LES VAUDOIS
ET L'INQUISITION
CHAPITRE IX
Les dernières persécutions
dans les Alpes françaises.
ARTICLE I. - L'INQUISITEUR PIERRE
FABRI.
Un certain répit suivit ces années
de violences. On était dans les disputes du
grand schisme ; les esprits, occupés de
la question des papes, avaient assez à
faire ; ils laissaient respirer les
hérétiques. Saint Vincent Ferrier, le
grand missionnaire du moyen âge à son
déclin, dirigea à cette époque
(1401) vers les pays des Vaudois une de ces
tournées apostoliques, qui ramenaient les
âmes à Dieu, par la
prédication, non par les supplices
(1). Dans cette
circonstance, si la parole du saint missionnaire ne
produisit pas de fruits bien durables, du moins ne
laissa-t-elle pas de souvenirs amers.
Dans le second quart du XVe siècle,
en 1432, la persécution recommence avec
l'inquisiteur Pierre Fabri. Depuis le commencement
du siècle, l'inquisition du Dauphiné
se débattait contre la misère.
Charles V avait promis, après bien
des difficultés, de donner
à l'inquisiteur d'Embrun le même
traitement qu'à ceux de Toulouse et de
Carcassonne (1378)
(2). Cette
convention, arrachée non sans peine, n'avait
sans doute pas tenu longtemps, car Alexandre V
cherche, vingt-cinq ans plus tard (1409), à
procurer à l'inquisiteur quelques
ressources, au moyen d'une taxe sur les Juifs
d'Avignon ou sur les évêques de la
Province
(3) : Mesure
que la misère générale
empêcha peut-être d'aboutir, puisque
nous trouvons notre inquisiteur Pierre Fabri,
convoqué au concile de Bâle, s'excuser
d'y aller, en parlant de son extrême
pauvreté. Il ne touchait, disait-il, pas un
sou de l'Église de Dieu, et ne recevait
aucun salaire d'ailleurs
(4).
Sa détresse ne l'en rendait pas moins
sévère, puisque, dans sa même
lettre au concile de Bâle il disait que,
depuis deux ans, il avait fait pas mal
d'exécutions. Au moment où il
écrivait, il tenait encore, dans les prisons
d'Embrun et de Briançon, six relaps,
délateurs de cinq cents de leurs
frères
(5).
Les vallées piémontaises de
Bardonnèche, d'Oulx et de Césane,
n'étaient pas moins agitées que les
vallées dauphinoises. Soumises, en effet,
à l'autorité du juge de
Briançon, dont la juridiction
s'étendait sur le versant italien des Alpes,
elles paraissaient sans doute bien coupables, car
le Juge civil, rendit contre elles une sentence
fort dure, probablement de son chef, et non
à la suite d'une
décision inquisitoriale, qui ne comportait
pas de tels supplices. On employa, en effet,
parait-il, pour effrayer les Vaudois, la
strangulation, les mutilations et le fouet ;
aussi certains villages se virent
dépeuplés, les habitants ayant pris
la fuite devant les tortionnaires (1434)
(6).
Quelle lamentable histoire !
Malheureusement nous n'avons pas encore
achevé de la raconter. On peut, en
attendant, se demander : comment, après
tant de perquisitions, de si nombreux
emprisonnements, tant de morts, restait-il encore
un Vaudois dans les vallées suspectes. Par
les mêmes procédés
employés jadis en Languedoc. Les
prédications secrètes des Barbes
entretenaient la foi vaudoise dans les coeurs des
fidèles, soumis extérieurement
à l'Église. Les pauvres montagnards,
assez attachés à leurs villages pour
ne pas vouloir les abandonner, se
résignèrent à l'hypocrisie.
Après avoir accompli pieusement leurs
devoirs de catholiques à l'église
romaine, ils se rendaient dans une grotte, une
maison amie, dans les bois, parfois jusqu'en un
village éloigné, entendre la parole
du pasteur proscrit, se retremper dans les
croyances de leurs pères, offrir leur
modeste offrande au ministre de leur choix,
apprendre peut-être quelque nouveau
stratagème pour échapper aux regards
de l'Inquisition. Les curés sentaient ainsi
frémir sous leurs mains des ouailles
apparemment dociles, jusqu'à ce qu'une
dénonciation, un mot arraché dans les
tortures, vînt faire connaître
l'hérésie du bon paroissien, si peu
suspecté jusqu'alors.
ARTICLE Il. - L'ARCHEVÊQUE JEAN
BAYLE.
Avec l'épiscopat de Jean IV Bayle,
archevêque d'Embrun (1457-1487),
commença une nouvelle
série d'épreuves, suite de mesures
rigoureuses. Ce furent d'abord de simples
pénitences, accompagnées
d'abjurations. Mais quand le franciscain Jean
Veyleti eut été nommé
inquisiteur, les vrais supplices apparurent de
nouveau (7). Un
relaps fut condamné au feu pour s'être
confessé à un Barbe (1463)
(8). Un certain
nombre de Vaudois perdirent le tiers de leurs biens
confisqués, reçurent les croix et
l'imposition de pèlerinages plus ou moins
lointains (9).
Nous sommes loin d'avoir les détails de
l'activité inquisitoriale
déployée, à cette
époque, par l'archevêque et ses
auxiliaires ; il faut cependant supposer
qu'elle fut grande, et donna prétexte au
moins à des récriminations
sérieuses, car les populations
irritées se décidèrent
à recourir au roi de France.
C'était alors Louis XI. Il accueillit
avec bienveillance les plaintes de ses sujets. Ce
n'est pas qu'il fût plus que ses
contemporains partisan de la tolérance
religieuse, loin de là ; mais le
problème proposé à sa solution
était plus complexe qu'il ne paraît
tout d'abord. Il se rattache
précisément aux questions les plus
ardues des rapports entre la conscience et
l'Inquisition.
Être catholique, c'est appartenir et
obéir à l'Église. On lui
appartient par le baptême, ou lui
obéit en se soumettant à ses
prescriptions. Ces prescriptions étant fort
nombreuses et de divers genres, les unes morales,
d'autres rituelles, d'autres concernant les
relations sociales, le mariage par exemple
certaines dogmatiques, en rapport direct avec la
foi, il est d'une part difficile
de les connaître toutes, d'autre part presque
impossible de les observer toutes. S'il s'agit donc
de décider qu'un tel ou un tel est bon
catholique ou non, il restera toujours une certaine
marge à l'arbitraire du juge. En certains
lieux, par exemple, le travail du dimanche se verra
condamné moins sévèrement que
dans d'autres, tel juge pourra même
décider que vu les circonstances, il est
permis. Mais indépendamment du jugement
à porter sur les pratiques
extérieures, que dire de la foi,
c'est-à-dire de l'assentiment de la raison
à la proposition définie comme vraie
par le magistère de
l'Église ?
Prononcer sur cet assentiment
intérieur en lui-même, est impossible
à l'homme : Dieu seul sondant les reins
et les coeurs. Tout ce que le juge humain peut
faire, c'est supposer de la foi intime
d'après des signes extérieurs, des
paroles, des gestes, des écrits,
d'après l'observation des commandements
ecclésiastiques, ou encore d'après
les personnes fréquentées par l'homme
soumis à son appréciation. Dans
toutes ces données, que d'arbitraire ?
que d'indices trompeurs ?
L'homme dissimulé, hypocrite, qui se
répandra en démonstrations externes
de piété, de dévotion à
toutes les images à toutes les processions,
à tous les sanctuaires, sera
réputé croyant fidèle, et, sur
ces indices, le juge d'hérésie le
renverra sans doute indemne.
L'homme plus franc, capable de railler la
superstition s'il la rencontre, de combattre la
supercherie parfois, de ne pas attacher plus
d'importance qu'il n'est juste aux circonstances en
soi fort superficielles de statues, de
cérémonies, de sanctuaires,
célèbres en un temps,
dédaignés en d'autres, par
conséquent d'obligation très
relative, celui-là sera facilement suspect.
Si une dénonciation le frappe, le
délateur sera cru, en dépit de toutes
les protestations. La torture
venait, par-dessus le
marché, au temps de l'Inquisition, arracher
l'aveu d'hérésie aux plus
récalcitrants, à des catholiques
n'ayant jamais douté sérieusement des
vérités de leur foi.
Sans insister sur ces réflexions qui
peuvent aider à faire apprécier le
côté défectueux du jugement
inquisitorial, quels que fussent l'intelligence
incontestable des juges, leurs désirs
d'être impartiaux, les précautions
prises par les papes pour éviter les
injustices, l'inquisiteur devait prononcer de la
foi, c'est-à-dire d'une chose intime qui
échappe à l'homme. Qu'il jugeât
les paroles, les actes ayant rapport à la
religion, passe ; mais le plus ou moins
d'assentiment à la vérité
définie, c'était impossible.
Le condamné pouvait se dire innocent,
et Dieu sait s'il y en eut de ces malheureux
livrés au bras séculier, dont la mort
édifia cependant les assistants. La justice
divine seule pourrait nous permettre d'asseoir un
jugement solide sur tant de condamnations
légères ou graves, prononcées
par le Saint-Office. Pour notre but ici, il nous
suffit de faire remarquer les chances d'erreur du
juge, et, s'il se trouvait influencé par
l'esprit général du pays, ou par
d'autres causes, combien il pouvait s'égarer
et parfois se montrer fort sévère en
traitant des peccadilles de crimes.
D'autre part, s'il s'agissait de populations
que l'inquisiteur sentait hostiles dans le fond,
bien que soumises extérieurement, il
refusait d'attacher de l'importance à la
dévotion extérieure, se trouvant
toujours disposé à recevoir les
dénonciations, à considérer
comme suspects tous les accusés, et à
les trouver facilement coupables. Alors sur quoi
s'appuyait-il ? Un homme allait à la
messe, payait ses dîmes, jeûnait aux
jours prescrits, se montrait bon pour ses voisins.
Était-il catholique ou non ? Voici
qu'une, dénonciation l'accusait de
recevoir chez lui un Barbe.
C'était un ami, un parent peut-être,
peu importe. Peut-être, ce n'était pas
vrai du tout ; mais, à force
d'interrogations, à la suite,
peut-être de la torture, il confessait qu'il
en avait reçu, ou qu'il en avait vu, ou
qu'il avait assisté à leurs sermons.
La conclusion était qu'il était
hérétique. En cas de récidive,
c'était le bûcher et la confiscation.
Et pourtant cet homme ayant des relations intimes
avec un Barbe, avait très bien pu garder
intacte la foi catholique.
Ce furent des difficultés de ce genre
que rencontrèrent nos inquisiteurs alpins.
Elles amenèrent donc l'intervention de Louis
XI, car, disait-on, les inquisiteurs et
l'archevêque poursuivaient de bons
catholiques. Dans le désir plutôt de
s'enrichir que d'exercer la justice, ils imposaient
des amendes assez fortes à leurs
prisonniers, avant de leur rendre la liberté
(10).
Le roi, nous l'avons dit, ne
soupçonnait pas ce que pouvait être la
tolérance, et personne, ou à peu
près, ne s'en doutait alors. Mais il se
trouvait en présence de sujets qui
protestaient de leur catholicisme, qui assuraient
être de bons catholiques, sur lesquels les
renseignements extérieurs étaient
bons, et que les inquisiteurs punissaient quand
même. Remarquons-le bien : ces juges
inquisitoriaux avaient peut-être raison
à leur point de vue, et, au fond, la foi de
leurs suspects n'était probablement pas
aussi solide que les plaintes au roi voulaient bien
l'affirmer. Néanmoins l'apparence en
certains cas était contre les inquisiteurs.
C'est ce qui détermina la solution royale,
et les mesures prises successivement, soit par les
rois, soit par les papes, dans la question des
Vaudois des Alpes.
Louis XI défendit donc aux
inquisiteurs de poursuivre les habitants du
Dauphiné : toutes les causes concernant
les Vaudois seraient soumises à son conseil,
les procès en cours seraient abolis, les
biens confisqués, rendus. L'arrêt
était dur pour « aucuns Religieux
Mandians, eux se disans Inquisiteurs de la
foy » ; il ne fut cependant
guère obéi (11).
Comme le roi n'avait pas
parlé de l'archevêque, celui-ci put,
en conséquence, continuer ses informations.
Bientôt la mort de Louis XI (1483)
vint lui laisser le champ libre. Les poursuites
reprirent de plus belle ; les deux consuls de
Freyssinières y furent impliqués. Ils
comparurent donc devant l'archevêque et,
condamnés par lui, périrent sur le
bûcher (1487) (12).
Le nouveau roi, Charles VIII ne
s'était cependant pas
désintéressé des Vaudois, car,
nous le savons, un conseiller au parlement de
Grenoble, Jean Rabot, fut
délégué, en qualité de
commissaire royal, pour assister aux jugements des
inquisiteurs et prendre part à leurs
sentences (13).
ARTICLE III. - LA CROISADE.
Sa présence, loin d'améliorer le
sort des suspects, servit seulement à mettre
les forces royales à la disposition des
juges ecclésiastiques. Innocent VIII, afin
d'abattre l'hérésie toujours vivace
avait envoyé dans les montagnes un
commissaire apostolique, Albert de Cattanée
(a Capitaneis), archidiacre de Crémone
(1487) (14).
Cet homme ardent, après une tentative
inutile contre les Vaudois italiens, se retourna
vers les vallées françaises. Huit
mille hommes, sous les ordres de Hugues de la Palu,
lieutenant du roi en Dauphiné,
entrèrent donc, sur les prières du
représentant pontifical, dans les gorges de
la Vallouise pour dompter les rebelles.
Pourquoi les appelait-on rebelles, et
pourquoi cette expédition militaire, contre
de pauvres cultivateurs montagnards ? Innocent
VIII le dit clairement dans la bulle qui donne
pleins pouvoirs à son commissaire
(15) :
« En vain notre bien-aimé fils
Blaise de Mondori, de l'Ordre des Prêcheurs
et inquisiteur général de ces lieux
(le Piémont), s'y est transporté sur
l'ordre de son général et du cardinal
de Saint-Clément, légat du
Siège Apostolique et de notre
prédécesseur Sixte IV de bienheureuse
mémoire, pour les exhorter à abjurer
et pour en extirper leur détestable
erreur.
« Ils se sont bouché les
oreilles, comme l'aspic qui n'entend pas, et,
ajoutant aux maux déjà commis des
maux plus grands encore, ils n'ont pas craint de
les prêcher publiquement, d'attirer par ce
moyen d'autres fidèles du Christ à
ces mêmes erreurs, de vilipender les
excommunications, interdits et autres censures de
ce même inquisiteur, d'abattre sa maison,
d'en enlever et aliéner
les biens, ainsi que ceux de plusieurs autres
fidèles, de tuer son serviteur, d'en venir
à une guerre ouverte, de résister
à leurs seigneurs temporels, de ravager
leurs possessions, de les chasser de leurs
paroisses avec leurs familles, de brûler ou
détruire leurs habitations, de les
empêcher de toucher leurs revenus et leur
faire tout le mal possible, comme aussi de
commettre un nombre infini d'autres
iniquités pareillement exécrables et
abominables. »
Des violences avaient donc été
commises, l'inquisiteur chassé, son
serviteur tué, les seigneurs et les
catholiques expulsés des vallées.
C'étaient certainement de graves
désordres.
Quelle part avaient pris les Barbes, ou
quels avaient été les meneurs, le
document pontifical ne le dit pas. Ce qui est
certain, c'est que le légat, avant d'user de
la force, eut recours aux procédés
ordinaires de l'Inquisition : édit de
grâce prolongé à plusieurs
reprises ; tentatives de missions, pourparlers
par le moyen d'intermédiaires
catholiques ; puis citations de quelques
personnes nominativement dénoncées.
Ces citations produisirent quelques
résultats, insuffisants cependant. Les gens
cités ne venaient pas. Le légat finit
par excommunier et livrer au bras séculier
les habitants du Val-Cluzon (1487)
(16).
C'était l'hiver. Il était
impossible de réaliser l'exécution de
ces menaces. On le passa en conférences en
interrogatoires, en démarches diverses
auprès des habitants des vallées de
l'Argentière, de Freyssinières, de la
Vallouise, qui finirent aussi par être
excommuniés en bloc et livrés au bras
séculier (8 mars 1488). Déjà
l'armée destinée à
exécuter les sentences était
réunie à Grenoble
(17).
Huit mille hommes selon les uns, mille
seulement selon les autres, sous les ordres de
Hugues de la Palu, lieutenant du roi en
Dauphiné, ne tardèrent pas à
se diriger vers les vallées. Les habitants
de Pragela prirent peur. Leurs vieillards
allèrent implorer grâce, ils
l'obtinrent. Deux opiniâtres furent
néanmoins brûlés
(18). Les
habitants du Val-Cluzon, à leur tour,
envoyèrent des protestations de foi
orthodoxe et demandèrent des missionnaires.
Ces derniers furent cependant mal reçus. Il
n'y avait plus qu'à marcher contre les
rebelles. Les Vaudois, mal armés, mal
dirigés, tentèrent de se
défendre en faisant rouler des blocs de
rochers sur les assaillants. De part et d'autre on
perdit du monde. Quinze hérétiques
pris sur la montagne de Fraisse périrent sur
le bûcher. Une nouvelle attaque des soldats
détermina le Val-Cluzon à se
soumettre (31 mars 1488). Ceux de
Frayssinières se rendirent aussi sans grand
combat
(19).
L'armée croisée entra alors
dans la Vallouise. Après un simulacre de
défense, les Vaudois se virent
déborder. L'expédition se termina par
une scène terrifiante. Une centaine
d'hérétiques, cernés sur un
rocher, y furent surpris par les soldats royaux et
jetés dans les précipices (1488)
(20).
On dit que la Vallouise resta
dépeuplée à la suite de cette
croisade, et qu'elle y perdit plus de trois mille
de ses habitants. En tout cas, la masse des
Vaudois, terrifiée, se rendit à
discrétion. Les meneurs périrent sur
la potence ou le bûcher ; le
légat pardonna aux autres, en leur imposant
quelques pénitences
(21).
Si les survivants n'avaient pas le coeur
plein d'amour pour l'Église romaine, c'est
qu'ils l'avaient sans doute très dur.
Beaucoup d'entre eux professèrent la foi
catholique devant le légat ou ses
auxiliaires. D'autres, après une
pénitence plus ou moins longue, furent admis
à la réconciliation. Ces
protestations de catholicisme semblent Cependant
n'avoir été qu'apparentes, aussi
l'inquisition ne cessa de surveiller les
vallées suspectes. Elle arrêtait
tantôt un ministre, tantôt un relaps.
Nous connaissons ainsi plusieurs procès de
l'inquisiteur François Plovier (ou Ploieri).
Il livra au bras séculier, à Embrun,
un suspect de Freyssinières (1489)
(22). Deux ans
plus tard, nous trouvons à Valence
l'évêque Jean d'Épinay, fort
actif contre les Vaudois de son diocèse. Il
agit de concert avec les inquisiteurs franciscains
Pierre et Châtelain. Ceux-ci sont pleins de
zèle, trop peut-être, car certains
hérétiques, excités par leurs
pasteurs piémontais ou lombards, mirent
à mort les deux inquisiteurs (1491)
(23). Solution
qui n'en était pas une. L'année
suivante, une vaudoise, mise a la question dans les
prisons de l'évêché, ne dut
qu'à ses révélations
grâce de la vie
(24).
ARTICLE IV. -
INTERVENTION DES ROIS DE
FRANCE.
Nous voyons à partir de cette
époque, reprendre par les Vaudois la
tactique, qui leur avait déjà
été si utile auprès de Louis
XI. Ils protestent de leur orthodoxie, se disent
injustement condamnés par l'archevêque
d'Embrun et les inquisiteurs ;
réclament du roi justice, non
miséricorde. Ils finirent par se faire
écouter.
Si l'on mentionne quatre Barbes
exécutés à Grenoble, plus un
vaudois pendu par l'ordre de Charles VIII, lors de
son passage par les vallées vers l'Italie
(1494)
(25) ; en
revanche, l'archevêque Jean Bayle fut
arrêté à son tour. Le roi
releva même les montagnards des sentences
prononcées contre eux, à la condition
expresse qu'ils eussent vécu en bons
catholiques (26).
Il y avait dans toute cette
affaire une question fort délicate, celle
des confiscations : chacun de ceux qui en
avaient reçu une part prétendant en
être légitime propriétaire.
Elle donna lieu, sous Charles VIII et son
successeur Louis XII, à toute une
série de discussions, d'intrigues fort
complexes. Contentons-nous d'en signaler les faits
les plus saillants.
Dès l'avènement de Louis XII,
les habitants de Freyssinières avaient
tâché de se le rendre favorable. Leurs
agents lui présentèrent donc leurs
réclamations (1498). Reçus avec
bienveillance par le conseil royal, ils eurent le
bonheur de se rendre sympathique le
cardinal-légat Georges d'Amboise. Par son
intermédiaire, le pape Alexandre VI
consentit à accorder un bref d'absolution
pour le passé, sous la réserve de la
sentence définitive du
légat avec amnistie pour les crimes commis
par les deux partis
(27). Une
commission formée de Laurent Bureau,
confesseur du roi, évêque de Sisteron,
et de Thomas Pascal, official d'Orléans,
munie des pouvoirs du pape d'un côté,
du roi de l'autre, alla sur les lieux mêmes
prononcer l'arrêt définitif, soit de
condamnation, soit d'absolution (1501)
(28). Assez
froidement accueillis par l'archevêque
d'Embrun, Rostain d'Ancezune (1494-1510)
(29), les
commissaires n'en firent pas moins leur
enquête. La conclusion en fut une ordonnance
royale, ordonnant de restituer aux habitants de
Fressynières leurs biens confisqués
(30), tandis
qu'une nouvelle bulle pontificale les absolvait de
tous péchés, en particulier de celui
d'hérésie (1501)
(31).
Ordonnance royales et bulle papale
produisirent, il est vrai, peu de résultats
en ce qui regardait le passé, car
l'archevêque d'Embrun, les seigneurs de
Freyssinières et les autres
intéressés opposèrent tant de
chicanes à la restitution des biens, qu'elle
ne put se faire. Le fruit le plus palpable des
démarches des montagnards fut, somme toute,
et c'était bien quelque chose, la paix
accordée aux Vaudois de Freyssinières
et des autres vallées, à la suite au
moins de la sentence finale rendue par les
commissaires royaux en 1509
(32). Dans
l'intervalle écoulé depuis la
première ordonnance de Louis XII (1501), le
calme, en effet, avait été loin
d'être complet. Archevêque,
inquisiteurs, prévôts, tous profitant
de la condition énoncée dans les
édits du roi et du pape, que le pardon
supposait les Vaudois bons catholiques, avaient de
fait continué les poursuites. Trois femmes
d'Oulx avaient été livrées
à la mort par Oronce Emé, vi-bailli
de Briançon (1501). Une dizaine d'autres
Vaudois avaient subi la potence ou le feu à
Grenoble, à Fenestrelle ou à Turin
(33) Ce fut
toutefois le terme de la longue série de
souffrances endurées par les Vaudois des
Alpes, en tant que Vaudois, car ils vont
bientôt se fondre dans les rangs des
Réformés, et subir le sort de ceux
dont ils ont été les
précurseurs.
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