Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE II

LE RÉVEIL À MENS

-------

Avant de parler de l'oeuvre de Félix Neff à Mens, nous ne devons pas oublier qu'il exerça, tout d'abord, pendant deux ans, son activité en Suisse, de 1819-1921.

Passionné pour le salut des âmes, il « allait partout fouillant » dans les cantons de Genève, de Vaud, de Neuchâtel et de Berne, pour « réveiller » les âmes endormies. Il allait partout « réveiller une foi vivante et véritable à exhorter à « veiller et prier de peur de tomber dans le sommeil et le relâchement. »
Comme il l'écrivait lui-même à cette époque-là, « se réveiller, c'est reconnaître la misère et la corruption du coeur humain. »
Aussi ne craignait-il pas de « démasquer » le péché « avec hardiesse », d'attaquer l'indifférence trop souvent naturelle à l'homme.
Il présidait beaucoup de réunions et insistait en temps et hors de temps » sur l'urgence de la conversion. Comme Jean-Baptiste, il avertissait les pêcheurs, pour qu'ils « évitassent la colère à venir ».

Il put recueillir des fruits de son travail dans ces cantons suisses où « un exercice continuel de prédications, de conversations et de chants » distingua sa mission.
Mais c'est surtout en France que l'oeuvre ; de Félix Neff fût visiblement marquée du sceau de la bénédiction divine. Il déploya dans notre pays tous les dons précieux qui lui avaient été départis.
Il débuta à Grenoble où il avait été appelé pour remplacer un des pasteurs de cette ville, M. Bonifas, obligé de s'absenter pour quelques mois, N'ayant pas fait d'études théologiques et n'étant pas consacré, Félix Neff n'était qu'un suffragant.

Notre évangéliste séjourna à Grenoble pendant quatre mois, de fin septembre 1821 à fin décembre. L'indifférence y était telle qu'il appelait cette ville un « cimetière » : « Les gens d'ici, écrivait-il, sont deux fois morts ». Malgré certains moments pénibles, Neff annonçait l'Évangile avec ardeur. À l'exemple de Saint-Paul, il pouvait s'écrier : « Malheur à moi si je n'évangélise ! » Mais il était obligé de monter en chaire, de porter robe et rabat et il n'aimait pas les « formes pastorales ».
Il établit une réunion chaque soir. Il en avait aussi fondé une à Vizille, près de Grenoble. Cela fit du bien et plusieurs personnes furent réveillées.

Cependant, la mission de Félix Neff à Grenoble, ne semble pas, à vues humaines, avoir porté beaucoup de fruits. Mais, il ne faut pas oublier qu'il n'y resta que fort peu de temps. Pour le « Maître de la moisson, les semailles de son serviteur n'ont pas, été vaines, ... « la semence germe et croit sans que le semeur sache comment » (Marc IV : 27).

Étant encore à Grenoble, Félix Neff reçut un jour, la visite d'un des deux pasteurs de l'église de Mens, petite ville située au sud-est de Grenoble. Ce dernier lui proposa de le remplacer quelque temps, parce qu'il devait s'absenter pendant plusieurs mois. Il accepta d'autant plus volontiers que M. Bonifas venait de rentrer dans son église.

Félix Neff partit donc pour Mens où il séjourna deux ans, du 28 décembre 1821 au 9 octobre 1823. Comme il n'avait pas fait d'études théologiques, le Consistoire le nomma « pasteur-catéchiste » : il devait s'occuper de l'instruction religieuse des catéchumènes et présider les ensevelissements, mais ne pouvait administrer les sacrements. Il prêchait au chef-lieu et dans les annexes et faisait beaucoup de visites. Aussi était-il d'un grand secours pour le pasteur titulaire, M. André Blanc.

Au début, il eut soixante-dix catéchumènes (1) « la plupart d'entre eux étant éloignés de deux ou trois lieues, dans un pays presque impraticable » n'avaient qu'une leçon par semaine, le jeudi matin. Les catéchumènes du bourg en recevaient quatre. Les leçons étaient si intéressantes et répondaient à des besoins si profonds qu'il y avait même plusieurs personnes qui faisaient plus d'une lieue pour y assister.

Nombreux étaient à Mens les obstacles à l'oeuvre de Dieu, au réveil : tout le monde était passionné de controverse. On aimait beaucoup la lecture des romans, le jeu des cartes, le bal qui est souvent une cause d'immoralité dans les villages. Ces goûts favorisaient le sommeil spirituel qui était général.

Quelques jours après son arrivée à Mens, Félix Neff prêcha dans le Temple : c'était le 13 janvier 1822. Il remarqua beaucoup d'attention. Dans les principales maisons de l'endroit, on lui posa, dès le soir même, plusieurs questions sur son sermon : « J'ai enfin trouvé, écrit-il le lendemain, ce que je n'avais pas encore trouvé dans ce département ; des gens qui voulussent au moins discuter sur la saine doctrine. C'était déjà beaucoup ; c'est une baguette de glu : qui s'y frotte s'y prend ».

Neff croyait voir dans ces personnes quelque étincelle de vérité, « c'est-à-dire quelque connaissance de leur misère. » « En un mot, ajoute-t-il, il semble que la parole rencontre ici quelque chose de mieux qu'à Grenoble ; mais je n'ose ni espérer, ni me réjouir. J'ai déjà tant de fois éprouvé qu'aussitôt que je jette un coup d'oeil sur mon ouvrage, Dieu le brise entre mes mains, que je ne puis plus espérer de le voir véritablement béni. Mais c'est une chose bien cruelle pour moi de voir que mon misérable amour-propre oblige le Seigneur de me faire échouer là où tout autre réussirait » (2).
En tout cas, il n'échouait pas auprès de ses catéchumènes puisqu'il en avait dix de plus. La plupart ne parlaient que le patois.

Ses prédications étaient suivies avec une grande assiduité. Les enterrements étaient pour lui l'occasion de prêcher l'Évangile. Des visites fréquentes qu'il faisait à une femme malade permettaient à plusieurs personnes de profiter de la lecture de la Parole de Dieu et de la prière : « Les paysans naturellement timides, écrivait-il, commencent aussi à se familiariser avec moi, et me prient d'aller les voir ; ils sont fort étonnés que je veuille les instruire en particulier ; ils n'ont jamais vu un ministre qui fit cela » (3).

Félix Neff se faisait donc « tout à tous ». Il ne ménageait pas sa peine et ne se plaignait pas. Il se dépensait sans compter au service de son Maître par amour pour les âmes qu'il voulait lui amener, Comme Whitefield, il aurait pu dire à son Dieu - « je me suis fatigué à ton service, mais je ne suis pas fatigué de ton service. Il n'avait pas toujours le temps de prendre ses repas, tant son activité était grande. Aussi Dieu le récompensait-il : « Les temples où je prêche, écrivait-il, sont constamment pleins ; souvent même beaucoup de personnes sont obligées de' rester dehors. Il règne pendant mes prédications, à ce que l'on m'assure, beaucoup plus de silence qu'il n'en régnait ci-devant ; les paysans en parlent. Plusieurs commencent à venir vers moi me demander des traités et des prières... Mes catéchumènes semblent aussi faire quelques progrès, surtout ceux du bourg que je tiens plus que les autres ».
Félix Neff les portait sur son coeur : il priait constamment pour eux, et les suivait dans leurs familles, autant qu'il était en son pouvoir. Il prenait l'intérêt le plus tendre à leur instruction. »

La plus intelligente de ses catéchumènes, Émilie Bonnet se convertit. Le changement qui s'était opéré en elle avait fait une vive impression sur toutes ses amies. Plusieurs se convertirent aussi, et la recherchèrent pour s'entretenir de leurs intérêts religieux. Elles firent des progrès en zèle et en connaissance, et leurs réunions devinrent assez nombreuses pour être remarquées : « Ce sont les seules personnes qui fassent un groupe un peu solide et qui se réunissent en particulier et régulièrement pour s'édifier. »

Ce petit noyau, de l'avis de Félix Neff, était le point le plus intéressant du pays. Il régnait entre ces jeunes filles dont l'aînée n'avait pas dix-sept ans une grande affection qui se fortifiait de jour en jour, et cet esprit de fraternité gagnait même des jeunes, « car ce que je n'avais vu, écrit Neff, on en voit de douze ans et au-dessous qui sont sérieusement touchées ou même réveillées » (4)
Un de ses catéchumènes refusait à ses parents d'aller au bal en disant : « Comment pourrions-nous danser après tout ce que Monsieur nous a dit ? »

Dans plusieurs maisons on ne lisait plus de livres frivoles et on renvoyait à Grenoble la caisse de romans qui arrivait chaque mois. Beaucoup de personnes à qui on les faisait lire s'en trouvaient sevrées ; « petit à petit, écrit Neff, on se retire du monde ; on ne joue plus la comédie ; on danse moins ; on se réunit pour chanter des cantiques, lire le « Magasin évangélique » et les petits traités, qui étaient restés sous clef depuis que Bonifas les avait envoyés ».

Félix Neff apprend que les jeunes filles protestantes de plusieurs villages ou hameaux se réunissaient régulièrement, depuis quelques semaines chez l'une d'elles pour chanter des psaumes, lire la Bible et réciter des prières.

Dans le seul village de la Baume, il ne s'était encore manifesté ni réveil, ni opposition ; le ministre était reçu avec beaucoup de respect, écouté avec une attention soutenue, mais, jusque-là, il ne semblait pas qu'on l'eût compris ; quatre ou cinq personnes seulement suivaient les cultes avec plus d'assiduité.

Un dimanche, après avoir prêché sur la naissance du Sauveur avec onction, mais avec une grande tristesse, tout occupé de l'état de ces pauvres âmes, la tête dans ses mains, il se mit à prier avec de profonds soupirs. Au lieu de se retirer comme à l'ordinaire, chacun des assistants demeura silencieusement à sa place ; puis, inquiets après quelques instants, ils lui demandèrent s'il était indisposé. Alors il leur dit:« Je ne suis point malade, mes amis, mais je pense avec chagrin que la plupart d'entre vous ont déjà oublié ce qu'ils viennent d'entendre ; cependant il est écrit : « Aujourd'hui, si vous entendez la voix de Dieu, n'endurcissez pas vos coeurs. Craignez que quelqu'un d'entre vous, négligeant la promesse d'entrer dans son repos, ne s'en trouve privé ».
Ces paroles firent une grande impression ; plusieurs fondirent en larmes, et ce fut le commencement du réveil. L'impulsion ainsi donnée, partout renaissaient les pieuses coutumes de nos pères : ce précieux culte de famille, négligé en tant d'endroits, s'établissait dans les foyers.

Chaque jour, Félix Neff découvrait quelque âme travaillée pleurant ses péchés. Des personnes de tout âge, de toute condition se confiaient en Jésus-Christ dont le « sang nous purifie de tout péché ». C'était le réveil des consciences longtemps endormies. « Beaucoup de personnes, écrivait-il, changent de vie, et ce qu'il y a de plus admirable, c'est que, sans que je m'en mêle, ils se rapprochent les uns des autres et savent se découvrir mutuellement, quoique dispersés sur une grande étendue de pays » (5)

Le futur « apôtre des Hautes-Alpes » trouvait encore le temps de préparer des jeunes gens - fruits du Réveil - au ministère évangélique. Il avait quatre élèves qui purent faire plus tard, leurs études théologiques à Montauban : Il eut pour eux la tendresse et la vigilance d'un père et leur écrivit fréquemment « ... Rappelez-vous, leur disait-il, rappelez-vous que vous n'êtes pas à Montauban seulement pour vous préparer au ministère, mais en quelque sorte pour l'y exercer déjà ... Demeurez attachés au cep, car hors de lui, quoi qu'en pense le monde, vous ne pouvez rien faire. Aimez-vous les uns, les autres... Écartez les questions oiseuses, priez ensemble, et serrez les rangs comme un peloton de fantassins pressé par la cavalerie. Je vous le répète, n'employez pas votre temps à des choses vaines » (6)

Mais jusqu'ici Neff, n'ayant été revêtu d'aucun titre, ne pouvait être admis et considéré comme pasteur, quoiqu'il en eût rempli les plus belles et les plus importantes fonctions. Étranger, sans diplôme, il pouvait être inquiété par les ennemis de l'Évangile, qui n'agissent nulle part autant que là où se concentrent la foi et le zèle.
Ces raisons puissantes le déterminèrent à demander la consécration qui lui fut donnée le 19 mai 1823, dans l'église de Poultry (près de Londres). Neff était déjà de retour à Mens, le mois suivant. Mais le séjour qu'il avait fait à Londres était une bonne fortune pour les calomniateurs ; aussi ne manquèrent-ils pas de le représenter sous les plus fausses couleurs, et de le dénoncer comme un agent des ennemis de la nation.

Ces tracasseries nuisaient à son oeuvre de réveil. Sa position commençait à devenir intolérable : « Je me considère, écrivait-il, comme étant ici bien peu solide, et je ne sais trop si j'y pourrai rester encore.
C'est alors qu'il pensa à aller dans les Hautes-Alpes « où, écrivait il le 3 août 1823, il y a des églises d'anciens Albigeois, vacantes depuis longtemps, où je serai probablement bien reçu, et où il me semble que le Seigneur me donnera de l'ouvrage, car elles sont du résidu d'Israël ».
Sur ces entrefaites, on lui proposa une église dans le Midi, mais réflexion faite, sous le regard de Dieu, il se décida pour les Hautes-Alpes où il arrivait quelques semaines plus tard.

Avant de caractériser le réveil de Mens, nous citerons une partie du jugement de M. André Blanc sur son collègue : « Pendant à peu près deux ans qu'il est demeuré dans nos Églises, il y a fait le plus grand bien. Le zèle pour la religion s'est ranimé, un grand nombre de personnes se sont occupées sérieusement de leurs âmes immortelles ; la Parole de Dieu a été plus recherchée et plus soigneusement lue ; les catéchumènes sont devenus plus instruits dans leurs devoirs de chrétiens, et l'ont montré dans leur conduite ; un culte de famille s'est établi dans beaucoup de maisons ; l'amour du luxe et de la vanité a diminué chez un grand nombre ; les aumônes on plus abondantes et les pauvres moins nombreux ; des écoles se sont établies en divers lieux ; soit dans Mens, soit dans nos campagnes, tout le monde a pu remarquer chez nos protestants une amélioration sensible dans les moeurs et dans l'amour du travail. Enfin, les travaux multipliés de Neff, son infatigable activité, ses courses, ses instructions laisseront pour longtemps, dans les églises de Mens, un souvenir béni du séjour qu'il y a fait ».

Le Réveil à Mens fut le résultat des prières de Neff et de tous ceux qui le demandaient avec lui. Ce fut aussi le résultat de la prédication fidèle des doctrines évangéliques remise en honneur : la chute de l'homme ; son entière corruption et sa condamnation ; la rédemption par le sacrifice expiatoire de Jésus-Christ ; la justification, par la foi, la régénération, la nécessité de la sanctification...

Félix Neff insista, en particulier, sur la rédemption par le sang du Christ. Cette doctrine si évangélique absorbait à elle seule la plus grande partie de ses sermons ou méditations.
Nous voyons par là l'efficacité de la prédication fidèle des doctrines évangéliques : cet exemple doit nous encourager à agir de même si nous voulons travailler efficacement au réveil de la foi et de la vie dans nos églises.

Le Réveil à Mens eut ceci de remarquable : c'est qu'il se manifesta surtout parmi la jeunesse et même parmi des enfants de neuf à onze ans. Ce furent les catéchumènes de Félix Neff qui se convertirent les premiers... Jeunes gens et jeunes filles avaient tous le sentiment profond de leur misère morale et spirituelle, de leurs péchés, Tous, ils éprouvaient l'ardent besoin d'en être délivrés. Tous, ils allaient, tels qu'ils étaient, à Jésus-Christ qui remplaçait l'angoisse et la tristesse de leurs coeurs par une paix et un bonheur divins. Plusieurs d'entre eux se sentaient même poussés à prêcher l'Évangile aux âmes assoupies et indifférentes.

Nous nous sommes demandés pourquoi le Réveil à Mens se manifesta surtout parmi la jeunesse. Est-ce parce que le zèle ardent de Félix Neff jeune et célibataire pouvait avoir une influence plus particulière sur elle ? Avait-il reçu le don spécial de savoir parler à la jeunesse ? Certainement. Mais surtout n'oublions pas que c'est le secret de Dieu qui fait souffler son Esprit où Il veut.

Le Réveil à Mens ne semble pas avoir été caractérisé par certains faits extraordinaires, comme il s'en produisit lors du Réveil dont Wesley fut l'instrument. Il se poursuivit normalement. Ce fut un réveil de conversion.
Évidemment, toutes les personnes « réveillées » à Mens ne persévérèrent pas dans la foi, mais la plupart d'entre elles demeurèrent fidèles jusqu'à la mort ».


(1) il en eut cent en 1822.

(2) A. Bost : « Lettres de Félix Neff », p. 174, t. 1.

(3) A. Bost : « Lettres de Félix Neff », p. 180, t. 1.

(4) A. Bost : « Lettres de Félix Neff », p. 214, t. 1.

(5) A. Bost : « Lettres de Félix Neff », p. 210-211, t. 1,

(6) A. Bost : « Lettres de Félix Neff », p. 299, t. Il. - L'idée de la création à Mens d'une École destinée à préparer des futurs pasteurs a été certainement empruntée à Félix Neff.
Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant