE,
La nouvelle du
départ de ta mère m'est parvenue.
J'avais souvent demandé à Dieu de lui
accorder une douce fin, et ma prière a
été exaucée : elle a pu
s'en aller, paisiblement comme elle a vécu,
vers son Sauveur et vers ceux de ses
bien-aimés qui l'avaient
devancée....
Tu nous manques
beaucoup ici, ma fille ; tes soeurs
entoureront ta grand'mère de leurs soins
affectueux, tu peux la quitter sans crainte. Reste
tant que ton devoir te réclame ; mais
n'oublie pas qu'à Strasbourg tu as un
père qui t'attend et qui compte les jours et
les heures de ton absence. Ne te
fais point de scrupule, si ta présence est
désirable, mais lorsque tu te sentiras libre
d'aller, ne tarde point. »
Soeur Sophie se rendit promptement
à cet appel ; mais déjà
au cours de l'année suivante nous la
retrouvons chez elle, rappelée par sa
famille, auprès de sa grand'mère
très âgée et devenue aveugle.
À cette époque elle reçut de
M. Haerter la lettre suivante, datée du 8
février :
Te voilà
tout-à-coup disparue du milieu de nous, et
tu as laissé derrière toi un grand
vide. Je ne songe pas à t'en faire un
reproche, je sais que tu l'as fait pour remplir un
devoir filial ; je t'approuve pleinement et je
voudrais que tu ne te tourmentes en aucune
façon. Tu reviendras quand tu pourras. En
attendant, ne néglige pas ta santé et
évite autant que possible les veilles. Je
porte toujours sur moi et je relis souvent les
lignes que tu m'as adressées le 1er janvier
et qui commencent par ces mots : « 0
mon Sauveur, donne-moi la foi et
l'obéissance d'Abraham. » Oui,
Abraham a accompli un acte d'obéissance, en
quittant sa famille et sa patrie pour aller dans le
pays destiné à être dans la
suite des temps le berceau du Sauveur, et combien
cette obéissance a été
bénie ! - À nous aussi, le
Seigneur veut nous rendre an centuple ce que nous
quittons pour Lui.
Tu dis dans ces
mêmes lignes : « Je
t'abandonne de tout mon coeur, ô
Jésus, mon Sauveur, ce que j'ai de plus
cher. » Ne crains rien, ma chère
enfant, rien n'est perdu de ce qu'on Lui donne, Il
nous dédommage à profusion de tout ce
dont nous nous privons pour Lui.
Il nous le tient en réserve et nous le
rendra purifié et sanctifié,
là où aucune séparation ne
déchirera plus nos
soeurs. »
Peu de temps après, Soeur Sophie
reprit son activité à la
Maison-Mère ; mais au mois d'octobre
1869 une maladie l'obligea à partir pour le
Midi. Son amie, Soeur Sophie B., étant
tombée malade en même temps, les deux
Soeurs caressaient le doux espoir d'aller ensemble
faire un séjour à Menton, mais au
dernier moment le médecin en décida
autrement, l'état de Soeur Sophie B. lui
interdisant les fatigues et les émotions
d'un voyage si long et si compliqué. Ce fut
un rude désappointement pour les deux
chères convalescentes, mais le verdict du
docteur fut confirmé par les
événements ; grâce
à Dieu, l'une et l'autre furent
conservées à notre Oeuvre. Soeur
Sophie trouva tous les soins que réclamaient
son état dans la famille de son frère
également en séjour à Menton.
Elle y resta jusqu'au printemps et se remit
entièrement, à la grande joie de ses
Soeurs, que sa maladie avait profondément
alarmées. Elle put, en revenant, se charger
de la direction de l'hôpital bourgeois de
Neuchâtel, et elle fut à même
alors de constater que sa vocation s'était
bien affermie depuis le temps de sa première
activité dans sa ville natale, car les
luttes qu'elle avait traversées à
cette époque lui furent désormais
épargnées.
La semence divine semée dans son
coeur par les soins de sa mère et sous
l'influence de cette vie religieuse dont sa patrie
était un foyer ardent, avait mûri,
grâce aux soins vigilants de son guide
spirituel et avait porté un
fruit permanent de force et de
paix. Après les luttes inévitables de
ses débuts dans l'oeuvre, le Seigneur lui
avait donné en sus de la certitude
inébranlable de sa vocation qu'elle
possédait déjà alors, une
pleine consécration à son service et
la grâce de pouvoir compter sur Lui pour
toutes choses. C'est dans le sentiment de cette
force que le Seigneur tenait à sa
disposition qu'elle put écrire aux membres
du comité qui la chargeait de ces nouvelles
fonctions : « J'ai la profonde
conviction que je suis appelée à cet
emploi par le Seigneur, et j'espère, par Son
secours tout-puissant, le glorifier et le servir
dans cette importante tâche. Je sens vivement
mon impuissance, mais je sens tout aussi vivement
que Celui qui m'y a appelée m'ouvrira ses
trésors de force, de lumière et de
grâce, et je me fonde uniquement sur ses
promesses. »
C'était l'année
terrible : tandis que le bombardement faisait
rage autour de la Maison de Strasbourg et que la
petite communauté traversait des temps
difficiles, Neuchâtel, de son
côté, n'était pas
épargnée. L'expulsion des Allemands
domiciliés à Paris y amena des flots
de malheureux, privés de tout moyen de
subsistance et apportant avec eux des germes
d'infection. Bientôt la fièvre
typhoïde sévit avec violence, et Soeur
Sophie en fut atteinte.
De longs mois se passèrent avant
que les communications entre Neuchâtel et
Strasbourg fussent rétablies, on
était sans nouvelles les uns des autres. Ce
ne fut que le 14 octobre, lorsqu'à
Neuchâtel on était en voie de se
remettre des suites de cette lugubre immigration,
et que Soeur Sophie, rétablie assez
promptement, grâce à
Dieu, était de nouveau en
pleine activité, que lui parvinrent les
premières nouvelles des tribulations par
lesquelles avait passé la
Maison-Mère. M. Haerter qui, le lendemain de
la capitulation, était allé chercher
à Ottersweier, dans le pays de Bade, un
asile où il pût se remettre quelque
peu des terribles émotions et des privations
endurées pendant le siège, lui
écrivait :
« Tu as
été malade pendant que j'étais
enfermé dans Strasbourg deux mois durant, et
il me tarde de savoir quel a été ton
mal et comment tu te portes à l'heure qu'il
est. Tu auras appris quels épouvantables
malheurs ont frappé notre ville. Que se
passe-t-il à Neuchâtel ? M. Godet
s'est employé de son mieux pour notre pauvre
Strasbourg : pendant qu'on bombardait la
ville, il a intercédé pour nous
auprès de la grande-duchesse de Bade. Louise
Büchsenschütz est restée au
Bon-Pasteur avec Soeur Emma Arlenspach, et à
elles deux elles ont veillé sur la maison
pour prévenir l'incendie. Beaucoup de gens,
qui avaient tout perdu dans les flammes, ont
été heureux de se réfugier
dans les pièces vides du
rez-de-chaussée. Dieu bénisse nos
deux Soeurs pour leur
fidélité ! »
Bientôt une seconde invasion de
malheureux fit irruption en Suisse,
c'étaient les débris de
l'armée licenciée de Bourbaki, qui
harassés, demi-morts de faim et de froid,
venaient demander asile. Jour et nuit les
diaconesses de l'hôpital de Neuchâtel
les entourèrent de leurs soins et,
grâce à Dieu, sa chère
directrice, à peine remise de sa maladie,
subit ce nouveau choc de pied ferme. Elle
resta trois ans à son
poste, et lorsqu'elle revint à la
Maison-Mère le 3 novembre 1873, elle avait
réussi à enrôler une aide
précieuse pour la maison d'éducation
du Bon-Pasteur nouvellement fondée, en la
personne de sa soeur cadette, auteur d'une
biographie de notre Soeur Sophie, à laquelle
nous avons emprunté bien des détails
intéressants.
On confia d'abord à Soeur Sophie
la direction de la Maison de Santé, puis,
trois ans plus tard, celle de la Maison de
Retraite, et chacun de ces postes fut pour elle une
école bénie, où le Seigneur
put continuer en elle son oeuvre de sanctification,
la transformer à sa ressemblance et
opérer en elle ce que St. Paul demande pour
les chrétiens de Colosse :
« elle fut de plus en plus remplie de la
connaissance de sa volonté, de toute la
sagesse et de toute l'intelligence
spirituelle ». Elle agissait vraiment
« pour plaire au Seigneur en toutes
choses, fructifiant par toutes sortes de bonnes
oeuvres ». (Col. 1. 10.)
Les lignes suivantes, qui datent de
cette époque, nous révéleront
le secret de sa force et de sa croissance
spirituelle ; puissent-elles être en
bénédiction à bien des
âmes !
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