Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

TÉNÈBRES ET LUMIÈRE

2 Cor. IV, 1-6.

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C'est pourquoi, possédant ce ministère en conformité avec la miséricorde dont nous avons été les objets, nous ne perdons pas courage, mais nous rejetons les choses cachées de la honte, ne nous conduisant pas en fourberie et ne falsifiant point la Parole de Dieu (1), mais, par la manifestation de la vérité, nous recommandant nous-mêmes à toute conscience d'hommes devant Dieu. Si même notre Evangile est voilé, c'est chez ceux qui périssent qu'il est voilé, chez lesquels le dieu de ce siècle a aveuglé les pensées des infidèles, afin que ne brillât pas [pour eux] l'éclat de l'Evangile de la gloire du Christ qui est l'image de Dieu. Ce n'est pas nous-mêmes, en effet, que nous prêchons, mais Christ Jésus en tant que Seigneur, et nous en tant que vos serviteurs à cause de Jésus. Parce que le Dieu qui a dit: « La lumière jaillira des ténèbres, » est celui qui a répandu la lumière dans nos coeurs, pour l'illumination de la connaissance de la gloire de Dieu, en face de Christ (2).


1 Rien à cacher

2. Prêcher Christ


L'apôtre a-t-il bien dit ce qu'il y a de plus glorieux dans le ministère évangélique ? Vraiment, il semble en douter; car il revient maintenant encore sur ce sujet, dont l'importance augmente à mesure qu'il en parle. S'il s'était appelé lui-même à l'apostolat, depuis longtemps il se serait tu. Appelé par Dieu, il ne trouve pas assez de paroles pour glorifier cette vocation. Il y voit une oeuvre directe de la miséricorde, - ou, comme il écrit, de la pitié, - du Seigneur; et cette pitié insondable ne cesse d'occuper ses pensées. De persécuteur devenu missionnaire, il trouve dans ce phénomène presque incroyable assez de force et d'élasticité pour triompher de tous les découragements. Les calomnies peuvent l'assaillir; il les sent; il en souffre; mais elles ne l'abattent pas. Tout pénétré du souvenir de Moïse et de l'éclat répandu sur son visage, il veut encore une fois diriger les regards des Corinthiens sur l'auréole incomparable dont l'Evangile couronne ses ministres. Rien à cacher, parce que nous prêchons Christ, telle est sa devise; telle aussi la pensée qu'il développe maintenant.

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1 Rien à cacher.

Qu'il y ait dans le monde beaucoup de choses honteuses à céler le mieux possible, ce n'est pas à l'apôtre Paul qu'il faut l'apprendre; il le sait mieux que personne et cela tant par son éducation juive que par ses nombreux voyages et ses contacts fréquents avec les idolâtres. Peut-être entendait-il par « ces choses, » en écrivant notre chapitre, les mystères qui caractérisaient la plupart des religions païennes. On en trouvait de son temps en Grèce comme en Egypte; les barbares eux-mêmes en pratiquaient quelques-uns. Les enseignements supérieurs qui, d'abord, s'étaient réfugiés chez les plus spiritualistes de ces mystères, chez ceux d'Eleusis, par exemple, n'étaient plus guère qu'un souvenir au milieu du premier siècle. De multiples scandales s'abritaient alors sous l'aile de la divinité, avec la connivence de ses prêtres. La morale la plus élémentaire disparaissait précisément sous le couvert du mystère. Dans le judaïsme même, malgré la sainteté de ses traditions, surgissaient les fables, les puérilités et les tromperies de la Cabale. Les docteurs exorcistes s'entendaient à produire bien des folies; s'ils prétendaient posséder toute la magie de Salomon, et bien d'autres encore, pour chasser les esprits méchants, ils vendaient à hauts prix leurs secrets et leurs formules et remplissaient leur bourse par leurs consultations ridicules. Magiciens plus coupables que ceux de Pharaon, ils vivaient de la crédulité des simples qu'ils s'arrangeaient fort bien à entretenir. Puis, en outre de ces pratiques, combien de hontes entourant les Eglises parvenaient à s'y glisser par quelques fissures: compromis avec le devoir, marchés offerts à la conscience, bas calculs faits par sous-main pour garder les apparences d'une religion dont on renié la foi.

Au surplus, si nous voulons nous rendre compte de ces taches, il suffit de regarder autour de nous. Les débuts du vingtième siècle en voient pour le moins autant que la seconde moitié du premier. Ignorons-nous la casuistique dans la morale, la mode et l'argent dans la piété, les marchandages dans la vie chrétienne, les temples, - sinon en pierres, du moins en esprit, - changés, suivant l'expression du Christ, en cavernes de voleurs ? Et toutes ces choses honteuses, peut-on dire que les contemporains travaillent à les cacher ? Vraiment non. Prenez les romans qui font fureur, - et qui font des rentes aussi; - prenez les pièces de théâtre que tout le monde veut voir. De quoi sont-ils remplis, sinon de scandales étalés au grand jour et qui, pour être mieux connus, se délaient ensuite dans les feuilletons ou les « faits divers » de journaux, attendus chaque matin par des millions de lecteurs ?

L'apôtre fait mieux que les cacher. Il les repousse avec la dernière énergie. On aura beau chercher avec toute la ténacité de l'envie, on ne trouvera rien de pareil dans son Evangile, rien non plus dans son ministère. Des mystères? Oui, sans doute, on en rencontrera. La religion du Christ est un mystère; car, à le bien prendre, il n'y a rien de plus mystérieux que l'amour. Or, toute la nouvelle alliance se résume en ces mots: « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils.... » Mais à qui l'a-t-il donné ? A quelques privilégiés qui le garderont jalousement pour eux? Non, à tous, sans exception. Le seul but de ce don, c'est que quiconque croit en lui ait la vie éternelle.

Ainsi, tout au grand jour. Rien de caché, point de voiles. Pas de langage incompris du peuple; pas de cérémonies réservées à des initiés ; pas d'avantages de caste, réservés à certains docteurs; pas d'enseignements trop profonds pour la foule ; pas de pratiques auxquelles on n'ose se livrer que dans l'ombre; pas de salut différent pour les plus hautes intelligences et pour les humbles esprits. Toute la miséricorde de Dieu, pleinement révélée et gratuitement donnée à tous ceux qui veulent la recevoir. Voilà ce que Paul prêche. Il ne prêche que cela, parce que c'est la Parole de Dieu et qu'il s'est promis à lui-même de ne jamais la falsifier. Il ne se recommande que par cette illumination pénétrante qui procède de la vérité (v. 2). Et cette recommandation s'adresse « à toute conscience d'homme devant Dieu.»

A la conscience, entendons bien cela. Notre apôtre ne dédaigne pas le coeur; mais il sait avec quelle aisance les sentiments varient et changent; il ne peut pas appuyer sa prédication sur un sable aussi mouvant. Il ne méprise pas davantage la raison; mais il sait que les raisonnements les plus justes ne sont point à la portée de tous. Ce qu'il veut gagner, c'est la conscience. Quand elle sera vaincue par la vérité, elle deviendra véritablement libre; elle pourra vouloir la volonté de Dieu. Conscience de maître ou conscience d'esclave, il n'y aura plus de différence; l'une sera l'égale de l'autre au service du même Sauveur.

Ici, pourtant, Paul devine une attaque. Tu te trompes... ou tu nous trompes, objectent plusieurs adversaires. Cet Evangile que tu prétends si lumineux ne l'est point pour tout le monde. Beaucoup de gens ne le comprennent point, ne le voient même pas, et ce sont des âmes en train de périr. Selon toi elles auraient un urgent besoin de ce message salutaire, et voici qu'il leur reste voilé (v. 3)

C'est vrai, répond le missionnaire. je ne songe pas à en disconvenir. Et j'irai plus loin; je sais pourquoi mon Evangile demeure caché à plusieurs; je sais qui l'a enveloppé de ténèbres ; je m'en vais vous le dire: c'est le dieu de ce siècle. Ennemi acharné de la lumière, autant que de la vérité et de la charité, il a tout simplement aveuglé les pensées d'un nombre infini d'incroyants. Dès lors, il leur est impossible de discerner, malgré son éclat, l'Evangile du Christ, ou, comme dit l'apôtre dans ces accumulations de mots qu'il affectionne: « ils ne peuvent voir de leurs yeux l'illumination de l'Evangile de la gloire du Christ qui est l'image de Dieu » (v. 4). Ils n'apercevraient pas en plein midi le soleil.

Il serait intéressant de noter ici combien cette remarque est vraie dans le domaine de l'observation physique et matérielle. Qui donc, avant J.-J. Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre, se doutait que la nature fût belle, qu'il valût la peine de l'étudier et de l'admirer? Les yeux ne manquaient pas, mais on s'en servait pour autre chose. Beaucoup, pour parler avec un écrivain plein d'esprit, « étaient passés jusqu'alors sur notre admirable terre en sourds et en aveugles, sans entendre bruire sa vie, sans voir son prodigieux et éternel enfantement (3). »

Mais combien plus ancien et plus durable, combien plus tenace cet aveuglement dans le domaine spirituel ? Combien rares aussi ceux qui ont le courage d'en désigner l'auteur. Paul a cette hardiesse. Celui qu'il appelait directement Satan, au chapitre troisième, il le nomme maintenant « le dieu de ce siècle », pour mieux signaler la redoutable étendue de sa puissance. Ainsi faisait Jésus en plus d'une occasion, par exemple lorsqu'il affirmait que le prince de ce monde ne possédait rien en lui (4). N'est-ce pas le même ennemi qui aveuglait déjà l'esprit d'Achab, en devenant pour ce malheureux monarque une inspiration de mensonge et de mort (5) ? Quelquefois, - nous le verrons plus loin, - il s'avance sous un déguisement; on dirait un ange de lumière. Il n'en séduit que plus facilement les âmes. D'ordinaire, cependant, il fuit les clartés, il en a peur. L'obscurité est son domaine; il y précipite tous ceux qui se livrent à lui, ceux mêmes qui consentent seulement, comme Eve, à entrer, pour un instant, en conversation avec lui. Cela suffit, bien souvent, à son habileté ! Quelques minutes d'entretien avec le dieu de ce siècle, et voilà un chrétien de tout à l'heure incapable d'apercevoir « l'illumination de l'Evangile de la gloire du Christ. » C'est-à-dire qu'il ne voit plus Jésus. Rien que cela! Mais comme tout devient sombre. Ne plus rencontrer dans nos douleurs celui qui pleurait avec Marie devant le tombeau de Lazare ; ne plus découvrir dans les tempêtes celui qui rejoignait les disciples éperdus et leur criait : « C'est moi! N'ayez aucune crainte. » Ne plus voir ce sourire qui caressait les petits enfants et faisait tressaillir leur mère, ni cette figure austère et douce à la fois relevant une femme très coupable en foudroyant les pharisiens qui se préparaient à la lapider. Ne plus voir Jésus! Les ténèbres d'Egypte pourraient passer pour lumineuses à côté de celles-là! Adieu, nos fêtes de Noël; adieu, Pâques et l'Ascension! Voilà l'oeuvre infernale accomplie par le prince de ce monde chez ses sujets. Tous les voiles, un instant soulevés, retombent et se font plus lourds. « Sans Dieu et sans espérance », il ne reste plus d'autre sort à attendre.

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2. Prêcher Christ.

Il faut donc à tout prix lutter contre cette propagande fatale. La seule résistance victorieuse consiste à prêcher Christ. Notre apôtre y consacre toutes ses forces; un jour il y sacrifiera sa vie.

Prêcher Christ et non pas soi-même. Car la tentation est subtile pour le prédicateur de profiter de sa position exceptionnelle pour substituer son moi à la personne du Sauveur., Non pas intentionnellement, je le veux; mais par manque de vigilance, par recherche inconsciente d'un succès que l'on décore du nom de bénédiction. On prête l'oreille aux éloges; on accepte les compliments ; c'est si vite fait; et la figure du Christ se retire à l'arrière-plan. Qui ne se rappelle la réponse d'Adolphe Monod à un admirateur enthousiaste ?

- Ah! monsieur Monod, quel sermon! quel sermon !

- Le diable me l'avait dit avant vous, répliqua l'orateur.

Oui, le diable; c'est bien aussi l'opinion de saint Paul. Et quand nos chers auditeurs quittent nos temples en répétant que nous avons été au-dessus ou bien au-dessous de nous-mêmes, - les deux cas se rencontrent, - il y a presque à parier que le dieu de ce siècle a profité du sermon pour aveugler le pasteur et l'assemblée.

Paul est parvenu à triompher de ce danger; ses collègues aussi. Peut-être à la suite de violents combats intérieurs; nous ne savons pas. Mais enfin, ils ont triomphé. Il leur arrive, sans doute, encore de parler d'eux ; jamais de se mettre en avant. Parce qu'ils publient le nom de Jésus, ils se considèrent uniquement comme les serviteurs de leurs frères. L'apôtre dit même « esclaves », parce que, de son temps, tout serviteur était un esclave.

Et cet esclavage est pour lui la preuve de la liberté. Ne croyez-vous pas que Racine poursuivait quelque pensée analogue quand il écrivait:

Fais ton esclave volontaire De cet esclave de la mort.

Il n'y a de vrai disciple de Jésus que celui qu'il a affranchi et qui se met dès lors au service de son prochain. Si cela est vrai du plus simple fidèle, à combien plus forte raison du ministre de l'Evangile !

Mais aussi, poursuivie dans cet esprit, la prédication ne peut manquer de produire la lumière. Elle la produit si bien, avec un rayonnement tellement puissant et tellement universel, que Paul ne trouve pour la dépeindre pas d'autre terme de comparaison que la création même de la lumière aux premiers âges de notre globe. Ecoutez plutôt: « Le Dieu qui a dit : « La lumière jaillira des ténèbres! est celui qui a illuminé nos coeurs pour y produire l'illumination de la connaissance de la gloire de Dieu en présence de Christ. » Gloire partout ; lumière partout; vérité partout ! Ce sont des répétitions, n'est-ce pas? La façon d'écrire de l'apôtre manque un peu de la grâce et de la précision académiques. Mais si tous les académiciens parlaient comme lui, je ne pense pas que le monde en fût plus mauvais.

Au surplus, que de douceur dans cette majesté ! Ce Dieu qui répand autour de nous de si abondantes clartés, les crée parce qu'il nous aime. De même que nous voulons faciliter un travail, ou donner un peu de gaîté à une chambre obscure, en allumant une lampe, en pressant un bouton électrique, de même, en jetant à travers l'étendue les merveilles de la lumière primitive, le Père céleste n'a voulu que le bien et la joie de toutes les créatures; de même encore, en envoyant sur notre terre son Fils, la lumière du monde, il veut éclairer nos coeurs de la lumière qui les fait vivre. Dans les campagnes de Bethléem, les anges qui annonçaient l'enfant nouveau-né publiaient un second : « Que la lumière soit! » La divine institution du ministère évangélique, s'emparant de cette promesse, la fait retentir d'un pôle à l'autre. Malheur à qui substituerait au soleil de justice les pâles reflets de sa théologie ou de sa philosophie, en essayant de se prêcher soi-même ! Heureux, redirons-nous avec Vinet, « heureux, le pasteur fidèle! » Heureux celui qui fait resplendir dans sa chaire, puis à côté du grabat d'un mourant, ou dans la salle dorée d'un château, la radieuse figure du Christ!

Les termes employés par l'apôtre pour décrire l'illumination du coeur, lorsqu'il est mis en présence de Jésus, rappellent de bien près la scène de sa rencontre avec son nouveau Maître sur le chemin de Damas. Illumination aussi; mais au premier instant éblouissement; lumière plus éclatante que le soleil descendant soudain du ciel, et aussitôt Saul frappé d'aveuglement (6); puis, dans cette cécité de trois jours, le futur missionnaire recevant le mandat d'ouvrir les yeux des païens et de les détourner des ténèbres. Comment, après cela, aurait-il essayé de se prêcher lui-même en oubliant d'annoncer Christ?

Tous les chrétiens, pasteurs ou autres, ne passent point par des expériences pareilles. Mais tous ont reçu la même vocation : prêcher Christ. Par leur parole quelquefois; par leur vie toujours. Et je voudrais leur dire ici, pour encourager les plus humbles, les plus défiants d'eux-mêmes : cette prédication n'est jamais vaine. Jésus paraît dans un devoir ignoré du grand nombre et modestement accompli, comme dans le plus élégant des sermons qui fait courir toute une ville. Or, partout où Jésus paraît, il y a de la lumière. Lumière dans nos jouissances, qui deviennent sans lui bien fades et bien mornes. Lumière dans nos tristesses, qui se transformeraient, sans Jésus, en sombre désespoir. Lumière dans nos travaux, souvent monotones, quelquefois arides, et dont le succès peut nous échapper longtemps. Lumière dans ces heures de repos et de délassement où l'égoïsme nous guette pour les transformer en amertume et en remords. Lumière dans cette semaine de Noël (7) qui s'ouvre aujourd'hui, triomphant par des clartés infinies de l'obscurité des jours les plus courts. Lumière, Dieu le veuille, pour notre bien-aimée patrie, dont chaque enfant a le devoir de défendre la devise : Post tenebras lux.

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1  Voir l'appendice VIII
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2  Voir l'appendice IX.
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3  Arvède Barine, Bernardin de Saint-Pierre, p. 83 (dans la collection des « Grands écrivains français »).
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Jean XIV, 30; comp. XII, 31; XVI, 10
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5  I Rois XXII, 20-23.
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6  Actes XXVI, 13; IX, 8.
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7  Ces paroles étaient prononcées le 20 décembre.
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