HISTOIRE DES VAUDOIS.
CHAPITRE
IX.
TRADITIONS DES VAUDOIS ATTESTANT
LEUR ANCIENNETÉ
Tradition rappelée dans leurs
requêtes à leurs souverains. - Celles
consignées dans les écrits de leurs
adversaires. - Faisceau des temps. - Honorius et Eberard. -
Moneta. - Polichdorf. - Rainier qui les nomme
léonistes. - Claude de Seyssel. - Tradition commune
aux Vaudois de Bohème et d'ailleurs.
Les Vaudois ont une double tradition
concernant leur origine, l'une plus générale,
l'autre plus détaillée, et toutes deux
très-précises.
Dans toutes les
persécutions qu'ils ont éprouvées,
dès le XVe siècle, et plus tard, lorsqu'ils
ont dû réclamer à diverses fois
auprès de leur souverain, les Vaudois ont toujours
soutenu, comme précédemment, que la religion
qu'ils suivaient s'était conservée de
père en fils, et de génération en
génération, depuis un temps immémorial
: Da ogni tempo e de tempo immemoriale, disaient-ils dans
leurs requêtes.
De plus, non-seulement les
Vaudois du Piémont, mais tous ceux qui se sont
réclamés de leur nom, en tous lieux, ont
constamment soutenu qu'ils ont reçu leur voie ou
croyance religieuse de Léon, confrère et
contemporain de Sylvestre, évêque de Rome, sous
l'empereur Constantin-le-Grand.
Cette tradition, sous cette
seconde forme, plus précise que la première,
s'appuie sur une base historique. Nous lisons, en effet,
dans le Faisceau des temps : « Les biens
d'église que les prélats commencèrent
à posséder environ ce temps-là (de
Sylvestre et de Constantin) occasionnèrent souvent de
grandes altercations entre les docteurs, les uns
prétendant que c'était une chose juste et
utile que l'Eglise eût en abondance des biens
temporels et l'honneur terrestre, les autres soutenant le
contraire. » Léon aurait été l'un
de ces derniers et aurait préféré la
liberté chrétienne avec la pauvreté,
à un riche bénéfice, occasion possible
de servitude et de relâchement. (V. Fasciculus
temporum in PISTORIO, t. II, p. 47.)
Cette tradition est conforme
à ce que Honorius «Autun et Eberard de
Béthune, au III ème siècle, nous disent
des montani, c'est-à-dire selon nous des Vaudois :
« Que, dans des temps de persécution, ils se
cachèrent dans les montagnes et se
séparèrent du corps de l'Eglise ou
errèrent quant à la foi catholique.
»
Si l'on hésitait
à voir une confirmation de la tradition dans cette
citation, nous en appellerions à une autre du
père Moneta, professeur à Bologne et
inquisiteur, vers l'an 1244. Parlant des Vaudois, en qui il
ne veut voir que des sectaires récents, cet auteur
s'exprime comme suit : « il est évident qu'ils
tirent leur origine de Valdecius, citoyen de Lyon, qui
commença cette oeuvre il n'y a pas plus de
quatre-vingts ans, un peu plus ou un peu moins, ainsi donc
ils ne sont pas les successeurs de l'Eglise primitive, ils
ne sont donc pas l'Eglise de Dieu. Or, s'ils disent que leur
voie fut antérieure à Valdo, qu'ils le
montrent par quelque témoignage. » (Venerabilis
P. MONETA, Catharos et Valdenses, lib. V, cap . 1, § 4;
Romae, 1743.) Par ce passage, nous voyons que si Moneta
combat l'ancienneté de l'Eglise vaudoise, il
témoigne cependant que les prétendus novateurs
se regardaient comme les successeurs de l'Eglise primitive,
comme de Dieu, et soutenaient par conséquent que leur
voie était antérieure à Valdo. Celle
citation prouve donc avec évidence que, vers l'an
1244, quatre-vingts ans au plus après Valdo, les
Vaudois du Piémont se soulevaient contre l'origine
récente qu'on prétendait leur assigner, et
s'appuyaient sur leur descendance directe de l'Eglise
primitive.
Un second inquisiteur, Pierre
Polichdorf, allemand, selon les uns contemporain de Moneta,
selon les autres postérieur d'un siècle, dit
aussi : « Que les hérétiques vaudois, ces
enfants d'iniquité, prétendent faussement,
auprès des simples, que leur secte a continué
depuis le temps du pape Sylvestre, savoir, lorsque l'Eglise
commença à posséder des biens, »
etc. (Max. Biblioth., P. P., t. XXV, in praefat., cap. I, p.
278.)
L'inquisiteur Rainier Sacco,
ardent adversaire des cathares vaudois, au milieu desquels
il aurait passé quelques années, avant
d'entrer dans l'ordre des frères prêcheurs ou
dominicains, et qui écrivait vers fan 1250, ne parle
pas seulement de cette tradition, il donne en outre
plusieurs renseignements sur la secte des léonistes.
Après avoir dit que, de soixante-dix sectes qui se
sont formées hors de l'Eglise, il n'en reste que
quatre, parmi lesquelles celle des léonistes, il
ajoute : « De toutes ces sectes qui existent ou qui ont
existé, il n'en est point d'aussi pernicieuse
à l'Eglise que celle des léonistes, et cela
pour trois raisons. La première, parce qu'elle est la
plus ancienne, puisque selon quelques-uns elle s'est
conservée depuis le temps de Sylvestre, selon
d'autres depuis le temps des apôtres. La seconde
raison, c'est qu'elle est la plus répandue; en effet,
il n'est presque pas de pays où elle ne se trouve. La
troisième raison est celle-ci, que, pendant que
toutes les autres sectes inspirent l'horreur à ceux
qui les entendent, par la grandeur de, leurs
blasphèmes contre Dieu, celle des léonistes
manifeste une grande apparence de piété, en ce
que ceux qui en sont membres vivent justement devant les
hommes, ont la vraie foi en Dieu, et qu'ils croient tous les
articles du symbole. » (Max. Biblioth., P. P., t. XXV,
cap. V et VI, p. 264 et suiv.)
Malgré la confusion
intentionnelle ou involontaire que Rainier met quelquefois
dans la désignation des sectes, en confondant ce
qu'il devrait séparer, et en séparant ce qu'il
devrait réunir, et quoique, dans ce cas particulier,
il paraisse confondre les léonistes avec les pauvres
de Lyon, il n' y a nul doute cependant que, dans ce qu'il
vient de dire des léonistes, il n'ait en vue, non les
disciples de Valdo, ou pauvres de Lyon (puisqu'il assigne
aux léonistes une origine antérieure de bien
des siècles à ceux-ci), mais les Vaudois que
les catholiques romains de son temps affectaient
déjà de confondre avec les pauvres de Lyon.
Tout ce qu'il dit en effet des léonistes correspond
parfaitement à ce que nous avons appris de l'histoire
et de la tradition des Vaudois, et à ce que nous
verrous bientôt de leur doctrine et de leur
piété.
L'étymologie du nom de
léonistes est aussi toute en faveur de la
thèse, que nous soutenons; on ne saurait y voir une
dérivation du nom de Lyon, tandis qu'on y en peut
voir une toute naturelle de celui de Léon 1 à
qui les Vaudois rattachaient leurs opinions
religieuses.
La tradition que nous venons
de rapporter sur l'origine des Vaudois est enfin
confirmée par un archevêque de Turin, Claude de
Seyssel, qui, dès 1517 à 1520, administra ce
diocèse, dans lequel se trouvaient les Vallées
Vaudoises, et qui a pu et dû avoir une connaissance
exacte de leurs opinions. Mais, comme il ne fait que
répéter ce qui nous est connu, en le traitant
de fable et de conte, nous faisons grâce de cette
citation à nos lecteurs. (V. R. P. Claudii SEYSSELII
1 archiep. Taurin., adversus errores et sectam Valdensium
Tractatus, cap. 1.)
Cette tradition a aussi
été recueillie dans les Églises
évangéliques, filiales de celles des
Vallées, en Bohème et en Moravie, par exemple
(1).
Mais nous ne nous y
arrêterons pas davantage. Il nous suffit d'en avoir
bien établi la certitude. La valeur d'une telle
tradition à laquelle les écrits des Vaudois
font allusion (2),
comme preuve en faveur de l'ancienneté, de
l'Église vaudoise, paraîtra incontestable
à tout coeur honnête et intelligent.
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