Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
REGARD
Bibliothèque chrétienne online
EXAMINEZ toutes choses... RETENEZ CE QUI EST BON
- 1Thess. 5: 21 -
(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



C'EST UN REMPART 

ESQUISSES HISTORIQUES DU TEMPS DE LA RÉFORMATION


XII

À ROI DE SANG, PEUPLE REBELLE
Guillaume le Taciturne.
(1533-1584)

 

  • LE «TAISEUX ».
  • L'ARAIGNEE.
  • LE COMPROMIS.
  • LA PAROLE DE LIBERTE.
  • LES BRISEURS D'IMAGES.
  • LE FAUCHEUR ESPAGNOL.
  • GUEUX DES BOIS ET GUEUX DE MER.
  • REPOS AILLEURS
  • A L'HERETIQUE, PAS DE FOI.
  • LE DOMPTEUR DES GUEUX.
  • « TRANQUILLE AU MILIEU DES TEMPÊTES »
  • NOTES HISTORIQUES
  • INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
  • NOTES PÉDAGOGIQUES

     

    BUT DU RÉCIT

     

    Par le spectacle de leurs effets malfaisants, faire détester l'esprit d'intolérance et l'esprit de vengeance. Faire admirer la générosité et la largeur de vues personnifiées en Guillaume d'Orange.

    .

    LE «TAISEUX ».

    C'est grand jour de chasse au bois de Vincennes. (1) La forêt sonore retentit du galop des chevaux, du jappement des meutes nerveuses, de l'appel des trompes ; les lièvres détalent en silence ; les sangliers trouent les taillis à grand, bruit de branches cassées ; les cerfs passent en bonds affolés, et le feuillage se referme derrière leurs sabots frémissants ; quand une arquebuse fait feu, sa grêle arrache les écorces et mitraille la ramure. Par des grondements sourds et prolonges, la forêt proteste et gémit. C'est plainte vaine. Qu'elle subisse, elle et son gibier, le dur passage des chasseurs ; ce ne sont rien moins que le roi de France et sa cour qui lui font l'honneur de la saccager.

    Henri Il est en effet fort heureux aujourd'hui. Il vient de signer avec son rival Philippe II d'Espagne le traité de Cateau-Cambrésis (1559), qui le soulage de bien des soucis ; il a fallu six mois de négociations avant que « Philippe aux pieds de plomb », le souverain hésitant et tatillon par principe, se soit décidé à conclure la paix. Aussi y a-t-il maintenant lieu de se réjouir et de montrer aux diplomates étrangers comment la cour de France sait s'amuser.

    Au cours de cette belle partie, les piqueurs et les pages, les chambellans et les dames d'honneur se sont dispersés à travers la futaie, chaque petit groupe suivant sa piste, et le hasard veut que le roi se trouve soudain seul à poursuivre un cerf avec l'un des ambassadeurs du roi d'Espagne, un homme bien jeune pour une si haute mission, puisqu'il n'a que vingt-six ans, Guillaume de Nassau, prince d'Orange.

    Le cerf échappé, les deux cavaliers rapprochent leurs montures et les mettent au pas, satisfaits de pouvoir un moment se tenir à l'écart ; ils sont l'un et l'autre trop préoccupés par les grands événements de leur époque pour s'adonner sans réserve aux plaisirs de la chasse. Quelle favorable occasion de s'entretenir librement! Le roi Henri se sent attiré par le gentilhomme qui chevauche à son côté. Il n'ignore pas qu'au temps où ce jeune prince était élevé à la cour de Charles-Quint, l'empereur le tenait en très grande estime ; le vieux monarque prisait tant l'intelligence et la prudente réserve de l'enfant, qu'il ne craignait pas de confier à ses jeunes années les secrets les plus importants de son immense Etat ; lorsque Guillaume eut vingt-deux ans, et qu'il fut devenu par héritage le prince le plus riche des Pays-Bas, l'empereur le nomma gouverneur de Hollande et de Zélande ; dans le même temps, il le préféra à ses capitaines les plus expérimentés et, contre l'avis de tout son conseil, le mit à la tête d'une armée de vingt mille hommes pour défendre le pays contre une offensive française. En 1556, ce fut encore lui que l'empereur choisit pour aller signifier aux princes électeurs son abdication et pour aller porter la couronne impériale à son frère Ferdinand d'Autriche. Aujourd'hui, bien que le nouveau roi le jalouse et le craigne, c'est encore de lui que ce dernier a besoin pour négocier avec la France. Quelles promesses d'avenir en cette jeune tête ! Vingt-six ans, et déjà fa personnalité politique la plus éminente des Pays-Bas, adorée du peuple, redoutée du roi, experte à éventer la ruse de l'adversaire et à faire peser son avis dans les délibérations du Conseil d'Etat.

    La cavalcade et les meutes ayant passé la crête, la forêt a retrouvé son repos ; elle invite à la confidence :

    - Prince, dit le roi, vous connaissez la grande préoccupation de tous les souverains actuels. Vous n'ignorez pas quelle marée d'hérésie inonde nos Etats. En tous lieux apparaissent ces chiens sectaires « qui ont fui le gras sentier de notre mère sainte Eglise romaine pour entrer dans les chemins secs de leur loqueteuse Eglise réformée » ; chiens galeux, errants, vagabonds, de maigre échine et de ventre pelé. Nos cités et nos champs sont infestés de cette rongeante vermine, dont un pays ne peut se nettoyer qu'à grands lavages de sang. Maudits partisans de Luther, le moine renégat, damnés disciples de Calvin, briseurs d'images de tout poil, dans l'Europe entière ils croissent en nombre et en force.

    Partout des imprimeries clandestines vomissent attaques contre le clergé, railleries contre les pèlerinages et les indulgences, récits de pendaisons et bûchers. Ces pamphlets venimeux se répandent comme graine emportée par le vent : ils sont en tous lieux et nul ne sait comment. Au fond de la hotte d'un marchand, de la cale d'un bateau, d'un chariot de marchandises, sous un tonneau, derrière une caisse, dans un ballot de draps flamands, nos octrois ne font qu'en saisir. Pareillement sont divulgués les Testaments, Vieil et Nouveau, imprimés en légères et nombreuses feuilles qui s'envolent comme hirondelles par delà les frontières. L'ouvrier à son établi, le boutiquier derrière son comptoir discutent avec leurs clients de l'efficacité des sacrements. Des moines défroqués prêchent les nouvelles doctrines le dimanche dans les prairies autour des villes. Pour comble d'impudence, il en est qui interrompent par des injures les serinons de nos dominicains. Vous savez, prince, combien les peuples sont méchantes bêtes ; grand est le péril quand ils relèvent la tête et hument le vent de rébellion. Mais ce qui m'alarme le plus, c'est que le populaire n'est pas seul à être gagné par la gangrène : la noblesse et même des Princes du sang en sont atteints. »

    Tandis que le souverain laisse éclater son indignation en un flot de paroles véhémentes, Guillaume de Nassau chevauche en silence de son côté. Colère de roi est de funeste augure : le jeune gentilhomme devine que l'heure est grave et, l'oreille tendue, écoute avidement. Catholique lui-même, par l'éducation reçue à la cour de Charles. Quint, mais n'ayant pas oublié son origine protestante, il éprouve une sympathie naturelle pour ceux que l'on traque sans répit.

    - Prince, continue Henri, on vous sait confident du roi d'Espagne, puisque vous négociez en son nom et puisque vous êtes un de ces otages de haut rang dont la présence à ma cour garantit l'exécution du récent traité. Vous n'êtes donc pas sans connaître les clauses secrètes par lesquelles nous nous engageons, Philippe et moi, à extirper de France et des Pays-Bas le chiendent d'hérésie et à nous prêter secours dans cette sainte besogne. Que diront vos Hollandais et vos Brabançons quand ils verront apparaître dans leurs villes quelques solides renforts de soldats espagnols? Il n'y a dans la chrétienté plus fidèles catholiques que vos soudards de Castille. Quand ils auront remplacé dans Anvers, Bruxelles et Amsterdam les timides garnisons flamandes ou wallonnes, messieurs les inquisiteurs du pape sauront sur qui compter pour appliquer avec justice « les benoits Placards (2) qui furent si doucement et mûrement pensés » par le défunt empereur Charles. Car il ne suffit pas de louer ces ordonnances « écrites plutôt de sang que d'encre » ; il les faut exécuter. De ma part, je pourrai vaillamment agir en France avec l'aide des gens de guerre que votre souverain m'a promis. La rafale s'abattra partout en même temps : les hommes seront brûlés, les femmes enterrées vives, les enfants élevés de force en la vérité catholique, les suspects torturés jusqu'à l'aveu, et les biens de tous seront confisqués en si grande abondance que nos finances royales s'enfleront joyeusement de l'or des marchands hérétiques. »

    Tandis que le souverain détaille avec complaisance les articles de ce pacte caché, Guillaume de Nassau chevauche en silence à son côté. Il vient de recevoir une effrayante révélation. Connaissant ses tendances tolérantes, sa largeur de vues, son esprit indépendant, Philippe II s'est bien gardé de lui souffler mot des clauses secrètes du traité; pour établir ce sinistre projet, l'on n'a pas requis les services d'un jeune seigneur avide d'une «paix de religion ». Mais voici que cette dissimulation échoue : Henri II a parlé.

    Providentielle imprudence!

    Le prince d'Orange n'a tressailli ni dit mot. Sa réserve assure le roi qu'il est au courant du complot ; son regard dit qu'il ne connaît pas les détails, mais les apprend avec intérêt.

    En réalité, il écoute avec passion. Il pense au mal que les troupes espagnoles ont déjà fait dans les Pays-Bas, à l'hostilité qu'elles ont soulevées ; d'Artois en Frise, le peuple entier exècre les reîtres étrangers et réclame le départ de leurs dernières compagnies. Si Philippe est en train de préparer le retour des armées espagnoles et, par leur moyen, l'écrasement de l'hérésie, quel effrayant avenir, quelles rébellions, quels massacres faut-il prévoir! Dès maintenant il est saisi de dégoût et son âme se révolte. Dût-il perdre sa position, sa fortune, sa tête, il ne pactisera pas avec les rois de sang : Dieu l'aidant, il délivrera son pays.

    Mais pas un trait de son visage ne trahit sa résolution. Il chevauche tranquillement à côté du monarque loquace. Au fond du bois de Vincennes sonnent les cors de chasse et jappent les meutes en laisse.

    Le prince d'Orange vient d'accomplir son premier acte de libérateur des Pays-Bas, un acte de silence.

    Demain, son peuple mettra son espérance en lui et l'appellera Guillaume le Taiseux.

    .

    L'ARAIGNEE.

    « Le roi Philippe, morne, paperassait sans relâche tout le jour, voire la nuit, et barbouillait papiers et parchemins. A ceux-là il confiait les Pensées de son coeur dur. N'aimant nul homme en cette vie, sachant que nul ne l'aimait, voulant porter seul son immense empire, il pliait sous le faix. Flegmatique et mélancolique, ses excès de labeur rongeaient son faible corps. Détestant toute face joyeuse, il avait pris en haine nos pays pour leur gaieté ; en haine nos marchands pour leur luxe et leur richesse ; en haine notre noblesse pour son libre-parler, ses franches allures, la fougue sanguine de sa brave jovialité...

    » Mulet, obstiné, il croyait que sa volonté devait peser comme celle de Dieu sur l'entier monde; il voulait que nos pays se courbassent sous le joug ancien, sans obtenir nulle réforme. Il voulait Sa Sainte Mère Eglise catholique, apostolique et romaine, une, entière, universelle, sans modifications ni changements, sans nulle autre raison de le vouloir que parce qu'il le voulait...

    » - Oui, monsieur saint Philippe, oui seigneur Dieu, dussé-je faire des Pays-Bas une fosse commune et y jeter tous les habitants, leurs âmes reviendront à vous, mon benoît patron, à vous aussi, madame vierge Marie, et à vous, messieurs les saints et les saintes du paradis.

    » Et il tenta de le faire comme il le disait, et ainsi il fut plus romain que le Pape et plus catholique que les conciles.

    » ... Le pauvre peuple de Flandre et des Pays-Bas, angoisseux, croyait voir de loin, dans la sombre demeure de l'Escurial, cette araignée couronnée, avec ses longues pattes, les pinces ouvertes, tendant sa toile pour l'envelopper et sucer le plus pur de son sang...

    » Et les hérauts des villes lurent partout a son de trompe et de tambourins des placards décrétant pour tous hérétiques la mort par Je feu pour ceux qui n'abjureraient point leur erreur, par la corde pour ceux qui l'abjureraient. Les femmes et fillettes seraient enterrées vives, et le bourreau danserait sur leurs corps.

    » Et le feu de résistance courut par tout le pays. »

    « Voici le beau mois de mai! Ah! le clair ciel bleu, les joyeuses hirondelles; voici les branches des arbres rouges de sève, la terre est en amour. C'est le moment de pendre et de brûler pour la foi. Ils sont là les bons petits inquisiteurs. Quelles nobles faces 1 Ils ont tout pouvoir de corriger, punir, dégrader, livrer aux mains des juges séculiers, avoir leurs prisons, - ah! le beau mois de mai ! - faire prise de corps, poursuivre les procès sans se servir de la forme ordinaire de justice, brûler, pendre, décapiter et creuser pour les pauvres femmes et filles la fosse de mort prématurée. Les pinsons chantent dans les arbres. Les bons inquisiteurs ont l'oeil sur les riches. Et le roi héritera... Oh! le beau mois de mai! »

    - Marchons, disent les Flamands en colère. Heureux ceux qui tiendront droit le coeur, haute l'épée dans les jours noirs qui vont venir! Nous voulons voir morts et mangés des vers les oppresseurs des Pays-Bas. Le feu de vengeance couve en notre coeur. Par le glaive, la flamme, la corde, l'incendie, la dévastation et la guerre, sus aux bourreaux !

    .

    LE COMPROMIS.

    Des messagers parcoururent le pays, conversèrent avec les nobles, récoltèrent leurs signatures ; les gentilshommes des « bandes d'ordonnance » s'inscrivirent en grand nombre: on pourrait donc compter sur leurs braves soldats.

    Ces ligueurs s'engageaient à combattre l'inquisition et à se soutenir mutuellement jusqu'à la mort, « comme frères et compagnons tenant la main l'un à l'autre». Par cette fameuse alliance qui fut nommée Le Compromis, catholiques et protestants s'unissaient contre les bourreaux de l'Eglise romaine. Quelques grands seigneurs se mirent à leur tête : Louis de Nassau, vaillant frère de Guillaume d'Orange, le comte de Culembourg, le sire de Brederode. Le pays tout entier admirait sa valeureuse noblesse.

    « Le cinq avril avant Pâques (1566), les chefs du compromis entrèrent avec trois cents autres gentilshommes en la cour de Bruxelles, chez Madame la gouvernante Marguerite, duchesse de Parme. Allant par quatre de rang, ils montèrent ainsi les grands degrés du palais.

    » Etant dans la salle où se trouvait Madame, ils lui présentèrent une requête par laquelle ils lui demandaient de chercher à obtenir du roi Philippe l'abolition des placards touchant le fait de la religion et aussi de l'inquisition d'Espagne, déclarant que, dans nos pays mécontents, il n'en pourrait arriver que troubles, ruines et misère générale.

    » Berlaymont, qui fut plus tard si traître et cruel à la terre des pères, se tenait près de Son Altesse et lui dit, se gaussant de la pauvreté de quelques-uns des nobles confédérés :

    » - Madame n'ayez crainte de rien, ce ne sont que gueux. »

    Pour faire mépris des paroles du sieur de Berlaymont, les seigneurs déclarèrent « tenir à honneur d'être estimés et nommes gueux pour le service du roi et le bien de ces pays ». Le soir même ils banquetèrent en vêtements de vagabonds, en chausses rapiécées, portant la besace en bandoulière et à la main l'écuelle du mendiant. Pour la première fois dans les provinces, on entendit crier : «Vive le Gueux! » Leurs médailles eurent d'un côté l'effigie du roi, et de l'autre deux mains s'entrelaçant à travers une besace, avec ces mots : « Fidèles au roi jusqu'à la besace ». Sur le chapeau des hommes, aux oreilles des femmes, un nouveau bijou apparut : la petite écuelle d'or. Il y eut même des gentilshommes qui ornèrent de ce signe de ralliement les harnais de leurs chevaux.

    .

    LA PAROLE DE LIBERTE.

    Le succès des Gueux, l'acceptation de leur requête, les promesses de Marguerite de Parme avaient fait croire à beaucoup que l'inquisition allait être vaincue, que, sous peu, la liberté de culte serait accordée. La Réforme calviniste fit aussitôt des progrès considérables.

    Une foule de prêtres « révoquèrent en chaire les doctrines orthodoxes que jusqu'alors ils avaient prêchées, disant qu'ils n'avaient pu jusqu'ici ni prêcher ni parler, en criant miséricorde a Dieu pour avoir, sous l'empire de la contrainte, entraîné et trompé son peuple ».

    Des prédicants apparurent en Artois, en Flandre. Ils réunissaient des assemblées en tous lieux, dans les champs et les jardins, sur les monticules qui servent au temps d'inondation à loger des bestiaux, sur les rivières, dans les barques" L'ardente, la belle foi calviniste s'alluma ainsi partout et se propagea impétueusement jusqu'en Hollande. Les autorités catholiques étaient tellement stupéfaites qu'elles n'osaient agir. D'ailleurs, les réformés prenaient leurs précautions.

    Sur les rivières et les canaux, des barques les protégeaient ; leurs équipages étaient eh armes.

    Sur terre, ils se retranchaient comme dans un camp en s'entourant de leurs chariots. Des mousquetaires et arquebusiers montaient la garde. A l'intérieur de ce rempart improvisé, des centaines d'hommes, armés de piques ou de pistolets, faisaient cercle autour des femmes. Et le pasteur prêchait, juché sur un tas de manteaux ou monté sur l'échelle d'un moulin à vent. Dans la prairie voisine, auprès des chevaux broutant et des feux, on vendait sous des tentes des livres de propagande, on mettait en perce des tonneaux de petite bière, on préparait un repas pour l'assistance et l'on déchargeait des sacs de pain et des meules de fromage rose. Le soir, tout le monde rentrait en ville en chantant des psaumes et en criant: « Vive le Gueux! »

    Et ce n'était plus seulement des pauvres gens qui formaient l'auditoire. « On y voyait des avocats, de riches marchands, des dames à chaîne d'or ».

    « C'est ainsi que la parole de liberté fut entendue de toutes parts sur la terre des pères. »

    .

    LES BRISEURS D'IMAGES.

    Brusquement éclata une insurrection dont les protestants portèrent la responsabilité.

    Redoutant sans cesse le retour de l'inquisition, ils avaient tout d'abord songé a la sûreté de leurs assemblées.

    Eux-mêmes d'ailleurs, aussi bien que le gouvernement, avaient été étourdis par cette soudaine offensive de la religion réformée. Quand des églises surgissent partout à la fois, quand le danger est immédiat, quand le temps presse, comment du premier coup, établir une autorité, instituer une discipline et y soumettre la foule des nouveaux convertis?

    A l'intérieur des remparts de chariots, parmi les auditeurs loyaux, s'étaient glisses des vagabonds suspects, « de jeunes gars claquedents et guenillards», ne retenant des prêches que les attaques contre l'idolâtrie catholique. Ils se mirent peu à peu à manifester bruyamment leur haine de la tyrannie et à mener grand tapage de leurs pieds et de leurs langues. Il aurait fallu se défier de ces amateurs de désordre.

    Malheureusement, les Réformés n'eurent pas cette prudence. Quelques-uns d'entre eux, pleins d'ardeur et d'impétuosité, se laissèrent gagner par le fanatisme, décidèrent d'en finir avec les cultes païens et de pulvériser les idoles, déshonneur des temples.

    Incontinent, ils se mirent à l'oeuvre, excités et suivis par la canaille qui riait sous cape. Des bandes armées de cordes, de bâtons, de masses pesantes s'attroupèrent dans les campagnes de la basse Flandre, et pénétrèrent dans les églises. Au milieu des cris et de la poussière, elles brisaient les statues, fracassaient les vitraux, lacéraient manuscrits, livres, tableaux, frappaient à coups de hache les orfèvreries d'art et les bas-reliefs, et buvaient le vin de la messe tout en piétinant les objets du culte catholique. C'est ainsi que les meneurs croyaient très honnêtement servir le Dieu de l'Evangile, tandis que les vauriens loqueteux trouvaient de quoi piller, voler et boire. En vain quelques pasteurs cherchèrent-ils a calmer les forcenés, « disant qu'ils devaient en premier lieu oster les images demeurant ès coeur des hommes, telles qu'avarice, envie, luxure et autres péchés intérieurs, avant que de procéder à l'abat des idoles extérieures ». Les exhortations ne pouvaient plus rien contre la démence des dévastateurs.

    La cathédrale d'Anvers était trop somptueuse pour échapper. Lorsqu'une bande de « malconnus » y eut pénétré avec des vociférations, les voûtes résonnèrent comme au bruit de cent canons. L'un d'eux monta en chaire pour y dire de sots propos et pour insulter la statue de Notre-Dame, lui criant : « Eh, Marial Voici l'heure de déloger. Tu vas payer le sang et les larmes qui ont coulé en ton nom. On te coupera en deux, méchante statue de bois, pour toutes les statues de chair et d'os qui furent en ton nom brûlées, pendues, enterrées vives sans pitié. Tu vas descendre de ta niche, Maria la sanguinaire, Maria la cruelle, qui ne fus point semblable à ton fils Christus. »

    Et toute la foule, huant et criant, se mit à briser, saccager et détruire. Avant minuit, cette grande église, où il y avait septante autels, toutes sortes de belles peintures et de choses précieuses, fut vidée comme une noix.

    La rafale visita du sud au nord plusieurs centaines de temples (août 1566). Quelques forces de police eussent pu sans peine l'arrêter. Mais la terreur avait paralysé la gouvernante : elle frémissait à la pensée de la rage qui s'emparerait de son frère, l'impitoyable Philippe II, à l'ouïe de ces désordres, sacrilèges. Les protestants eux-mêmes donnaient ainsi à leur ennemi une écrasante raison de les exterminer.

    Quand le gouvernement se fut ressaisi, il menaça de mort les « iconoclastes » (briseurs d'images). Guillaume d'Orange, chargé de rétablir l'ordre à Anvers, en fit exécuter plusieurs. En quelques jours, ils avaient disparu.

    Il ne restait plus, de ce brutal tourbillon, que des églises saccagées et l'angoissante certitude de la vengeance du roi.

    .

    LE FAUCHEUR ESPAGNOL.

    «Las ! dirent les dix-sept provinces, la moisson est mûre pour les faucheurs espagnols. Le duc ! Le duc marche sur nous. Flamands, la mer monte, la mer de vengeance. Pauvres femmes et filles, fuyez la fosse ! Pauvres hommes, fuyez la potence, le feu et le glaive ! Philippe veut achever l'oeuvre sanglante de Charles. Le père sema la mort et l'exil ; le fils a juré qu'il aimerait mieux régner sur un cimetière que sur un peuple d'hérétiques. Il va châtier avec éclat le sacrilège brisement des images. Fuyez, voici le bourreau et les fossoyeurs. »

    Le populaire s'épouvantait et les familles par centaines quittaient les cités, et les routes étaient encombrées de chariots chargés des meubles de ceux qui partaient pour l'exil.

    En août 1567, don Ferdinand de Toledo, duc d'Albe, arriva à Bruxelles avec 14 000 soldats et happe-chair espagnols. Sept heures par jour, il s'assit à la table du Conseil des Troubles pour signer les condamnations a mort. En trois mois, il fit exécuter 1800 personnes ; en deux ans, 6000. Les fuites à l'étranger reprirent de plus belle : 100 000 hommes émigrèrent. Les biens des fuyards étant saisis comme ceux des suppliciés, cette boucherie constituait une « excellente opération financière » : en 1573, le duc d'Albe se vantait d'avoir procuré à son roi, rien qu'en confiscations, 500 000 ducats (3) de rente.

    .

    GUEUX DES BOIS ET GUEUX DE MER.

    Dans les campagnes, au fond des forêts rôdent des bandes de fugitifs, « Gueux Sauvages», « Frères des bois » ou « Feuillants ». Loqueteux, farouches et l'oeil fier, ils errent, armés de haches, hallebardes, épées, arbalètes et arquebuses. Ils harcèlent les soldats du roi, les tuent, les dépouillent, puis s'enfuient dans leurs tanières. « On voit, jour et nuit, dans les bois, s'allumer et s'éteindre des feux nocturnes changeant sans cesse de place.: c'est le feu de leurs festins. A eux le gibier de poil et de plume. Ils sont seigneurs. Les paysans leur donnent du pain et du lard. » Comme des fauves, ils se ruent sur les cloîtres, les pillent, et, le vin que les moines gardaient pour eux seuls, ils le boivent en chantant :

    Battez le tambour de guerre.
    Qu'on arrache au duc ses entrailles !
    Qu'on lui en fouette le visage !
    Battez le tambour.
    Que le duc soit maudit ! A mort le meurtrier !
    Qu'il soit pendu par la langue et par le bras,
    Par la langue qui commande,
    Et par le bras qui signe l'arrêt de mort !
    Battez le tambour de guerre. Vive le Gueux !
    Christ, regarde d'en haut tes soldats,
    Risquant le feu, la corde, Le glaive pour ta parole.
    Ils veulent la délivrance de la terre des pères.
    Battez le tambour de guerre, Vive le Gueux !

    « Hommes fauves, nous sommes loups, lions et tigres. Mangeons les chiens du roi de sang. »

    Sur terre, il n'est plus temps de combattre le bourreau. C'est sur mer qu'il faut ruiner sa puissance. Avec ruse, les Gueux des bois longent les cours des rivières, canaux ou fleuves. Quand ils voient des vaisseaux portant le signe J-H-S, l'un d'eux chante comme l'alouette. Le clairon du coq lui répond. Ils sont en pays ami.

    L'amiral les reçoit avec joie. Ils prennent place sur de nouveaux voiliers et retrouvent la les bannis des dix-sept provinces, ainsi que les huguenots de France, venus au secours de leurs frères du Nord. C'est la flotte des Gueux de mer, qui cingle bravement sur les côtes de Hollande et de Zélande. Pour vivre, ces matelots traqués font métier de pirates : ils assaillent les navires marchands et les prennent d'assaut. Quand la capture est riche, elle va grossir le trésor de guerre qu'amassent: leurs chefs. De temps a autre ces écumeurs de mer font sur la côte un débarquement ; « ils massacrent les curés des petits villages éparpillés dans les dunes et, par bravade, font flotter au haut de leurs mâts les bannières des églises qu'ils ont pillées. »

    Le duc d'Albe les méprise, et son fils don Fadrique en parle en riant, comme si ce n'est rien. Ils savent que le jour où le gouvernement aura le temps de s'occuper d'eux, il exterminera ces pirates en un tour de main.

    Mais voici que, dans la nuit du 31 mars au 1er avril 1572, la flottille de Guillaume de la Marck paraît devant l'île de Voorn, a l'embouchure de la Meuse, et s'empare de la Petite ville de la Brielle.

    C'est le signal d'un soulèvement général. Flessingue, gardienne de l'Escaut, clef d'Anvers, Rotterdam, Harlem, la Hollande, la Zélande, l'Utrecht proclament l'insurrection. Le duc a perdu sa belle assurance. Lui qui se vantait d'avoir maté ce peuple, il va partout entendre le chant de la révolte :

    Abeilles laborieuses, ruez-vous par essaims Sur les frelons d'Espagne.
    Cadavres des femmes et filles enterrées vives, Criez à Christ : Vengance !Le glaive est tiré, duc: Nous t'arracherons les entrailles Et t'en fouetterons le visage.
    Battez le tambour. Le glaive est tiré. Battez le tambour. Vive le Gueux !

     

    Tous les mariniers et soudards de la flotte rebelle chantaient pareillement.

    « Et leurs voix grondaient comme un tonnerre de délivrance. »



Table des matières

Page suivante:

.

1 Château-fort à l'est de Paris, qui servit longtemps de résidence aux rois de France. Le bois qui l'entoure est aujourd'hui transformé en parc.

.

2 Avis officiels affichés dans les Pays-Bas par Charles-Quint pour combattre l'hérésie.

.

3 Monnaie d'or valant de 10 à 12 francs.

 

- haut de page -