Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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SERMONS - EUG. BERSIER 

Tome III


LE SECRET DES VOIES DIVINES

Nous savons que toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu.

(Rom. VIII) 27)


Mes frères,

J'entreprends aujourd'hui une tâche difficile: je veux prouver l'intervention de Dieu dans notre destinée; je veux montrer, d'après saint Paul, que toutes choses concourent au bien de ceux qui l'aiment.

Rien de plus élémentaire qu'une vérité semblable. Sans la croyance en cette intervention, que resterait-il encore de la foi chrétienne , et pourquoi serions-nous ici ? Cependant combien d'hommes l'admettent en théorie et n'en ont jamais éprouvé la réalité puissante et consolatrice! Combien d'entre vous peut-être ont senti, à lu simple lecture de mon texte, un doute involontaire traverser leur esprit! Et, en dehors du cercle trop étroit des croyants, avec quel sourire n'accueille-t-on pas l'idée qu'affirme ici l'Apôtre ! Sourire de pitié chez les uns, qui n'y voient qu'une consolation chimérique réservée aux simples d'esprit. Sourire d'indignation chez les autres, qui taxent d'orgueilleuses et d'insupportables l'assurance et la paix que nous puisons dans la pensée que nous sommes les objets de l'intervention et des soins paternels de Dieu.

Soyons justes d'ailleurs; la manière dont on présente souvent cette vérité est telle qu'elle révolte à bon droit des coeurs aimants et généreux.

Ah! certes, quand, sur un lit de maladie, je vois un chrétien accablé d'épreuves, brisé par la souffrance, par le deuil et parla pauvreté, ne pas douter pourtant de la bonté divine, bénir la main qui l'afflige, et, fermement, sans exaltation, affirmer que toutes choses concourent à son bien, je suis ému, saisi de respect, car je reconnais là et l'accent de saint Paul et l'esprit qui l'animait.

Mais quand , au sein d'une existence molle et facile, d'un bonheur égoïste, d'une abondance que n'appauvrit aucun sacrifice volontaire, je vois l'un de ces chrétiens, comme il y en a tant, se complaire dans la pensée que sa destinée est privilégiée entre toutes, et que la Providence a tout disposé pour son bonheur, pour sa santé, pour sa richesse, alors je comprends le sourire du sceptique, et je ne m'étonne pas de son indignation.

Or, n'est-il pas certain que c'est sous cet aspect étroit que la grande pensée de l'intervention de Dieu est souvent présentée? Voici, par exemple, une épidémie qui fond sur quelque ville; un croyant épargné dans la mortalité générale prétend voir dans ce fait la marque d'une prédilection toute spéciale de Dieu pour lui. Un autre échappe seul à un naufrage; dans le récit qu'il fait de sa délivrance, il donne à entendre que Dieu n'a eu de soins et de tendresse que pour lui, et prétend ainsi nous prouver l'action de la Providence. Ceci me rappelle un mot d'un athée de l'antiquité, mot que nous a conservé Cicéron (1). Le philosophe Diagoras, débarquant un jour à Samothrace, alla visiter le temple de cette ville; là on lui montra, suspendues aux murailles, les offrandes que des navigateurs échappés au naufrage avaient consacrées aux dieux tutélaires, semblables à ces ex-voto que l'on offre aujourd'hui à la vierge Marie, patronne des matelots. « Peux-tu nier la providence des dieux, lui dit-on, quand tu vois tous ces témoignages de leur intervention ? » - « Ah! répondit Diagoras, il faudrait entendre aussi le témoignage de ceux qui sont restés ensevelis sous les flots! » Cruelle parole, mes frères, mais qui ne me surprend pas !

En effet, s'il faut reconnaître avec bonheur que Dieu agit en nous sauvant la vie, en nous préservant du danger ou de la souffrance, il faut repousser avec énergie la prétention de ceux qui voient dans ces délivrances extérieures la preuve certaine d'une prédilection spéciale. Non, sachons-le bien, ces malheureux qu'à côté de nous l'épidémie a moissonnés, ces naufragés que la mer a engloutis, Dieu les aimait autant que nous, plus que nous peut-être. Je ne puis dire ce que j'éprouve quand je vois des chrétiens formés à l'école de la révélation porter sur les dispensations de Dieu un jugement téméraire, et les interpréter dans le sens qui convient à leur courte vue et à leur coeur étroit. C'est donc en vain que le livre de Job a, depuis plus de quarante. siècles, condamné cette erreur; c'est donc en vain que le Maître a déclaré que les Galiléens, frappés par la tour de Siloé, n'étaient pas plus coupables que les autres; c'est donc en vain que l'Ecriture tout entière nous exhorte à courber la tête sous l'épreuve, à y discerner par la foi un signe de la bonté de Dieu. On entend ces hommes expliquer, d'un ton froid et sentencieux, les voies de l'Eternel. Un enfant est enlevé à la tendresse de son père et de sa mère, ils se demandent si on n'en avait pas fait une idole; un malheur humiliant vient atteindre un de leurs proches, ils en concluent que cela était sans doute nécessaire et qu'un mal caché appelait cette épreuve. Qui pourra mesurer, mes frères, les blessures profondes qu'ont faites aux heures de la souffrance de semblables paroles et de si cruels jugements !

Quelle est l'idée qui est à la racine de ces aberrations? C'est la prétention de reconnaître l'action de Dieu à certains signes seulement, idée directement opposée à celle de saint Paul, qui affirme que toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu.

Or, cette erreur, elle est d'une ténacité prodigieuse; on la retrouve partout, elle se manifeste sous des formes qui nuisent singulièrement aux croyances chrétiennes. Il y a des hommes qui ne savent voir l'intervention divine que dans ce qui est imprévu, extraordinaire, exceptionnel; ainsi la foule ne veut qu'on lui parle de Providence que dans les grands événements qui bouleversent le monde; comme Elie, avant que sa vision l'eût instruit, elle cherche Dieu dans l'ouragan, dans le tremblement de terre ou dans le feu destructeur; elle ne sait pas discerner « le son doux et léger » qui annonce l'action continue de sa providence.

Il y a des chrétiens qui ne sentent pas Dieu agir dans les lois régulières par lesquelles il gouverne le monde. Parce que ces lois poursuivent leur immuable cours, parce que le soleil se lève chaque matin sur les bons et sur les méchants, leur confiance est troublée; cette idée même des lois de la nature leur est antipathique et les froisse. Dieu ne leur apparaît pleinement que dans les phénomènes dont la loi leur reste encore cachée. Une guérison par exemple, à laquelle la science humaine n'a pris aucune part, leur semble devoir être attribuée directement à Dieu; si le médecin était intervenu, il aurait à leurs yeux relégué Dieu sur l'arrière-plan. De là une conséquence que l'incrédulité ne manque pas de tirer. « L'ignorance, dit-elle, est mère de la foi. Tel événement est attribué à Dieu dans un siècle ténébreux; mais demain, une génération plus éclairée en connaîtra la loi; » d'où l'on conclut que «la foi en l'action divine diminue en raison directe du progrès des lumières. » Or voilà, mes frères, ce que nous devons énergiquement combattre. Non, Dieu ne se manifeste pas seulement à nous dans ce qui nous étonne et nous déconcerte; toutes choses, nous dit l'Apôtre, concourent à ses desseins; il agit, et par ses lois régulières et par les soins particuliers de sa providence; il est dans les coups de foudre de la tempête et dans la sereine et pure clarté de l'aurore; il est dans le sombre nuage qui s'abaisse sur une maison dévastée par le deuil, et dans les sourires de l'entant, et dans les joies d'une famille heureuse; il est dans l'action des forces cachées qui firent, il y a dix-huit siècles, sortir du tombeau le Fils de l'homme, et annoncèrent ainsi au monde le triomphe de la vie et de la sainteté sur la mort et le péché, mais il est aussi là quand nous déposons, dans des tombes que nos yeux ne verront plus s'ouvrir, les restes glacés de nos morts; il est avec ceux qui tombent frappés par l'épreuve comme avec ceux que l'épreuve épargne; il est partout, mes frères, car s'il n'était point partout, c'est qu'il ne serait nulle part.

J'ai repoussé les erreurs par lesquelles notre étroitesse et notre orgueil ont souvent défiguré la croyance à l'intervention de Dieu dans notre vie; pénétrons maintenant au centre même de la pensée de l'Apôtre : « Toutes choses, nous dit-il, concourent au bien de ceux qui aiment Dieu. »

Je vois ressortir ici une première et lumineuse idée. C'est qu'il n'y a pas de hasard, c'est que tous les événements marchent vers un but; ce but, dans un sens général, c'est la fondation du règne de Dieu; mais il y a plus ici : l'Apôtre affirme qu'en tendant à ce but général, toutes choses concourent au bien individuel de tous ceux qui aiment Dieu. Reprenons successivement chacune de ces pensées.

Toutes choses tendent vers un but, voilà la première affirmation de l'Apôtre. Cette pensée était nouvelle; elle était née le jour où Jésus avait appris à ses disciples à dire à Dieu : « Que ton règne vienne; » c'était un trait de lumière qui, pour la première fois, avait éclairé le monde. Il faut le dire bien haut, mes frères, l'idée que l'histoire marche vers la réalisation d'un but , cette idée d'où est sortie la croyance moderne au progrès, c'est une idée chrétienne; jamais l'antiquité ne l'avait comprise, et, chose singulièrement frappante, aujourd'hui même, elle n'existe pas en dehors des pays chrétiens.

N'en soyons pas surpris. C'est là, à vrai dire, une croyance plutôt qu'une vérité qui se puisse prouver. La raison seule conclurait en un sens opposé. Comment reconnaître un plan divin, une marche providentielle dans ce jeu sanglant qu'on appelle l'histoire, dans cette apparition successive des générations qui viennent tour à tour occuper la scène de ce monde et recommencer les mêmes tentatives sans profiter des expériences du passé, dans ces civilisations antiques si profondément disparues, dans ces triomphes insolents de la force ou de la ruse, au milieu d'un siècle qui se croit éclairé; dans ces avortements des meilleures causes, dans cet abaissement, dans cet énervement enfin qui accompagne la civilisation et qui force les peuples les plus avancés à regretter la vigueur de leur barbare jeunesse? Un profond penseur, et l'un des plus grands historiens des temps modernes, résumait sur ce point sa science en disant que l'humanité décrivait comme une roue un cercle fatal; c'est là le dernier mot de ceux que n'éclaire pas la foi chrétienne à la Providence; et cependant ce mot, mes frères, on n'oserait pas le répéter aujourd'hui. Aujourd'hui, parmi nous, on croit au progrès: on a pris au christianisme la croyance a triomphe final de la justice et de la vérité; j'entends des athées eux-mêmes proclamer que l'humanité marche et obéit à une destinée providentielle. Eh bien ! cette croyance, elle est à nous, mes frères, nous l'avons donnée au monde, ne laissons pas le monde la retourner contre nous. Je vois des Chrétiens confondus, attristés par le spectacle de ce monde, s'abandonner à la torpeur, au découragement.; je les vois désespérer de l'avenir et n'exhaler plus sur la marche de ce monde que des plaintes séniles et des gémissements. Loin de nous cette lâche attitude! L'avenir, pour nous, c'est la victoire de la vérité, de la justice, de l'amour, c'est Dieu régnant à jamais. Toutes choses concourent à ce but. Tout sert à édifier ce temple éternel où Dieu doit être adoré par toutes ses créatures; chaque. génération qui passe y apporte sa pierre et l'édifice grandit; je sais combien nos regards ont peine à entrevoir son plan ; nous sommes encore à cette heure indécise où, dans les ténèbres de la nuit faiblement éclairées par l'aube blanchissante, les réalités éternelles tremblent devant nos yeux et disparaissent sous le premier nuage du doute mais sans voir encore nous croyons, et notre foi ne sera pas trompée; ah! si elle l'était, si le Dieu de l'Évangile n'avait pas le dernier mot de l'histoire, c'est que l'histoire ne serait plus qu'une comédie sans signification et sans but, c'est que le hasard en serait l'explication suprême, c'est qu'il faudrait dire : « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons »

Croire à ce plan général par lequel toutes choses concourent à la gloire de Dieu, c'est beaucoup sans doute; il y a dans une telle croyance une immense force, une incomparable consolation. Mais cela n'est pas assez. Il ne me suffit pas de connaître quelle est la providence générale de Dieu; j'ai besoin de savoir quelle est sa pensée à mon égard. Or voilà précisément ce qu'enseigne aussi l'Apôtre. Toutes choses, nous dit-il, concourent au bien de ceux qui aiment Dieu. Ainsi donc, au-dessous de cette providence générale qui amène le règne de Dieu, il y a une providence particulière qui s'applique à tous ceux qui l'aiment et qui fait tout concourir à leur bien. C'est ce qu'il nous reste à montrer.

Mais comment le montrer sans nous heurter en face à toutes les objections que cette vérité soulève? Essayons, s'il se peut, de les réfuter tour à tour.

Et d'abord, c'est d'orgueil que l'on taxe notre croyance. Quelle présomption, nous dit-on, de la part de créatures telles que nous, de se croire les objets des soins vigilants de Dieu!

De l'orgueil ! vraiment vous le croyez. Ainsi donc, quand vous voyez votre petit enfant qui s'agenouille le soir, qui raconte à Dieu ses fautes, et lui demande, avec la naïve confiance d'un coeur sans fraude, de lui venir en aide et de le rendre meilleur, c'est un enseignement d'orgueil, ô raisonneur, que vous avez sous les yeux?... De l'orgueil, chez lui?... Le croyez-vous? De bonne foi, pouvez-vous l'admettre?

Mais, me répondrez-vous, ces chrétiens qui parlent de l'amour dont Dieu les entoure ont-ils l'admirable simplicité de cet enfant! Non! j'en conviens, et, d'avance, entrant dans votre pensée, j'ai montré combien, en effet, leur orgueil dénaturait souvent et faussait leur croyance; mais qu'est-ce que cela prouve? Qu'ils sont hommes et pécheurs; rien de plus. L'idéal pour eux (l'Evangile le déclare), l'idéal serait de redevenir enfants.

Accusez-les, si vous le voulez, mais ne taxez pas d'orgueil cet abandon filial qui les jette aux pieds de leur Père céleste, et les porte à tout attendre de sa bonté.

Vous insistez sur notre petitesse, mais, si petits que vous nous fassiez, vous ne pourrez pas arrêter dans notre coeur cet irrésistible élan qui nous' porte vers Dieu. Or, si nous sommes assez grands pour croire en Dieu, pour l'aimer, pour sentir que seul il peut nous satisfaire, quel orgueil y a-t-il à croire que cet élan ne sera pas trompé, que Dieu répond à ce désir qu'il a inspiré lui-même à notre âme ? Accusez d'orgueil la faible plante qui, chaque jour au lever du soleil, se redresse et s'entr'ouvre pour aspirer sa chaleur vivifiante; mais si vous admirez cette loi cachée qui la porte à chercher instinctivement sa vie au foyer de toute vie, laissez donc l'âme humaine puiser sa force et son secours auprès du Dieu dont elle a tout reçu et qui seul peut la satisfaire à jamais.

Vous insistez, et vous cherchez à nous accabler par la pensée de la grandeur écrasante de Dieu. Dieu, dites-vous, est trop grand pour songer à toutes nos requêtes, pour faire concourir tout à notre bien. Mais quel Dieu est-ce donc que le vôtre., et quelle idée vous faites-vous de sa grandeur? Quoi! ce Dieu qui a verse, dans les plus chétives de ses créations, des trésors de sagesse, de prévoyance, ce Dieu qui pare les oiseaux de l'air et les fleurs des champs d'une grâce et d'une splendeur que notre art cherche à imiter sans les atteindre, il serait trop grand pour compter nos douleurs et nos prières! Comme si la grandeur suprême n'éclatait pas dans cette suprême prévoyance, comme si l'amour était moins grand parce qu'il embrasse tout dans une universelle étreinte, comme si toute la science et la sympathie infinie n'étaient pas l'expression même de la nature de Dieu!

Vous nous accusez d'orgueil? mais souffrez, à votre tour, que je me défie de votre humilité. Je m'en défie, car mille fois j'ai vu la créature rebelle échapper à Dieu sous le prétexte de son insignifiance et abriter sa révolte sous le voile de l'humilité. Est-ce être humble que de ne point vouloir recourir à Dieu, que de prétendre se suffire à soi-même, que de chercher en soi sa force, quand on est, en réalité, faible, dépendant et misérable, quand il suffirait d'un souffle pour qu'on rentrât dans le néant? L'orgueil où donc est-il, si ce n'est dans cette étrange attitude d'un être faible et pécheur qui regarde le Tout-Puissant en face et lui dit : « Que d'autres t'invoquent, moi, je puis me passer de toi »

Cette objection écartée, j'en rencontre une autre. Quand je parle de l'intervention de Dieu dans ma vie, quand j'affirme que dans ses dispensations tout concourt à mon bien, voici la voix grave de nos stoïciens modernes qui m'accusent d'obéir à un sentiment intéressé. A les entendre, l'homme ne doit jamais se chercher lui-même. Il doit obéir au devoir, voilà tout. Que lui importe donc le bien qui peut en résulter pour lui! Il doit se contenter de travailler pour la vérité et Pour la justice; il sait que son travail doit contribuer à leur triomphe. Voilà quel doit être le seul mobile qui le fasse agir. Tout le reste est inférieur et indigne de lui.

Vous avez tous entendu ce raisonnement, mes frères, et vous savez que c'est au nom de cette doctrine que l'on repousse l'idée chrétienne de la vie future, dont la morale, nous dit-on, doit se passer. Ah! si l'on veut affirmer par là que l'intérêt Purement personnel est un calcul de mercenaire, et qu'il doit être justement flétri, si l'on veut par là condamner ceux qui ne servent Dieu que pour être récompensés par lui, on a raison; mais qu'on veuille bien remarquer que tout cela,

l'Evangile l'a dit avec une incomparable puissance. Jamais l'esprit mercenaire n'a été plus impitoyablement condamné que par Jésus-Christ. Mais, parce que je dois servir Dieu sans calcul, s'ensuit-il que je doive être à jamais indifférent à ma propre destinée, s'ensuit-il que je doive repousser, au nom de ma dignité, cette Providence qui fait tout concourir à mon bien? Non certes, car ce serait mentir à ma nature, étouffer cette voix secrète qui me dit que mon bonheur et mon salut sont dans l'obéissance à Dieu.

Et puis, je me défie de cette perfection surhumaine qui, sous prétexte de grandir notre dignité, nous laisse sans consolation dans l'épreuve. Elle me rappelle un antique apologue indien que voici: Une femme dont le mari vient de périr dans un naufrage, et dont la maison vient d'être détruite par un incendie, gémit, couverte de deuil, sur les ruines de son foyer lorsqu'un sage apparaît et lui dit : «Qui accuses-tu? Le vent et le feu? Le vent? Voudrais-tu qu'il ne soufflât pas? Le feu ? Voudrais-tu qu'il ne brûlât pas? mais, s'il ne soufflait pas, le vent ne pourrait ramener les marins au port; le feu, s'il ne brûlait pas, ne pourrait te réchauffer. » Voilà, mes frères, les consolations de nos sages; c'est ainsi qu'ils prétendent absorber nos douleurs personnelles dans cette abstraction qui s'appelle, le bien général. Cela peut être philosophique, mais cette philosophie dérisoire, je n'en veux pas. Non, le bénis le Dieu de l'Evangile de ce qu'il nous a réservé d'autres consolations, de ce qu'il ne méprise point nos douleurs, de ce que, tout en poursuivant ses plans éternels, il s'occupe de chacune de ses créatures et sait compter leurs larmes et jusqu'à leurs soupirs.

On va plus loin, on nous dit : a Comment prétendre que Dieu s'occupe de chacune de ses créatures, puisqu'il gouverne le monde Par des lois invariables, qui ne souffrent pas d'exception? Prétendez-vous, ajoute-t-on, que ces lois se suspendent à votre gré, que vous échappiez à la commune destinée, que la maladie ou la mort vous épargne, parce que vous aimez Dieu, parce que vous le priez, parce que vous vous appelez ses enfants? Le temps des miracles n'est plus. Aucun ange ne descend du ciel pour Nous nourrir comme Elie, aucune main n'arrête le soleil pour prolonger d'un jour votre existence, aucune voix ne rendra la vie et la jeunesse à votre corps épuisé. Si Dieu règne, c'est par des lois que rien ne fléchit, et, sous ces lois inexorables, il n'y a pas de place pour ces délivrances particulières, pour ces soins paternels dont vous vous croyez les objets. »

J'entends cette objection, mais j'en cherche en vain la force. Dieu est un Dieu d'ordre, Dieu règne par des lois, nous l'admettons comme vous, mais qu'est-ce à dire, et quelles conséquences prétendez-vous en tirer? Que Dieu ne peut agir d'une manière particulière, qu'il ne peut témoigner à ceux qui l'aiment un amour de prédilection ? Ainsi donc, dans un Etat bien ordonné, où les lois seront justes, fermes, inflexibles, le souverain, parce qu'il a fait ces lois et qu'il les observe, ne pourra témoigner à aucun de ses sujets sa bienveillante, il ne pourra jamais consoler ceux qui souffrent, soulager ceux qui sont tombés, et l'ordre qu'il fait régner l'empêchera de jamais manifester soli amour ? Voilà pourtant le rôle que l'on prétend assigner à Dieu. Voilà le système au nom duquel on nous empêche de croire à son intervention, à sa providence. Ah! pour être logique, il faut aller plus loin. Il faut dire que Dieu est tellement enchaîné par les lois qu'il a faites qu'en dehors d'elles il n'y a plus de place pour sa puissance, pour sa liberté, pour son amour. Il faut nier du même coup, et cette puissance, et cette liberté et cet amour, il faut dire qu'il n'y a pas d'autre Dieu que les lois qui nous régissent, et en revenir à l'inexorable fatalité des païens. Si vous reculez devant ces conséquences, si votre coeur et votre esprit protestent, si pour vous Dieu reste libre et maître, de quel droit encore, et au nom de quel principe mettrez-vous des bornes à son action souveraine, de quel droit l'empêcherez-vous de faire tout concourir au bien de ceux qui l'aiment?

Mais on nous attaque sur un autre terrain, on en appelle à l'expérience, on invoque les faits, et on nous dit : « Que sert de parler d'intervention divine et de providence, que sert de vous bercer de l'espoir que tout concourt à votre bien? La réalité donne à vos croyances un impitoyable démenti. Vous qui priez, êtes-vous plus épargnés que les autres, Les déceptions, les insuccès amers vous atteignent-ils moins ? La maladie vous oublie-t-elle La mort vient-elle moins dévaster vos demeures ? Et quand vous voulez échapper aux maux qui vous menacent, n'êtes-vous pas obligés comme nous de recourir aux moyens humains que l'expérience indique? Quoi! comme nous, vous errez, vous souffrez, vous mourez, et vous prétendez encore que, dans les événements qui se passent, toutes choses concourent à votre bien» !

Voilà, mes frères, la plus redoutable et la plus populaire des objections que notre croyance rencontre. Que de fois je l'ai surprise sur les lèvres des ignorants comme sur celles des sages, que de fois peut-être elle a glacé vos prières et refoulé l'élan de votre coeur qui appelait le secours de Dieu!

Avant d'y répondre, il est un point que je dois éclaircir. Toute la force de cette objection repose sur le fait que ceux qui aiment Dieu souffrent autant que les autres, d'où l'on conclut qu'il est dérisoire de prétendre que toutes choses concourent à leur bien. Mais a-t-on réfléchi qu'en raisonnant ainsi, on confond le bien des croyants avec leur bonheur visible, confusion que l'Ecriture ne fait jamais? Distinguez ces deux choses, et déjà la lumière commence à se faire. Ce que Dieu appelle notre bien, n'est pas ce que nous appelons notre bonheur. Le bonheur, pour nous, c'est le succès, c'est la santé, c'est la gloire, c'est la fortune, c'est l'affection des hommes, c'est le plaisir peut-être; dans les vues de Dieu, le bien pour nous c'est la sainteté, c'est le salut. Vous rêviez, mon frère, la force, la richesse, l'influence et la considération, et voici vos plans détruits, vos ressources amoindries, votre réputation menacées, votre santé brisée, votre avenir terrestre à jamais compromis; vous rêviez, ma soeur, les applaudissements du monde.. les triomphes et l'enivrement de la vanité, et voici pour vous la triste réalité des affections trompées, des illusions évanouies, des humiliations d'une situation dépendante. Oh! la cruelle destinée, dites-vous peut-être. Attendez avant de Juger. Dans les vues de Dieu, votre bien véritable, éternel, est là. C'est là que vous apprendrez à voir la vie sous son vrai jour, à vous détacher de ce qui est égoïste et bas, à sentir tout le mensonge des grandeurs mondaines; c'est là que vous apprendrez à connaître le véritable amour, les beautés et les attraits du sacrifice, c'est là que vous trouverez la vie éternelle, en sorte qu'à travers ces déceptions cruelles, toutes choses auront concouru à votre bien.

Ce point éclairci, et vous en voyez assez l'importance, venons-en à l'objection même sous laquelle on veut nous accabler. On triomphe de ce que le croyant est frappé comme l'incrédule, celui qui prie comme celui qui ne prie pas. On affirme, pour employer les expressions de l'Ecclésiaste, que tout arrive également à tous; au juste et à l'impie, au pur et à l'impur, à celui qui blasphème et à celui qui adore.

Je réponds : Cela est vrai en apparence, et je comprends qu'il en doive être ainsi. Je comprends que Dieu ne rattache pas aujourd'hui le bonheur à la foi, et le. succès à la piété, je le comprends, car s'il le faisait, on lui obéirait pour être heureux, et Dieu ne serait servi que par des mercenaires. Mais, je le répète, cela n'est vrai qu'en apparence, et pour celui qui ne jette sur les actes de Dieu qu'un regard superficiel et léger.

J'en appelle tout d'abord au témoignage de l'histoire.

Vous croyez, mes frères, au Progrès, vous croyez qu'à travers les siècles, se dégage une trace lumineuse où l'on peut suivre un dessein providentiel; vous croyez que la justice élève les nations, et que là ou il y a eu le plus de foi, de force morale et d'intégrité sur la terre, la aussi il y a plus de liberté, plus de puissance, plus de lumière, plus de véritable bonheur.

Eh bien ! prenez-y garde, si vous admettez cela, vous niez du même coup la fatalité que vous alléguiez tout à l'heure, car admettre que la justice et la vérité ont pour elles l'avenir, c'est admettre que la balance incline en définitive en leur faveur, c'est reconnaître qu'un même accident n'arrive pas toujours au juste et à l'inique, que l'un des deux finit par l'emporter sur l'autre. Si vous me concédez cela, je m'en empare, et, de cette hauteur que vous ne pouvez me reprendre, j'affirme que cette loi, vraie dans l'ensemble, doit être vraie aussi pour les individus, et que si, dans les plans de Dieu, tout concourt au triomphe du bien dans le monde, tout doit concourir au triomphe du bien dans mon âme.

J'en appelle ensuite au témoignage des croyants eux-mêmes; ils ont apparemment le droit d'être écoutés ici. Vous dites qu'ils sont frappés comme les autres, vous les voyez soumis aux mêmes accidents, aux mêmes douleurs, mais interrogez-les, ils vous répondront que sous ces événements, qui forment le cadre extérieur de leur vie, ils ont appris à reconnaître et à discerner jusque dans le détail, l'action secrète mais réelle d'un éducateur divin qui les faisait passer par une école qu'ils n'auraient pas choisie, qui les détachait du monde et d'eux-mêmes, qui opposait à leurs penchants naturels d'insurmontables obstacles, qui les sauvait de la tentation. Ils vous diront, qu'à certains jours, les marques de cette divine providence leur sont devenues palpables, qu'elles leur ont arraché des larmes de confusion et de reconnaissance, ils vous diront que dans les épreuves les plus sévères ils ont découvert des signes adorables de la bonté divine... Oui, ces hommes en qui vous n'avez vu comme chez les autres que de pauvres jouets de la fatalité, ils vous répondront que le hasard est un vain mot, et que dans les desseins dé Dieu tout concourait à leur bien.

Vous pensez triompher de nous, en disant que les épreuves qui frappent le juste et l'impie étant identiques, il est dérisoire d'affirmer que toutes choses concourent au bien du premier. Mais veuillez remarquer que la manière dont un événement agit sur nous dépend de deux choses, de la nature de cet événement sans doute, mais aussi de la disposition d'esprit de celui qui le subit. Or, lors même qu'au point de vue extérieur tout serait identique dans les destinées de celui qui aime Dieu et de celui qui ne l'aime pas, il faut bien admettre que, suivant les dispositions du premier, tout ce qui lui arrive peut Concourir à son bien. C'est qu'en définitive les événements agiront sur lui d'après l'esprit avec lequel il les accepte. C'est son âme qui leur donne leur valeur réelle et leur signification véritable. Un exemple fera mieux comprendre ma pensée.

Voyez dans la nature ces forces cachées ou visibles qui, à certains jours, nous épouvantent par leur puissance de destruction. Dans la plante, sous une fleur gracieuse, c'est un poison subtil qui endort d'un sommeil dont on ne se réveille plus; dans les airs, c'est l'ouragan qui renverse tout sur son passage, c'est la vapeur à la formidable et irrésistible expansion, c'est l'électricité qui déchire le ciel sombre et vient foudroyer nos demeures. Mettez en présence de ces forces l'homme inculte., ignorant, sauvage; il n'y trouvera que la souffrance et que la mort. Mais que l'homme du dix-neuvième siècle vienne à son tour, et voyez ce qui se passe : il extrait ce poison, et, par un adroit mélange, il y cherche, il y trouve un remède à ses maux; il puise la vie dans ce qui devrait lui donner la mort; il tend au souffle du vent la voile de ses moulins ou de ses vaisseaux, et ravit à la nature cette force terrible pour s'en faire obéir; il reçoit dans ses appareils la vapeur, il la fait monter et descendre, circuler dans le Jeu compliqué de ses machines; il l'oblige à exécuter ses ordres, à tourner ses rouages, à soulever ses marteaux; il lui fait tisser ses étoffes, broyer ses aliments, élever ses maisons avec une rapidité prodigieuse; il s'empare de la foudre elle-même, et sur un fil imperceptible jeté dans les profondeurs de l'Océan, il lui commande de porter sa pensée aux extrémités du monde; en sorte que toutes ces forces fatales et destructrices concourent ensemble, sous l'oeil prévoyant de son génie, à prolonger sa vie, à l'orner, à l'enrichir, à l'agrandir enfin dans tous les sens.

Eh bien! mes frères, c'est là une faible, mais fidèle image de la manière dont l'âme croyante peut faire tourner à son bien tous les événements de la vie, tous les maux qui l'accablent. Vous avez dit : « Un même accident vient frapper tous les hommes, le croyant et l'impie, celui qui prie et celui qui blasphème. » Mais ne voyez-vous pas que la fatalité n'est qu'apparente, et qu'en réalité, les événements produisent les résultats les plus différents et les plus opposés : pour ceux qui se détournent de Dieu, l'endurcissement et la révolte, pour ceux qui s'humilient, la sanctification et la vie éternelle?

Voici l'insuccès, voici le deuil, la maladie, la souffrance la plus cruelle qui viennent s'abattre sur une âme chrétienne. Eh bien! vous la verrez cette âme, s'emparer de ces forces terribles qui devraient l'écraser, vous la verrez sous leurs coups s'humilier, prier, bénir, et puiser dans ce qui pourrait être sa mort le secret de la véritable grandeur, du triomphe spirituel et de la sainteté.

Oh ! merveilleuse victoire de l'esprit du Seigneur, mille fois plus admirable que toutes celles du génie et par laquelle toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu!

Là, mes frères, est le secret de la vie, là fut celui de la force de saint Paul, car cette devise qu'il nous a laissée, en a été la réalisation vivante. Au point de vue extérieur, quelle vie fut moins favorisée que la sienne ! Prophètes de la fatalité, ne vous paraît-il pas insensé cet Apôtre, quand il s'écrie que toutes choses concourent à son bien ? Toutes choses? Quoi ! ses faiblesses, ses tentations, les aspérités de sa rude nature! Quoi ! ses insuccès, sa pauvreté, ses périls, ses naufrages, ses captivités! Quoi! les persécutions sans trêve, les pièges de ses ennemis, les défiances des chrétiens, la haine implacable des Juifs et les railleries des Grecs! Quoi ! les croix sous lesquelles il fléchit, les soucis, les déchirements, les larmes, les angoisses! Quoi! son ministère arrêté, son corps couvert de blessures et chargé de liens! Quoi ! sa prison de Rome, l'abandon où il est réduit à l'heure dernière ! Quoi! son martyre enfin! Ah! c'en était assez pour l'accabler mille fois et pour le faire douter à jamais de l'intervention de Dieu dans sa destinée. Mais vous le verrez ce grand Apôtre, puiser, dans ces obstacles mêmes, et sa vie et sa force. Vous le verrez, sous les coups de l'épreuve toujours plus humble, plus simple, plus charitable; vous verrez son coeur s'élargissant toujours plus, comme un fleuve devant lequel on entasse les obstacles et qui monte, monte encore, d'autant plus grand, d'autant plus irrésistible qu'il est plus entravé dans sa marche; vous verrez sa foi dissipant les nuages qui devaient l'étouffer, briller toujours plus lumineuse et plus magnifique; vous verrez saint Paul enfin trouver le secret de sa force dans ce qui semblait devoir à jamais la briser.

N'en soyez pas surpris. C'est au pied de la croix que son âme s'est formée, c'est là qu'il est venu chercher chaque jour sa sagesse et sa force, c'est là qu'il a appris, pour ne plus l'oublier jamais, que toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu. Qui aurait jamais pensé que la croix pouvait servir au triomphe de la vérité? La croix, a la sombre lueur du premier vendredi saint, la croix avec le Juste abandonné des siens, et cherchant vainement Dieu lui-même, la croix avec son ignominie et son horreur, c'était, ô fatalistes, c'était l'insuccès dérisoire, c'était l'anéantissement, c'était le scandale et la folie; la croix aujourd'hui, c'est la vie , c'est l'espérance, c'est le salut du monde.

Eh bien ! mes frères, cherchez votre force là où saint Paul a trouvé la sienne. Sous les afflictions qui vous accablent, VOUS doutez que toutes choses concourent à votre bien, vous avez accusé Dieu, et vous n'avez pu croire à son amour. Attendez, le jour vient où Dieu justifiera ses voies, où le hasard ne sera plus, où la fatalité disparaîtra comme un vain rêve; le jour vient, il approche, où recueillis dans la sainte lumière, et enseignés par Dieu lui-même, vous reconnaîtrez, en adorant, que tout dans ses voies tendait à votre salut à votre bonheur éternel.


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1 Cic., De Nat. Deor., III, 37-

 

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