Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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LES VAUDOIS ET L'INQUISITION




CHAPITRE IX
Les dernières persécutions dans les Alpes françaises.

ARTICLE I. - L'INQUISITEUR PIERRE FABRI.

Un certain répit suivit ces années de violences. On était dans les disputes du grand schisme ; les esprits, occupés de la question des papes, avaient assez à faire ; ils laissaient respirer les hérétiques. Saint Vincent Ferrier, le grand missionnaire du moyen âge à son déclin, dirigea à cette époque (1401) vers les pays des Vaudois une de ces tournées apostoliques, qui ramenaient les âmes à Dieu, par la prédication, non par les supplices (1). Dans cette circonstance, si la parole du saint missionnaire ne produisit pas de fruits bien durables, du moins ne laissa-t-elle pas de souvenirs amers.

Dans le second quart du XVe siècle, en 1432, la persécution recommence avec l'inquisiteur Pierre Fabri. Depuis le commencement du siècle, l'inquisition du Dauphiné se débattait contre la misère. Charles V avait promis, après bien des difficultés, de donner à l'inquisiteur d'Embrun le même traitement qu'à ceux de Toulouse et de Carcassonne (1378) (2). Cette convention, arrachée non sans peine, n'avait sans doute pas tenu longtemps, car Alexandre V cherche, vingt-cinq ans plus tard (1409), à procurer à l'inquisiteur quelques ressources, au moyen d'une taxe sur les Juifs d'Avignon ou sur les évêques de la Province (3: Mesure que la misère générale empêcha peut-être d'aboutir, puisque nous trouvons notre inquisiteur Pierre Fabri, convoqué au concile de Bâle, s'excuser d'y aller, en parlant de son extrême pauvreté. Il ne touchait, disait-il, pas un sou de l'Église de Dieu, et ne recevait aucun salaire d'ailleurs (4).

Sa détresse ne l'en rendait pas moins sévère, puisque, dans sa même lettre au concile de Bâle il disait que, depuis deux ans, il avait fait pas mal d'exécutions. Au moment où il écrivait, il tenait encore, dans les prisons d'Embrun et de Briançon, six relaps, délateurs de cinq cents de leurs frères (5).

Les vallées piémontaises de Bardonnèche, d'Oulx et de Césane, n'étaient pas moins agitées que les vallées dauphinoises. Soumises, en effet, à l'autorité du juge de Briançon, dont la juridiction s'étendait sur le versant italien des Alpes, elles paraissaient sans doute bien coupables, car le Juge civil, rendit contre elles une sentence fort dure, probablement de son chef, et non à la suite d'une décision inquisitoriale, qui ne comportait pas de tels supplices. On employa, en effet, parait-il, pour effrayer les Vaudois, la strangulation, les mutilations et le fouet ; aussi certains villages se virent dépeuplés, les habitants ayant pris la fuite devant les tortionnaires (1434) (6).

Quelle lamentable histoire ! Malheureusement nous n'avons pas encore achevé de la raconter. On peut, en attendant, se demander : comment, après tant de perquisitions, de si nombreux emprisonnements, tant de morts, restait-il encore un Vaudois dans les vallées suspectes. Par les mêmes procédés employés jadis en Languedoc. Les prédications secrètes des Barbes entretenaient la foi vaudoise dans les coeurs des fidèles, soumis extérieurement à l'Église. Les pauvres montagnards, assez attachés à leurs villages pour ne pas vouloir les abandonner, se résignèrent à l'hypocrisie. Après avoir accompli pieusement leurs devoirs de catholiques à l'église romaine, ils se rendaient dans une grotte, une maison amie, dans les bois, parfois jusqu'en un village éloigné, entendre la parole du pasteur proscrit, se retremper dans les croyances de leurs pères, offrir leur modeste offrande au ministre de leur choix, apprendre peut-être quelque nouveau stratagème pour échapper aux regards de l'Inquisition. Les curés sentaient ainsi frémir sous leurs mains des ouailles apparemment dociles, jusqu'à ce qu'une dénonciation, un mot arraché dans les tortures, vînt faire connaître l'hérésie du bon paroissien, si peu suspecté jusqu'alors.

ARTICLE Il. - L'ARCHEVÊQUE JEAN BAYLE.

Avec l'épiscopat de Jean IV Bayle, archevêque d'Embrun (1457-1487), commença une nouvelle série d'épreuves, suite de mesures rigoureuses. Ce furent d'abord de simples pénitences, accompagnées d'abjurations. Mais quand le franciscain Jean Veyleti eut été nommé inquisiteur, les vrais supplices apparurent de nouveau (7). Un relaps fut condamné au feu pour s'être confessé à un Barbe (1463) (8). Un certain nombre de Vaudois perdirent le tiers de leurs biens confisqués, reçurent les croix et l'imposition de pèlerinages plus ou moins lointains (9). Nous sommes loin d'avoir les détails de l'activité inquisitoriale déployée, à cette époque, par l'archevêque et ses auxiliaires ; il faut cependant supposer qu'elle fut grande, et donna prétexte au moins à des récriminations sérieuses, car les populations irritées se décidèrent à recourir au roi de France.

C'était alors Louis XI. Il accueillit avec bienveillance les plaintes de ses sujets. Ce n'est pas qu'il fût plus que ses contemporains partisan de la tolérance religieuse, loin de là ; mais le problème proposé à sa solution était plus complexe qu'il ne paraît tout d'abord. Il se rattache précisément aux questions les plus ardues des rapports entre la conscience et l'Inquisition.

Être catholique, c'est appartenir et obéir à l'Église. On lui appartient par le baptême, ou lui obéit en se soumettant à ses prescriptions. Ces prescriptions étant fort nombreuses et de divers genres, les unes morales, d'autres rituelles, d'autres concernant les relations sociales, le mariage par exemple certaines dogmatiques, en rapport direct avec la foi, il est d'une part difficile de les connaître toutes, d'autre part presque impossible de les observer toutes. S'il s'agit donc de décider qu'un tel ou un tel est bon catholique ou non, il restera toujours une certaine marge à l'arbitraire du juge. En certains lieux, par exemple, le travail du dimanche se verra condamné moins sévèrement que dans d'autres, tel juge pourra même décider que vu les circonstances, il est permis. Mais indépendamment du jugement à porter sur les pratiques extérieures, que dire de la foi, c'est-à-dire de l'assentiment de la raison à la proposition définie comme vraie par le magistère de l'Église ?

Prononcer sur cet assentiment intérieur en lui-même, est impossible à l'homme : Dieu seul sondant les reins et les coeurs. Tout ce que le juge humain peut faire, c'est supposer de la foi intime d'après des signes extérieurs, des paroles, des gestes, des écrits, d'après l'observation des commandements ecclésiastiques, ou encore d'après les personnes fréquentées par l'homme soumis à son appréciation. Dans toutes ces données, que d'arbitraire ? que d'indices trompeurs ?

L'homme dissimulé, hypocrite, qui se répandra en démonstrations externes de piété, de dévotion à toutes les images à toutes les processions, à tous les sanctuaires, sera réputé croyant fidèle, et, sur ces indices, le juge d'hérésie le renverra sans doute indemne.

L'homme plus franc, capable de railler la superstition s'il la rencontre, de combattre la supercherie parfois, de ne pas attacher plus d'importance qu'il n'est juste aux circonstances en soi fort superficielles de statues, de cérémonies, de sanctuaires, célèbres en un temps, dédaignés en d'autres, par conséquent d'obligation très relative, celui-là sera facilement suspect. Si une dénonciation le frappe, le délateur sera cru, en dépit de toutes les protestations. La torture venait, par-dessus le marché, au temps de l'Inquisition, arracher l'aveu d'hérésie aux plus récalcitrants, à des catholiques n'ayant jamais douté sérieusement des vérités de leur foi.

Sans insister sur ces réflexions qui peuvent aider à faire apprécier le côté défectueux du jugement inquisitorial, quels que fussent l'intelligence incontestable des juges, leurs désirs d'être impartiaux, les précautions prises par les papes pour éviter les injustices, l'inquisiteur devait prononcer de la foi, c'est-à-dire d'une chose intime qui échappe à l'homme. Qu'il jugeât les paroles, les actes ayant rapport à la religion, passe ; mais le plus ou moins d'assentiment à la vérité définie, c'était impossible.

Le condamné pouvait se dire innocent, et Dieu sait s'il y en eut de ces malheureux livrés au bras séculier, dont la mort édifia cependant les assistants. La justice divine seule pourrait nous permettre d'asseoir un jugement solide sur tant de condamnations légères ou graves, prononcées par le Saint-Office. Pour notre but ici, il nous suffit de faire remarquer les chances d'erreur du juge, et, s'il se trouvait influencé par l'esprit général du pays, ou par d'autres causes, combien il pouvait s'égarer et parfois se montrer fort sévère en traitant des peccadilles de crimes.

D'autre part, s'il s'agissait de populations que l'inquisiteur sentait hostiles dans le fond, bien que soumises extérieurement, il refusait d'attacher de l'importance à la dévotion extérieure, se trouvant toujours disposé à recevoir les dénonciations, à considérer comme suspects tous les accusés, et à les trouver facilement coupables. Alors sur quoi s'appuyait-il ? Un homme allait à la messe, payait ses dîmes, jeûnait aux jours prescrits, se montrait bon pour ses voisins. Était-il catholique ou non ? Voici qu'une, dénonciation l'accusait de recevoir chez lui un Barbe. C'était un ami, un parent peut-être, peu importe. Peut-être, ce n'était pas vrai du tout ; mais, à force d'interrogations, à la suite, peut-être de la torture, il confessait qu'il en avait reçu, ou qu'il en avait vu, ou qu'il avait assisté à leurs sermons. La conclusion était qu'il était hérétique. En cas de récidive, c'était le bûcher et la confiscation. Et pourtant cet homme ayant des relations intimes avec un Barbe, avait très bien pu garder intacte la foi catholique.

Ce furent des difficultés de ce genre que rencontrèrent nos inquisiteurs alpins. Elles amenèrent donc l'intervention de Louis XI, car, disait-on, les inquisiteurs et l'archevêque poursuivaient de bons catholiques. Dans le désir plutôt de s'enrichir que d'exercer la justice, ils imposaient des amendes assez fortes à leurs prisonniers, avant de leur rendre la liberté (10).

Le roi, nous l'avons dit, ne soupçonnait pas ce que pouvait être la tolérance, et personne, ou à peu près, ne s'en doutait alors. Mais il se trouvait en présence de sujets qui protestaient de leur catholicisme, qui assuraient être de bons catholiques, sur lesquels les renseignements extérieurs étaient bons, et que les inquisiteurs punissaient quand même. Remarquons-le bien : ces juges inquisitoriaux avaient peut-être raison à leur point de vue, et, au fond, la foi de leurs suspects n'était probablement pas aussi solide que les plaintes au roi voulaient bien l'affirmer. Néanmoins l'apparence en certains cas était contre les inquisiteurs. C'est ce qui détermina la solution royale, et les mesures prises successivement, soit par les rois, soit par les papes, dans la question des Vaudois des Alpes.

Louis XI défendit donc aux inquisiteurs de poursuivre les habitants du Dauphiné : toutes les causes concernant les Vaudois seraient soumises à son conseil, les procès en cours seraient abolis, les biens confisqués, rendus. L'arrêt était dur pour « aucuns Religieux Mandians, eux se disans Inquisiteurs de la foy » ; il ne fut cependant guère obéi (11). Comme le roi n'avait pas parlé de l'archevêque, celui-ci put, en conséquence, continuer ses informations.

Bientôt la mort de Louis XI (1483) vint lui laisser le champ libre. Les poursuites reprirent de plus belle ; les deux consuls de Freyssinières y furent impliqués. Ils comparurent donc devant l'archevêque et, condamnés par lui, périrent sur le bûcher (1487) (12). Le nouveau roi, Charles VIII ne s'était cependant pas désintéressé des Vaudois, car, nous le savons, un conseiller au parlement de Grenoble, Jean Rabot, fut délégué, en qualité de commissaire royal, pour assister aux jugements des inquisiteurs et prendre part à leurs sentences (13).


ARTICLE III. - LA CROISADE.

Sa présence, loin d'améliorer le sort des suspects, servit seulement à mettre les forces royales à la disposition des juges ecclésiastiques. Innocent VIII, afin d'abattre l'hérésie toujours vivace avait envoyé dans les montagnes un commissaire apostolique, Albert de Cattanée (a Capitaneis), archidiacre de Crémone (1487) (14). Cet homme ardent, après une tentative inutile contre les Vaudois italiens, se retourna vers les vallées françaises. Huit mille hommes, sous les ordres de Hugues de la Palu, lieutenant du roi en Dauphiné, entrèrent donc, sur les prières du représentant pontifical, dans les gorges de la Vallouise pour dompter les rebelles.

Pourquoi les appelait-on rebelles, et pourquoi cette expédition militaire, contre de pauvres cultivateurs montagnards ? Innocent VIII le dit clairement dans la bulle qui donne pleins pouvoirs à son commissaire (15: « En vain notre bien-aimé fils Blaise de Mondori, de l'Ordre des Prêcheurs et inquisiteur général de ces lieux (le Piémont), s'y est transporté sur l'ordre de son général et du cardinal de Saint-Clément, légat du Siège Apostolique et de notre prédécesseur Sixte IV de bienheureuse mémoire, pour les exhorter à abjurer et pour en extirper leur détestable erreur.

« Ils se sont bouché les oreilles, comme l'aspic qui n'entend pas, et, ajoutant aux maux déjà commis des maux plus grands encore, ils n'ont pas craint de les prêcher publiquement, d'attirer par ce moyen d'autres fidèles du Christ à ces mêmes erreurs, de vilipender les excommunications, interdits et autres censures de ce même inquisiteur, d'abattre sa maison, d'en enlever et aliéner les biens, ainsi que ceux de plusieurs autres fidèles, de tuer son serviteur, d'en venir à une guerre ouverte, de résister à leurs seigneurs temporels, de ravager leurs possessions, de les chasser de leurs paroisses avec leurs familles, de brûler ou détruire leurs habitations, de les empêcher de toucher leurs revenus et leur faire tout le mal possible, comme aussi de commettre un nombre infini d'autres iniquités pareillement exécrables et abominables. »

Des violences avaient donc été commises, l'inquisiteur chassé, son serviteur tué, les seigneurs et les catholiques expulsés des vallées. C'étaient certainement de graves désordres.

Quelle part avaient pris les Barbes, ou quels avaient été les meneurs, le document pontifical ne le dit pas. Ce qui est certain, c'est que le légat, avant d'user de la force, eut recours aux procédés ordinaires de l'Inquisition : édit de grâce prolongé à plusieurs reprises ; tentatives de missions, pourparlers par le moyen d'intermédiaires catholiques ; puis citations de quelques personnes nominativement dénoncées. Ces citations produisirent quelques résultats, insuffisants cependant. Les gens cités ne venaient pas. Le légat finit par excommunier et livrer au bras séculier les habitants du Val-Cluzon (1487) (16).

C'était l'hiver. Il était impossible de réaliser l'exécution de ces menaces. On le passa en conférences en interrogatoires, en démarches diverses auprès des habitants des vallées de l'Argentière, de Freyssinières, de la Vallouise, qui finirent aussi par être excommuniés en bloc et livrés au bras séculier (8 mars 1488). Déjà l'armée destinée à exécuter les sentences était réunie à Grenoble (17).

Huit mille hommes selon les uns, mille seulement selon les autres, sous les ordres de Hugues de la Palu, lieutenant du roi en Dauphiné, ne tardèrent pas à se diriger vers les vallées. Les habitants de Pragela prirent peur. Leurs vieillards allèrent implorer grâce, ils l'obtinrent. Deux opiniâtres furent néanmoins brûlés (18). Les habitants du Val-Cluzon, à leur tour, envoyèrent des protestations de foi orthodoxe et demandèrent des missionnaires. Ces derniers furent cependant mal reçus. Il n'y avait plus qu'à marcher contre les rebelles. Les Vaudois, mal armés, mal dirigés, tentèrent de se défendre en faisant rouler des blocs de rochers sur les assaillants. De part et d'autre on perdit du monde. Quinze hérétiques pris sur la montagne de Fraisse périrent sur le bûcher. Une nouvelle attaque des soldats détermina le Val-Cluzon à se soumettre (31 mars 1488). Ceux de Frayssinières se rendirent aussi sans grand combat (19).

L'armée croisée entra alors dans la Vallouise. Après un simulacre de défense, les Vaudois se virent déborder. L'expédition se termina par une scène terrifiante. Une centaine d'hérétiques, cernés sur un rocher, y furent surpris par les soldats royaux et jetés dans les précipices (1488) (20). On dit que la Vallouise resta dépeuplée à la suite de cette croisade, et qu'elle y perdit plus de trois mille de ses habitants. En tout cas, la masse des Vaudois, terrifiée, se rendit à discrétion. Les meneurs périrent sur la potence ou le bûcher ; le légat pardonna aux autres, en leur imposant quelques pénitences (21).

Si les survivants n'avaient pas le coeur plein d'amour pour l'Église romaine, c'est qu'ils l'avaient sans doute très dur. Beaucoup d'entre eux professèrent la foi catholique devant le légat ou ses auxiliaires. D'autres, après une pénitence plus ou moins longue, furent admis à la réconciliation. Ces protestations de catholicisme semblent Cependant n'avoir été qu'apparentes, aussi l'inquisition ne cessa de surveiller les vallées suspectes. Elle arrêtait tantôt un ministre, tantôt un relaps. Nous connaissons ainsi plusieurs procès de l'inquisiteur François Plovier (ou Ploieri). Il livra au bras séculier, à Embrun, un suspect de Freyssinières (1489) (22). Deux ans plus tard, nous trouvons à Valence l'évêque Jean d'Épinay, fort actif contre les Vaudois de son diocèse. Il agit de concert avec les inquisiteurs franciscains Pierre et Châtelain. Ceux-ci sont pleins de zèle, trop peut-être, car certains hérétiques, excités par leurs pasteurs piémontais ou lombards, mirent à mort les deux inquisiteurs (1491) (23). Solution qui n'en était pas une. L'année suivante, une vaudoise, mise a la question dans les prisons de l'évêché, ne dut qu'à ses révélations grâce de la vie (24).

ARTICLE IV. - INTERVENTION DES ROIS DE FRANCE.

Nous voyons à partir de cette époque, reprendre par les Vaudois la tactique, qui leur avait déjà été si utile auprès de Louis XI. Ils protestent de leur orthodoxie, se disent injustement condamnés par l'archevêque d'Embrun et les inquisiteurs ; réclament du roi justice, non miséricorde. Ils finirent par se faire écouter.

Si l'on mentionne quatre Barbes exécutés à Grenoble, plus un vaudois pendu par l'ordre de Charles VIII, lors de son passage par les vallées vers l'Italie (1494) (25) ; en revanche, l'archevêque Jean Bayle fut arrêté à son tour. Le roi releva même les montagnards des sentences prononcées contre eux, à la condition expresse qu'ils eussent vécu en bons catholiques (26). Il y avait dans toute cette affaire une question fort délicate, celle des confiscations : chacun de ceux qui en avaient reçu une part prétendant en être légitime propriétaire. Elle donna lieu, sous Charles VIII et son successeur Louis XII, à toute une série de discussions, d'intrigues fort complexes. Contentons-nous d'en signaler les faits les plus saillants.

Dès l'avènement de Louis XII, les habitants de Freyssinières avaient tâché de se le rendre favorable. Leurs agents lui présentèrent donc leurs réclamations (1498). Reçus avec bienveillance par le conseil royal, ils eurent le bonheur de se rendre sympathique le cardinal-légat Georges d'Amboise. Par son intermédiaire, le pape Alexandre VI consentit à accorder un bref d'absolution pour le passé, sous la réserve de la sentence définitive du légat avec amnistie pour les crimes commis par les deux partis (27). Une commission formée de Laurent Bureau, confesseur du roi, évêque de Sisteron, et de Thomas Pascal, official d'Orléans, munie des pouvoirs du pape d'un côté, du roi de l'autre, alla sur les lieux mêmes prononcer l'arrêt définitif, soit de condamnation, soit d'absolution (1501) (28). Assez froidement accueillis par l'archevêque d'Embrun, Rostain d'Ancezune (1494-1510) (29), les commissaires n'en firent pas moins leur enquête. La conclusion en fut une ordonnance royale, ordonnant de restituer aux habitants de Fressynières leurs biens confisqués (30), tandis qu'une nouvelle bulle pontificale les absolvait de tous péchés, en particulier de celui d'hérésie (1501) (31).

Ordonnance royales et bulle papale produisirent, il est vrai, peu de résultats en ce qui regardait le passé, car l'archevêque d'Embrun, les seigneurs de Freyssinières et les autres intéressés opposèrent tant de chicanes à la restitution des biens, qu'elle ne put se faire. Le fruit le plus palpable des démarches des montagnards fut, somme toute, et c'était bien quelque chose, la paix accordée aux Vaudois de Freyssinières et des autres vallées, à la suite au moins de la sentence finale rendue par les commissaires royaux en 1509 (32). Dans l'intervalle écoulé depuis la première ordonnance de Louis XII (1501), le calme, en effet, avait été loin d'être complet. Archevêque, inquisiteurs, prévôts, tous profitant de la condition énoncée dans les édits du roi et du pape, que le pardon supposait les Vaudois bons catholiques, avaient de fait continué les poursuites. Trois femmes d'Oulx avaient été livrées à la mort par Oronce Emé, vi-bailli de Briançon (1501). Une dizaine d'autres Vaudois avaient subi la potence ou le feu à Grenoble, à Fenestrelle ou à Turin (33) Ce fut toutefois le terme de la longue série de souffrances endurées par les Vaudois des Alpes, en tant que Vaudois, car ils vont bientôt se fondre dans les rangs des Réformés, et subir le sort de ceux dont ils ont été les précurseurs.


Table des matières


(1) Fornier, t. II, p. 270 ; Bouche, Histoire de Provence, t. II, p. 427 Comba, p. 315 ; Chevalier, p. 28 ; Brunel, p. 87.

(2) Lea, t. I, p. 598 ; t. II, p. 181 ; Isambert. Anciennes lois françaises, t. IV, p. 491 ; Wadding an. 1375, n° 21 sq.

(3) Lea. t. I, p. 599 ; V. la bulle de Nicolas V ordonnant au gouverneur d'Avignon de payer les dépenses des inquisiteurs, Wadding t. V, p. 234 ; Potthast, 23.281.

(4) Lea, t. I, p. 599 ; Martène Amplissima collect. t. VIII, col. 101 ; Tanon p. 107, 205.

(5) Martène Amplissima collect., t. VIII, col. 101 ; Tenon, p. 107.

(6) Arnaud, p. 61 ; Comba, p. 343.

(7) Comba, p. 350 sq. ; Fornier, t. II, p. 358 ; Wadding, an. 1472, 20 ; Perrin t. I, p. 117 ; Arnaud, p. 68 ; Gallia Christian., t. III, col 1092.

(8) Fornier, t. Il, p. 368 ; Comba, p. 351.

(9) Fornier, t. II, p. 371 ; Comba, p. 352.

(10) Perrin, p. 118 ; Hahn, t. II, p. 111 et Append., p. 725; Tanon, p.- 109; Brunel, p. 102.

(11) L'arrêt royal est du 18 mai 1478. Il a été publié dans Isambert, t. X : p.. 793 ; dans Perrin. t. I, p 118 sq. ; dans Hahn, t. II, Appendice p. 725. Cf. Lea, t. Il, p. 137.

(12) Perrin, t. I, p. 125, sq. ; Tanon, p. 109 ; Hahn, t. II, p. 414 Brunel, p. 111.

(13) Ce fait prouve la décadence de l'inquisition. L'intervention d'un juge laïque eut fait bondir les anciens inquisiteurs, mais le pouvoir royal prenait tant de force, qu'il était nécessaire de lui obéir, sous peine d'être brisé. Perrin, p. 129 ; Tanon, p. 110.

(14) Raynald, 1181, 25 ; Pastor, Geschichte der Poepste 4 vol., Fribourg-en-Brisgau, 1901, t. III, p. 262 ; Sigismondi de Conti da Foligno, Le storie dé suoi tempi, dal 1475 al 1510 ; 2 vol. Rom. 1883 ; t. 1 p. 382 sq. Berthier, Histoire de l'Église gallicane, liv. 50, an. 1487. Bulle du 27 avril 1487.

(15) Nous donnons la traduction de Comba, p. 387, sq.

(16) J. Chevalier, p. 50 sq.

(17) J. Chevalier, p. 82.

(18) J. Chevalier, p. 84.

(19) I. c., p. 87.

(20) Chevalier, p. 41 sq., 91 ; Perrin, p. 129 ; Léger, t. II, p. 21 sq. ; Han, t. II, p. 415: Comba, p. 407 sq. ; Tanon, p. 110. - Suivant d'autres récits, les malheureux furent asphyxiés dans une caverne, à l'entrée de laquelle les soldats avaient allumé du bois vert. Tanon, l. c. note ; Brunel, p. 130.
Les interrogatoires parlent bien en effet de cavernes, mais les Vaudois qui s'y étaient rendus n'y passèrent qu'une nuit et jugeant la défense impossible rentrèrent chez eux. J. Chevalier, p. 93, 91.
Peut-être y eut-il plusieurs incidents de cavernes, dans l'un desquels les Vaudois tentèrent de se sauver, en se précipitant eux-mêmes dans les précipices, et se tuèrent dans la chute. C'est un détail peu facile à éclaircir, mais très propre à être dramatisé. Fornier, t. Il, p. 413 ; Comba, p. -125 ; Chorier, t. II, p. 501, 502.

(21) Comba, p. 401 sq., 411, 418 ; Chorier, l. c. ; Chevalier, p. 97, 152 sq.

(22) Perrin, p 432 ; Tanon, p. 111 ; Comba, p. 411.

(23) Chorier, t. II, p. 491 ; Tanon, l. c.

(24) Perrin, p. 131 ; Tanon, l. c.

(25) D. N. Francisci Marci, Decisiones aureae, Lugduni 1584, t. Il, p. 362 ; Godefroy, Histoire de Charles VIII, p. 105 ; Comba, p. 442.

(26) Perrin, p. 138 ; Comba, p. 413 sq.

(27) Comba, p. 115 sq ; Brunel, p. 161 ; Todd, British Magazine, t. I, p. 87 ; n° 113, 2 et 3. Brefs des 1er et 5 avril 1501.

(28) Comba, p. 417 ; Brunel, p. 167 ; Tanon, p. 111.

(29) Perrin, p. 110 : Brunel, p. 167 ; Comba, p. 447 ; Todd, British Magazine, XX, p. 92 sq.

(30) Perrin, p. 115 ; Tanon, p. 112 ; Comba, p. 451 ; Brunel, p. 175: Le décret est daté de Lyon, 12 oct. 1501.

(31) Comba, p. 141 ; Analyse de la sentence de réhabilitation des vaudois des Alpes, par M. l'abbé Guillaume dans le Bulletin historique et philosophique et du comité des travaux historiques et scientifiques, Paris 1891, p. 248 sq ; Archives des Hautes-Alpes, Gap, G. 751 ; Fornier, t. III, p. 400 sq.

(32) Remarquons qu'il y eut trois ordonnances royales, une du 12 octobre 1501 ; l'autre (du 27 mai 1502 et la troisième rendue après la longue enquête des missionnaires royaux en 1509 Cette dernière l'archevêque d'Embrun, le prévôt d'Oulx et d'autres, en annulant leur procédure. Brunel p. 192 ; Comba, p. 456.

(33) Comba, p. 151 sq. Le lecteur se rend compte, je l'espère, d'après ce que nous avons dit plus haut, de la cause des contradictions entre les ordonnances royales et la pratique des juges. Le roi disait : Je donne, si vous êtes bons catholiques. C'est entendu, répétaient les juges ecclésiastiques ou civils. Mais tel et tel sont hérétiques, et ils seront punis.

 

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