SERMONS
TROP TARD
ou
DIEU FIDÈLE EN SES MENACES
« Or, dans ce même
temps, quelques-uns de ceux qui se trouvaient
là lui parlèrent des
Galiléens, dont Pilate avait
mêlé le sang avec leurs sacrifices. Et
Jésus répondant leur dit :
Pensez-vous que ces Galiléens fussent plus
coupables que tous les autres Galiléens,
parce qu'ils ont souffert de telles choses ?
Non, vous dis-je, mais si vous ne vous
convertissez, vous périrez tous
également.
Ou pensez-vous que ces dix-huit sur qui est
tombée la tour de Siloé et qu'elle a
tués, fussent plus coupables que tous les
autres habitants de Jérusalem ? Non,
vous dis-je, mais si vous ne vous convertissez,
vous périrez tous semblablement. »
(Luc XIII, 1-5.)
MES FRÈRES,
L'histoire ne nous apprend rien ni de ces
Galiléens, que Pilate, magistrat
sévère jusqu'à la
cruauté, paraît avoir fait
égorger pendant qu'ils
célébraient un sacrifice ; ni de
cette tour construite dans Jérusalem
près des eaux de
Siloé, qui était tombée en
écrasant dix-huit personnes sous ses
débris : mais peu importe à
l'objet que Jésus se proposait auprès
de ses auditeurs, et que je me propose
auprès de vous. Dans cette destruction
soudaine qui était venue, là par la
décision du pouvoir ; ici par un
accident naturel, surprendre quelques
pécheurs dans leur sécurité,
Jésus veut qu'on voie des jugements
destinés à avertir tous les hommes
dans la personne d'un petit nombre de victimes,
Dieu ménageant les coups de sa justice, tout
en la mettant au service de sa
miséricorde.
Loin de se croire meilleurs que ceux qu'une
catastrophe soudaine vient d'enlever, ceux qui y
ont échappé doivent apprendre qu'un
sort semblable leur est réservé,
s'ils ne se convertissant pas.
Ainsi expliquée, la menace de Jésus
ne s'adresse pas moins à nous qu'à
ses contemporains. Que dis-je ? ne
s'adresse-t-elle pas à nous plus
spécialement, plus énergiquement
qu'à tous les autres ?
Eh ! que voyons-nous de toutes parts autour de
nous que Galiléens égorgés et
que tours de Siloé qui s'écroulent,
avec cette seule différence que si les Juifs
comptaient leurs victimes par dix-huit, nous
comptons les nôtres par centaines ou par
milliers ?
Quand la terre fut-elle plus remuée, le ciel
plus sévère, la colère de Dieu
plus déclarée, la vie plus
sérieuse et plus incertaine ?
« L'Europe, » disait
naguère une feuille étrangère
qui s'est placée au premier rang dans les
influences morales de
l'époque, « l'Europe a ressenti
depuis quelques années des commotions telles
que le monde n'en a point éprouvé
depuis la chute de l'empire romain. »
Hélas ! et à compter les nuages
qui s'amoncellent aujourd'hui sur notre horizon, on
se demande si tout ce qui a
précédé serait autre chose
qu'un « commencement, de
douleurs »... Grand Dieu, Dieu de
justice, Dieu de miséricorde,
épargne-nous ! Mais, soit que tu
épargnes, soit que tu frappes, fais-nous
recevoir instruction, pour que nous nous
convertissions et que nous ne périssions
point !
À faire un discours complet sur la
matière qui nous occupe, il faudrait
commencer par définir nettement les deux
termes périr et se convertir.
Mais pressé d'en venir à
l'application pratique, je vous laisse à
vous-mêmes le soin de cette double
définition, et m'en rapporte
là-dessus à votre bon jugement et
à votre bonne foi.
Deux mots seulement.
Bien qu'en prononçant les paroles de mon
texte, Jésus ait eu sans doute devant les
yeux la destruction imminente de Jérusalem,
sa pensée ne s'arrête pas là,
vous en convenez tous : le châtiment
qu'il dénonce contre les impénitents
est avant tout le jugement à venir, la
perdition de l'âme.
Cette perdition, en quoi consiste-t-elle ?
qu'est-ce que périr ?
Périr, selon les Écritures,
c'est-à-dire selon Dieu, c'est demeurer sous
« la malédiction de
Dieu ; » « c'est aller au
feu Éternel préparé au diable
et à ses
anges ; » c'est être
livré « au feu qui ne
s'éteint point, et au ver qui ne
meurt » point ; » c'est
souhaiter « de n'être jamais
né ; » c'est
s'écrier : « Collines, tombez
sur nous, et nous cachez de devant la colère
de l'Agneau ; » c'est
hériter, au lieu de la vie éternelle,
« la colère à
venir. »
Sur le sens de ces déclarations, mon cher
auditeur, plus spécialement sur la
durée des peines futures, pas de
commentaires, pas de discussion
contradictoire : là-dessus je m'en
rapporte à vous.
Si les peines éternelles ne sont pas dans
les Écritures, je ne veux pas que vous les y
voyiez ; et si elles y sont, je veux que vous
les y voyiez par vos yeux, non par les miens
Une simple question adressée à votre
sens droit : dans ce langage, qui n'est pas de
moi, mais des prophètes, des apôtres,
de Jésus-Christ, et que je vous laisse
(encore une fois le soin d'interpréter
vous-même pour vous-même, il s'agit en
tout cas, n'est-il pas vrai ? De quelque chose
d'épouvantable, auprès de quoi toutes
les calamités de la vie présente ne
méritent pas d'être
nommées ?
Eh bien ! Cela suffit à mon dessein
présent.
Je ne m'étends pas davantage, et je m'en
rapporte également à vous, sur ce que
c'est que se convertir : vous le savez
assez ; ce n'est pas la lumière qui
vous manque.
La conversion est un changement intérieur et
profond, qui a pour auteur l'Esprit de Dieu, pour
principe la foi en « Jésus-Christ
et lui crucifié, » pour fruit une
vie nouvelle, et par lequel on devient,
en deux mots, un vrai croyant et
un vrai saint.
Ce changement, plusieurs de vous, beaucoup de vous,
j'aime à le croire, l'ont
éprouvé, ce qu'ils ne doivent se
faire aucun scrupule de reconnaître, pourvu
qu'ils en donnent toute la gloire à Dieu
seul.
Mais il y en a d'autres, n'est-il pas vrai, qui,
à les en croire eux-mêmes, n`ont rien
éprouvé de semblable. C'est à
eux, c'est à vous, c'est à toi, qui
ne te juges pas converti, que je m'adresse
aujourd'hui, pour vous demander une fois, bien
sérieusement, ce que vous faites de la
menace de mon texte. Vous entendez
Jésus-Christ vous disant :
« Si vous ne vous convertissez, vous
périrez ; » vous n'êtes
pas converti, selon vous ; vous êtes
exposé à mourir tous les jours - et
pourtant vous vivez tranquille : comment
cela ?
À cette question, il n'y a qu'une
réponse possible : vous ne prenez pas
la menace de Jésus-Christ au
sérieux.
Ce n'est pas que vous rejetiez la
vérité de l'Écriture, ou
l'autorité de Jésus-Christ :
non, vous n'êtes pas impie ; je ne vous
suppose pas même incrédule. Seulement,
par une contradiction que je n'ai point à
expliquer, vous êtes incroyant sur un
point : les promesses de l'Évangile,
soit ; ses doctrines, passe encore ; mais
ses menaces, mais surtout cette menace terrible qui
porte sur un mystérieux avenir, non, vous
n'y sauriez souscrire sans réserve ; et
la réserve, une fois mise à l'usage
du pécheur inconverti, s'étend, avec
une complaisante
élasticité, autant
que l'exige son repos. La colère de Dieu,
c'est une figure ; Dieu est trop bon pour
traiter ses créatures avec tant de
rigueur ; l'homme est trop faible pour
être jugé si coupable ; peut-on
se perdre en faisant comme tout le monde, et le
salut serait-il l'exception ? dépend-il
de nous d'ailleurs de croire et de nous
convertir ?...
N'est-ce pas là, mon cher auditeur, le fond
de votre pensée ?
Je pourrais vous répondre par des raisons,
par les raisons les plus fortes. Si Dieu est bon,
il est saint aussi ; sa sainteté
réclame une sanction pour sa loi ; et
ce serait se moquer que d'abandonner cette sanction
au jugement intéressé du
pécheur.
Puis, si une partie de l'Écriture est
contestable, le reste le sera aussi, et chacun
pourra finir par n'en retenir que ce qui convient
à ses idées, à ses goûts
ou à ses besoins.
Enfin, c'est Jésus-Christ qui parle, lui, la
vérité, la sainteté, la
charité même : qui croirez-vous
si vous ne le croyez ? Mais j'ai une
réponse plus courte et plus
péremptoire : celle des faits.
Si vous ne voulez pas juger de ce que Dieu fera
dans l'avenir par les avertissements qu'il vous
donne, jugez-en du moins par ce qu'il a
déjà fait dans le passé ;
car il serait trop vain de soutenir que Dieu ne
puisse pas faire ce qu'il est constant qu'il a
fait.
Dieu a plus d'une fois, dans le cours des
siècles, fait aux hommes des menaces
analogues à celle qui nous occupe en ce
moment, avec cette différence qu'elles se
rapportaient à la vie
présente, ce qui permet d'en suivre
l'accomplissement.
La plupart n'y ont point cru : il n'y a
qu'à voir si leur espérance,
fondée sur des raisons semblables aux
vôtres, a été
réalisée ou déçue.
C'est une question d'histoire, et la réponse
est dans les événements.
Cette réponse, la voici en deux mots :
Dieu avertit les hommes d'autrefois, comme il vous
avertit ; les hommes d'autrefois doutent de la
menace qui les concerne, comme vous doutez de celle
qui vous concerne ; et l'expérience
donne raison à la Parole de Dieu contre eux,
quand il est trop tard pour se mettre en garde,
comme elle lui donnera raison contre vous...
Il ne faut pas m'opposer que les châtiments
passés dont Dieu a visité
l'incrédulité humaine,
diffèrent trop d'avec les châtiments
à venir qu'il a dénoncés
contre l'impénitence finale, pour que l'on
puisse conclure de la réalité des
premiers à celle des seconds.
Cette objection serait fondée, si je
prêchais sur la justice ou sur
l'opportunité de ces châtiments
à venir : autre est un châtiment
temporel, autre un châtiment spirituel ;
autre surtout est un châtiment temporaire,
autre un châtiment éternel.
Mais je prêche sur la
fidélité de Dieu dans ses
menaces ; et je conclus de ce que
l'événement a toujours
vérifié les menaces qu'il avait
faites pour le passé, quelles qu'elles aient
été, qu'il vérifiera
également les menaces qu'il a faites pour
l'avenir, quelles qu'elles soient ; je dis,
quelles qu'elles soient
d'après
vous-même.
Cette conclusion-là est parfaitement
légitime, et d'autant plus conforme à
l'esprit des Écritures, qu'elles nous
représentent ces expériences visibles
et passagères auxquelles j'en veux appeler
aujourd'hui, comme destinées, dans le plan
divin, à servir de type et de gage aux
choses invisibles et éternelles, où
tout vient aboutir. À ce point de vue, c'est
plus que des exemples que je vais citer : ce
sont des arguments, et des arguments
ménagés tout exprès de
Dieu.
Mais comprendrez-vous bien le sentiment dans lequel
je vous présente ces effrayantes
images ?
C'est presque sortir des habitudes de ma
prédication, peu remplie de cette
matière, vous le savez - peut-être
trop peu - peut-être moins que celle de
Jésus-Christ et de ses apôtres...
Serait-ce aussi de ma part un levain de doute et de
concession à la mollesse du
siècle ?...
Quoi qu'il en soit, ce sont là des sujets
que je ne traite qu'en me faisant violence, et
comme contraint par l'intérêt de votre
salut.
Je parle plus volontiers de grâce et de
pardon ; mais un serviteur fidèle de
Jésus-Christ doit faire l'un, sans
négliger l'autre.
Peut-être même la prédication de
la loi et du jugement est-elle plus
nécessaire que de coutume dans un temps
où toutes les idées fortes
s'effacent, où les sentiments et les
caractères vont se ramollissant, et
où tout accueil serait assuré
à la miséricorde de Dieu, pourvu
qu'elle fût séparée d'avec sa
sainteté.
Erreur capitale, qui ne compromet pas moins la
miséricorde que la
sainteté : car la miséricorde
suppose et mesure la sainteté ; comme
la délivrance le péril. Quoi qu'il en
soit, Dieu, non plus que Jésus-Christ, il ne saurait être
partagé
(1 Cor. I, 13.) : » il faut ou se passer
de lui, ou le prendre tel qu'il est.
Premier exemple. Il ne tarde guère à
se présenter. Le monde ne faisait que de
naître. Dieu avait placé l'homme dans
Éden, en lui disant : « Tu
mangeras librement de tout arbre du jardin ;
mais quant à l'arbre de la science du bien
et du mal, tu n'en mangeras point ; car au
jour que tu en mangeras, tu mourras de mort
(Gen. II, 16-17.). »
Cette menace n'avait pas pour Adam le sens
précis qu'elle a pour nous : qu'est-ce
que la mort pour qui n'a connu que la vie ?
Néanmoins il dut au moins comprendre que le
châtiment dont il était menacé
n'était rien moins que la destruction
soudaine de toute la félicité dont il
jouissait. C'en était assez pour le retenir,
s'il avait cru, simplement et naturellement,
à la menace de ce Dieu qui l'avait
comblé de tant de biens.
Mais voici une voix inconnue (hélas !
trop connue depuis !) qui lui souffle à
l'oreille cette séduisante
espérance : « Vous ne mourrez
nullement ; mais Dieu sait qu'au jour que vous
mangerez, vos yeux seront ouverts, et vous serez
comme des dieux, sachant le bien et le mal
(Gen. III, 4, 5.). »
Et véritablement, dans
l'ordre des réflexions qui
vous rassurent aujourd'hui vous-mêmes, il y
avait beaucoup à dire contre
l'accomplissement de la menace divine, même
sans recourir à l'hypothèse impie par
laquelle le serpent l'expliquait.
Quelle que pût être cette mort qui lui
était prédite, quel rapport rationnel
Adam pouvait-il concevoir entre elle et l'usage
d'un fruit, seul défendu entre mille autres
permis : comment ce qui partout ailleurs
nourrissait l'homme, pouvait-il ici le priver de la
vie ?
Puis, quelle proportion reconnaître entre la
perte non seulement de tous les dons de Dieu ;
mais de la vie elle-même, et une seule
désobéissance, petite et
insignifiante entre toutes : où est le
Père qui « châtie son enfant
jusqu'à le faire mourir
(Prov. XIX, 18 ;
XXIII,
13-14.) ? »
Quelle apparence enfin que Dieu eût
créé l'homme pour le
détruire : ne se fût-il pas
abstenu de le former, ou tout au moins de le former
libre, plutôt que de le livrer, presque sans
défense, par les penchants mêmes dont
il l'avait pourvu, à une tentation aussi
entraînante que les suites en devaient
être terribles ?
La sagesse de Dieu, la justice de Dieu, la
bonté de Dieu, tout défendait de
presser rigoureusement sa menace ; sans parler
de l'équité due aussi à son
contradicteur, qui n'avait pas
d'intérêt apparent à tromper
l'homme, et dont le commentaire semblait
confirmé par le nom même que Dieu
avait donné à l'arbre fatal.
Ce fut remplie de toutes ces pensées, dont
vous devez reconnaître
l'analogie avec les vôtres, que la
première femme, « voyant que le
fruit était bon à manger, beau
à voir, et désirable pour donner de
la science, » y porta la main -
écoutez le silence qui se fait dans toute la
création, suspendue dans l'attente d'une
expérience terrible...
C'en est fait, l'expérience est
tentée, Ève a mangé et Adam
avec elle, leur curiosité est satisfaite,
leurs yeux sont ouverts.
Eh bien ! à ces yeux ouverts, comment
apparaît la menace de Dieu ?
Était-elle vraie, ou ne l'était-elle
point ?
Allez le demander à Adam agenouillé
à côté du cadavre d'Abel
égorge par Caïn - l'appelant, point de
réponse - le secouant, point de
réveil - et se persuadant par degrés
que c'est là sans doute cette mort que Dieu
lui avait annoncée pour prix de son
péché.
Cette mort, non seulement elle était
réelle, puisqu'elle était
venue : mais elle était plus affreuse
que toutes les idées qu'il avait pu s'en
faire.
Cette mort, elle n'était pas pour lui
seulement, mais pour toute sa race : et ses
fils y participaient après lui, que
dis-je ? avant lui !
Cette mort, ce n'était pas seulement la mort
physique, c'était aussi la mort
morale : et la perte d'un des frères
était le crime de l'autre !
Cette mort, ce n'était pas seulement une
mort future, c'était une mort
présente : Adam voyait, tout vivant, en
face de la porte d'Eden fermée, celle de
toutes les douleurs ouverte pour cette vie - sans
parler de ce qu'il en entrevoyait de
réservées à celle qui est
à venir.
Il n'a pas voulu croire avant de voir, il s'est
instruit par la vue, mais instruit trop
tard, et lorsqu'aucune puissance au monde ne
saurait recommencer l'épreuve...
Eh bien ! si vous demandiez à Adam,
tandis que le tentateur, désormais
démasqué, lui redit avec un
ricanement amer : « Vous ne mourrez
nullement » si vous lui demandiez ce que
vous devez faire devant la menace qui vous est
adressée à vous, et qui n'est qu'une
autre forme de la même épreuve, que
vous dirait-il, que pourrait-il vous dire, à
moins qu'il ne fût devenu un démon
lui-même, sinon que vous devez croire sans
hésitation ni réserve ?
Hélas ! s'il eût fait ainsi
lui-même Abel ne serait pas mort, ni
Caïn meurtrier !
Second exemple. Seize cents ans ont passé
sur la création.
Dieu dit à Noé : « Je
ferai venir un déluge d'eaux sur la terre,
pour détruire toute chair en laquelle il y a
esprit de vie sous les cieux ; tout ce qui est
sur la terre expirera. Mais j'établirai mon
alliance avec toi, et tu entreras dans l'arche, toi
et tes fils, et ta femme ; et les femmes de
tes fils avec toi
(Gen. VI, 17-18.). »
Noé, « prédicateur de la
justice, » bâtit l'arche et annonce
à ses contemporains le jugement à
venir, plus encore par ses œuvres que par ses
discours, « tandis que la patience de
Dieu les attendait
(1 Pierre 3 : 20.).
Ainsi s'écoulent, avant le temps
assigné à la justice, cent vingt ans
de miséricorde, dont l'invincible
incrédulité des
contemporains de Noé fait
cent vingt ans d'endurcissement.
« On mangeait et on buvait, on
bâtissait et on plantait, on prenait et on
donnait en mariage, jusqu'au jour que Noé
entra dans l'arche
(Luc 17 : 27), » et
(où
l'Éternel) en referma la porte sur
lui.
Ici encore, les raisons de douter ne manquaient
pas.
D'abord, la corruption, des hommes ne paraissait
pas telle que voulait bien le dire Noé.
« Que la malice des hommes soit
très grande, » à la bonne
heure ; mais « que toute
l'imagination des pensées de leur cœur
ne soit que mal en tout temps, » c'est
une exagération manifeste.
Et puis, s'il est vrai que cette corruption soit
universelle, cela même est. une sorte
d'excuse : il faut qu'elle soit naturelle et
inévitable, pour être commune à
toute la race sans exception.
Qu'est-ce d'ailleurs que ce déluge dont en
nous fait peur ?
Que Dieu vienne submerger l'espèce humaine
à peine créée, quand cela
serait croyable, cela est-il seulement
possible ?
Dieu peut tout, d'accord ; mais il en faut
toutefois excepter ce qui est contradictoire en
soi. A-t-on jamais vu que les eaux, qui cherchent
toujours le niveau le plus bas, se soient
élevées par-dessus toute la terre,
sans laisser même à ses habitants les
montagnes pour refuge ? Cela n'est-il pas
contraire aux lois de la nature les plus connues,
au bon sens d'un enfant ?
Et puis, comment savons-nous que c'est Dieu qui a
dit cela à Noé ?
Noé est un homme de bien,
soit ; mais est-il donc infaillible ? En
tout cas, la charité et l'humilité ne
sont pas au nombre de ses vertus, à lui qui
damne toute l'espèce humaine, excepté
lui et les siens bien entendu, et qui nous donne
tout cela pour des inspirations de Dieu !
De Dieu ? et quel Dieu nous fait-on ?
Un Dieu sans dignité, qui est capable de
déplaisir et de vengeance ; un Dieu
sans prévoyance, qui ne savait pas, en
faisant l'homme, qu'il se repentirait après
quelques siècles de l'avoir
formé ; un Dieu sans pitié, qui
brise de ses mains l'ouvrage de ses mains, et qui,
insensible aux souffrances physiques, aux tortures
morales de milliers et de milliers de ses
créatures, anéantit d'un seul coup
toutes les familles de la terre, à part ses
huit privilégiés !
Et ce serait là le Dieu qui nous a
créés ! le Dieu qu'invoquait
Adam ! le Dieu qu'adorait Abel !
le Dieu devant qui marchait Hénoc !
Fort bien raisonné, tout aussi bien que vous
raisonnez sur la menace de mon texte ; mais
tandis qu'on raisonne de la sorte, le déluge
vient, et emporte le raisonnement avec les
raisonneurs. Où, si quelques-uns parviennent
à gagner le sommet des montagnes, l'eau y
monte après eux, comme si elle était
douée de vie pour les poursuivre ; et
quand le dernier homme, demeuré seul de la
dernière famille, sent se dérober
sous lui son dernier refuge, en laissant tomber,
mais trop tard, un regard d'envie sur
l'asile flottant des huit croyants, portés
par ce même élément qui
efface tout le reste de dessous
les cieux - hâtez-vous d'aller lui demander,
avant qu'il expire, qui avait raison, ou du
prophète de Dieu qui disait :
« Tout ce qui' est sur la terre
mourra, » ou de la logique, et du
sentiment, et de la conscience, et de tout ce
à quoi le serpent ancien avait donné
une voix pour dire encore : « Vous
ne mourrez nullement ! »
Troisième exemple. Quatre siècles
après le déluge, deux anges dirent
à Lot dans Sodome : « Qui
as-tu encore ici qui t'appartienne, soit gendre,
soit fils ou fille, ou quelque autre qui
t'appartienne en la ville ? Fais-les sortir de
ce lieu : car nous allons détruire ce
lieu, parce que leur crime est devenu grand devant
l'Éternel, et il nous a envoyés pour
le détruire. Lot sortit donc, et parla
à ses gendres qui devaient prendre ses
filles, et leur dit : « Levez-vous,
sortez de ce lieu ; car l'Éternel va
détruire la ville
(Gen. XIX, 12-14.). ».
Cette fois, la menace avait quelque chose de plus
admissible. II ne s'agissait que d'une ville au
lieu d'un monde, et d'une ville si corrompue
qu'aucun châtiment ne devait paraître
au-dessus de ses crimes. Les anges d'ailleurs
avaient légitimé leur mission par le
prodige qu'ils avaient déjà accompli
sur les détestables habitants de Sodome. Que
de raisons de croire !
Oui, mais pensez-vous que les raisons pour douter
manquassent aux gendres de Lot ? Apprenez
qu'elles ne manquent jamais à qui en a
besoin et les cherche.
Avant tout, il y a toujours un abri pour tout le
monde sous le manteau commode et spacieux de ce
grand mot, de ce mot magique, si cher à la
création tout entière, si l'homme
n'en avait tant abusé, la bonté de
Dieu ; Dieu, que la multitude a ses raisons
intéressées pour appeler le bon Dieu,
est trop bon, non seulement pour détruire un
monde, mais encore pour détruire une
ville ; aussi bien pour moi, habitant de cette
ville, elle est mon monde ; j'en dirais autant
de ma maison.
Si Dieu peut détruire une maison, pourquoi
pas dix, pourquoi pas une ville, pourquoi pas un
pays, pourquoi pas un monde ?
La corruption de la ville, pensez-vous, lui
ôte le bénéfice de cette
bonté ?
Pourquoi cela encore ?
Une fois qu'un certain degré de
péché peut s'assurer de
l'impunité, pourquoi pas un degré
plus grand ?
Marquez donc, je vous prie, la limite
précise où finit la corruption qui
peut compter sur l'indulgence de Dieu, et où
commence celle qui doit ne s'attendre qu'à
sa justice ?
Et puis, c'est vous qui trouvez si méchants
les gens de Sodome : mais eux, ils n'ont garde
de se juger si rigoureusement. Clairvoyant pour les
défauts d'autrui, aveugle pour les siens,
voilà l'homme naturel dans tous les
temps.
Pensez-vous que les gens de Sodome fussent
indifférents aux péchés des
hommes qui avaient péri par le
déluge ? Non, non ; mais les
confondre avec ces gens-là, quelle injustice
criante ! Il en coûte peu de s'indigner,
quand c'est contre les autres, ou de
se repentir, quand c'est pour le
compte du prochain.
Mais toi, toi proprement, « tu es cet
homme-là, voilà ce qui
révolte, voilà ce qu'on ne saurait
reconnaître sans un coup de la grâce,
tel que celui qui éclaira David devant
Nathan
(2 Sam. XII.)
Il y avait même des considérations
à demi saintes qui pouvaient rassurer les
gendres de Lot et leurs concitoyens :
n'étaient-ils pas les bons amis d'Abraham
qui avait naguère armé sa maison pour
les délivrer, avec leur roi, des mains de
Kédor-Lahomer ? et qui sait si le saint
patriarche, que Dieu a jusqu'ici toujours
exaucé, ne se tient pas sur la montagne,
priant pour Sodome en ce moment de
péril ?
Et que serait-ce si on leur eût, dit comment
elle devait être détruite : une
pluie de feu et de soufre, qu'entend-on par
là ?
Un déluge, cela se conçoit, il y a de
l'eau sur la terre en abondance ; mais une
pluie de feu et de soufre, où en prendre les
éléments dans les airs, à
moins que Dieu ne veuille créer un agent
nouveau tout exprès pour en faire
l'instrument de sa colère, comme si les
forces ordinaires de la nature ne lui suffisaient
plus contre la pauvre Sodome ?
J'omets bien d'autres raisons de
sécurité que leur pouvait fournir le
ciel, la terre ou l'enfer.
Aussi, chose incroyable ! tandis que la seule
famille juste qui soit dans Sodome, la seule que le
Seigneur a promis d'épargner, est aussi la
seule qui tremble devant ses jugements ;
tandis que Lot ne se donne point de repos que
l'ange exterminateur n’ait
promis d'épargner Tsohar ; tous les
autres, à commencer par ses propres gendres,
croient qu'il se moque d'eux, et se moquent
eux-mêmes de lui ; « mangeant
et buvant, achetant et vendant, plantant et
bâtissant
(Luc XVII, 28.). »
Eh bien, oui, malheureux, moquez-vous !
prouvez que la menace est vaine !
« mangez et buvez ! » mais
quel est-ce nuage sombre qui s'étend sur
votre ville et sur la plaine qui
l'environne ?
D'où vient-elle, cette pluie nouvelle,
mêlée d'un feu qui vous consume et
d'un soufre qui éteint votre voix ?
Suspendez un moment vos démonstrations,
pendant que Dieu fait la sienne .....
Ah ! quand « un feu éternel
vous aura engloutis, » et mis pour servir
d'exemple au reste des Cananéens, s'ils
avaient des yeux pour voir
(Jude 7) ; quand il se sera
trouvé assez de feu et de soufre dans les
airs et assez de bitume dans la terre pour
renouveler la face de votre contrée tout
entière ; quand au lieu d'une ville
menacée, il en aura péri quatre, avec
toute la campagne qui les séparait ;
quand cette campagne fertile aura fait place
à une immense plaine d'eau, que la
postérité appellera tantôt le
lac Asphaltite, à cause du bitume
dont son onde sera trouvée saturée,
tantôt la mer Morte, parce qu'elle ne
pourra garder aucune créature vivante ;
quand votre sol sera devenu l'effroi du monde
physique, vos crimes l'effroi du monde moral, et
votre nom même le type de
l'opprobre et de l'infamie - alors ; trop
tard pour vous-mêmes, puisse du moins
votre folie apprendre aux générations
futures si la menace était illusoire, et
d'où sortait cette voix qui vous
disait : « Vous ne mourrez
nullement ! » de peur que le sort de
Sodome et de Gomorrhe ne devienne digne d'envie
pour Chorazin et Bethsaïda, je veux dire pour
Bordeaux, pour Marseille, pour Lyon, ou pour
Paris !
Voulez-vous quatrième exemple ? J'en ai
déjà montré trois sans sortir
de la Genèse, que je suis loin d'avoir
épuisée. Dieu avertissant l'homme se
rassurant, l'événement
vérifiant, dépassant la menace, et
convainquant trop tard ceux qui n'avaient
voulu se rendre qu'à l'expérience, au
lieu de marcher par la foi - voilà, à
part la différence des temps, des lieux et
des circonstances, l'histoire constante de
l'humanité
irrégénérée. C'est plus
spécialement l'histoire constante de ce
peuple à part, « qui semble avoir
été proposé à tous les
autres comme un exemple vivant de
l'incrédulité humaine
défaisant l'ouvrage de la
fidélité divine.
Les Israélites du désert, avertis
qu'ils seront privés du repos en Canaan
s`ils continuent de « tenter
Dieu, » le tentant une dernière
fois au moment de franchir la frontière de
la terre promise, et puis rejetés en
arrière dans le désert jusqu'à
ce que toute la génération sortie
d'Égypte y ait péri dans un exil de
quarante années, à l'exception de
deux hommes trouvés seuls
fidèles de tout un peuple ; les
Israélites de la conquête, avertis que
le repos de Canaan sera changé en
calamité perpétuelle s'ils s'allient
avec ses anciens habitants, s'alliant avec eux
dès les premiers jours de leur nouvel
établissement, et puis devenant du peuple
favori de Dieu le peuple le plus malheureux de la
terre, qui ne fait que changer de maître et
de joug durant quatre cents années ;
les Israélites de la royauté, avertis
que Jérusalem sera prise et le temple
brûlé s'ils persévèrent
dans leur idolâtrie,
persévérant dans leur
idolâtrie, remplissant Jérusalem de
dieux étrangers, et puis surpris un jour par
le Babylonien qui prend leur ville, brûle
leur temple et les emmène captifs pour
soixante-dix années : je laisse tout
cela, pour arriver à un exemple pris dans
les temps du Nouveau Testament, et dans les
discours de Jésus-Christ.
Quand la seconde Jérusalem, fière de
son second temple, a fait succéder à
la grossière superstition des temps
passés, la superstition plus subtile, mais
non moins funeste, des pharisiens ; quand elle
a levé la main contre le fidèle
Jean-Baptiste, et contre le Fils de Dieu
lui-même, Jésus prononce cette
prédiction contre elle, et la prononce en
pleurant (ah ! que ne savons-nous, comme lui,
mettre dans nos avertissements le poids de nos
larmes !) : « Les jours
viendront sur toi que tes ennemis t'environneront
de tranchées ; ils t'enfermeront, et
t'enserreront de toutes parts, et
te détruiront, toi et tes enfants au dedans
de toi, et ils ne laisseront en toi pierre sur
pierre, parce que tu n'as point connu le temps de
ta visitation... Or, quand vous verrez
Jérusalem investie par des armées,
sachez alors que sa désolation est proche.
Alors, que ceux qui sont en Judée fuient
vers les montagnes, et que ceux qui sont dans la
ville s'en retirent, et que ceux qui sont aux
champs n'y entrent point. Car ce seront là
les jours de la vengeance, afin que s'accomplisse
tout ce qui est écrit. .. Il y aura une
grande calamité sur la terre, et une grande
colère contre ce peuple ; et ils
tomberont par le tranchant de l'épée,
et seront menés captifs parmi toutes les
nations ; et Jérusalem sera
foulée aux pieds par les Gentils,
jusqu'à ce que les temps des Gentils soient
accomplis
(Luc XIX, 43, 44 ;
XXI, 20-24). »
Qui croit à cette menace ?
Qui peut la croire ?
Comment tomberait au pouvoir de l'ennemi une ville
enfermée dans une triple enceinte de
fortifications, et défendue par une
population non seulement vaillante, mais furieuse
et désespérée ?
Comment le Seigneur livrerait-il aux Gentils le
peuple qu'il s'est réservé pour son
partage, la cité qu'il a choisie pour
« le lieu de son trône, »
la maison dont il a dit : « Mon
cœur et mes yeux seront là, »
la terre que la prophétie assigne pour
théâtre à son bienheureux
empire ?
Comment, et selon quelles lois nouvelles de
l'histoire, les Juifs seraient-ils dispersés
parmi toutes les nations de la
terre sans perdre leur nationalité,
« errant, » dit le
prophète, « parmi tous les
peuples, comme le froment dans le crible, sans
qu'il en tombe un seul grain en terre
(Amos IX. 9.) ?
Comment. hélas ! multipliez les comment
tant que vous voudrez ; mais toutes ces
menaces irréalisables, les voici qui se
réalisent trait pour trait. Voici la ville
imprenable prise, par un ennemi si
étonné de sa propre victoire, qu'il
ne sait l'expliquer que par l'intervention de
quelque Dieu Vengeur. Voici le Seigneur rejetant
son peuple, le temple réduit en cendres,
Jérusalem foulée aux pieds, et la
terre d'Israël dévastée par les
Gentils.
Voici les Juifs dispersés parmi tous les
peuples, et promenant sous tous les climats ce sang
innocent qu'ils ont appelé sur leur propre
tête : « Que son sang soit sur
nous et sur nos enfants ; » et
toutefois, les voici partout distincts d'avec le
reste des hommes, conservant leur langage, leur
accent, leurs mœurs, leur physionomie, leur
caractère ineffaçable, et toujours
prêts à se rassembler au premier
signal, pour vérifier les promesses de la
prophétie aussi exactement qu'ils en ont
vérifié les menaces.
Allez demander au premier Juif venu si Dieu est
fidèle dans ses menaces... Ou si un
voile
étendu sur ses yeux l'empêche encore
de discerner le crime qui a pu attirer sur la
seconde Jérusalem une captivité
datant déjà de dix-huit
siècles sans avoir atteint son terme, quand
l'idolâtrie elle-même
n'avait attiré sur la
première qu'une captivité de
soixante-dix années - eh bien ! ne
l'interrogez pas, regardez-le seulement, et sur son
front, à la fois superbe et humilié,
lisez la réponse que vous cherchez.
En chaque Juif qui se montre à vos yeux,
voyez vivre et marcher une preuve certaine que la
voix qui a dit : « Vous ne mourrez
nullement » est une voix menteuse, et
qu'il suffit que Jésus-Christ ait dit ;
« Si vous ne vous convertissez, vous
périrez, » pour que vous
périssiez infailliblement, si vous ne vous
convertissez pas !
Aussi, mon cinquième et dernier exemple,
c'est vous qui me l'allez fournir.
Dans tous ceux que nous venons de rappeler, et
auxquels il ne serait que trop facile d'en ajouter
de nouveaux, nous avons trouvé une marche si
constante et si uniforme, qu'on n'eût pas
risqué de se tromper en pressentant
l'événement par la prédiction.
Eh, bien ! comme j'aurais pu sans crainte
raconter la prise de Jérusalem. avant
l'événement, sur le seul
témoignage de la prophétie de
Jésus-Christ, je puis aussi, sur le seul
témoignage de la menace de
Jésus-Christ, raconter aujourd'hui votre
histoire future.
Je me place donc, par la pensée, au
lendemain du jugement, et je raconte ce qui vous
sera arrivé, à vous qui entendez
aujourd'hui la menace de mon texte, et qui vous
flattez d'une vague espérance qu'elle ne
sera point exécutée.
Du temps que l`épreuve de la race humaine
durait encore (je parle
après le jugement), il y avait, au
dix-neuvième siècle de l'ère
chrétienne, sur le petit globe de la terre,
dans une ville du nom de Paris, des hommes qui se
glorifiaient, comme chrétiens, de
posséder la parole du Seigneur, et, comme
protestants, de la garder dans toute sa
pureté.
Ils lurent dans le Livre divin :
« Si vous ne vous convertissez pas, vous
périrez ; » mais leurs yeux
étaient comme retenus.
Plus d'un serviteur de Jésus-Christ les
pressa d'écouter ce sérieux
appel ; mais leur parole se perdit dans les
airs. L'un d'eux, en particulier, le
quinzième jour du mois de janvier de
l'année mil-huit-cent-cinquante-quatre de
Jésus-Christ
(1), les conjura
de s'y rendre attentifs - mais en vain.
Comme Adam, comme les contemporains de Noé,
comme les concitoyens de Lot, comme les Juifs de
Jérusalem, ils prêtaient plus
volontiers l'oreille à la voix perfide qui
redisait de siècle en siècle :
« Vous ne mourrez
nullement. »
Le prédicateur leur disait : Dieu l'a
dit ; mais ils répondaient en
eux-mêmes : A la bonne heure, mais dans
quel sens l'a-t-il dit ?
Le prédicateur leur disait : Rien de
plus clair que sa menace ; mais ils
répondaient en eux-mêmes : Une
prédiction est toujours obscure.
Le prédicateur leur disait : Voyez ce
qui est arrivé à Adam, aux
contemporains de Noé, aux concitoyens de
Lot, aux Juifs de
Jérusalem ; mais ils
répondaient en eux-mêmes : Les
choses sont bien différentes !
Le prédicateur fit ce qu'il put ; mais
ils s'en allèrent en disant, les uns :
Cet homme a bien parlé ; les
autres : Ceci est sérieux, il faudra y
repenser ; et ils demeurèrent tels
qu'ils étaient, jusqu'à ce que la
mort vint les surprendre dans leur
impénitence... et maintenant les
voilà « dans ce lieu de
tourment. »
Ce riche, qui avait amassé pour
lui-même et qui n'était point riche en
Dieu, qui jugeait la société en assez
bon ordre pourvu qu'il y conservât ses
avantages, qui « se traitait
splendidement » comme celui de la
parabole, qui se croyait irréprochable pour
n'avoir pas acquis sa fortune par
l'iniquité, mais qui ne connut ni la
repentance, ni la foi ni la charité, ni la
vie de renoncement et de sacrifice, le voilà
qui souffre et qui crie à Abraham :
« Père Abraham, aie pitié
de moi, et envoie Lazare, pour mouiller dans l'eau
le bout de son doigt et venir rafraîchir ma
langue, car je suis grièvement
tourmenté dans cette flamme
(Luc XVI, 24.) » - mais
maintenant il est trop tard.
Ce pauvre, qui, tout absorbé dans les
épreuves de la vie, ferma obstinément
l'oreille à cette voix si tendre :
« Venez à moi, vous tous qui
êtes fatigués et chargés, et
vous trouverez du repos pour vos
âmes ; » qui, au lieu d'entrer
dans les vues de Dieu qui le visitait, murmurait
contre Dieu et contre les hommes et rêvait le
bouleversement de la société pour y
avoir une place meilleure, le
voilà qui a échangé une vie
misérable contre une éternité
plus misérable encore, Il comprend
aujourd'hui cette parole de l'Apôtre :
« Ne regardez point aux choses visibles,
mais aux invisibles
(2 Cor. IV, 18.), » et
souhaiterait avec ardeur de pouvoir recommencer
l'épreuve de la vie - mais maintenant il
est trop tard.
Cette femme mondaine, dont le cœur, dont la
conscience, lui a dit plus d'une fois avec
l’Évangile : Tu as besoin de te
convertir, mais qui n'a pu se décider
à rompre avec un monde qui l'encensait, ni
avec une société dont elle
était l'idole, la voilà, dans quel
monde et avec quelle société, vous le
voyez ! Oh ! que ne donnerait-elle pas
aujourd'hui pour se retrouver au jour où ce
ministre de Dieu la conjurait de « fuir
la colère à venir ! »
Ce jour-là, il était temps encore -
mais maintenant il est trop tard.
Trop tard : mot amer, mot infernal, mot
qui est l'enfer !
Trop tard : c'est-à-dire le ciel
devenu d'airain, et tombant sur nous de tout son
poids !
Trop tard : c'est à dire le feu
brûlant qui brûle, brûle encore,
et ne s'éteint point, le ver rongeur qui
ronge, ronge encore, et lui seul ne périt
point !
Trop tard : c'est-à-dire la
miséricorde de Dieu épuisée
par sa justice, liée par sa
fidélité, et ne pouvant plus se faire
jour d'aucun côté sans déchirer
quelques-unes de ses perfections !
Trop tard : c'est-à-dire le
désespoir du Je ne puis, avec l'amertume
du « J'ai pu et je n'ai pas
voulu ! »
Trop tard... Mais il n'est pas trop
tard, pour vous qui m'écoutez !
Ce n'est pas de l'histoire que je viens de faire
dans mon dernier exemple, c'est de la
prophétie !
Démentez-la, comme les Ninivites celle de
Jonas : vous le pouvez l
Pour vous, le jour dure encore ; pour vous,
Dieu parle encore ; pour vous, la grâce
est accessible encore ; que dis-je ? pour
vous, les bras de votre Sauveur sont ouverts
encore, et semblent ne s'étendre sur sa
croix que pour vous recevoir.
Ah ! si vous avez pu douter ailleurs, ne
doutez plus devant cette croix : malheur
à qui pourrait discuter froidement la valeur
d'une menace que la vérité arrache
à un Sauveur crucifié !
Prenez-la, par la foi, sur le seul
témoignage de Dieu, et sans attendre celui
de l'expérience - qu'on n'a jamais attendu
que pour se perdre.
Prenez-la, telle quelle, sans vos commentaires,
sans les miens, terrible qu'elle est, mais vraie
qu'elle est, mais miséricordieuse qu'elle
est, et qui ne vous trouble que pour vous
sauver !
Prenez-la, tout simplement, tout naturellement,
comme un enfant, craignant moins de
l'exagérer que de l'atténuer, et vous
méfiant de tout ce qui ressemble, même
de loin, au sifflement incessant de l'ancien
serpent : « Vous ne mourrez
nullement ! »
Prenez-la, sans vous tourmenter des moyens à
employer pour vous convertir : si votre
cœur est droit, vous les trouverez ;
allez seulement, Dieu vous conduira.
Prenez-la surtout, ah ! prenez-la, sur la
parole du Dieu « qui
est amour, » non pas comme une menace de
sa colère, mais comme un avertissement de
son amour, mais comme un cri de son cœur
paternel, qui vous présage tout ce que vous
puiserez de secours et de délivrance dans
l'inépuisable trésor de ses
compassions :
« Je suis vivant, dit le Seigneur
l'Éternel, que je ne prends point plaisir en
la mort. du méchant, mais plutôt en ce
que le méchant se détourne de sa
voie, et qu'il vive. Détournez-vous,
détournez-vous de votre méchante
voie ; et pourquoi mourriez-vous, ô
maison d'Israël
(Ezéch. XXXIII,
11.) ?
« Aujourd'hui même, si vous
entendez sa voix, n'endurcissez point vos
cœurs »
Aujourd'hui, tandis que Dieu vous parle, Dieu
dis-je, et non pas moi, qui ne vous ai rien dit que
je n'aie tiré de sa Parole.
Aujourd'hui, tandis que vous vivez, tandis que vous
pouvez, tandis que vous voulez.
Aujourd'hui, et non pas demain. Faut-il vous dire
toute ma pensée ? Selon toutes les
vraisemblances, aujourd'hui - ou
jamais !...
Combien y en aura-t-il dans cette assemblée
qui profiteront de ce discours ? Je ne sais -
Dieu le sait : qu'il y en ait un du moins - et
que ce soit vous !
Amen.
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