C'est pourquoi, nous ne perdons pas courage, mais, si l'homme extérieur se détruit par corruption, eh bien, notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour. En effet le poids actuellement léger de l'affliction produit pour nous, selon une mesure toujours croissante, un poids éternel de gloire, pour autant que nous regardons non aux choses qui se voient, mais à celles qui ne se voient pas, car celles qui se voient durent un temps, mais celles qui ne se voient pas sont éternelles. Nous savons en effet que, si notre habitation terrestre de la tente est détruite, nous avons dans le ciel un édifice issu de Dieu, une maison éternelle faite sans mains. Et en effet, dans cette tente nous gémissons, désirant vivement revêtir notre habitation qui vient du ciel, si toutefois nous sommes trouvés revêtus et non pas nus. Et en effet, nous qui sommes dans la tente nous gémissons, accablés par le fait que nous voulons être non pas dépouillés, mais revêtus, afin que le mortel soit englouti par la vie. Mais celui qui nous a formés en vue de ce résultat, c'est Dieu qui nous a donné les arrhes de l'Esprit Pleins
de hardiesse
donc en tout temps, et sachant que, demeurant dans le
corps,
nous demeurons loin du Seigneur, car nous marchons par
la
foi, non par la vue, - nous nous enhardissons et nous
préférons sortir du corps et demeurer
auprès du Seigneur. C'est pourquoi aussi nous sommes
jaloux, - que nous demeurions ou que nous partions, - de
lui
être agréables. Il faut, en effet, que nous
soyons tous mis à découvert devant le tribunal
du Christ, afin que chacun remporte le correspondant de
ce
qu'il a fait par son corps, soit bien, soit mal.
|
Avez - vous quelquefois, dans la semaine qui vient de finir, laissé vos pensées traverser l'Océan pour s'arrêter dans les rues et dans les places de Chicago ? (1) Avez-vous suivi, par l'imagination, ces convois funèbres qui s'y succédaient du matin au soir, pendant plusieurs jours ? Avez-vous pénétré dans ces cimetières devenus soudain trop étroits pour la masse de cadavres qu'on y apportait ? Alors, vous aurez ressenti certainement la plus juste sympathie, et la plus profonde. Puis, vous êtes-vous demandé comment il faut expliquer des catastrophes pareilles, comment on les peut concilier avec nos idées de la miséricorde suprême de Dieu, comment la Providence permet que, pour d'impardonnables négligences commises par des directeurs de théâtre, des centaines d'innocents périssent dans la plus atroce des morts ?
Je ne sais pas ce que vous avez dit. Je sais un peu ce que disent certains poètes de la désespérance et du doute. A la fin de l'année qui vient de nous quitter, dans une de ces innombrables feuilles éphémères que le jour de l'an jette sur nos tables, je surprenais quatre vers; les voici
L'hiver avait glacé mon coeur de son linceul, J'avais vu s'effeuiller l'arbre des espérances; je n'attendais plus rien du monde, où j'étais seul, Et je prenais les mains de mes soeurs, les souffrances.
Serait-ce aussi votre dernier mot ? Ne voyez-vous plus d'autre parti à prendre ? je veux espérer mieux. En tout cas, ce n'était pas la conclusion de saint Paul, entouré cependant de beaucoup de désastres, assistant, de près ou de loin, à de nombreux sinistres, et portant toujours dans son propre corps la mort de Jésus. Sa conclusion n'a rien d'une résignation passive, qui plie les épaules parce qu'elle ne peut pas faire autrement. Ecoutez plutôt : « Nous marchons par la foi, et lion par la vue. » - Voulez-vous essayer de cette marche ? Tâchons alors d'en bien saisir les conditions.
I. Homme extérieur; homme intérieur.
Vous vous rappelez ces quatre oppositions, simples mais tranchées, dans lesquelles l'apôtre résumait les épreuves de son apostolat et les limites fixées à ces épreuves. N'aurait-il exposé de la sorte que ses propres expériences ? Ces contrastes ne visaient-ils que lui-même, ou n'amenaient-ils pas aussi les Corinthiens à se rendre compte de leurs circonstances personnelles ?
Nous commençons à connaître assez notre écrivain pour supposer qu'il associe de plus en plus ses lecteurs à l'expression de ses sentiments. Son coeur s'élargit à mesure que sa démonstration progresse. Et si le nous dont il continue à se servir désigne d'abord les prédicateurs de la Parole, bientôt il embrasse un cercle plus vaste et s'étend à tous les croyants. Quoi de plus juste ? Les inquiétudes du pasteur ont été ou sont encore celles du troupeau. Comment l'un et l'autre ne partageraient-ils pas maintenant les joies de la délivrance? « Nous ne perdons pas courage, » écrit l'apôtre; c'est l'affirmation d'un fait ; et nous y lisons sans peine cette exhortation: ne perdez pas courage.
A ce moment le langage de l'apôtre atteint la plus haute éloquence dans la plus entière simplicité. C'est le père s'adressant à ses enfants! à force de tendresse, il touche au sublime. On se demande si l'on entend un orateur, ou peut-être un poète, ou encore un prophète emporté par la vision de l'au-delà, un voyant semblable à Samuel, devant qui les voiles de l'avenir se sont momentanément écartés. De nouveau les contrastes se pressent sous la plume de Paul ; rien n'arrête le flot de ses pensées. Il descend avec ses frères aussi bas qu'ils sont eux-mêmes descendus, afin de pouvoir les entraîner avec lui sur les hauteurs sereines où Dieu lui a fait la grâce de s'élever. Tâchons de le suivre.
L'homme extérieur se détruit. Nul de nous certes, n'y contredira. Cet aveu de l'apôtre est celui de l'humanité tout entière, même à l'âge des patriarches. Nous aurions beau mettre un triple bandeau sur nos yeux pour ne pas voir cette destruction chez les autres , nous la voyons, nous la sentons trop bien chez nous, nous la touchons, dirais-je, et la santé la plus intrépide, la jeunesse prolongée au delà des limites ordinaires ne retardent peut-être pas d'un jour cette détérioration de notre être. La science confirme ici l'expérience. Elle nous enseigne que toutes les molécules de notre corps s'en détachent les unes après les autres, remplacées à la vérité par des particules nouvelles, d'abord tous les sept ans, et puis à plus longs intervalles, et puis plus du tout, parce que la force vitale manque. Alors l'homme extérieur achève sa course; il se décompose; il retourne à la poudre d'où il a été tiré.
Cela est vrai, parfaitement vrai. Mais ce n'est que le revers de cette médaille immortelle qui se nomme la vérité. La face, la voici : l'homme intérieur se renouvelle, et, par une progression non moins constante, « jour après jour, » écrit l'apôtre. Or, cet homme intérieur étant d'une nature toute spirituelle, - nous l'appelons notre âme, - il ne saurait se renouveler en substance matérielle, mais uniquement en esprit. Chaque force qu'il acquiert est donc impérissable. Il ne s'abaisse pas vers la tombe; il monte vers la vie éternelle. Au progrès incessant de la destruction correspond, en le dominant, le progrès continu du renouvellement, jusqu'à ce que l'homme intérieur, entièrement transformé, entre dans « le ciel nouveau et dans la terre nouvelle où la justice habite (2). »
Cela ne se passera pas sans douleurs. Il y aura des sanglots dans ce long travail, à la fois très apparent et très caché. Chaque étape de cette rénovation est marquée par une angoisse. Paul, Dieu merci, n'est pas un stoïcien sans coeur, qui croit tuer la souffrance en lui , criant bien haut qu'elle lie fait pas mal. Non : il sait pleurer; nous avons remarqué qu'il n'en rougit point. Pourtant, il ne connaît pas l'accablement. Car, un poids tout à fait extraordinaire, un poids comme il ne s'en trouve aucun dans l'univers physique, et dont l'apôtre ne se croit pas capable d'estimer la pesanteur, au lieu de tomber sur lui et de l'écraser, se transforme en un piédestal qui le soulève à des hauteurs vertigineuses. Ne m'accusez pas d'inventer; je me borne à traduire, tout en avouant que le ne sais pas si l'on peut parvenir à rendre, dans un français acceptable, le langage inouï du verset dix-septième. « En effet, écrit l'auteur, ce qui actuellement est légèreté de notre affliction nous produit d'hyperbole en hyperbole un poids éternel de gloire. » Ceux-là seuls comprendront, le pense, qui auront passé par ce chemin. Poids d'affliction, poids de gloire ; le premier engendrant le second; le premier léger, le second énorme et cependant ne broyant personne; arrangez cela comme vous pourrez, c'est bien ce que saint Paul a voulu dire. Peut-être Ad. Monod devinait-il sa pensée, lorsqu'il se disait Vainqueur mais tout meurtri, Tout meurtri mais vainqueur.
Au surplus, l'apôtre va vous donner une explication, et il ne faudra pas trop vous étonner si elle vous parait encore plus inconcevable que le problème. Comment ces choses se peuvent-elles? dites-vous avec Nicodème questionnant Jésus. Le voici, répond notre missionnaire : « Nous regardons non pas aux choses visibles, mais aux invisibles. » C'est à y perdre la tête, n'est-ce pas ? Comment ?
Paul regarde à ce qui ne se voit pas ? Oh! pour le coup, c'est un exalté, un mystique, d'un mysticisme même qui touche au ridicule, et vous allez lui répéter poliment avec Festus: « Ton grand savoir te met hors de sens (3) .... » Vous auriez tort, mon cher lecteur. Pour penser et pour parler de la sorte, il ne faut pas avoir perdu le sens, il faut tout simplement avoir gagné la foi, même la foi primaire, qui n'a pas encore un caractère religieux. Regardait-il des choses visibles ou des réalités invisibles, ce Christophe Colomb, qui partait avec ses pauvres caravelles, et contre les décrets des savants les plus écoutés, à la recherche d'un nouveau monde? Interrogez les missionnaires d'aujourd'hui. Les choses visibles, au début de leur carrière, ce sont les cannibales des îles Sandwich, les mangeurs de terre de la Nouvelle-Zélande, des Chinois figés dans leur orgueil séculaire, des Cafres versant comme de l'eau le sang des tribus voisines, des nègres ignorants, paresseux, menteurs et licencieux. Mais ils regardaient, ces vaillants, aux choses invisibles, ils saluaient des âmes rachetées par Jésus, des familles reconstituées, une civilisation chrétienne établie, et tout ce qu'ils voyaient alors apparaît aujourd'hui, aux regards mêmes qui s'attachent aux choses visibles. Retranchez de notre existence la vue de l'invisible; vous supprimez du même coup tout progrès jusque dans le domaine du visible, et le poids de gloire qui allait vous soulever se transforme en un poids d'affliction qui vous étouffe.
2. Tente et Edifice.
Déjà victorieux, Paul, comme tous les bons généraux, veut rendre sa victoire complète. Il n'a pas terrassé toutes les objections, ni rassuré tous les coeurs.
Il va donc retourner en arrière, pour présenter en faveur de sa thèse de nouveaux arguments. Il abordera, à ce propos, un sujet bien délicat ; il essaiera d'établir ce que devient après la mort non pas seulement l'homme intérieur, l'âme, mais aussi le corps, l'homme extérieur. Il se gardera de flatter une curiosité puérile, très souvent malsaine. Il ne nous promènera pas dans un ciel aménagé suivant les hypothèses d'un système quelconque. Son but, bien plus intéressant, n'a pas changé. Il se propose toujours de rassurer les âmes inquiètes, de consoler ceux qui, Malgré tout, gémissent encore sous « le poids léger de l'affliction présente. » Sachez donc bien d'avance qu'il ne répondra pas à toutes vos questions sur la vie à venir, ni sur l'intervalle qui sépare le décès de la résurrection. Il écartera quelques voiles seulement, peut-être pas ceux qui vous offusquent le plus. Mais profitons au moins de cette occasion d'entrer dans le lieu très saint. Les passages où il se révèle sont rares ; raison de plus pour les étudier.
L'apôtre commence par comparer notre demeure d'ici-bas avec l'habitation qui nous attend dans le ciel. L'une est fragile, périssable ; l'autre, élevée sans le travail des hommes, dure à toujours. La première est une tente; la seconde, un bâtiment solide, un édifice. Cette image d'une tente a-t-elle été suggérée à Paul par son métier manuel de couseur de tentes ? Il se pourrait. En tout cas l'image est juste, et se retrouve chez plusieurs autres écrivains. Il ne faut pas beaucoup d'orages, ni de très violents, pour arracher les pieux de notre tente, c'est-à-dire pour couper les fils de notre vie et pour l'emporter comme une toile.
Toutefois, notre auteur ne s'étend pas sur cette comparaison ; il se borne à l'indiquer et passe aussitôt à une autre : comparaison entre un corps vêtu et un corps dépouillé. Qu'est-ce à dire, et que devons-nous entendre à travers ces paroles imprévues ?
Etonnant pour nous, cet enseignement ne devait point l'être pour les Corinthiens. Ils avaient eu maintes fois l'occasion de l'entendre, avec toutes les explications nécessaires, pendant les dix mois du séjour de Paul au milieu d'eux. Ces développements nous manquent, et nous trouvons regrettable la brièveté de ces quelques versets. Tâchons du moins de saisir ce qui paraît le plus probable,
L'apôtre, croyons-nous, se représente ici l'être humain, avec les deux éléments qui le constituent, en telle sorte que le corps serait le vêtement ou la couverture de l'âme. Au jour de la mort, cette couverture, qui n'avait pas cessé de se détruire pendant une série plus ou moins longue d'accidents, par les maladies ou simplement par l'usure, tombe en poussière : c'est la tente, saisie par les vents, disloquée par maintes secousses, enlevée par une dernière tempête. Qu'en devient-il alors de l'âme ? Ce qu'il advient d'un corps qui a perdu ses vêtements : elle reste là dépouillée, dénudée.
Mais cet état honteux ne saurait être définitif; Paul, avec toute sa foi, ne peut l'envisager sans frayeur; il ne s'habitue pas à la perspective d'une âme aussi pauvre, réduite en quelque sorte à se cacher. Voilà pourquoi il soupire dans la tente où il habite encore et dont il entrevoit la ruine prochaine. Son gémissement, toutefois, n'est pas plus que tout à l'heure une désespérance. C'est une attente, par conséquent une prière. Il appelle du ciel une habitation qu'il pourra revêtir. Et je pense qu'il faut entendre par cette « habitation » le corps nouveau désigné dans la première lettre aux Corinthiens comme un corps spirituel, incorruptible, glorieux, avec lequel le croyant s'élèvera au-devant du Seigneur, en l'air (4).
Cette transformation, Paul ne cesse pas de l'attendre, en l'espérant. Comment ne pas trouver dans ses soupirs une admirable supériorité sur maintes religions antiques. Sur celle du Bouddha, par exemple, dont certains réformateurs, mieux intentionnés qu'éclairés, voudraient doter notre génération, proposant à leurs adhérents, comme jadis Çakyamouni, la mort complète du désir et le repos dans l'anéantissement. Sur celle de Socrate, incapable de laisser à ses disciples, après les plus hautes spéculations, autre chose qu'un espoir mêlé de doute, et ne dépeignant à ses juges les magnificences de la vie à venir que pour interdire à l'homme raisonnable d'en attester la certitude. Disons plus. Même sur la religion de l'Ancien Testament la doctrine de Paul réalise un progrès marqué. Ni David, ni Esaïe n'ont imprimé à leurs prophéties ce cachet de triomphe sur le sépulcre. Il a fallu le matin de Pâques pour élever la théologie chrétienne par un coup d'aile aussi audacieux.
Pouvons-nous sonder plus avant les secrets de Paul ? Trouvons-nous ici quelque indication sur l'intervalle qui sépare la mort de la résurrection ? En bonne conscience, non. L'apôtre me paraît plutôt n'avoir pas abordé ce sujet, à peine traité d'ailleurs dans le reste de l'Ecriture. Une vérité pour le moment lui suffit : nous ne paraîtrons pas dépouillés, mais revêtus, devant le tribunal du Christ. Notre âme aura reçu son habitation nouvelle, au moment de rendre compte de ce qu'elle aura fait dans l'habitation présente, c'est-à-dire dans son corps terrestre complètement détruit à l'heure où le jugement commencera.
D'ici-là, mes amis, pour entendre à ce tribunal la sentence libératrice : cela va bien, bon et fidèle serviteur ! notre tâche quotidienne est une marche. Et Paul, d'un trait, nous en fait connaître la nature : « Par la foi, et non par la vue », ou encore - la traduction littérale donne souvent tant de clartés - « à travers la foi, non à travers l'apparence. »
Oh! vous ne pourrez éviter de rencontrer les apparences, de vous en voir entourés. Ne vous y laissez pas prendre. Dehors de bienveillance cachant de cruelles animosités; aspects de plaisirs recouvrant mal des désenchantements ; surfaces de tranquillité sous lesquelles, sans descendre bien profond, vous rencontrez le trouble et l'angoisse. A marcher dans ces défilés, le courage s'émousse, la résolution s'affaisse; on s'arrête au bord du chemin, on ne parle plus de rencontre avec le Seigneur; on redevient bouddhiste, socratique ou quelque chose de pire ; en tout cas on lie porte plus au front la marque de Jésus-Christ, ni dans son coeur le zèle de ses disciples. Mais par la foi! à travers la foi! Regardez donc ces rayons toujours plus clairs illuminant les sommets où vous voulez atteindre. Respirez cette atmosphère vivifiante, dégagée des brumes et des fièvres. Saisissez cette main tendue jusqu'à vous dans les passages difficiles ; laissez-vous porter dans ces bras quand vos forces défaillent.... Là-haut, voyez : l'édifice qui n'a point été construit par la main des hommes. Une place, un accueil vous y sont réservés.... Venez, bénis de mon Père. Vous avez marché par la foi (5).
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |