Mais
nous avons ce
trésor dans des
vases de terre, afin que la supériorité de la
puissance vienne de Dieu et non point de nous qui sommes
en
tout: foulés, mais non réduits à
l'extrémité; dans la détresse, mais non
dans le désespoir; persécutés, mais non
abandonnés; jetés par terre, mais ne
périssant pas, portant partout et toujours dans notre
corps la mort de Jésus, afin aussi que la vie de
Jésus soit manifestée dans notre corps. Car
toujours nous les vivants nous sommes livrés à
la mort à cause de Jésus, afin aussi que la
vie de Jésus soit manifestée dans notre chair
mortelle. En sorte que la mort exerce son action en
nous,
mais la vie en vous. Ayant donc le même esprit de foi,
selon ce qui est écrit: « J'ai cru, c'est
pourquoi j'ai parlé, » nous aussi nous croyons,
:et c'est pourquoi nous parlons, sachant que celui qui a
ressuscité Jésus nous ressuscitera nous aussi
avec Jésus et nous présentera avec vous. Tout
cela, en effet, à cause de vous, afin que la
grâce s'étant multipliée par le plus
grand nombre [d'entre vous] fasse surabonder l'action de
grâces, pour la gloire de Dieu.
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La peinture faite par l'apôtre du ministère évangélique ne serait pas complète, s'il n'en mettait en relief que les gloires. Paul veut être complet; il en va raconter les épreuves. Là encore, sans rien exagérer, il ne dissimulera et n'atténuera rien. Ces épreuves ont beau se faire sentir parfois avec une terrible intensité, il ne s'y rattache pas la moindre honte, on peut en parler ouvertement. A les bien prendre, elles constituent un témoignage favorable rendu aux apôtres. Par elles, le Seigneur établit que Paul et ses collègues ont été ses instruments. Il agissait par' eux, parce qu'il agissait en eux. Un ministère exempt d'épreuves donne rarement tout ce qu'on se croyait en droit d'en attendre.
Ici toutefois, deux remarques s'imposent. En premier lieu, Paul ne présente nullement les douleurs par lesquelles il a passé comme des châtiments particuliers de certains péchés. Il sait très bien que dans un monde où le péché ne serait pas entré, la souffrance n'aurait pas eu d'accès ; on n'y connaîtrait point' d'angoisses, ni physiques, ni morales. Mais il y a nombre d'épreuves, au sens le plus exact du mot, qui n'ont pas pour but de punir. Lorsque l'orfèvre jette son or au creuset, ce n'est point parce que ce lingot ne vaut rien, c'est pour en connaître exactement la valeur, en le débarrassant de tout alliage. De même, quand Dieu fait passer au creuset de l'affliction un de ses enfants ce n'est point parce qu'il est irrité contre lui, et veut le frapper à cause de ses iniquités. Non, c'est afin de faire ressortir au titre cet or infiniment précieux qui s'appelle l'âme humaine. Le cuivre et le plomb qui s'y trouvent mêlés ne s'en dégageront pas sans quelque peine ; mais cette opération, pour douloureuse qu'elle soit, est faite par la main d'un père qui aime et non par celle d'un juge qui condamne (1).
Ensuite, - et c'est notre seconde remarque, - l'apôtre n'admet nulle part que la souffrance constitue un mérite quelconque pour celui qui souffre. Il proclame que ses épreuves lui ont fait grand bien ; il sait que, par une sorte de réaction, elles en ont fait à son troupeau de Corinthe. Mais il ne demande pas à Dieu de l'éprouver encore; il ne présente ni la maladie, ni les deuils, ni les diffamations comme des grâces supérieures qu'un chrétien doive réclamer du Seigneur. Cette aberration fut celle du quiétisme, et les déplorables égarements de Mme Guyon n'ont pas disparu partout de l'Eglise. Mais ni Paul, ni un autre apôtre, ni aucun passage de l'Ecriture ne les soutiennent de leur autorité.
Que Dieu se serve de la douleur pour épurer une âme, nous venons de le dire. Que cette âme doive supplier Dieu de la frapper pour être épurée ou, tout simplement, pour s'élever plus haut que d'autres, c'est un des nombreux aveuglements opérés par le dieu de ce siècle.
Ceci posé, voyons les principaux éléments des épreuves infligées à saint Paul. Il les résume dans un court tableau, une esquisse, dira-t-on, mais déjà singulièrement burinée.
I. Vases de terre.
Que le ministère évangélique, après tout ce qui vient d'en être dit, soit appelé par notre auteur un trésor, cela ne saurait nous étonner. Mais le dépôt de ce trésor dans des vases de terre a quelque droit de nous surprendre. Habituellement, n'est-ce pas ? on fait l'écrin d'autant plus riche qu'il doit renfermer un bijou de plus grande valeur. Comment expliquer cette exception ? Un écrin simple, ordinaire, presque vulgaire, pour contenir un trésor tel que la gloire même de Moïse peut à peine lui être comparée ? Ou, pour laisser la métaphore, un éclat digne des anges emprisonné dans un fragile corps humain!
Eh bien, supposez un instant l'inverse. Imaginez un peu de terre dans un vase d'or. Serez-vous moins surpris, pour ne pas dire moins scandalisés ?
Point de valeur dans le dépôt, et un prix énorme dans l'écrin. Ce contraste-là vous semblerait-il plus naturel? Vous n'y trouveriez guère qu'une ironie, tandis que l'autre, le contraste entre la richesse du ministère et la faiblesse du ministre vous apparaît comme une preuve de l'intervention divine. L'or est et reste céleste ; la terre qui le reçoit lui emprunte quelque chose de sa noblesse; ainsi Moïse redescendant du Sinaï. Vases de terre saint Paul et ses collègues dans l'apostolat, oui, mais de cette terre dont l'Eternel forma le premier homme. Vases de terre David, Esaïe, saint Jean, Polycarpe, Jean Huss, Luther et Calvin, Lincoln et Livingstone. Mais vases infiniment honorés, car' ils servirent de récipients à l'Esprit d'en haut, et d'instruments bénis pour la conversion des peuples.
Après cela, que ces vases aient toutes les fragilités de la terre, qu'ils soient exposés à tous les accidents, Paul en convient sans aucun embarras. Bien mieux: il énumère ces brisements; il fait le compte de ces misères et de ces détresses. Et dans un tableau d'une sobre vigueur, préparant l'autobiographie que nous trouverons au chapitre onzième, il va nous montrer à quoi sont exposés tous les jours ces vases de terre, ces serviteurs humbles mais héroïques, à qui Jésus a confié la tâche de porter au monde la bonne nouvelle.
Quatre oppositions, brèves, étincelantes comme des coups d'épée, nous feront saisir, en un merveilleux raccourci, cette carrière toute remplie de luttes et de victoires.
« Oppressés, dit-il, en tout point, mais non pas écrasés (2). » Si étroit que soit le défilé dans lequel nous avançons, si durs et si rugueux qu'en soient les rocs, pourtant nous pouvons toujours en sortir. Il nous faut, pour passer, nous courber bien bas, dépouiller des ornements et jusqu'à des armes dont nous attendions notre succès ; pourtant nous pouvions nous relever; la pression de l'angoisse ne nous réduisait pas à néant.
« Dans l'embarras » même, dans la détresse
« jamais dans le désespoir. » Oh! les heures désolées, les jours d'affaissement et d'impuissance, comme l'apôtre les connaît ! Comme il se sent enlacé, étouffé ou peu s'en faut dans les replis de ce serpent qui se nomme le découragement. Et pourtant, à l'instant précis où le souffle allait lui manquer, où l'espérance s'effondrait, un élan de sa foi lui faisait ressaisir la main de Dieu. Non! il ne désespérait pas.
« Persécutés, mais point abandonnés. » C'étaient les païens qui persécutaient l'apôtre. C'étaient aussi, c'étaient le plus souvent les Juifs, ses propres concitoyens, et la persécution n'en était que plus amère. jeté en prison, battu de verges sans forme de procès, lapidé,... oui, tout cela est vrai. Abandonné, non! Pas par mon Dieu qui ne cesse jamais de me faire sentir sa présence. Pas non plus par tous les hommes, car j'ai trouvé un Tite, un Timothée, un Silas, un Luc, tant d'autres encore qui sont devenus mes compagnons d'armes (3).
« jetés par terre, » enfin, mais « ne périssant point. » Deux images, peut-être, se présentent ici à l'écrivain. Celle d'un fuyard que des brigands poursuivent, qu'ils viennent d'atteindre, qu'ils jettent sur le sol et qu'ils vont égorger,- lorsque soudain un sauveur accourt ou qu'un remords les saisit. Celle aussi d'un athlète vaincu dans le cirque; étendu sur le sable, il sera massacré ou délivré selon le caprice des spectateurs applaudissant sur les gradins. Seulement, ce qui dépendait en ce dernier cas d'une fantaisie de cruauté ou de pitié, dépend pour le missionnaire de l'immuable volonté de son Maître qui lui avait dit plus de vingt ans auparavant: «Je t'ai choisi pour être mon serviteur et mon témoin (4). »
2. Vie dans la mort.
Ces quatre contrastes sont résumés maintenant dans un cinquième auquel ils tendaient tous, le contraste entre la mort et la vie. Relisez le texte; l'énergie des termes vous frappera: « Toujours, dit Paul, nous portons çà et là dans notre corps la mort (littéralement: la nécrose) de Jésus, afin qu'aussi la vie de Jésus soit manifestée dans notre corps. »
Langage bizarre, direz-vous. Assurément, et en même temps bienfaisantes réalités. Saul de Tarse converti pouvait dire de lui: « je vis, non plus moi-même, mais Christ vit en moi (5). » Parce que Jésus-Christ est mort à cause de nos péchés, tout vrai croyant porte en lui nu germe de mort, d'autant plus actif que l'union avec le Sauveur est plus intime. Ce germe grandit, se développe, tue, absolument comme cette maladie que les médecins appellent nécrose et qui détruit, au bout d'un temps plus ou moins long, le membre dont elle s'est emparée. Mais voici la différence capitale, presque stupéfiante: la nécrose physique fait mourir; la nécrose de Jésus-Christ, par où il faut entendre celle dont Jésus est l'auteur, celle que produit sa présence dans une âme, cette nécrose-là fait vivre.
Pourquoi? Parce qu'elle tue l'ennemi de la vie, le péché. De là, ne le comprenez-vous pas, l'accent triomphal de l'apôtre : Nous portons partout la nécrose du Seigneur! Et même quand elle a pour effet d'attaquer les forces de notre corps, quand nous saignons sous les coups de verges des licteurs, dans les ceps et les chaînes des cachots, nous la portons encore, cette nécrose; nous n'en demandons point la guérison, car c'est elle qui nous guérit. Elle fait éclater jusqu'en notre chair mortelle la vie de Jésus. Nous, les vivants, constamment nous sommes livrés à la mort à cause de notre Sauveur, afin que la vie de ce Seigneur apparaisse en notre faiblesse.
Mort de Jésus; vie de Jésus! Avez-vous observé que dans tout ce fragment l'apôtre cesse d'employer le nom du Christ? Il se sert six fois en six versets de celui de Jésus. N'est-ce pas pour insister plus fortement sur l'oeuvre de salut accomplie par le Fils de Dieu ? jamais, semble-t-il vouloir dire, le Messie n'a été plus complètement Sauveur qu'en mourant et en faisant mourir. A la nécrose qu'il opère, nous reconnaissons Jésus, « celui qui sauvera son peuple de leurs péchés (6). » Nous retrouvons ainsi cette grande loi, ignorée des plus profonds philosophes d'autrefois, méconnue par tant de théologiens modernes, mise en une évidence éblouissante par le Sauveur, prêchée par ses apôtres, savoir: que la mort produit la vie. Elle se manifeste déjà, cette loi, dans le domaine de la nature. Si nous ouvrons les yeux, si nous cherchons, même en ces sombres jours d'hiver, nous voyons se former sous la terre durcie et morte les germes radieux du printemps. Et combien plus remarquable apparaît ce développement dans le domaine spirituel! Là encore, là surtout, « si le grain tombé en terre meurt, il porte beaucoup de fruit (7). » Dans tous les coeurs où le Christ habite, même sous les apparences ou dans les approches réelles de la mort corporelle, c'est la vie qui palpite, n'attendant que son heure pour éclore. Oui, la mort peut agir dans l'apôtre; en fait, elle agit déjà, préparant son martyre. Mais la vie agit beaucoup plus en lui et dans toutes ces Eglises que son ministère a fondées.
Lui demanderez-vous comment il trouve le courage de s'exprimer ainsi au travers de ses épreuves ? Il vous répondra sans hésiter: c'est qu'il possède l'esprit même de la foi (v. 13). Or la foi transporte les montagnes du découragement. Et puis, il se rappelle un homme de Dieu, non moins éprouvé que lui, non moins confiant, un poète inspire, auteur du Psaume cent-seizième, et il lui emprunte, pour se l'approprier, ce mot d'ordre des réformateurs: « J'ai cru, c'est pourquoi l'ai parlé (8).» Laissons ici les réclamations pointilleuses de l'exégèse, ou bien, au contraire, cédons-lui la parole et admettons sa traduction littérale du passage en question: « J'avais confiance lorsque je disais : je suis bien malheureux; » nous ne perdrions rien à prendre cette interprétation. En général, celui qui vient nous raconter qu'il est très malheureux n'est pas animé au même instant d'une confiance bien' vigoureuse. Le Psalmiste inconnu tire au contraire la sienne de l'évidence même de son malheur. Et l'apôtre fait comme lui. Parce qu'il est éprouvé, il a confiance, et parce qu'il a confiance, il parle, et il parle pour raconter son épreuve. Voilà tout son raisonnement; je remercie l'exégèse de me l'avoir expliqué.
Non, non! Celui qui croit, celui qui a confiance ne saurait se taire. Il ne prendra pas la parole pour nous fatiguer de ses plaintes. Il ne nous démontrera pas en gémissant qu'un infortuné tel que lui ne se rencontre nulle part. Il parlera pour proclamer sa foi. Paul saisit l'occasion ; il ne s'est attardé un moment à peindre sa nécrose que pour arriver à prêcher la résurrection: « Nous savons que celui qui a ressuscité Jésus nous ressuscitera aussi avec Jésus » (v. 14). Puis, quand il nous aura rappelés à la vie, il nous présentera tous ensemble, pasteur et troupeau, à Dieu, son Père. Cette expression : « il nous présentera » est empruntée à la langue juridique; elle désigne l'acte de produire des témoins ou celui d'amener un prévenu à la barre. Paul se voit en esprit réuni à son troupeau et présenté avec lui, - par les anges peut-être, - devant le tribunal de Dieu. Ils n'auront rien à redouter du jugement à intervenir ; car, rachetés de Jésus, ils sont ressuscités avec lui pour la vie éternelle.
Ici, de nouveau, l'apôtre ne peut plus se contenir. L'hymne de victoire l'emporte sur la description des souffrances et l'interrompt pour un instant. Tout cela, s'écrie-t-il, toutes ces angoisses et toutes ces délivrances; toutes ces humiliations et toutes ces couronnes, tout cela se produit à cause de vous. Il faut que, non pas la colère, mais la grâce divine abonde en vous, et qu'à son tour l'action de grâce, sinon de vous tous, hélas! au moins du plus grand nombre, surabonde à la gloire de Dieu.
Un orateur italien disait un jour dans une assemblée religieuse : « je ne vous apporte qu'un mot: Grazia! Il signifie, dans notre langue, la grâce de
Dieu. Il signifie aussi: Merci! Je n'ai pas autre chose à vous dire. » Paul non plus dans ces versets. Grâces de Dieu; actions de grâces des Corinthiens. Les dons du Père excitant la reconnaissance de ses enfants; leur reconnaissance appelant de nouveaux dons. C'est le secret de la richesse et de la joie.
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