Avant de parler de l'oeuvre de Félix Neff
à Mens, nous ne devons pas oublier qu'il
exerça, tout d'abord, pendant deux ans, son
activité en Suisse, de 1819-1921.
Passionné pour le salut des
âmes, il « allait partout
fouillant » dans les cantons de
Genève, de Vaud, de Neuchâtel et de
Berne, pour
« réveiller » les
âmes endormies. Il allait partout
« réveiller une foi vivante et
véritable à exhorter à
« veiller et prier de peur de tomber dans
le sommeil et le
relâchement. »
Comme il l'écrivait
lui-même à cette
époque-là, « se
réveiller, c'est reconnaître la
misère et la corruption du coeur
humain. »
Aussi ne craignait-il pas de
« démasquer » le
péché « avec
hardiesse », d'attaquer
l'indifférence trop souvent naturelle
à l'homme.
Il présidait beaucoup de
réunions et insistait en temps et hors de
temps » sur l'urgence de la conversion.
Comme Jean-Baptiste, il avertissait les
pêcheurs, pour qu'ils
« évitassent la colère
à venir ».
Il put recueillir des fruits de son
travail dans ces cantons suisses
où « un exercice continuel de
prédications, de conversations et de
chants » distingua sa mission.
Mais c'est surtout en France que
l'oeuvre ; de Félix Neff fût
visiblement marquée du sceau de la
bénédiction divine. Il déploya
dans notre pays tous les dons précieux qui
lui avaient été
départis.
Il débuta à Grenoble
où il avait été appelé
pour remplacer un des pasteurs de cette ville, M.
Bonifas, obligé de s'absenter pour quelques
mois, N'ayant pas fait d'études
théologiques et n'étant pas
consacré, Félix Neff n'était
qu'un suffragant.
Notre évangéliste
séjourna à Grenoble pendant quatre
mois, de fin septembre 1821 à fin
décembre. L'indifférence y
était telle qu'il appelait cette ville un
« cimetière » :
« Les gens d'ici, écrivait-il,
sont deux fois morts ». Malgré
certains moments pénibles, Neff
annonçait l'Évangile avec ardeur.
À l'exemple de Saint-Paul, il pouvait
s'écrier : « Malheur à
moi si je
n'évangélise ! » Mais
il était obligé de monter en chaire,
de porter robe et rabat et il n'aimait pas les
« formes pastorales ».
Il établit une réunion
chaque soir. Il en avait aussi fondé une
à Vizille, près de Grenoble. Cela fit
du bien et plusieurs personnes furent
réveillées.
Cependant, la mission de Félix
Neff à Grenoble, ne semble pas, à
vues humaines, avoir porté beaucoup de
fruits. Mais, il ne faut pas oublier qu'il n'y
resta que fort peu de temps. Pour le
« Maître de la moisson, les
semailles de son serviteur n'ont
pas, été vaines,
... « la semence germe et croit sans que
le semeur sache comment » (Marc IV :
27).
Étant encore à Grenoble,
Félix Neff reçut un jour, la visite
d'un des deux pasteurs de l'église de Mens,
petite ville située au sud-est de Grenoble.
Ce dernier lui proposa de le remplacer quelque
temps, parce qu'il devait s'absenter pendant
plusieurs mois. Il accepta d'autant plus volontiers
que M. Bonifas venait de rentrer dans son
église.
Félix Neff partit donc pour Mens
où il séjourna deux ans, du 28
décembre 1821 au 9 octobre 1823. Comme il
n'avait pas fait d'études
théologiques, le Consistoire le nomma
« pasteur-catéchiste » :
il devait s'occuper de l'instruction religieuse des
catéchumènes et présider les
ensevelissements, mais ne pouvait administrer les
sacrements. Il prêchait au chef-lieu et dans
les annexes et faisait beaucoup de visites. Aussi
était-il d'un grand secours pour le pasteur
titulaire, M. André Blanc.
Au début, il eut soixante-dix
catéchumènes
(1)
« la plupart d'entre eux étant
éloignés de deux ou trois lieues,
dans un pays presque impraticable »
n'avaient qu'une leçon par semaine, le jeudi
matin. Les catéchumènes du bourg en
recevaient quatre. Les leçons étaient
si intéressantes et répondaient
à des besoins si profonds qu'il y avait
même plusieurs personnes qui faisaient plus
d'une lieue pour y
assister.
Nombreux étaient à Mens
les obstacles à l'oeuvre de Dieu, au
réveil : tout le monde était
passionné de controverse. On aimait beaucoup
la lecture des romans, le jeu des cartes, le bal
qui est souvent une cause d'immoralité dans
les villages. Ces goûts favorisaient le
sommeil spirituel qui était
général.
Quelques jours après son
arrivée à Mens, Félix Neff
prêcha dans le Temple : c'était
le 13 janvier 1822. Il remarqua beaucoup
d'attention. Dans les principales maisons de
l'endroit, on lui posa, dès le soir
même, plusieurs questions sur son
sermon : « J'ai enfin trouvé,
écrit-il le lendemain, ce que je n'avais pas
encore trouvé dans ce
département ; des gens qui voulussent
au moins discuter sur la saine doctrine.
C'était déjà beaucoup ;
c'est une baguette de glu : qui s'y frotte s'y
prend ».
Neff croyait voir dans ces personnes
quelque étincelle de vérité,
« c'est-à-dire quelque
connaissance de leur misère. »
« En un mot, ajoute-t-il, il semble que
la parole rencontre ici quelque chose de mieux
qu'à Grenoble ; mais je n'ose ni
espérer, ni me réjouir. J'ai
déjà tant de fois
éprouvé qu'aussitôt que je
jette un coup d'oeil sur mon ouvrage, Dieu le brise
entre mes mains, que je ne puis plus espérer
de le voir véritablement béni. Mais
c'est une chose bien cruelle pour moi de voir que
mon misérable amour-propre oblige le
Seigneur de me faire échouer là
où tout autre réussirait »
(2).
En tout cas, il n'échouait pas
auprès de ses catéchumènes
puisqu'il en avait dix de plus. La plupart ne
parlaient que le patois.
Ses prédications étaient
suivies avec une grande assiduité. Les
enterrements étaient pour lui l'occasion de
prêcher l'Évangile. Des visites
fréquentes qu'il faisait à une femme
malade permettaient à plusieurs personnes de
profiter de la lecture de la Parole de Dieu et de
la prière : « Les paysans
naturellement timides, écrivait-il,
commencent aussi à se familiariser avec moi,
et me prient d'aller les voir ; ils sont fort
étonnés que je veuille les instruire
en particulier ; ils n'ont jamais vu un
ministre qui fit cela »
(3).
Félix Neff se faisait donc
« tout à tous ». Il ne
ménageait pas sa peine et ne se plaignait
pas. Il se dépensait sans compter au service
de son Maître par amour pour les âmes
qu'il voulait lui amener, Comme Whitefield, il
aurait pu dire à son Dieu - « je
me suis fatigué à ton service, mais
je ne suis pas fatigué de ton service. Il
n'avait pas toujours le temps de prendre ses repas,
tant son activité était grande. Aussi
Dieu le récompensait-il :
« Les temples où je prêche,
écrivait-il, sont constamment pleins ;
souvent même beaucoup de personnes sont
obligées de' rester dehors. Il règne
pendant mes prédications, à ce que
l'on m'assure, beaucoup plus de silence qu'il n'en
régnait ci-devant ; les paysans en
parlent. Plusieurs commencent
à venir vers moi me demander des
traités et des prières... Mes
catéchumènes semblent aussi faire
quelques progrès, surtout ceux du bourg que
je tiens plus que les autres ».
Félix Neff les portait sur son
coeur : il priait constamment pour eux, et les
suivait dans leurs familles, autant qu'il
était en son pouvoir. Il prenait
l'intérêt le plus tendre à leur
instruction. »
La plus intelligente de ses
catéchumènes, Émilie Bonnet se
convertit. Le changement qui s'était
opéré en elle avait fait une vive
impression sur toutes ses amies. Plusieurs se
convertirent aussi, et la recherchèrent pour
s'entretenir de leurs intérêts
religieux. Elles firent des progrès en
zèle et en connaissance, et leurs
réunions devinrent assez nombreuses pour
être remarquées : « Ce
sont les seules personnes qui fassent un groupe un
peu solide et qui se réunissent en
particulier et régulièrement pour
s'édifier. »
Ce petit noyau, de l'avis de
Félix Neff, était le point le plus
intéressant du pays. Il régnait entre
ces jeunes filles dont l'aînée n'avait
pas dix-sept ans une grande affection qui se
fortifiait de jour en jour, et cet esprit de
fraternité gagnait même des jeunes,
« car ce que je n'avais vu, écrit
Neff, on en voit de douze ans et au-dessous qui
sont sérieusement touchées ou
même réveillées »
(4)
Un de ses catéchumènes
refusait à ses parents
d'aller au bal en disant : « Comment
pourrions-nous danser après tout ce que
Monsieur nous a dit ? »
Dans plusieurs maisons on ne lisait plus
de livres frivoles et on renvoyait à
Grenoble la caisse de romans qui arrivait chaque
mois. Beaucoup de personnes à qui on les
faisait lire s'en trouvaient sevrées ;
« petit à petit, écrit
Neff, on se retire du monde ; on ne joue plus
la comédie ; on danse moins ; on
se réunit pour chanter des cantiques, lire
le « Magasin
évangélique » et les petits
traités, qui étaient restés
sous clef depuis que Bonifas les avait
envoyés ».
Félix Neff apprend que les jeunes
filles protestantes de plusieurs villages ou
hameaux se réunissaient
régulièrement, depuis quelques
semaines chez l'une d'elles pour chanter des
psaumes, lire la Bible et réciter des
prières.
Dans le seul village de la Baume, il ne
s'était encore manifesté ni
réveil, ni opposition ; le ministre
était reçu avec beaucoup de respect,
écouté avec une attention soutenue,
mais, jusque-là, il ne semblait pas qu'on
l'eût compris ; quatre ou cinq personnes
seulement suivaient les cultes avec plus
d'assiduité.
Un dimanche, après avoir
prêché sur la naissance du Sauveur
avec onction, mais avec une grande tristesse, tout
occupé de l'état de ces pauvres
âmes, la tête dans ses mains, il se mit
à prier avec de profonds soupirs. Au lieu de
se retirer comme à l'ordinaire, chacun des
assistants demeura silencieusement à sa
place ; puis, inquiets après quelques
instants, ils lui demandèrent s'il
était indisposé. Alors il leur
dit:« Je ne suis point
malade, mes amis, mais je pense avec chagrin que la
plupart d'entre vous ont déjà
oublié ce qu'ils viennent d'entendre ;
cependant il est écrit :
« Aujourd'hui, si vous entendez la voix
de Dieu, n'endurcissez pas vos coeurs. Craignez que
quelqu'un d'entre vous, négligeant la
promesse d'entrer dans son repos, ne s'en trouve
privé ».
Ces paroles firent une grande
impression ; plusieurs fondirent en larmes, et
ce fut le commencement du réveil.
L'impulsion ainsi donnée, partout
renaissaient les pieuses coutumes de nos
pères : ce précieux culte de
famille, négligé en tant d'endroits,
s'établissait dans les foyers.
Chaque jour, Félix Neff
découvrait quelque âme
travaillée pleurant ses
péchés. Des personnes de tout
âge, de toute condition se confiaient en
Jésus-Christ dont le « sang nous
purifie de tout péché ».
C'était le réveil des consciences
longtemps endormies. « Beaucoup de
personnes, écrivait-il, changent de vie, et
ce qu'il y a de plus admirable, c'est que, sans que
je m'en mêle, ils se rapprochent les uns des
autres et savent se découvrir mutuellement,
quoique dispersés sur une grande
étendue de pays »
(5)
Le futur « apôtre des
Hautes-Alpes » trouvait encore le temps
de préparer des jeunes gens - fruits du
Réveil - au ministère
évangélique. Il avait quatre
élèves qui purent faire plus tard,
leurs études
théologiques à Montauban : Il
eut pour eux la tendresse et la vigilance d'un
père et leur écrivit
fréquemment « ... Rappelez-vous,
leur disait-il, rappelez-vous que vous n'êtes
pas à Montauban seulement pour vous
préparer au ministère, mais en
quelque sorte pour l'y exercer déjà
... Demeurez attachés au cep, car hors de
lui, quoi qu'en pense le monde, vous ne pouvez rien
faire. Aimez-vous les uns, les autres...
Écartez les questions oiseuses, priez
ensemble, et serrez les rangs comme un peloton de
fantassins pressé par la cavalerie. Je vous
le répète, n'employez pas votre temps
à des choses vaines »
(6)
Mais jusqu'ici Neff, n'ayant
été revêtu d'aucun titre, ne
pouvait être admis et considéré
comme pasteur, quoiqu'il en eût rempli les
plus belles et les plus importantes fonctions.
Étranger, sans diplôme, il pouvait
être inquiété par les ennemis
de l'Évangile, qui n'agissent nulle part
autant que là où se concentrent la
foi et le zèle.
Ces raisons puissantes le
déterminèrent à demander la
consécration qui lui fut donnée le 19
mai 1823, dans l'église de Poultry
(près de Londres). Neff était
déjà de retour à Mens, le mois
suivant. Mais le séjour qu'il avait fait
à Londres était une bonne fortune
pour les calomniateurs ; aussi ne
manquèrent-ils pas de le
représenter sous les plus fausses couleurs,
et de le dénoncer comme un agent des ennemis
de la nation.
Ces tracasseries nuisaient à son
oeuvre de réveil. Sa position
commençait à devenir
intolérable : « Je me
considère, écrivait-il, comme
étant ici bien peu solide, et je ne sais
trop si j'y pourrai rester encore.
C'est alors qu'il pensa à aller
dans les Hautes-Alpes « où,
écrivait il le 3 août 1823, il y a des
églises d'anciens Albigeois, vacantes depuis
longtemps, où je serai probablement bien
reçu, et où il me semble que le
Seigneur me donnera de l'ouvrage, car elles sont du
résidu d'Israël ».
Sur ces entrefaites, on lui proposa une
église dans le Midi, mais réflexion
faite, sous le regard de Dieu, il se décida
pour les Hautes-Alpes où il arrivait
quelques semaines plus tard.
Avant de caractériser le
réveil de Mens, nous citerons une partie du
jugement de M. André Blanc sur son
collègue : « Pendant à
peu près deux ans qu'il est demeuré
dans nos Églises, il y a fait le plus grand
bien. Le zèle pour la religion s'est
ranimé, un grand nombre de personnes se sont
occupées sérieusement de leurs
âmes immortelles ; la Parole de Dieu a
été plus recherchée et plus
soigneusement lue ; les
catéchumènes sont devenus plus
instruits dans leurs devoirs de chrétiens,
et l'ont montré dans leur conduite ; un
culte de famille s'est établi dans beaucoup
de maisons ; l'amour du luxe et de la
vanité a diminué chez un grand
nombre ; les aumônes
on plus abondantes et les pauvres
moins nombreux ; des écoles se sont
établies en divers lieux ; soit dans
Mens, soit dans nos campagnes, tout le monde a pu
remarquer chez nos protestants une
amélioration sensible dans les moeurs et
dans l'amour du travail. Enfin, les travaux
multipliés de Neff, son infatigable
activité, ses courses, ses instructions
laisseront pour longtemps, dans les églises
de Mens, un souvenir béni du séjour
qu'il y a fait ».
Le Réveil à Mens fut le
résultat des prières de Neff et de
tous ceux qui le demandaient avec lui. Ce fut aussi
le résultat de la prédication
fidèle des doctrines
évangéliques remise en honneur :
la chute de l'homme ; son entière
corruption et sa condamnation ; la
rédemption par le sacrifice expiatoire de
Jésus-Christ ; la justification, par la
foi, la régénération, la
nécessité de la sanctification...
Félix Neff insista, en
particulier, sur la rédemption par le sang
du Christ. Cette doctrine si
évangélique absorbait à elle
seule la plus grande partie de ses sermons ou
méditations.
Nous voyons par là
l'efficacité de la prédication
fidèle des doctrines
évangéliques : cet exemple doit
nous encourager à agir de même si nous
voulons travailler efficacement au réveil de
la foi et de la vie dans nos
églises.
Le Réveil à Mens eut ceci
de remarquable : c'est qu'il se manifesta
surtout parmi la jeunesse et même parmi des
enfants de neuf à onze ans. Ce furent les
catéchumènes de Félix Neff qui
se convertirent les premiers...
Jeunes gens et jeunes filles avaient tous le
sentiment profond de leur misère morale et
spirituelle, de leurs péchés, Tous,
ils éprouvaient l'ardent besoin d'en
être délivrés. Tous, ils
allaient, tels qu'ils étaient, à
Jésus-Christ qui remplaçait
l'angoisse et la tristesse de leurs coeurs par une
paix et un bonheur divins. Plusieurs d'entre eux se
sentaient même poussés à
prêcher l'Évangile aux âmes
assoupies et indifférentes.
Nous nous sommes demandés
pourquoi le Réveil à Mens se
manifesta surtout parmi la jeunesse. Est-ce parce
que le zèle ardent de Félix Neff
jeune et célibataire pouvait avoir une
influence plus particulière sur elle ?
Avait-il reçu le don spécial de
savoir parler à la jeunesse ?
Certainement. Mais surtout n'oublions pas que c'est
le secret de Dieu qui fait souffler son Esprit
où Il veut.
Le Réveil à Mens ne semble
pas avoir été
caractérisé par certains faits
extraordinaires, comme il s'en produisit lors du
Réveil dont Wesley fut l'instrument. Il se
poursuivit normalement. Ce fut un réveil de
conversion.
Évidemment, toutes les personnes
« réveillées »
à Mens ne persévérèrent
pas dans la foi, mais la plupart d'entre elles
demeurèrent fidèles jusqu'à la
mort ».
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